Une interview de Denis de Rougemont : l’écrivain nous parle des centres culturels internationaux (16 novembre 1963)g
À la suite de la remarquable conférence qu’il a faite jeudi soir au Club 44, M. Denis de Rougemont a bien voulu nous accorder un entretien au cours duquel nous lui avons posé quelques questions qui nous tenaient particulièrement à cœur.
Lors de votre conférence : « La culture occidentale et les civilisations extraeuropéennes », vous avez mentionné l’urgence de créer des centres internationaux culturels, au niveau des élites, afin d’établir la compréhension entre les peuples. Existe-t-il actuellement de tels centres ?
Nous nous sommes réunis à Genève, il y a trois ans pour discuter de ce problème dans le cadre du Centre européen de la culture. À cette réunion, il a été décidé de former de tels centres, un peu partout dans le monde.
Quelques-uns sont déjà constitués, notamment celui de Hammamet en Tunisie, pour le Maghreb arabe. Un autre se trouve à Madras, au sud de l’Inde, présidé par le Maharajah de Mysore. Un Centre vient de se créer à Lagos, capitale du Nigéria, et l’on projette d’en créer deux autres, l’un à Dakar, pour les populations francophones, l’autre à Beyrouth, pour le Proche-Orient.
Comment fonctionnent ces centres ?
Notre but est de grouper les centres existants, ainsi que ceux à créer par la suite, en une fédération ayant pour siège Genève.
Nous encourageons les centres à publier des ouvrages de base, traduits en plusieurs langues. Ces ouvrages doivent constituer une synthèse de la culture propre à chaque pays ou continent.
Notre civilisation technique est de plus en plus orientée vers le machinisme intégral. L’automation▶ met-elle en danger les valeurs fondamentales de notre culture ?
Cela dépend de la manière dont nous nous serons préparés. Toute la question est là. Pour l’instant, il faut reconnaître que l’◀automation▶ pose de grands problèmes, dans le domaine social, notamment. Mais nous n’en sommes qu’au premier pas, hésitant.
Mon attitude est franchement positive, optimiste. J’envisage l’avenir avec confiance. L’◀automation permettra de supprimer le prolétariat, l’homme sera plus libre. Évidemment cela n’ira pas tout seul. Il y a tout un travail d’éducation à effectuer.
Sous ce rapport, il est intéressant de mentionner l’essor remarquable de l’édition dite « de poche ». C’est un excellent moyen de développement culturel. Aux États-Unis, par exemple, 360 millions de ces petits livres ont été vendus en 1960, ce qui représente une moyenne d’un million par jour !
L’entretien a pris fin. Denis de Rougemont s’apprête à dédicacer quelques-uns de ses livres, parmi lesquels un ouvrage publié par une édition « de poche » précisément. Nous vous laissons le soin de le découvrir…