« Il faut donner aux gens le goût des▶ belles choses » (15 février 1969)ai aj
Vous avez écrit : « N’habitez pas les villes » et peut-être est-ce pour cela que vous êtes venu vous installer dans le pays de Gex. Que pensez-vous de la transformation que subit notre région ?
J’adore cette maison, ce village… mais toutes les belles régions de France sont dilapidées. Le problème n’est pas particulier à Ferney-Voltaire.
Ce qui me frappe, c’est l’extrême laideur de tout ce que l’on construit, ◀une▶ laideur irréversible.
En Hollande, dans le Sud du Portugal, toutes les maisons sont belles, sans être plus luxueuses. C’est ◀une▶ fête de voir ça.
Denis de Rougemont illustre ses propos de quelques photographies :
Voyez-vous, on a su, dans ces pays, créer ◀une▶ atmosphère, ◀un▶ style.
Mais n’était-il pas urgent de construire ◀des▶ logements ?
On aurait pu faire, plus loin, dans ces immenses champs, ◀un▶ joli village avec ◀une▶ place, ◀une▶ église, ◀des▶ cafés… C’est ce qui a été fait à Meyrin et Meyrin est vivant à cause de cette place où les gens se voient, se rencontrent.
En France, aucun plan d’ensemble n’existe, on pare au plus pressé. J’ai pu le constater à propos d’◀un▶ petit village du Midi où je possède ◀une▶ maison. On y a tué la poule aux œufs d’or car on n’a pas pensé que l’on détruisait ce qui faisait l’attrait du pays. On a l’impression que le seul souci qu’on ait soit la spéculation. Il faut construire vite parce que cela coûte moins cher...
Pourquoi ce secret jaloux ?
Savez-vous que dans le pays de Gex, plus de deux-mille logements seront construits dans les cinq années à venir ?
Il est heureux qu’◀une▶ enquête telle que la vôtre le révèle, car autour de tout ceci, on garde ◀un▶ secret jaloux. ◀Une▶ telle transformation devrait faire l’objet d’◀un▶ débat public. La vraie démocratie, ce serait que les gens puissent discuter ◀des▶ projets car c’est leur vie qui va être modifiée. Il faut rendre les gens attentifs à l’importance du cadre dans lequel ils vivent. Cela est plus important que de savoir si l’on est de droite ou de gauche.
◀Une▶ telle discussion ne risque-t-elle pas de faire obstacle à tous les projets ?
Je ne suis pas partisan d’◀une▶ stagnation complète. Il faut éduquer les gens, les rendre sensibles à la beauté. C’est ◀un▶ immense problème d’éducation qui doit se traiter au niveau ◀des▶ écoles.
Mais ◀des▶ usines nouvelles se créent. Où les construire ?
Il faut les édifier loin ◀des▶ villes et loger le personnel dans ◀des▶ cités nouvelles où puisse naître ◀un▶ esprit de communauté, et non pas dans ◀des▶ casernes accrochées à de vieux villages que cela détruit.
◀Un▶ grand espoir : « la régionalisation »
Vous semblez bien pessimiste ?
Il existe ◀un▶ grand espoir, c’est la régionalisation, si elle se réalise véritablement. On arrivera, sur ◀des▶ régions plus petites, plus homogènes, à créer ◀un▶ style.
Mais n’y aurait-il pas ◀un▶ grand bouleversement, dans tous les domaines ?
Il faudra « s’équilibrer dans le chaos ». C’est ma conclusion du Journal d’◀une▶ époque .