J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)af
Cet homme qui avait su mettre en œuvre avec vigueur dans un désert de▶ rochers rouges, brûlé ◀d’▶implacables soleils, les puissances les mieux calculées dans leur opération physique et les moins calculables dans leur retentissement humain, marquant ainsi l’histoire du Nouveau Monde par un éclat « plus clair que mille soleils », cet homme était ◀d’▶Europe par les mesures et les affinités ◀de▶ sa pensée, mais il me donnait l’impression ◀de▶ représenter parmi nous quelque chose ◀de▶ bien plus ancien. Parfois, en l’écoutant, en le voyant ◀de▶ près, méditatif, je songeais à la race du pharaon, fondateur dans cet autre désert ◀d’▶El-Amarna, ◀d’▶une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l’ossature délicate allongée, le large regard rayonnant et ce sens mystique étranger à toute espèce ◀de▶ religion des prêtres. « Nous devons être absolument séculiers » insistait-il. Mais une fois je l’entendis murmurer, avec un demi-sourire : « Peut-être suis-je plus chrétien que quiconque… Il faudra bien que je vous l’explique quand nous serons seuls. » C’était il y a deux ans, je ne devais plus le revoir.
Il aimait citer la Bhagavad-Gita, qu’il lisait en sanscrit. Il connaissait à fond notre littérature, où il préférait à tout François Villon. Jeune homme, il avait rêvé un sonnet en français : il l’écrivit au réveil et le publia dans la petite revue ◀de▶ poésie ◀d’▶avant-garde The Hound and the Horn. Infiniment scrupuleux, par bonté, il voyait tout, pensait à tout pour ses amis, et savait écouter comme personne, tout en vous enveloppant ◀d’▶un regard bleu qui allait interroger au-delà ◀de▶ vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il portait avec juste assez ◀de▶ gaucherie pour une impeccable élégance…