Pour une morale de▶ ◀la▶ vocation (1968)p q
On a parfois décrit ◀la▶ situation présente du christianisme (protestant surtout) comme ◀l’▶inverse ◀de▶ celle du xixe siècle. Alors, dit-on, c’était ◀la▶ théologie qui faisait question, ◀la▶ morale était évidente. ◀Le▶ principe même ◀de▶ ◀la▶ dogmatique paraissait difficile à justifier, mais non pas ◀les▶ principes du devoir moral, considérés comme révélés, invariables désormais et au surplus indispensables au maintien ◀de▶ ◀l’▶ordre social.
Aujourd’hui, poursuit-on, ◀la▶ théologie a été solidement reconstruite sur ◀les▶ bases ◀de▶ ◀la▶ dogmatique des Pères et des réformateurs ou ◀de▶ Thomas d’Aquin. Ses problèmes centraux peuvent être tenus pour résolus, ses options décisives, en tout cas, sont nettement définies. Mais ◀la▶ morale ! Ce serait peu de dire qu’elle est en crise : on ne sait même plus très bien ce qu’elle est, ni où elle est, ce qu’elle peut ou doit dire encore, et au nom de quoi. ◀Le▶ « moralisme ◀de▶ grand-papa » est encore plus mal vu chez ◀les▶ théologiens rigoureux que chez ◀les▶ jeunes gens en colère. ◀De▶ cette morale que ◀l’▶on disait chrétienne et qui se confondait, du moins par ses tabous, avec ◀la▶ morale victorienne et plus généralement bourgeoise-occidentale, que reste-t-il après ◀la▶ triple attaque convergente ◀de▶ ◀la▶ sociologie (surtout marxiste), ◀de▶ ◀la▶ psychologie (surtout freudienne) et ◀de▶ ◀l’▶ethnologie comparée (◀de▶ Lévy-Bruhl à Lévi-Strauss) ? Théoriquement et théologiquement, nous savons à quoi nous en sommes et à quels dogmes nous croyons. Mais au plan ◀de▶ ◀la▶ morale, nous vivons dans ◀la▶ plus incroyable confusion ◀de▶ systèmes hétéroclites, ◀d’▶époques, ◀de▶ styles, ◀de▶ visées différentes ; nous pataugeons dans ◀l’▶impur, dans ◀l’▶hybride, dans ◀les▶ alluvions, ◀les▶ dépôts sédimentés des âges, des cultures, des religions, des préjugés sociaux et nationaux, ◀de▶ ◀l’▶obscurantisme et du rationalisme, du piétisme et ◀de▶ ◀l’▶existentialisme, etc. Y a-t-il encore une morale chrétienne ? Osera-t-on encore ◀la▶ prêcher ?
Théologie solide, morale problématique ; est-ce bien ◀la▶ réalité ◀de▶ notre temps ? Oui sans doute, si nous bornons ◀l’▶enquête aux élites ◀de▶ nos églises en Europe. Mais dans ◀le▶ reste du monde, déjà — et ce sera vrai pour nous aussi bientôt —, je vois se dessiner un tout autre schéma, comme un nouveau renversement, annonciateur ◀d’▶une situation de nouveau comparable à celle du siècle passé, mais radicalisée.
D’une part, ce que ◀l’▶on nomme aux États-Unis et en Grande-Bretagne ◀la▶ « théologie ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ Dieu » (ses échos remplissent depuis un an ◀la▶ presse intellectuelle anglo-saxonne, en attendant ◀de▶ se répandre dans nos pays), cette théologie-là bouleverse ◀le▶ fondement commun ◀de▶ toutes nos orthodoxies, qu’elles soient ◀d’▶empreinte barthienne ou thomiste, et ◀les▶ notions mêmes ◀d’▶orthodoxie et ◀de▶ révélation ; néanmoins, cette école (ou ce mouvement) veut conserver ◀l’▶amour du Christ, c’est-à-dire ◀la▶ forme ◀d’▶existence personnelle et sociale ◀la▶ plus conforme aux évangiles, ◀l’▶inspiration évangélique ◀d’▶une éthique.
D’autre part, ◀les▶ prétentions ◀de▶ ◀la▶ science occidentale deviennent universelles, pour ne pas dire totalitaires, et marquent des succès sans cesse croissants. Nos sciences physiques et humaines — médecine, biologie génétique, psychologie, sociologie, ethnologie, et même linguistique depuis peu — se mettent en devoir et en mesure ◀de▶ remplacer ◀les▶ préceptes et coutumes ◀de▶ ◀la▶ morale traditionnelle, dite « chrétienne », et sont déjà en bon train ◀d’▶y parvenir dans plusieurs domaines importants. Au lieu de sermons contre « ◀l’▶impureté », on donne à nos adolescents des leçons ◀d’▶initiation sexuelle ; au lieu de menaces ◀d’▶aller en enfer et ◀d’▶exorcismes, on prescrit une psychanalyse, certains médicaments, ou divers processus ◀d’▶adaptation, ◀d’▶ajustement social, voire politique, selon ◀les▶ pays.
Recettes, régimes, remèdes, relaxation, action sur ◀l’▶équilibre hormonal, conditionnement des réflexes devant ◀la▶ machine, ◀les▶ feux rouges, ◀le▶ chef de l’État, ◀les▶ rythmes ◀de▶ ◀la▶ consommation ou ◀de▶ ◀la▶ productivité — c’est cela qui fonctionne aujourd’hui, ◀de▶ mieux en mieux, qui persuade, qui agit, et qui contraint.
En regard de ce progrès ◀de▶ ◀la▶ Science sur tous ◀les▶ fronts, moralisme et immoralisme, vertus et vices apparaissent également démodés. Ce qui est sérieux, ce qui intéresse, c’est ◀le▶ mode ◀d’▶emploi ◀de▶ notre univers actuel et ◀le▶ rendement des procédés et des conduites, — qu’il s’agisse ◀de▶ s’assurer contre ◀l’▶imprévu ou au contraire de mieux courir son risque personnel, ◀de▶ guérir, ou ◀d’▶améliorer son statut social, ses possibilités ◀de▶ travail et ◀de▶ loisirs, donc aussi sa culture et sa liberté. Nous tendons ◀de▶ ◀la▶ sorte, dans ◀les▶ pays techniquement avancés, vers une société qui serait, à ◀la▶ limite, sans surprises ni drames, sans vrais débats (j’entends : sans débats insolubles), sans Histoire donc ; disciplinée, normalisée et préconditionnée dès ◀le▶ secret ◀de▶ ◀la▶ cellule, dès ◀le▶ programme chromosomique, immunisée et psychanalysée, chaque homme étant continuellement révisé, testé et remis au point à l’aide de pièces ◀de▶ rechange, comme une voiture.
Pour la première fois dans ◀l’▶Histoire ◀de▶ nos civilisations, ce n’est pas ◀l’▶anarchie croissante des mœurs que nos vieux sages auront à déplorer, mais au contraire ◀l’▶universelle et rigoureuse réglementation ◀de▶ nos conduites par ◀les▶ ordinateurs électroniques. (On ◀les▶ verra peut-être alors, ces sages, se lamenter sur ◀la▶ fuite du bon vieux temps qu’auront été ◀les▶ siècles ◀de▶ luttes passionnantes entre ◀le▶ « péché » et ◀la▶ « grâce », c’est-à-dire entre ◀les▶ tentations ◀de▶ ◀la▶ « chair » et ◀les▶ refus déchirants ◀d’▶y céder — sujet privilégié et presque unique des romans ◀de▶ François Mauriac, par exemple.)
◀Les▶ conséquences ◀de▶ cette situation — qu’il faut imaginer réalisées dans un avenir pas trop lointain (beaucoup sont là déjà, dans notre société) sont trop nombreuses et diverses pour que ◀l’▶on puisse porter sur elles un jugement global. Je me borne à relever ceci : à supposer que demain, ce soit un collège formé ◀de▶ généticiens, ◀de▶ psychologues, ◀de▶ démographes et ◀d’▶économistes ou ◀de▶ politologues qui décide ◀de▶ certaines conduites sexuelles (comme ◀la▶ contraception) dans une société donnée, et non plus ◀l’▶Église par ses décrets généraux et par ◀l’▶intervention personnelle du prêtre ou du pasteur — alors ◀les▶ crises ◀de▶ conscience, ◀les▶ débats intérieurs ou conjugaux, ◀les▶ remords lancinants, ◀les▶ tentations obsédantes, ◀les▶ décisions farouches, tout ce pathos traditionnel ◀de▶ ◀l’▶existence morale va s’évaporer ! Exécuter une prescription médicale, même s’il s’agit ◀d’▶une intervention douloureuse comme peut ◀l’▶être une extraction dentaire, ou ◀d’▶une privation pénible comme ◀de▶ cesser ◀de▶ fumer, cela ne pose pas ◀de▶ problème, on ◀le▶ fait sans barguigner, sans avoir à résoudre ◀de▶ conflits intérieurs dramatiques, on ne parle pas ◀de▶ « sacrifices » plus ou moins « joyeusement consentis », ◀de▶ « tortures morales », ◀de▶ « tentation surmontée », etc. Sans délai, sans débat, sans ◀le▶ moindre doute, on fait ce qu’a ordonné ◀le▶ médecin, au lieu de se débattre interminablement avec ◀la▶ voix ◀de▶ sa conscience, ◀les▶ conseils du prêtre, ou simplement ◀l’▶opinion des proches.
La plupart de ceux qui ont réfléchi à ces perspectives, du côté chrétien, me semblent enclins à considérer comme un malheur, voire une catastrophe, cette probabilité ◀d’▶une sécularisation croissante des normes ◀de▶ nos conduites, sociales d’abord, individuelles finalement. Pense-t-on, peut-être, que ◀la▶ morale tomberait alors dans ◀de▶ très mauvaises mains, serait en quelque sorte livrée au « monde » ? Ce qui semble effrayer beaucoup de ces observateurs, c’est ◀l’▶idée que s’il devait en aller ainsi demain, ◀les▶ Églises et leurs clergés n’auraient en somme plus rien à dire aux hommes, aux femmes et aux enfants quant à leur existence quotidienne dans ◀la▶ cité et dans ◀la▶ famille. Des spécialistes, revêtus ◀de▶ ◀l’▶autorité incontestée ◀de▶ ◀la▶ Science, et sans doute ◀de▶ ◀l’▶État, s’en voyant chargés à ◀la▶ satisfaction des masses (pour ne pas dire : au soulagement général).
Oserai-je vous avouer que si je tiens ces craintes pour justifiées quant aux faits, je ne ◀les▶ partage nullement quant à ◀l’▶appréciation ◀de▶ ces faits. ◀La▶ prise en charge progressive par ◀la▶ Science socialisée ◀de▶ ◀l’▶ensemble des règles, prescriptions et conseils intéressant ◀les▶ conduites humaines et naguère désignées par ◀le▶ terme général ◀de▶ morale, me paraît comporter à presque tous ◀les▶ égards, plus ◀d’▶avantages que ◀d’▶inconvénients, tant pour ◀la▶ Société que pour ◀l’▶Église elle-même.
Au lieu de livrer une longue bataille en retraite pour tenter ◀de▶ sauver ce qui pourrait ◀l’▶être ◀de▶ ce qu’on appelait « morale chrétienne », au lieu de se cramponner à un magistère tombé en désuétude, ◀les▶ Églises ne feraient-elles pas mieux ◀d’▶admettre que ◀la▶ compétence des savants et des praticiens en matière de psychologie, ◀d’▶hygiène mentale, ◀de▶ démographie, ◀de▶ mécanismes sociaux ou économiques, ◀de▶ prévention ◀de▶ ◀la▶ criminalité et des maladies dites « sociales », etc. — que cette compétence dépasse largement ◀la▶ leur, et de plus en plus ; et que ◀les▶ excès que ◀l’▶on peut reprocher à certaines modes scientifiques (certains dogmatismes freudiens, par exemple), ne sont en rien comparables par leur nocivité aux théories imbéciles et navrantes sur ◀la▶ sexualité (comme celle du trop fameux Dr Tissot) qui ont joué ◀le▶ rôle que ◀l’▶on sait dans ◀la▶ prédication, ◀la▶ cure ◀d’▶âme et ◀la▶ littérature morale des pays protestants, depuis ◀la▶ fin du xviiie siècle et jusqu’à pas si longtemps que cela, en Suisse romande, si j’en crois mes souvenirs ◀de▶ jeunesse.
Si ◀les▶ Églises (et pas seulement celle ◀de▶ Rome, dans ◀la▶ lancée ◀de▶ Vatican II) se décident à rendre à César, c’est-à-dire au « siècle », ◀le▶ soin ◀de▶ ◀la▶ réglementation et ◀de▶ ◀la▶ régulation ◀de▶ ◀la▶ conduite quotidienne des membres ◀d’▶une société, elles pourront se consacrer ◀d’▶autant mieux à leur mission proprement spirituelle, qui est à mon sens : ◀de▶ rappeler à ◀l’▶homme son but final, sa destination ultime, sa vocation.
Car ◀les▶ règles et ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀la▶ vie sociale sont séculiers, par nature et destination, et dans ce sens sont à César, mais ◀la▶ vocation ◀de▶ ◀la▶ personne est à Dieu, vient de Dieu et conduit à Lui, ce qu’aucune morale ne pourra jamais faire, même si on ◀la▶ baptise « chrétienne » en toute naïveté, même si on ◀la▶ déclare « révélée », voire « éternelle » contre toute évidence historique et au prix des plus étonnantes acrobaties théologiques.
Je disais tout à ◀l’▶heure que laisser ◀le▶ soin ◀de▶ ◀la▶ « morale » à César, c’est-à-dire aux sciences séculières plus ou moins socialisées, me paraît avantageux à presque tous ◀les▶ égards. Je dois m’expliquer maintenant sur ce presque, car il est capital.
Supposez, dans x années, une forme ◀d’▶existence humaine suffisamment adaptée aux fonctions sociales (dans ◀les▶ rapports avec ◀l’▶État et avec ◀le▶ milieu), suffisamment docile aux prescriptions ou régimes psychosomatiques (dans ◀les▶ rapports avec ◀le▶ corps) et aux indications écologiques (dans ◀les▶ rapports avec ◀la▶ Nature), suffisamment ajustée, enfin, à ◀la▶ productivité du travail, et même, qui sait ? à ◀la▶ « créativité des loisirs » (dans ◀les▶ rapports avec ◀l’▶économie) : on ne voit pas très bien, dans ces conditions, où, quand et en quoi une « morale » au sens traditionnel du terme serait encore nécessaire, voire simplement utile.
◀Le▶ genre humain, ou tout au moins ◀la▶ société envisagée, serait alors mise en état ◀de▶ pilotage automatique, comme disent ◀les▶ aviateurs et ◀les▶ cybernéticiens. ◀L’▶ensemble purement empirique et traditionnel, plein ◀de▶ contradictions intenables, que forment ◀les▶ préceptes du Décalogue et des sédimentations millénaires ◀de▶ nos coutumes serait avantageusement remplacé par un jeu complexe et précis ◀d’▶informations constamment vérifiées et mises à jour, toute question trouvant sa réponse quasi instantanée par ◀la▶ consultation ◀d’▶un ordinateur, ◀les▶ recours ultimes pouvant être présentés à ◀la▶ « Machine » avec un grand M que nous supposerons directrice ou correctrice ◀de▶ tous ◀les▶ « cerveaux automatiques » ◀d’▶une nation, ou ◀d’▶un continent, ou ◀d’▶une culture.
Une question et une seule demeure alors sans réponse : ◀la▶ question du sens ◀de▶ ma vie sur cette terre et après ma mort ; ◀la▶ question ◀de▶ ma relation à ◀la▶ transcendance. Elle demeure sans réponse, non point par accident, mais par nécessité ◀de▶ méthode. Car ◀la▶ grande Machine directrice ◀la▶ déclare sans objet, mal posée, fausse question par excellence, nulle et vide quant à ◀l’▶information, non susceptible ◀d’▶un traitement logique, et ne pouvant aboutir qu’à une série infinie ◀de▶ zéros à ◀la▶ sortie des circuits.
Dans cette société que je suppose en parfait ordre ◀de▶ marche, il devient à peu près impossible, parce qu’impensable dans ◀les▶ termes admis et inexprimable par ◀les▶ codes en vigueur, ◀de▶ justifier encore ◀la▶ singularité, ◀la▶ vocation ◀d’▶une personne unique. Si ◀les▶ ordinateurs disent ◀les▶ règles et ◀les▶ normes, et si ces règles et ces normes sont toutes, par définition, générales ou généralisantes, uniformes ou uniformisantes, réductrices ◀de▶ ◀l’▶imprévu, du non conforme, ◀de▶ ◀l’▶original et du « libre » (alors que d’autre part ces notions ◀d’▶originalité ◀de▶ vocation, etc., ont déjà été minées par ◀la▶ psychologie ◀de▶ ◀l’▶inconscient réduisant ◀les▶ « voix intérieures », naguère tenues pour « divines », à des structures ou pulsions ◀de▶ ◀l’▶instinct) — comment valoriser encore ◀la▶ personne ?
◀Le▶ vieux conflit individu-collectivité se trouve ici radicalisé à ◀la▶ limite. Mais alors ◀le▶ rôle ◀de▶ ◀l’▶Église apparaît subitement précisé à ◀l’▶extrême par toute cette négativité. Alors qu’aux origines ◀de▶ ◀l’▶Europe et au Moyen Âge encore, ◀l’▶Église formait ◀les▶ mœurs, édictait ◀les▶ canons ◀de▶ ◀la▶ morale, éduquait ◀l’▶homme pour ◀les▶ y ajuster, tandis que ◀les▶ chercheurs libres, ◀les▶ hérétiques et ◀les▶ mauvaises têtes mettaient en doute ces jugements — désormais ◀la▶ situation est inversée : ◀l’▶Église n’est plus là pour prescrire aux hommes leur mode de vie, d’autres s’en chargent. Elle est là pour mettre en question cet ajustement trop parfait, pour ◀l’▶exposer sans cesse à ◀la▶ question des fins dernières, métaphysiques et spirituelles. Elle est là pour défendre ◀le▶ droit ◀de▶ ◀la▶ personne à différer, ◀le▶ droit à ◀l’▶hérésie, si c’en est une ◀de▶ croire que ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶homme transcende tout conditionnement et tout asservissement automatique à des fins purement sociales, fussent-elles déterminées par ◀la▶ plus sûre des sciences.
Quant à celui qui veut devenir chrétien, devra-t-il s’exiler moralement ◀de▶ cette société trop bien ajustée, se désadapter exprès, ou saboter ◀la▶ Machine directrice, ou simplement faire ◀la▶ grève ◀de▶ ◀la▶ « créativité des loisirs » ? Ces gestes et attitudes romantiques seraient trop facilement analysés par un ordinateur qui indiquerait aussitôt comment corriger ◀le▶ fonctionnement aberrant ◀de▶ cet individu. Je ◀le▶ vois plutôt, ce candidat chrétien, comme celui qui, tout en accomplissant judicieusement ◀la▶ Loi prescrite, ne pourra s’empêcher ◀de▶ se poser ◀la▶ Question, celle qui est réputée nulle et vide. Chrétien en cela qu’il cherchera ce sens dans ◀les▶ voies ◀de▶ ◀l’▶amour, qui implique ◀l’▶existence des autres, plutôt que dans ◀l’▶aventure solitaire du mysticisme, ou ◀de▶ ◀la▶ connaissance au sens hindou. Amour et recherche du sens seront à la fois ◀le▶ contenu et ◀les▶ conditions ◀de▶ ce qu’il nommera sa « liberté ». Cela sera vu et ressenti comme un refus ◀de▶ ◀la▶ « solution définitive et universelle » proposée par ◀la▶ Science et imposée par ◀la▶ Machine. Cet acte ◀d’▶hérésie objective, ◀de▶ résistance, ne se manifestera pas nécessairement sous une forme agressive et violente. Il sera simplement ◀le▶ témoignage permanent (et qui pourra rester souriant d’ailleurs) ◀d’▶une non-satisfaction dernière, ◀d’▶un non-contentement essentiel. Ce ne sera pas une attitude ◀de▶ révolté à gilet rouge, mais ◀le▶ droit qu’on demande et qu’on prend ◀de▶ poser toujours et encore une question au-delà ◀de▶ toute réponse et ◀de▶ toute permission ◀d’▶interroger.
Ce droit ◀de▶ demander que ma vie ait un sens, même si je ne trouve ou ne reçois jamais ◀de▶ réponse certaine, cette demande, cette recherche en elle-même est mon sens provisoire, mon chemin que j’invente, que je crée à chaque pas à tâtons dans ◀le▶ noir et qui ne s’éclaire que sous mes pas. C’est ainsi que je comprends ◀le▶ verset du psalmiste : « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier »… Je résume mon diagnostic, qui est aussi un pronostic : ◀l’▶Église peut-être (je n’en suis pas sûr), mais en tout cas ◀les▶ hommes qui « croient », au sens chrétien du mot, vont entrer en dissidence dynamique et créatrice, dans ◀le▶ monde trop bien moralisé que nous préparent avec tant de zèle, ◀de▶ compétence, ◀d’▶astuce technique ◀les▶ savants, ◀les▶ gouvernements et ◀les▶ nécessités toujours croissantes ◀de▶ ◀la▶ production pour une humanité qui double tous ◀les▶ quarante ans.
Anticipant assez largement sur ◀la▶ situation que je viens de caractériser à grands traits, j’avais écrit dès 1945 — ◀l’▶été ◀d’▶Hiroshima — un manuscrit ◀de▶ quelque deux-cents pages intitulé ◀La▶ Morale du But , que je n’ai pas encore publié, fort heureusement. En effet, depuis vingt ans, je n’ai cessé ◀d’▶accumuler des notes (en vue ◀d’▶ajouts indispensables), des objections très graves à mes propres thèses, des raisons ◀de▶ désespérer ◀de▶ mon entreprise, et d’autres raisons (pour ◀l’▶instant légèrement majoritaires) ◀de▶ penser au contraire qu’elle peut contribuer à débrouiller un peu nos problèmes éthiques, en vue de ◀l’▶avenir.
Dans son état primitif, mon ouvrage s’ouvre par ◀le▶ bref récit ◀d’▶une modeste expérience, pour moi très importante, que j’ai faite au service militaire.
Je vais vous lire ces deux pages inédites, et que je ne compte pas modifier dans ◀la▶ version finale du livre. Elles sont intitulées : « ◀De▶ ◀la▶ Visée » :
J’ai appris ◀le▶ tir au fusil dans un pays qui, traditionnellement, fournissait au monde ◀les▶ champions ◀de▶ cet art ; et comme j’étais alors une jeune recrue animée ◀d’▶un extrême désir ◀d’▶être promu au grade ◀de▶ lieutenant, et ◀d’▶acquérir ◀de▶ ◀la▶ sorte au plus tôt ◀le▶ droit ◀de▶ faire taire ◀les▶ sergents harcelants, je m’appliquais ◀de▶ toutes mes forces à bien tirer. Mais je suivais ◀les▶ conseils ◀d’▶ordonnance, et tirais aussi mal que possible. Car je me trouvais embarrassé ◀de▶ tant de recettes et ◀d’▶ordres assénés qu’il me semblait, ◀d’▶un exercice à l’autre, n’avoir fait ◀de▶ progrès que dans ◀la▶ découverte ◀d’▶une maladresse naguère insoupçonnée. Je faisais tout ce que ◀l’▶on me prescrivait, et que je voyais faire aux autres. Je prenais avec soin ◀le▶ cran ◀d’▶arrêt, bloquais mon souffle, visais ◀d’▶un œil, reposant ◀l’▶arme ◀de▶ temps à autre pour respirer et calmer ma nervosité, et lorsque enfin je me croyais prêt selon ◀la▶ méthode des sergents, je me décidais à lâcher ◀le▶ coup, qui s’en allait régulièrement dans ◀le▶ parapet, au-dessous de ◀la▶ cible.
Cependant ◀la▶ date approchait du grand concours que ◀l’▶on nommait « tir au galon ». Dans chaque unité, on poussait ◀l’▶entraînement des meilleurs tireurs. On négligeait ◀les▶ autres, et je me résolus à profiter ◀de▶ ce répit pour trouver par moi-même ◀le▶ secret ◀de▶ mes erreurs et ◀le▶ moyen ◀de▶ ◀les▶ corriger, sans plus tenir compte des préceptes reçus. Je ne tardai pas à marquer quelques points, sauvant ◀l’▶honneur sinon ◀l’▶espoir ◀de▶ me réhabiliter aux yeux de mes supérieurs. L’un d’entre eux cependant m’observait. C’était un tout jeune lieutenant. « Vous tirez mal », dit-il avec une douceur froide, au moment même où je me félicitais ◀d’▶avoir encore marqué un point, loin du noir, mais enfin dans ◀la▶ cible. « Voulez-vous apprendre à tirer ? » Il me regarda, et voyant dans mes yeux une bonne volonté en détresse :
« C’est très simple et toute ◀la▶ méthode tient en trois mots : pensez au noir. Ne pensez pas à votre main, ni à ce que fait ◀l’▶index qui a pris ◀le▶ cran ◀d’▶arrêt. Laissez-vous simplement hypnotiser par ce petit disque noir à trois-cents mètres qui danse sur ◀la▶ ligne ◀de▶ mire. Quand vous serez assez concentré, sans que vous ◀l’▶ayez voulu, ◀le▶ coup partira. Je vous ◀le▶ répète : pensez au but, oubliez ◀le▶ reste. Et maintenant vous allez essayer. Vous avez ◀le▶ noir ?… Vous ne voyez plus que ◀le▶ noir ?… » Je n’entendais plus rien. ◀Le▶ disque noir dansait, puis s’arrêtait, dansait de nouveau, s’embuait. J’essayais ◀de▶ ◀le▶ rejoindre du regard, ◀de▶ ◀l’▶aspirer, ◀de▶ ◀le▶ fasciner vers moi tandis que je gonflais mes poumons. Soudain il me parut plus large, plus proche, bien mat, et immobile… ◀La▶ détonation me surprit. Je reposai mon arme en faisant sauter ◀la▶ douille et rechargeai machinalement. Et quand je levai ◀les▶ yeux, un petit disque blanc ◀d’▶où pendait un mince fanion rouge surgit du bas ◀de▶ ◀la▶ cible, hésita une seconde, et marqua ◀le▶ centre du noir.
Trois jours plus tard, au scandale du sergent, je gagnais ◀le▶ fameux galon, insigne des champions ◀de▶ ◀l’▶école ◀de▶ tir, et ◀l’▶arborais sur ◀la▶ manche droite ◀de▶ ma tunique.
Quant aux conséquences plus lointaines et aux implications, décisives à mon sens, du conseil en trois mots ◀de▶ ce jeune officier — « pensez au noir » —, elles ne devaient m’apparaître qu’après bien des années, à l’épreuve de bien d’autres anxiétés. Mais ce premier coup au but avait, en un instant, posé et vérifié pour ◀le▶ reste ◀de▶ mes jours, sous une forme ultracondensée, ◀la▶ juste relation des moyens et des fins. Je n’en tirai d’abord que des formules abstraites, mais dont je pressentais en toute confiance, que ◀la▶ vie où j’allais rentrer saurait ◀les▶ illustrer dans maints domaines ◀de▶ ma conduite ou ◀de▶ ma réflexion. Je ◀les▶ consigne ici, fort brièvement, réservant pour ◀la▶ suite ◀le▶ soin ◀d’▶en formuler ◀les▶ fondements théoriques et ◀le▶ mode ◀d’▶emploi.
1. ◀La▶ considération minutieuse des moyens, ◀la▶ stricte application ◀d’▶une méthode réglant ◀l’▶ordre et ◀l’▶usage ◀de▶ ces moyens, ◀la▶ maîtrise ◀d’▶une technique éprouvée, ◀l’▶obéissance aux préceptes légaux et coutumiers, ne suffisent pas pour atteindre ◀le▶ but, et peuvent être nuisibles dans ◀la▶ mesure exacte où ils absorbent ◀l’▶attention, ◀la▶ détournent du but, ou ◀le▶ font oublier.
2. ◀L’▶appel du but doit nous rejoindre et nous mouvoir. C’est du but que d’abord ◀la▶ force vient à nous, déclenchant ◀le▶ mouvement inverse, par attrait. ◀La▶ considération envoûtante du but dicte ainsi ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀l’▶atteindre et ◀les▶ oriente plus strictement qu’aucune méthode ou aucun précepte reçu.
3. Toute action efficace commence donc par ◀la▶ fin. Avant toute chose, il faut considérer ◀la▶ fin.
4. ◀La▶ fin seule justifie ◀les▶ moyens, dans ◀la▶ mesure où elle est juste, et où ils sont vraiment dictés par elle. (◀Le▶ fait que ◀l’▶on invoque ce proverbe pour couvrir des tricheries évidentes ne lui enlève pas son intrinsèque vérité.)
(Plus tard, j’ai découvert que ◀la▶ secte bouddhiste du zen fait grand usage du Tir et ◀de▶ ◀la▶ méditation sur cet art. Il s’agit du tir à ◀l’▶arc. ◀Le▶ tireur zen doit arriver à s’identifier au but (à ◀la▶ cible), à avoir ce but en soi, ◀de▶ telle sorte qu’il arrive un jour à mettre une flèche dans ◀le▶ noir ◀les▶ yeux fermés, et une deuxième dans ◀la▶ tige même ◀de▶ la première. À ce moment, ◀l’▶initiation a réussi).
Partant ◀de▶ cette expérience, et des maximes que j’en déduis, je propose dans ◀la▶ suite du livre une distinction fondamentale à opérer dans ◀l’▶analyse et ◀l’▶évaluation des conduites humaines.
Je pose ◀d’▶un côté ce que j’appelle ◀les▶ Règles du Jeu, ◀l’▶ensemble des moyens ◀de▶ vivre. Et je pose ◀de▶ l’autre côté ◀la▶ Vocation, ◀le▶ Sérieux final, ◀le▶ But ultime ◀de▶ notre vie personnelle.
◀Les▶ Règles du Jeu comprennent, dans ma définition, ◀l’▶ensemble des méthodes et des rites, des codes et conventions ◀de▶ toute espèce qu’une société se donne pour guider ◀les▶ conduites ◀de▶ ses membres. Cela va des règles du jeu ◀d’▶échecs à ◀la▶ prohibition ◀de▶ ◀l’▶inceste chez ◀les▶ tribus sauvages, des rituels liturgiques aux lois fiscales, des techniques destinées à assurer ◀le▶ bonheur dans ◀le▶ mariage, jusqu’au code des feux verts et rouges réglant ◀la▶ circulation.
Dans cet ensemble, on peut à première vue distinguer d’une part ce qui relève expressément ◀de▶ ◀l’▶artifice et ◀de▶ ◀la▶ convention donnée pour telle, et d’autre part ce qui répond à des nécessités naturelles et pratiques. Mais une analyse même rapide montre que beaucoup de conventions, comme celles des jeux, traduisent des réalités psychologiques profondes, correspondant aux archétypes ◀de▶ ◀l’▶inconscient collectif selon Jung, notamment, et c’est pourquoi il est si difficile ◀de▶ ◀les▶ modifier ; en revanche, quantité ◀de▶ préceptes moraux que tel peuple tient pour ◀la▶ traduction directe des réalités fondamentales ◀de▶ ◀la▶ Nature ont pour origine des nécessités commerciales, par exemple, et d’ailleurs varient du tout au tout selon ◀les▶ conditions sociales, économiques, climatériques ou religieuses, ◀de▶ peuples que ◀la▶ Nature a fait semblables physiquement. Je me borne à mentionner ici ◀le▶ principe ◀de▶ cette analyse, parce qu’il autorise quelques conclusions intéressantes pour notre sujet.
À partir de Rousseau et du romantisme, on a dit trop ◀de▶ mal des conventions, en ce sens qu’on en a dit seulement du mal, oubliant qu’elles sont réellement indispensables à toute vie sociale, c’est-à-dire à toute vie humaine. ◀Les▶ règles du jeu ◀d’▶échecs sont des conventions, c’est clair, mais elles font tout ◀l’▶intérêt ◀de▶ cette activité. En effet, déplacer un bout ◀de▶ bois ◀d’▶un carré blanc sur un carré noir est ◀le▶ type même du geste insignifiant en soi ; mais ce même petit déplacement devient un acte sur lequel ◀les▶ meilleurs cerveaux peuvent se concentrer avec passion pendant une heure, car il est chargé ◀de▶ sens par ◀les▶ règles du jeu. Quant aux feux verts et aux feux rouges, ils sont conventionnels aussi, mais sans eux, c’est ◀l’▶embouteillage.
Ceux donc qui, depuis deux siècles, reprennent inlassablement ◀l’▶attaque contre nos morales religieuses ou profanes sous prétexte qu’elles ne sont que ◀de▶ « simples conventions », se trompent doublement : car premièrement, on peut démontrer que ◀les▶ règles et préceptes ◀de▶ toutes ◀les▶ morales humaines sont conventionnels, et non pas « naturels », sont des normes et non des lois au sens physico-chimique du terme ; et deuxièmement, il n’y a rien de plus important que ◀les▶ conventions dans une culture, une civilisation, dans ◀les▶ relations entre ◀les▶ hommes, ou même entre deux êtres, si frustes qu’ils soient.
Reconnaître que ◀les▶ normes et prescriptions morales sont des conventions ne signifie donc pas qu’elles soient méprisables ou vaines, bien au contraire. De plus, ◀l’▶assimilation des normes et prescriptions morales aux règles ◀d’▶un jeu ne signifie nullement qu’il faille ◀les▶ prendre à ◀la▶ légère, ni qu’on montre beaucoup ◀d’▶intelligence en trichant avec elles : aux échecs, par exemple, ◀la▶ moindre tricherie détruit tout ◀l’▶intérêt du jeu, puisque cet intérêt tient aux règles et à rien ◀d’▶autre.
S’il est admis que ◀les▶ normes ◀de▶ ◀la▶ morale sont des règles ◀d’▶un jeu, toute espèce ◀de▶ laxisme est exclu, toute faute doit être exactement pénalisée, par un recul ◀de▶ pions, une perte ◀de▶ points, une pièce soufflée, un coup franc contre ◀le▶ camp fautif (qui sont diverses formes ◀d’▶amende), voire par ◀la▶ disqualification (qui correspond au bannissement, à ◀la▶ prison à vie ou à ◀la▶ peine ◀de▶ mort).
Mais si ◀la▶ morale est considérée comme un système ◀de▶ normes conventionnelles adoptées par une société, et que ◀l’▶on conviendra donc ◀d’▶observer rigoureusement, comme on ◀le▶ fait des règles ◀d’▶un jeu, il faut souligner aussitôt que ces conventions ne sauraient être arbitraires. (Beaucoup de gens s’imaginent que ◀les▶ deux termes « convention » et « arbitraire » sont à peu près synonymes.) Par exemple, elles ne doivent être ni contradictoires, ni manifestement impraticables, ni évidemment néfastes soit pour ◀l’▶intégrité ◀de▶ ◀l’▶individu, soit pour ◀la▶ santé et ◀l’▶équilibre ◀d’▶une communauté. Or en fait notre société occidentale christianisée est tout encombrée ◀de▶ règles contradictoires entre elles, ou impraticables, ou néfastes, et il est important ◀de▶ ◀les▶ soumettre à une critique systématique et scientifique.
Ce qui rend cette tâche si difficile et ingrate, dans la plupart des cas, c’est ◀la▶ confusion déplorable (◀de▶ laquelle nos Églises sont largement responsables) qui fait que ◀l’▶on a peu à peu sacralisé au cours des âges et finalement considéré comme des vérités ◀de▶ foi, révélées et indiscutables, des coutumes qui nous venaient ◀d’▶un peu partout, aux hasards ◀de▶ ◀l’▶histoire, et qui avaient été ◀les▶ conventions utiles d’autres sociétés, notamment ◀la▶ cité grecque, ◀l’▶Empire romain, ◀la▶ Sippe germanique, ou ◀les▶ interdits et devoirs sacrés d’autres religions, notamment celles du Proche-Orient antique et du Levant sémitique, du mithraïsme, des sectes gnostiques, puis des Celtes, et des Germains. ◀Le▶ christianisme, étant ◀la▶ seule grande religion qui n’ait pas institué ◀de▶ morale codifiée, devait fournir un terrain ◀de▶ choix pour cette confusion : il ne disposait que ◀de▶ ◀la▶ loi mosaïque et ◀de▶ son sommaire, ◀le▶ commandement sur ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu et du prochain comme ◀de▶ soi-même. Or ◀l’▶amour est une attitude fondamentale, ◀de▶ valeur universelle et instigatrice ◀d’▶action, certes ; c’est ◀l’▶inspiration morale au degré suprême ; mais ce n’est pas un code, une loi, un recueil ◀de▶ règles, et c’est même ce qui devrait permettre ◀de▶ se passer ◀de▶ code, ◀de▶ lois, ◀de▶ règles… « Ama et fac quod vis » est sans doute ◀le▶ summum ◀de▶ ◀la▶ morale mais c’est aussi sa négation. Quant au Décalogue, c’est bien un code, mais rudimentaire et lacunaire, à ◀l’▶usage ◀de▶ propriétaires du type patriarcal, et qui met notamment sur ◀le▶ même plan ◀d’▶objets (dont il faut préserver ◀la▶ possession) esclaves, femmes et bétail : on ne pouvait en tirer honnêtement ni une morale sociale et civique, ni une morale sexuelle, ni un système ◀de▶ valeurs, ni une méthode pour bien conduire ◀la▶ pensée et ◀l’▶action dans ◀la▶ cité. ◀De▶ là ◀l’▶obligation ◀de▶ recourir à d’autres sources, — presque toutes venant d’autres religions. ◀De▶ là aussi ◀la▶ confusion inévitable que j’ai dite, ◀l’▶attribution à ◀la▶ « volonté ◀de▶ Dieu » ou à ◀la▶ Nature des choses ◀de▶ tout ce que ◀la▶ société juge indispensable à son bien : tantôt ◀l’▶esclavage et tantôt ◀la▶ liberté, tantôt ◀le▶ droit divin des rois, tantôt ◀les▶ droits civiques et populaires, tantôt ◀le▶ clergé des différentes confessions répétant devant ◀les▶ fidèles réunis « Tu ne tueras point », tantôt ◀le▶ même clergé bénissant des canons et priant pour ◀le▶ succès ◀de▶ telle équipe nationale ◀de▶ tueurs sur telle autre. Je ne rappelle pas ces choses par masochisme ou par une sorte ◀de▶ démagogie, mais il faut bien ◀le▶ reconnaître : ces scandales trop connus tiennent au fait que ◀les▶ Églises ont cru devoir édicter ◀la▶ morale ◀de▶ leur siècle, généralement au nom des intérêts (traduits en vertus) ◀de▶ ◀la▶ société du siècle précédent, confondue par ◀la▶ masse des fidèles avec ◀la▶ tradition chrétienne.
Je résume cette partie ◀de▶ mon argument :
1. j’estime qu’il y a tout avantage à considérer ◀les▶ préceptes et codes ◀de▶ ◀la▶ morale comme ◀les▶ règles du jeu ◀d’▶une société ;
2. ceci implique — et facilite d’ailleurs — une stricte obéissance à ces règles, comme il va de soi dans tous ◀les▶ jeux et sports ◀d’▶équipe ;
3. ceci exclut, du même mouvement, ◀la▶ sacralisation ◀de▶ ces préceptes et recettes, et ◀la▶ prétention tout à fait abusive à ◀les▶ fonder dans ◀la▶ nature des choses ou ◀la▶ loi naturelle, à ◀les▶ assimiler aux « voies ◀de▶ ◀la▶ providence » ou à ◀la▶ « volonté ◀de▶ Dieu lui-même » ;
4. enfin, et j’introduis ici une remarque nouvelle, mais qui résulte logiquement des trois premiers points : ◀l’▶observation des règles ou au contraire ◀les▶ infractions commises par un joueur n’entraînent pas ◀de▶ jugement sur sa valeur en tant que personne. Il est entendu que si ◀l’▶on fait une faute, si on touche ◀la▶ balle avec ◀la▶ main au football par exemple, on doit être pénalisé ou même disqualifié, mais si ◀l’▶on suit ◀les▶ règles normalement, on n’est pas pour autant bon ou mauvais : simplement on joue bien ou mal. Point ◀de▶ « péché » dans ◀le▶ monde des règles du jeu, mais seulement des erreurs, maladresses, fautes ◀de▶ calcul, déficiences physiques ou psychiques, un style défectueux, ou une mauvaise tenue (manque ◀de▶ fair play ou ◀d’▶objectivité, coups bas, etc.).
◀La▶ notion ◀de▶ péché n’apparaît qu’à partir du moment où se trouve posée la question ◀de▶ nos fins dernières. Elle est liée à ◀la▶ vocation.
On pourrait définir une sorte ◀de▶ vocation générale du genre humain, ◀de▶ vocation ◀de▶ tout homme en tant qu’homme, et qui serait, selon ◀l’▶Évangile, ◀l’▶appel et ◀la▶ puissance ◀de▶ ◀l’▶amour. À travers ◀l’▶action dans ◀la▶ communauté, c’est-à-dire à travers ◀le▶ prochain, ◀l’▶amour au sens chrétien est ◀l’▶orientation ◀de▶ tout être, et ◀de▶ tout mon être vers Dieu, source et sujet ◀de▶ tout amour.
Mais ◀la▶ vocation dont je voudrais vous parler, c’est ◀la▶ vocation particulière qui s’adresse à un individu et fait ◀de▶ lui une personne distincte et unique. Obéir à ma vocation, c’est suivre ◀le▶ chemin qui va me conduire à ◀la▶ source ◀de▶ ◀l’▶appel que j’ai cru percevoir, que je cherche à entendre, à capter de nouveau, pour qu’il me guide dans ◀l’▶inconnu, comme ces avions qui dans ◀la▶ nuit suivent ◀la▶ route créée par un faisceau sonore. Mais ce chemin sans précédent, — puisqu’il part ◀de▶ moi seul pour me conduire là où convergent tous ◀les▶ chemins ◀de▶ ◀l’▶esprit, — oui, tous convergent et se rejoindront en Dieu, mais il y a un chemin par homme ! — comment savoir si je ◀le▶ découvre ou si je ◀l’▶invente en ◀le▶ suivant ? Il n’est créé que par ◀l’▶appel, et n’existe que si je m’y engage, répondant à ◀l’▶appel sans penser à rien ◀d’▶autre. Il n’est pas jalonné, comme ◀les▶ grandes voies publiques, ◀de▶ signes bien lisibles pour n’importe qui, puisque personne encore n’a pu ◀le▶ suivre, puisqu’il n’existe qu’à partir de moi, et pour moi seul ! Cette unicité et singularité absolue ◀de▶ mon sentier personnel, qui ◀le▶ rend à peine discernable pour ma foi seule, va permettre à mes voisins soucieux ◀de▶ mon sort ◀de▶ mettre en doute ou ◀de▶ nier son existence — sauf s’ils ont fait, eux aussi, ◀l’▶expérience ◀de▶ cet appel invraisemblable — et ils vont me conseiller « pour mon bien », ◀de▶ m’en tenir aux chemins communs, bien fréquentés, bien surveillés par ◀la▶ police, là où règne ◀le▶ Code ◀de▶ ◀la▶ route, qui est aussi fait pour moi, ajouteront-ils, sévères. Oui, bien sûr, mais ces voies publiques, faites pour tout ◀le▶ monde et personne en particulier, elles me mèneront sans doute aussi loin qu’on voudra et en toute sécurité, c’est bien utile et agréable, — mais jamais où je dois aller, qui est absolument ailleurs. Elles ne sont pas faites pour cela. Seul pourrait me relier à mon but ◀le▶ sentier ◀de▶ ma vocation, qui est au sens littéral improbable. ◀Les▶ grandes voies publiques, bien que réglées par ◀la▶ Loi, ne me servent ◀de▶ rien pour « faire mon salut » comme disait ◀la▶ piété classique. Il me faut me risquer dans un monde spirituel qui est peut-être une illusion, ou ◀le▶ néant. Il me faut affronter ◀l’▶invraisemblable (dont parlait Kierkegaard), un risque absolument sans précédent puisqu’il est institué pour moi seul. Et dans tout cela je n’ai ◀d’▶autre soutien que ma croyance par éclairs, ma « foi » dans ◀l’▶existence ◀de▶ ce But qu’on ne peut voir et que personne n’a jamais vu. N’ayant d’autres moyens ◀de▶ répondre à son appel, ◀de▶ ◀le▶ rejoindre, que ceux que me suggère, inexplicablement, ma foi en lui.
C’est donc ◀le▶ But qui me communique ◀les▶ seuls moyens ◀d’▶aller vers lui, dans ◀la▶ seule mesure où j’y crois, et où j’arrive par instants à oublier tout ce qui me fait douter du But et ◀de▶ ◀l’▶appel et du chemin, quand je m’abandonne à ◀l’▶élan, à ◀l’▶attrait advienne que pourra, comme dans un saut… Dans ces moments, ◀le▶ But a dicté ses moyens. Il ne ◀les▶ a pas seulement justifiés, il ◀les▶ a faits et me ◀les▶ a donnés.
Je disais tout à ◀l’▶heure que ◀la▶ notion ◀de▶ péché n’a pas sa place dans ◀le▶ monde des règles du jeu, mais prend son sens dans ◀le▶ monde ◀de▶ ◀la▶ vocation. Voici comment je crois qu’il faut ◀l’▶entendre.
Par rapport à ◀la▶ vocation humaine et générale ◀de▶ ◀l’▶amour (sommaire ◀de▶ toute ◀la▶ Loi), il est clair que ◀le▶ péché en général est ◀de▶ faillir à ◀l’▶amour, ◀de▶ ◀le▶ blesser, ou ◀de▶ ◀le▶ dénaturer — par exemple ◀de▶ ◀le▶ réduire à un pur sentiment ou désir, alors qu’il est action. Mais dans ◀le▶ monde ◀de▶ ◀la▶ vocation, mon péché particulier, c’est ce qui m’empêche ◀de▶ répondre à ◀l’▶appel que j’ai cru entendre, c’est ◀le▶ refus ◀d’▶y croire sans preuve dont je puisse faire état « objectivement ». Mon péché, c’est ◀de▶ me mettre par ma conduite, par ma pensée, ou par quelque attitude intime, en travers du chemin que ◀l’▶Appel, dans ◀la▶ nuit, crée ou jalonne pour moi seul. Mon péché, c’est ce qui obscurcit ma visée, me fait perdre ◀de▶ vue ◀le▶ but, m’en fait douter quand il est invisible, bref, me détourne ◀d’▶agir ma vocation.
Et je découvre, à ce propos, que ◀le▶ mot désignant ◀le▶ péché en hébreu signifie littéralement « ce qui manque ◀le▶ but » ; et en grec : « ce qui passe au-dessus ◀de▶ ◀la▶ ligne normale », ou : « ce qui tombe à côté ». Voilà qui correspond, n’est-ce pas, ◀d’▶une manière assez frappante, à mes images initiales du tireur au fusil ou à ◀l’▶arc.
Je ne voudrais pas terminer cet exposé… téméraire, beaucoup trop simplifié, beaucoup trop court pour tout ce qu’il prétend remuer, sans avoir indiqué au moins ◀les▶ principales objections que je suis le premier à formuler contre mes thèses — et que j’examinerai sans pitié dans mon livre — mais j’aimerais indiquer aussi ◀l’▶esprit des réponses que ◀l’▶on pourrait tenter ◀d’▶y faire.
◀La▶ dichotomie proposée entre ◀les▶ règles du jeu d’une part, et ◀la▶ vocation d’autre part ; entre ◀la▶ régulation scientifique et séculière des moyens d’une part, et ◀la▶ foi aux fins transcendantes d’autre part, cette distinction fondamentale et radicale, pour paulinienne qu’elle soit sans doute — au moins par sa structure dialectique — il est évident qu’elle provoque une série ◀de▶ questions, ◀de▶ doutes et ◀de▶ reproches hélas bien faciles à prévoir.
◀Le▶ psychologue me dira (et il ◀le▶ dit en moi) : — Êtes-vous sûr que ◀l’▶appel que vous croyez venu du Transcendant n’est pas tout simplement ◀l’▶expression symbolique ◀d’▶une pulsion ◀de▶ ◀l’▶inconscient ? — Eh bien non, je n’en suis jamais sûr ! ◀La▶ foi sans ◀le▶ doute n’est pas ◀la▶ foi, ont répété bien avant moi Luther et Kierkegaard.
Un théologien dira (et je me ◀le▶ dis aussi) : Si vous abandonnez ◀la▶ responsabilité ◀d’▶établir ◀le▶ code moral au « monde », c’est-à-dire aujourd’hui et en fait aux savants et à ◀l’▶État, vous risquez ◀de▶ laisser s’établir une société totalitaire. Et vous privez ◀le▶ monde des aides ◀de▶ ◀la▶ Révélation. — À quoi je réponds que ◀le▶ risque est très grand, je ◀l’▶avoue, mais que ◀les▶ Églises qui croyaient dur comme fer que leur mission était ◀de▶ régler ◀la▶ conduite morale ◀de▶ nos peuples n’ont pas réussi à empêcher ni même à retarder sérieusement un seul des mouvements totalitaires du xxe siècle. Et quand je ◀les▶ vois patauger dans des domaines aussi vitaux que ceux ◀de▶ ◀la▶ contraception ou ◀de▶ ◀la▶ guerre, je me demande ◀de▶ quoi elles priveraient ◀le▶ monde si elles cessaient ◀de▶ lui prodiguer des conseils ou des ordres au moins aussi contradictoires que ceux qu’édictent ◀les▶ États, ◀les▶ Sciences, leurs branches spécialisées, et ◀les▶ écoles qui ◀les▶ divisent.
Un autre théologien me reprochera (et je ne suis pas du tout sûr qu’il ait tort) ◀d’▶ouvrir ◀les▶ portes toutes grandes au subjectivisme intégral, à ◀l’▶illuminisme, au quiétisme, et simplement à tous ◀les▶ malades dont ◀la▶ psychose prend ◀la▶ forme ◀d’▶une mission qu’ils affirment reçue ◀de▶ Dieu. — À quoi je pense qu’on doit répondre par une vigilance redoublée dans ◀l’▶examen des marques ou des « notes » ◀de▶ ◀l’▶authenticité ◀d’▶une vocation, selon ◀l’▶expérience des Pères, des réformateurs, et aussi des meilleurs psychologues ◀de▶ ce temps, qui peuvent au moins déceler ◀les▶ fausses vocations… Mais ◀les▶ risques subsistent, je ne ◀les▶ minimise pas : ce sont ◀les▶ risques ◀de▶ ◀la▶ Foi et ◀de▶ ◀la▶ confiance dans ◀le▶ Saint-Esprit. Je souligne seulement que ◀les▶ risques inverses, nés ◀de▶ ◀l’▶exigence exclusive ◀de▶ ce que ◀l’▶on nomme « objectivité scientifique », et qui évacue ◀de▶ ◀la▶ réalité tout ce qui ne peut être enregistré par ◀la▶ mémoire ◀d’▶une machine électronique, que cet objectivisme-là est au moins aussi onéreux pour ◀l’▶équilibre humain que ◀l’▶anarchie spiritualiste. Toute vie spirituelle authentique ne s’est-elle pas toujours jouée entre ◀les▶ deux extrêmes du désert et du déluge, du doute aride et ◀de▶ ◀l’▶émotivité prompte aux larmes, du positivisme et ◀de▶ ◀l’▶illuminisme ?
Un troisième théologien, prenant acte ◀de▶ ce que je ne crois pas du tout à une morale révélée, ni directement ni au travers des tours ◀de▶ passe-passe théologiques, regrettera peut-être au secret ◀de▶ son cœur, ◀l’▶époque où ◀l’▶on pouvait brûler des gens comme moi. Je lui dirai : faites attention à ◀l’▶Écriture, qui est, selon vos meilleurs docteurs, ◀le▶ critère externe ◀de▶ ◀la▶ Révélation ; elle dit ceci : « Cherchez d’abord ◀le▶ Royaume ◀de▶ Dieu, et ◀le▶ reste vous sera donné par-dessus. » Or chercher ◀le▶ Royaume, c’est chercher à saisir et à comprendre ◀le▶ message ou ◀l’▶appel qui nous en vient. Ce n’est pas appliquer une règle connue, ◀la▶ même pour tous, en tous ◀les▶ temps, et révélée une fois pour toutes. ◀L’▶Évangile ne dit pas : « Voici ◀le▶ code, obéissez. » Il dit : « Cherchez, et osez croire ◀l’▶invraisemblable. Et c’est ainsi que vous trouverez aussi, chemin faisant, votre vrai moi. »
Au sociologue, alors, qui me reprochera ◀de▶ verser dans un individualisme anarchisant, je répondrai qu’il a bien mal compris ◀la▶ définition ◀de▶ ◀la▶ personne : ◀l’▶homme chargé par ◀la▶ vocation même qui ◀le▶ distingue ◀de▶ ◀la▶ communauté, ◀d’▶une action qui ◀le▶ relie à cette communauté et qui ◀l’▶insère dans ses réalités concrètes.
Aux démocrates ombrageux qui m’accuseraient ◀de▶ proposer une éthique à ◀l’▶usage exclusif ◀d’▶une petite élite spirituelle, ◀d’▶un groupe ◀d’▶élus, je rappellerais ◀les▶ paroles ◀de▶ Jésus sur ◀le▶ sel ◀de▶ ◀la▶ Terre et sa saveur. Mais j’ajouterais, paraphrasant Teilhard de Chardin : chaque homme n’est pas appelé à faire ◀de▶ grandes choses, c’est vrai, mais, par sa solidarité avec une grandeur qui ◀le▶ dépasse, à faire grandement ◀la▶ moindre des choses, ce qu’il doit faire lui seul. (Et d’abord, à se faire lui-même, ajouterais-je.)
Aux fidèles enfin, à tout homme qui me demanderait : « Comment savoir ? Comment déceler ma vocation, puisque selon vous ◀le▶ But ◀d’▶où elle m’est adressée reste invisible, inouï, incalculable, et c’est lui cependant qui devrait nous guider… » — je voudrais dire ici que ◀la▶ prière est ◀le▶ seul moyen que ◀l’▶Évangile propose pour accorder au Transcendant notre être intime, notre pensée, notre vouloir. C’est un moyen, ici encore, dicté et créé par sa fin. Car c’est ◀l’▶Esprit qui nous meut à prier. ◀Les▶ « soupirs inexprimables » ◀de▶ ◀la▶ prière en nous répondent seuls à ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀l’▶indicible ; or toute vocation est d’abord indicible, parce qu’elle n’a pas et ne peut avoir ◀de▶ précédent, parce qu’il n’y a pas deux hommes pareils, donc pas deux chemins pareils allant ◀d’▶un homme à Dieu.
Mais je pressens que ◀les▶ objections ◀les▶ plus gênantes qu’on pourra me faire seront celles que je n’ai pas prévues… Je ◀les▶ attends ◀de▶ votre part et vous en dis ◀d’▶avance ma gratitude. Ma recherche est encore bien loin des conclusions définitives et cohérentes que certains attendraient peut-être, mais dont je doute qu’aucun chrétien puisse ◀les▶ donner.
◀Les▶ « païens » et ◀l’▶Antiquité vivaient dans ◀la▶ certitude éthique — règles et rites invariables, jamais mis en question. ◀Les▶ scientifiques, demain, vivront eux aussi dans ◀la▶ certitude quant à ◀la▶ conduite humaine — statistiques, médications, régimes sociaux ou psychosomatiques qu’on ne remettra en question que pour trouver des certitudes du même ordre, toujours plus précises et impératives. Quant aux laïques et au clergé ◀de▶ ◀l’▶Église chrétienne, je pense que leur rôle spécifique et leur vocation générale consisteront plutôt à poser des questions qu’à tenter ◀d’▶imposer des réponses ; à poser avant tout, en temps et hors de temps, ◀la▶ Question, celle du Sens, celle du But.
C’est tout ce que, pour ma part et selon mes moyens, j’aurais voulu vous faire entendre ce matin.