Intermède
Pour la▶ Suisse, cet été-là, ◀le▶ péril militaire s’éloignait. ◀Le▶ Gothard était devenu plus qu’un symbole. Centre du Réduit national, il se dressait vraiment comme ◀le▶ bastion ◀de▶ ◀l’▶Europe dont nous avions rêvé, sans oser croire que quelques mois plus tard il serait une réalité. ◀L’▶opinion s’était ressaisie. Notre Ligue du Gothard, fondée sur ◀l’▶idée simple ◀d’▶organiser ◀les▶ volontés ◀de▶ résistance, voyait ainsi son premier objectif atteint. Elle s’orientait vers un programme plus vaste ◀d’▶entraide sociale et ◀de▶ rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé ◀le▶ noyau du premier mouvement ◀de▶ Résistance, au sens que ce mot devait prendre un peu plus tard dans ◀les▶ pays occupés par Hitler.
Je suis conscient du léger ridicule qu’aux yeux de beaucoup présentera cette comparaison, pourtant valable dans ◀le▶ détail des problèmes qui se posaient à ◀la▶ Ligue, assassinats et tortures en moins. ◀Les▶ mêmes peuvent rire ◀de▶ ◀l’▶armée suisse parce qu’elle n’eut pas ◀l’▶occasion ◀de▶ se battre. Pourtant elle ◀l’▶aurait eue, probablement, si ◀les▶ Allemands avaient senti ◀la▶ Suisse militairement moins forte et moins bien alertée. Et notre mouvement ◀de▶ résistance, pour « théorique » et préventif qu’il soit resté, eût certainement passé à ◀la▶ pratique si ◀le▶ moral du pays ne s’était pas ressaisi. ◀Le▶ seul fait qu’à ce redressement, ◀la▶ Ligue ait contribué si peu que ce fût, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois ◀d’▶août ◀de▶ 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans ◀la▶ mesure précise où elle devenait, en tant que « résistance », inutile.
◀Le▶ 16 juillet, ◀le▶ Secrétariat des Suisses à ◀l’▶étranger85 m’offrait une « mission ◀de▶ conférences » en Amérique.
◀L’▶armée démobilisait ◀les▶ deux tiers ◀de▶ ses effectifs. ◀La▶ Ligue s’engageait dans une phase où j’étais loin de me sentir indispensable. Je me voyais d’autre part pratiquement condamné à ne plus aborder en public que ◀les▶ sujets admis par ◀la▶ censure, et ce n’était, littéralement, pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler que ◀de▶ notre belle nature me semblait également intolérable, tant qu’Hitler sévissait en Europe. Enfin, je pressentais que dans ◀la▶ lutte en cours, perdue sur notre continent, ◀l’▶élément décisif allait venir et ne pouvait venir que ◀d’▶Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu’il me serait donné, quoique « neutre », ◀de▶ faire ◀la▶ guerre à ma façon, ◀d’▶entrer dans ◀le▶ coup.
Poussé dans ◀le▶ dos, attiré en avant, je me décidai donc à partir. Et certes ◀les▶ raisons qui m’animaient n’étaient point exactement celles qu’on eut alors au Palais fédéral pour favoriser mon voyage et me donner un passeport « ◀de▶ service ». Mais ◀le▶ fait est qu’elles jouèrent dans ◀le▶ même sens. ◀Le▶ 20 août, à sept heures du matin, je prenais ◀la▶ route ◀de▶ Lisbonne.