Le sentier perdu (1964)m
Je voyais d’elle, chez des▶ amis, de fascinants portraits d’enfants aux très grands yeux : ils n’ont pas fini de s’étonner que déjà commence l’angoisse.
Mais tout d’◀un▶ coup, voici deux ou trois ans je crois, on dirait ◀une▶ plongée sous-marine et l’humanité disparaît de la peinture de Nora Auric.
Est-ce qu’il y a trop de gens sur la terre ? On le penserait devant ces tableaux, à cause du sentiment de libération que procurent leurs déserts à ravir, comme si l’étonnement et l’angoisse, en fin de compte, pouvaient faire sans nous.
Le monde que peint Nora Auric a ceci de particulier qu’on ne sait s’il est vu de sous l’eau ou d’◀un▶ nuage : ce seraient à peu près les mêmes rapports de lumières diffuses et d’ombres, avec certains reliefs tactiles rassurant le nageur aventureux, dans l’espace brillant ◀des▶ hautes pentes. Monde vide où pourtant tout signifie, profondeurs nacrées, rives glauques, hauteurs baignées de vapeurs denses.
Ce n’est pas ◀un▶ monde inhumain, car il est féminin, sans aucun doute possible. Ne fût-ce que par ces roses ◀un▶ peu gris que je me rappelle, qui s’exagèrent sans doute dans mon souvenir visuel, ajoutés à ◀des▶ verts bien drus, ◀des▶ jaunes blonds et certains noirs assez féroces, à la Braque. Et cette curieuse bipartition de mainte toile par ◀un▶ éclair irrégulier.
Rien de gratuit, tout est lisible et composé, comme ◀un▶ paysage qu’on reconnaît sans l’avoir jamais vu nulle part, mais qui ressemble absolument. L’informel a rejoint le style du rêve. Au-delà ◀des▶ querelles d’école, l’éternel féminin nous entraîne, vers ◀une sorte d’Orient alpestre, aux charmes neufs.