De▶ ◀la▶ marche / ◀De▶ ◀l’▶échec (1964)o p
◀De▶ ◀la▶ marche
J’étais alors revenu en Suisse, où je subissais ◀l’▶entraînement intensif ◀d’▶une école ◀d’▶officiers ; et comme un chagrin très amer m’occupait entièrement ◀le▶ cœur, je trouvais à ◀l’▶armée ce que d’autres vont demander à une retraite conventuelle. Cette circonstance peut expliquer pourquoi certains des incidents ◀de▶ ◀la▶ vie militaire, qui n’étaient que routine aux yeux de mes instructeurs, m’apparurent tout chargés ◀d’▶un sens qui dépassait ◀de▶ beaucoup leur portée immédiate et ◀l’▶intention du règlement. J’accueillais toute épreuve comme une leçon, et toute leçon comme un symbole.
◀La▶ personnalité exceptionnelle, et par là même impopulaire, du commandant ◀de▶ cette école était faite pour favoriser mes dispositions du moment. ◀Le▶ colonel ◀de▶ P. cachait sous des manies, qui ◀le▶ faisaient passer pour un original, une véritable originalité ◀d’▶allure et ◀d’▶âme. Il parlait peu, mais ◀l’▶élégance précise ◀de▶ ses sentences intimidait, cependant que ◀la▶ courtoisie dont il ne se départissait jamais accentuait, par contraste avec ◀le▶ ton bourru qu’on tient pour énergique dans ◀les▶ casernes, une indépendance ◀d’▶esprit qui chez un officier plus jeune n’eût pas manqué ◀d’▶être taxée ◀d’▶insolence ou ◀d’▶humeur subversive. Je ◀l’▶admirais autant que je détestais ◀l’▶ambiance ◀de▶ ◀la▶ place ◀d’▶armes, où il était ◀de▶ mise ◀de▶ ne pas aimer ce chef.
Un jour, à peine entré dans notre salle ◀de▶ cours, il nous posa cette question simple : Qu’est-ce que ◀l’▶énergie ? Et après nous avoir laissé patauger quelques moments dans nos essais ◀de▶ formulation scolaire, interrompant ◀d’▶un geste bref ceux qui s’annonçaient encore pour répondre, il scanda : « ◀L’▶énergie, c’est quelque chose qui dort en chacun ◀de▶ vous et qu’il s’agit ◀de▶ réveiller. » Puis il sortit. Ce n’était pas une définition, c’était plus grave : nous comprîmes tous que quelque chose se préparait. Et en effet, ◀l’▶ordre du jour pour ◀le▶ lendemain, que nous lûmes en sortant ◀de▶ cette classe écourtée, annonçait : 04.00 : diane. 05.00 : départ pour la première marche ◀d’▶entraînement, 50 kilomètres. Tenue ◀de▶ campagne. Paquetage complet.
La deuxième marche fut ◀de▶ 70 kilomètres, une semaine plus tard. Et ce n’était qu’une préparation pour ◀la▶ « grande course » finale : 150 kilomètres par-dessus ◀les▶ Préalpes et ◀les▶ Alpes, en trente-trois heures.
Pour la plupart des officiers et des élèves ◀de▶ ◀l’▶école, ◀la▶ perspective ◀de▶ ◀la▶ « grande course » était un sujet permanent ◀d’▶irritation et ◀de▶ protestations : « Il nous fera tous crever avec ses manies », disait-on à mi-voix quand passait ◀le▶ colonel, toujours suivi ◀d’▶un grand chien blanc. On répétait qu’une troupe moderne se déplace en camion ou en train et que ces marches ne servaient à rien… Pour ma part, j’observais que ◀le▶ colonel prenait grand soin ◀de▶ ne pas ◀les▶ justifier, malgré ◀la▶ sourde résistance qu’il devait bien sentir chez ses subordonnés. Quels pouvaient être ses motifs ?
Il concevait ◀l’▶armée en général, et celle ◀d’▶un pays neutre plus qu’une autre, comme ◀l’▶instrument ◀d’▶éducation ◀de▶ certaines énergies déprimées par ◀l’▶époque, et pourtant nécessaires à ◀l’▶homme complet. Quoi qu’il en soit d’ailleurs ◀de▶ sa philosophie, j’ai toutes raisons ◀de▶ croire qu’en imposant cette épreuve « inutile » à notre école, il poursuivait un but précis. Il voulait nous laisser ◀le▶ souvenir ◀d’▶avoir une fois au moins dans notre vie accompli quelque chose ◀d’▶excessif, et fourni un effort qui dépassât ◀de▶ beaucoup ◀le▶ maximum que nous pensions pouvoir tirer ◀de▶ nous.
Il était ◀de▶ ◀la▶ nature ◀d’▶un tel projet que ses motifs ne fussent point divulgués, mais en même temps qu’il nous fût présenté de manière à frapper nos imaginations. C’est pourquoi ◀le▶ colonel ◀de▶ P. nous laissait faire ◀de▶ sa « Grande course » un mythe, avec tout ce que ◀le▶ mythe comporte ◀d’▶effrayant et ◀de▶ contraignant. Nous étions préparés pour quelque chose qui nous paraissait à la fois démesuré, inévitable et sans raison. Tout cela faisait partie, comme on ◀le▶ verra, des conditions nécessaires au succès, et aux leçons que devait illustrer ◀l’▶entreprise.
Au départ, à cinq heures du matin, dans ◀la▶ cour froide ◀de▶ ◀la▶ caserne ◀de▶ Fribourg, nous savions que la première étape serait ◀de▶ 25 kilomètres, et devait nous porter ◀d’▶un bond jusqu’au lac Noir. ◀De▶ là, nous gravirions ◀les▶ pentes des Préalpes, puis nous longerions ◀la▶ vallée qui monte lentement jusqu’aux hôtels ◀de▶ ◀la▶ Lenk ; il nous faudrait franchir ◀les▶ Alpes pendant ◀la▶ nuit, par un col escarpé dans ◀les▶ rochers ; ◀l’▶aube se lèverait sur ◀le▶ Valais, et ce serait la dernière étape, une longue dégringolade ◀de▶ deux-mille mètres à travers ◀les▶ alpages dénudés, puis ◀les▶ forêts ◀de▶ châtaigniers, et finalement dans ◀la▶ poussière des chemins ◀de▶ vigne, jusqu’aux pavés ◀de▶ ◀la▶ vieille ville ◀de▶ Sion.
Nous marchions sur une route asphaltée, — une file à gauche, une file à droite — notre vieux colonel en tête, maigre silhouette aux jambes ◀de▶ cavalier serrées dans ses bandes molletières grises. ◀L’▶air vif ◀d’▶une aube automnale nous grisait, mal réveillés encore, et parlant peu. ◀Les▶ heures passaient, ramenant ◀la▶ courte halte sur ◀le▶ talus, ◀le▶ nez plongé dans ◀l’▶herbe fraîche. Plusieurs en profitaient pour rajuster minutieusement une courroie du paquetage, ◀le▶ pli ◀d’▶un sous-vêtement ou ◀d’▶une chaussette, un clou ◀de▶ soulier perçant un peu ◀la▶ semelle — détails infimes et insensibles au départ, qui se révèlent à longueur ◀de▶ marche, causant d’abord une légère irritation, puis une blessure, et forçant finalement à ◀l’▶abandon ◀de▶ ◀la▶ course, si ◀l’▶on n’y a pas pris garde au premier signe, si ◀l’▶on n’a pas prévu ◀la▶ durée ◀de▶ ◀l’▶effort.
◀La▶ route montait maintenant vers ◀le▶ lac Noir. Une auberge blanche à toit rouge, dans un jardin au bord de ◀l’▶eau, marquait ◀la▶ fin ◀de▶ la première étape. Nous nous assîmes devant une collation — pain, beurre, confiture et café — servie sur ◀de▶ longues tables ◀de▶ sapin. « Fatigués ? » — « Non, mon colonel. » Pour être à peu près unanime, ◀la▶ réponse n’en était pas moins sincère. Ces cinq heures ◀de▶ marche sur route nous laissaient aussi frais qu’une promenade. Et tout ◀d’▶un coup je découvris ceci :
Quand on part pour une marche ◀de▶ deux heures, ◀la▶ fatigue vient au bout d’une heure. Quand on part pour une marche ◀de▶ cinq heures, on se met à traîner ◀les▶ pieds après la troisième heure, et ◀les▶ dernières sont dures. Mais si ◀le▶ corps s’est disposé à fournir un effort ◀de▶ trente-trois heures, ◀les▶ cinq premières n’étant qu’une mise en train, ne fatiguent pas. ◀L’▶organisme, tout simplement, ne se permet pas encore ◀de▶ lassitude. ◀Les▶ puissances ◀de▶ ◀l’▶inconscient, du corps et ◀de▶ ◀l’▶imagination, se sont mises en état ◀d’▶alerte. Elles ont pris leur régime ◀d’▶exception. ◀La▶ connaissance anticipée du but leur a permis ◀de▶ mesurer ◀l’▶effort, ◀de▶ ◀le▶ doser, et ◀de▶ réveiller ◀la▶ quantité exacte ◀d’▶énergie nécessaire au succès ◀de▶ ◀l’▶entreprise. ◀L’▶appel ◀d’▶un but lointain dégage ainsi des forces ordinairement insoupçonnées par celui qui se bornait à ◀de▶ courtes visées. Elles étaient là, ces forces, à portée ◀de▶ ◀la▶ main mais endormies, laissant vaquer aux petits travaux courants ◀les▶ petites énergies vite épuisées.
Tout se passait donc ce matin-là comme si ◀l’▶appel du but avait suffi à nous donner ◀les▶ moyens ◀d’▶y répondre. Et je ne dis pas que ◀l’▶entraînement que nous avions subi au préalable n’était pour rien dans ◀la▶ facilité avec laquelle nous venions de couvrir une étape ◀de▶ 25 kilomètres. Mais à son tour, cet entraînement n’avait été reçu et surmonté qu’en vue de ◀la▶ grande course, du but lointain…
Aujourd’hui, repassant ces souvenirs, je me laisse aller à comparer notre première étape à ◀la▶ Jeunesse. Car ◀la▶ vraie force ◀d’▶un homme jeune ne vient-elle pas ◀de▶ ce qu’il imagine un très long temps ◀de▶ marche devant lui, et certains objectifs qui, peut-être, parce qu’ils ne sont que vaguement entrevus, semblent alors grands et lointains ? ◀Le▶ corps et ◀l’▶âme en alerte constante se préparent pour une course ◀de▶ fond et, c’est ce qui définit, biologiquement et moralement, ◀l’▶état ◀de▶ jeunesse. Resteront longtemps jeunes ceux qui gardent longtemps devant eux des buts grands et lointains. Et c’est pourquoi ◀le▶ créateur vieillit moins que ◀l’▶homme ◀de▶ ◀la▶ routine. Mais vers ◀la▶ quarantaine poindra ◀l’▶angoisse ◀de▶ n’avoir plus un temps illimité pour rejoindre ses rêves ou sa vision. Beaucoup choisissent alors ◀de▶ se réduire à des objectifs accessibles. Et aussitôt, ◀les▶ forces en réserve — à ◀l’▶arrière, mais pour ◀l’▶avenir — marquent un temps ◀d’▶hésitation : c’est qu’on n’exige plus autant ◀d’▶elles, et c’est vieillir. Il faudrait au contraire, à ce point, oser voir plus grand et plus loin ; ◀d’▶où peut naître une seconde jeunesse dont on se sentira maître et dispensateur, tandis que l’autre était plutôt subie…
Comme elle ◀l’▶était avec bonheur, ce matin-là, avec quelle plénitude animale ! Nous gravissions maintenant ◀les▶ flancs à ◀l’▶herbe rase ◀d’▶une montagne en forme de lion couché. Je me souviens ◀de▶ ◀l’▶élasticité du sol un peu glissant sous nos semelles cloutées, et ◀de▶ ◀l’▶alacrité ◀de▶ ◀l’▶air alpestre. ◀La▶ pente était fort raide, et ◀l’▶avance très lente, mais ◀l’▶attrait du sommet qu’on distinguait derrière des épaulements sans cesse renaissants produisait dans nos muscles et notre volonté des énergies nouvelles pour cet effort nouveau.
Nous marchions depuis une dizaine ◀d’▶heures, mais ◀la▶ fatigue a ◀la▶ propriété ◀de▶ s’évaporer dans ◀la▶ joie ◀d’▶une cime conquise. Il y eut une halte horaire ◀de▶ dix minutes, dans ◀le▶ vent violent des sommets. Déjà ◀la▶ route parcourue s’effaçait derrière nous sous une brume ◀d’▶un bleu sombre. Ce premier tiers ◀de▶ ◀l’▶aventure nous avait simplement assurés ◀de▶ ◀la▶ maîtrise ◀de▶ nos forces ; le second tiers en donnerait ◀la▶ mesure, et le dernier nous mettrait au défi ◀d’▶en tirer plus que ◀la▶ mesure. Devant nous, fermant une vallée qu’il nous fallait d’abord aller rejoindre, environ mille mètres plus bas, pour ◀la▶ remonter ensuite jusqu’à son origine, se dressait ◀la▶ paroi des Alpes.
◀La▶ descente paraît au novice plus facile que ◀la▶ montée, mais c’est aussi ◀l’▶épreuve ◀la▶ plus dure pour ◀le▶ corps, constamment tenté ◀de▶ se livrer et ◀de▶ laisser ainsi se disloquer ◀les▶ rythmes ◀d’▶un effort ◀de▶ longue haleine. ◀D’▶instinct, nous retenions ◀le▶ pas.
◀La▶ lumière ◀d’▶une fin ◀d’▶après-midi découpait chaque détail des parois orangées qui s’élevaient par degrés autour de nous, modelait largement ◀les▶ croupes des alpages, et donnait à ce haut désert sa réalité ◀la▶ plus dure, ses dimensions ◀les▶ moins trompeuses. ◀La▶ grandeur du décor, ◀l’▶infinie variété ◀de▶ ses plans lumineux virant très lentement à mesure que nous descendions, occupaient constamment nos regards. Notre marche en était comme allégée, réduite à si peu de chose tout au bas du spectacle… Nous découvrîmes dans ◀la▶ distance un troupeau ◀d’▶une centaine ◀de▶ chamois. Leur chef en tête bien détaché du gros, ils se déplaçaient par à-coups, au pied ◀d’▶une paroi ◀de▶ rochers couronnant un grand cirque ◀d’▶éboulis rutilants. À notre vue, ou peut-être à nos cris, on eût dit qu’une vague électrique parcourait ◀le▶ troupeau ◀de▶ bout en bout : il ondula d’abord sur place comme une houle, puis se mit tout entier à courir, par grands bonds et zigzags nerveux entre ◀les▶ blocs ; soudain s’arrêta pour brouter ; puis repartit à angle droit, au petit trot, et coula derrière une crête. ◀La▶ peur et ◀la▶ faim ◀le▶ guidaient dans ces détours qu’on eût dit capricieux. Notre colonne, cependant, elle aussi précédée par son chef veillant au rythme égal ◀de▶ ◀la▶ marche, poursuivait à travers ◀le▶ paysage une avance opiniâtre et rectiligne, sans but immédiat ou visible. ◀Les▶ buts des hommes sont dans leur tête, ou dans leur cœur.
Quand ◀les▶ ombres montant ◀de▶ ◀la▶ vallée croisèrent lentement notre descente, nous entrâmes dans ◀l’▶irréel. ◀Le▶ paysage s’éteignait. Un dernier sommet rose feu disparut derrière un talus, puis ◀le▶ talus devint ◀la▶ nuit, et ◀le▶ monde ne fut plus qu’un chemin où des pierres roulaient sous nos pas, jetant parfois des étincelles. Au fond ◀de▶ ◀la▶ vallée, nous reprîmes ◀la▶ route — surprise aux pieds ◀de▶ ◀la▶ surface égale, puis aux genoux ◀de▶ ◀la▶ remontée douce — et ◀la▶ marche plus silencieuse, rythmée par ◀le▶ sourd cliquetis des gamelles et des casques fixés aux ceinturons, parut cesser ◀d’▶être un progrès ◀de▶ but en but, devint une sorte ◀de▶ durée suspendue dans ◀l’▶espace obscur, et qui n’était plus mesurée que par ◀l’▶alourdissement des membres. Un vent froid descendait des Alpes, une pluie fine s’établit. Tout ne fut plus, pendant des heures, qu’automatismes à peine surveillés, rêveries au loin ◀d’▶une conscience en veilleuse, interventions presque insensibles ◀d’▶une volonté descendue dans nos muscles, contre envie ◀de▶ se laisser tomber sur ◀le▶ talus. Parfois l’un ◀de▶ nous s’endormait en marchant, titubait quelques pas hors de ◀la▶ file, se redressait… Si ◀l’▶on nous avait dit : « Plus qu’une heure à marcher », je pense que la plupart auraient flanché pendant cette étape nocturne.
◀De▶ fait, nous approchions du village ◀de▶ ◀la▶ Lenk, signalé par quelques lumières. ◀L’▶ordre vint de rectifier ◀la▶ tenue, ◀de▶ reformer une colonne par quatre, puis ◀de▶ se mettre au pas ◀de▶ manœuvre à ◀l’▶entrée ◀de▶ ◀la▶ rue principale.
Tout dormait. ◀La▶ saison ◀d’▶été avait pris fin depuis plusieurs semaines et ◀la▶ saison ◀d’▶hiver ne s’ouvrait qu’en décembre. Un hôtel vide nous accueillit. Après ◀la▶ collation ◀d’▶étape posée devant nous par des servantes ensommeillées — il devait être plus ◀de▶ minuit — on nous donna ◀la▶ permission inattendue ◀de▶ nous coucher pendant une heure. Sur des matelas et des paillasses, sur ◀les▶ housses des canapés, dans des chambres glaciales et qui sentaient ◀le▶ camphre, nous nous sommes affalés, tout équipés.
Un camarade m’a réveillé : — ◀Le▶ colonel demande des volontaires pour une patrouille. Il faut aller reconnaître ◀le▶ sentier du col. Un guide a dit qu’il neige au-dessus ◀de▶ deux-mille.
Cinq ou six d’entre nous allèrent s’annoncer au colonel, qui buvait du café au restaurant. — « Je vous remercie, nous dit-il lentement, en nous regardant l’un après l’autre. J’apprends qu’il y a déjà un demi-mètre ◀de▶ neige là-haut. ◀Le▶ col sera donc impraticable dans quelques heures. ◀La▶ course est arrêtée. Bonsoir, Messieurs. »
◀De▶ ◀l’▶échec
Je vais éternuer, et je ne puis pas. Je me prépare à soulever une caisse très lourde, et elle est vide. ◀Le▶ savant qui poursuit une longue recherche apprend qu’un collègue a trouvé. Une nation qui a tendu ses forces vives vers ◀la▶ victoire, et qui ◀l’▶atteint, voit s’ouvrir une paix marécageuse. ◀Le▶ mystique, aux approches du sommet ◀de▶ ◀l’▶ascension graduelle vers ◀l’▶Être, fait ◀l’▶expérience du Néant… Dans tous ◀les▶ ordres et à tous ◀les▶ degrés, ◀la▶ déception ◀de▶ ◀l’▶effort, ◀de▶ ◀l’▶élan, du désir, est une épreuve plus difficile à surmonter, parfois, que ◀l’▶obstacle lui-même, si grand soit-il.
À ◀la▶ Lenk, cette nuit-là, j’eus un accès ◀de▶ fièvre qui me tint éveillé jusqu’au matin. ◀Les▶ énergies alertées dans mon corps par ◀l’▶appel du but assigné, soudain privées ◀d’▶issue, me consumaient. Moins entraîné, ou soudain délivré ◀de▶ ◀la▶ discipline qui m’attendait avec ◀le▶ jour, — c’était mon tour ◀de▶ commander ◀la▶ classe et je dus faire ◀l’▶appel à sept heures du matin, au garde à vous, sur ◀le▶ quai ◀de▶ ◀la▶ gare — je ne sais si j’eusse évité cette débâcle nerveuse que ◀les▶ Américains, qui en ont fait une catégorie courante, nomment un break-down.
Si la première étape ◀de▶ ◀la▶ grande course m’avait donné une recette ◀de▶ succès, au sens ◀le▶ moins vulgaire du terme, ◀l’▶échec accidentel ◀de▶ la dernière étape m’en fournissait ◀la▶ nécessaire contrepartie : il m’apprenait que pour franchir certains obstacles, il faut moins ◀d’▶énergie maîtrisée que pour y renoncer dans le moment où ◀l’▶élan s’est déjà ramassé. Apprendre à réussir, ou à marcher, n’est encore qu’une moitié ◀de▶ ◀l’▶art ◀de▶ vivre. Mais apprendre à ne pas réussir jusqu’au bout, à s’arrêter ou à subir ◀l’▶arrêt, voilà l’autre moitié, non moins féconde.
Car dans ◀le▶ monde réel où nous vivons, dans ◀le▶ temps bref qui nous est imparti, dans ◀les▶ limitations ◀de▶ toute nature confrontant ◀l’▶esprit et ses œuvres non moins que ◀le▶ corps et ses gestes, ◀la▶ frustration ◀de▶ nos élans ◀les▶ plus hardis comme ◀de▶ nos plus humbles désirs définit ◀la▶ situation proprement humaine ◀de▶ ◀l’▶homme. Cet échec essentiel produit en somme ◀la▶ durée même ◀de▶ ◀l’▶Histoire. Et malheur à celui qui n’est pas prêt à tirer son bien ◀de▶ ce mal ! Malheur à celui qui exigerait ◀de▶ réussir pour persévérer, après n’avoir entrepris qu’en espoir ! Il avouerait que son espoir était trop court.