Le▶ mariage est à réinventer (14 avril 1969)al am
◀Le▶ remariage, ce n’est pas seulement « ◀le▶ triomphe ◀de▶ ◀l’▶espérance sur ◀l’▶expérience », c’est aussi celui ◀de▶ ◀la▶ maturité sur ◀la▶ jeunesse (voir Elle n° 1215) : ◀les▶ hommes se marient en moyenne à 25 ans la première fois et à 41 ans la deuxième, ◀les▶ femmes à 22 ans et à 38 ans. À 41 ans et à 38 ans, on a généralement quelques souvenirs, quelques cheveux blancs et des enfants du premier lit : ça pose des problèmes (voir Elle n° 1216) mais on ne fait pas pour autant un remariage ◀de▶ « raison », ◀de▶ consolation. Le second mariage, ce n’est pas ◀la▶ session ◀de▶ repêchage, c’est ◀la▶ saison des amours vraies, solides, bien bâties. On a passé ◀l’▶âge ◀de▶ Roméo et Juliette, mais on espère bien arriver à Philémon et Baucis. On en est encore très loin : pour beaucoup de femmes, le second mari c’est aussi ◀l’▶amant légitime, ◀l’▶homme qui fait découvrir ◀les▶ délices et ◀les▶ délires ◀de▶ ◀l’▶amour physique tels qu’on ne ◀les▶ soupçonnait guère à 20 ans, tels qu’on espère ◀les▶ connaître longtemps. Amours, délices et mairie (pas ◀d’▶orgues pour ◀les▶ divorcés), ◀le▶ remariage c’est souvent ◀l’▶heureux mariage qu’on n’a pas su réussir du premier coup.
Mais faut-il vraiment se marier deux fois ? Denis de Rougemont a accepté ◀de▶ faire pour vous ◀le▶ tour ◀de▶ ce problème ◀de▶ notre époque qui a été aussi son problème à lui ; Denis de Rougemont n’est pas seulement ◀l’▶écrivain qui a ◀le▶ mieux analysé et expliqué ◀l’▶amour et ◀le▶ couple, il est aussi depuis seize ans ◀le▶ (deuxième) mari ◀de▶ Nanik et il forme avec sa (seconde) femme l’un ◀de▶ ces couples dont on dit simplement : « C’est un vrai couple. »
◀Le▶ remariage est non seulement un problème ◀d’▶actualité mais un problème ◀d’▶avenir. C’est une conséquence du divorce plus fréquent mais aussi du progrès médical. Ce qu’on nomme « ◀l’▶espérance ◀de▶ vie » ayant doublé, cela double aussi ◀les▶ « chances » arithmétiques et psychologiques ◀de▶ divorce, donc ◀de▶ remariage. Il y a ◀la▶ facilité de plus en plus grande offerte par ◀la▶ législation — dans tous ◀les▶ pays — aux gens qui veulent divorcer : ◀le▶ nombre des foyers détruits par ◀le▶ divorce équivaut en 1968 au nombre des foyers détruits il y a cinquante ans par ◀la▶ mort ◀de▶ l’un des conjoints.
Il y a ◀la▶ mobilité actuelle succédant à ◀la▶ stabilité ◀d’▶autrefois. Mobilité non seulement géographique mais sociale et professionnelle qui donne aux gens ◀l’▶occasion ◀de▶ vivre plusieurs vies — on change ◀de▶ pays, ◀d’▶emploi, ◀de▶ milieu avec une facilité croissante et on admet avoir d’autres aspirations à 40 ans qu’à 20 ans. ◀D’▶où ◀la▶ multiplication des déséquilibres dans un couple — ◀le▶ cas classique ◀de▶ ◀la▶ femme qui n’a pas su « suivre » son mari ou ◀l’▶inverse. Il y a enfin ◀la▶ remise en question quotidienne du mariage : chacun sait désormais qu’il y a problème et qu’on peut en parler, qu’il faut même en parler librement et sérieusement.
◀La▶ crise du mariage et ◀la▶ cellulite sont même devenues ◀les▶ deux mamelles ◀de▶ ◀la▶ presse féminine mais curieusement on n’en arrive jamais au remariage. Pourquoi ?
L’une des grandes difficultés du sujet tient à ce qu’il n’existe pas ◀de▶ littérature romanesque sur le second mariage et peu ou point ◀de▶ témoignages publiés (enquêtes sociologiques, enquêtes psychologiques). Il faudrait pouvoir comparer ◀les▶ âges et ◀les▶ motivations des conjoints lors du premier et du second mariage. Analyser leur évolution, ◀les▶ réactions des enfants, etc.
Il faut aussi savoir distinguer ce qui tient aux acteurs — ◀les▶ conjoints — et ce qui tient à ◀la▶ situation en soi, qu’est le deuxième mariage. Faute ◀de▶ matériel, je me vois réduit à ma propre expérience et à celle des couples remariés que je connais.
La première fois, on épouse ses complexes
D’abord ◀la▶ grande question : pensez-vous que le deuxième mariage soit plus heureux que le premier ?
Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’il a beaucoup plus ◀de▶ chances ◀de▶ ◀l’▶être : il y a des écueils inhérents à un premier mariage qui ne ◀le▶ sont plus à un second.
Comme dit mon beau-père, ◀le▶ Dr Répond, qui est psychanalyste, lors du premier mariage, on épouse ses complexes. Or, contrairement à ce que fait croire ◀le▶ langage courant, avec des phrases comme « Je suis pleine ◀de▶ complexes » ou « Il me donne un complexe ◀d’▶infériorité », ◀les▶ complexes sont des ensembles ◀de▶ réactions et ◀d’▶associations affectives formés dans ◀l’▶enfance et restés inconscients. On ne connaît pas ses complexes, ils nous dirigent à notre insu, à notre corps défendant et c’est en quoi ils sont gênants, voire dangereux. ◀Les▶ motivations du premier mariage sont la plupart du temps inconscientes. Complexe ◀d’▶Œdipe, recherche ◀d’▶un type ◀de▶ conjoint qui est (sans qu’on ◀le▶ sache) celui ◀de▶ ◀la▶ mère, ou du père. Ou au contraire, inhibition devant une femme aimée, parce que ◀l’▶inconscient ◀l’▶assimile à ◀la▶ mère interdite… Ces fixations amoureuses dues à des motifs inconscients ont bien des chances ◀de▶ correspondre à ◀la▶ réalité des êtres et ◀de▶ leur vie à deux ! On tombe amoureux ◀d’▶une image sans ◀le▶ savoir. Et ◀l’▶on se trouve marié avec une femme réelle, bien différente. Elle, eh bien, elle a aussi son image ◀de▶ ◀l’▶homme qui lui fait faire ◀les▶ mêmes erreurs. « Je suis tombée amoureuse ◀de▶ lui avant même qu’il ait dit un mot… »
Y a-t-il des causes ◀d’▶échec qui soient plus spécifiquement attachées à telle classe ◀d’▶âge ?
Oui, ◀l’▶immaturité des conjoints, souvent accompagnée du désir (conscient ou non) ◀de▶ se libérer ◀de▶ sa famille, cas plus fréquent qu’on ne pense chez ◀les▶ jeunes filles surtout. Spécifique ◀de▶ ◀la▶ jeunesse, aussi, cette façon ◀de▶ balayer ◀l’▶expérience des autres, ce refus ◀de▶ tenir compte des données ◀de▶ fait : goûts, situation, milieu social. On balaye avec un beau mépris ◀les▶ objections des autres, celles des parents, en premier lieu ; leur couple est-il si bien réussi ? On pense que ◀le▶ seul moyen ◀de▶ réussir ce qu’ils ont raté c’est ◀de▶ prendre ◀le▶ contre-pied ◀de▶ leurs conseils. Ce qui conduit souvent à un mariage « ◀d’▶attitude » : on veut prouver aux autres — et à soi-même qu’on sait ce qu’on veut et qu’on n’a besoin ◀de▶ personne. Moins on est sûr ◀de▶ ◀la▶ durée ◀de▶ ses sentiments, plus on s’entête et plus on se dépêche. À 20 ans, il est classique ◀de▶ se marier en claquant ◀la▶ porte. Mais ◀la▶ cause ◀d’▶échec ◀la▶ plus fréquente et ◀la▶ plus grave c’est ◀la▶ confusion entre ◀l’▶amour véritable et ◀la▶ passion, puis entre ◀la▶ passion et ◀le▶ mariage. ◀L’▶erreur fondamentale, c’est ◀de▶ vouloir « épouser Iseut ». Car ◀la▶ passion n’est pas comme on ◀l’▶imagine volontiers un super-amour mais une certaine forme ◀d’▶amour qui veut ◀l’▶obstacle et qui ◀l’▶invente au besoin pour mieux s’exalter. ◀La▶ passion suppose toujours entre ◀le▶ sujet et ◀l’▶objet — Tristan et Iseut — un roi Marc qui ◀les▶ sépare : ◀la▶ morale, ◀la▶ société, ◀le▶ père, ◀le▶ mari ou simplement ◀les▶ circonstances réelles.
◀L’▶ennemi n° 1 du mariage, c’est ◀la▶ passion
Mais où est ◀le▶ roi Marc entre ◀le▶ garçon et ◀la▶ fille qui se marient « avec passion » ?
Il n’y en a plus, aujourd’hui. Il n’y a plus ◀d’▶obstacle objectif : si l’un des deux est marié, il n’a qu’à divorcer et tout s’arrange. Aussi n’est-ce pas ◀la▶ morale sociale qui détruit ◀la▶ passion, mais ◀le▶ manque ◀d’▶obstacles, ◀la▶ quotidienneté, ◀la▶ banalité.
Ne peut-on pas imaginer une passion qui ne serait pas fatale, qui pourrait flamber au grand jour et même au jour ◀le▶ jour ?
Non, ◀la▶ passion implique ◀la▶ fatalité. ◀La▶ passion dit : « Oui, j’aime une telle, son caractère et ses goûts seront peut-être incompatibles avec les miens mais c’est plus fort que moi, il arrivera ce qu’il arrivera, ce n’est pas ma faute. » ◀La▶ fatalité, c’est ◀l’▶alibi. Et il est nécessaire ◀d’▶en avoir un, ◀de▶ pouvoir accuser ◀le▶ sort, puisque ◀la▶ passion sera forcément malheureuse.
◀Le▶ défi sentimental du passionné
Vous avez démontré dans ◀L’▶Amour et ◀l’▶Occident que ◀l’▶amour tel qu’on ◀le▶ rêve — ◀l’▶amour-passion — est né avec « Tristan et Iseut » et que, depuis des siècles, nous vivons sous ◀l’▶emprise ◀de▶ ce mythe dégénéré en romans, opéras, puis films, chansonnettes, etc. Ce n’est donc pas une invention récente. Or ◀la▶ crise du mariage n’a pas six siècles. Quel rapport y a-t-il entre l’un et l’autre ?
C’est qu’autrefois on se mariait pour des raisons : fortune, terres, agrément du caractère et du physique, et on restait marié pour des raisons : religieuses, sociales, familiales. ◀La▶ passion, on ◀la▶ rencontrait ou en tout cas on ◀la▶ cherchait ailleurs. Vouloir fonder ◀le▶ mariage sur ◀la▶ passion est une exigence récente, ou plutôt une aberration récente : c’est vouloir fonder une institution faite pour ◀la▶ durée sur un état passager, sur une crise affective. ◀La▶ passion retranche du monde comme ◀la▶ fièvre ; quand ◀la▶ fièvre est retombée, ◀la▶ réalité est là : ◀les▶ problèmes inéluctables que posent ◀les▶ caractères et ◀les▶ tempéraments. On pense toujours qu’on sera ◀l’▶exception, qu’on réussira où ◀les▶ autres ont raté. C’est ◀le▶ défi sentimental, ◀le▶ défi téméraire et dérisoire du passionné.
Tout ça, ce sont ◀les▶ défauts possibles et même courants ◀d’▶un premier mariage. Ces causes ◀d’▶échec sont-elles automatiquement éliminées quand on se remarie ?
Pas automatiquement du tout. Quand ◀l’▶expérience n’a pas été comprise, on se remarie trois fois, quatre fois, cinq fois, ce sont ◀les▶ cas désespérés. Mais ◀le▶ cas intéressant, et heureusement ◀le▶ plus courant, c’est un premier mariage raté suivi ◀d’▶une réflexion lucide sur ◀les▶ causes ◀de▶ cet échec et ◀de▶ déductions constructives. Normalement, tout ira mieux. Parce qu’on est « vacciné » : on dépend moins des autres — parents, entourage — on est donc moins poussé à braver leur opinion, à faire un mariage « ◀d’▶attitude ». On est plus conscient et on ne se joue plus ◀la▶ comédie — ni aux parents. On a compris que ◀l’▶essentiel ce sont ◀les▶ caractères, qui ne changent jamais (« on ne peut pas changer ◀de▶ place ◀les▶ raies du zèbre », dit un proverbe oriental) et, comme on a pris conscience ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀la▶ durée, on accorde une plus grande attention à ◀la▶ compatibilité des caractères, aux éléments durables et indispensables à ◀la▶ durée du mariage.
Attention, ne vous remariez pas pour vous venger
N’y a-t-il pas des causes ◀d’▶échec spéciales à un deuxième mariage ?
Oui, il y en a deux, qui tiennent, elles aussi, à ses motivations. ◀La▶ peur ◀de▶ ◀la▶ solitude, ◀la▶ peur ◀de▶ rester « en carafe » peut pousser à un remariage précipité. Et aussi ◀le▶ désir ◀de▶ prendre une revanche, ◀de▶ marquer un point sur son ex-conjoint (comme dans le premier mariage, on voulait défier ◀les▶ parents). ◀Le▶ divorce, quoi qu’on en dise, est toujours ressenti comme un échec. Mais autant il est bon ◀de▶ vouloir en tirer une leçon, ◀de▶ vouloir faire mieux la deuxième fois, autant il est mauvais ◀de▶ vouloir se venger ◀de▶ cet échec, ◀de▶ se remarier très vite pour narguer ◀l’▶ex-conjoint : « Tu vas voir comme je vais être heureuse sans toi. » C’est une réaction infantile.
Et des difficultés particulières une fois qu’on est remarié ?
C’est ici qu’il s’agit ◀de▶ distinguer ce qui tient aux « acteurs » et ce qui tient à ◀la▶ situation. Ce qui tient aux acteurs ce sont ◀les▶ difficultés inévitables ◀de▶ ◀la▶ vie en commun, ◀les▶ heurts, ◀les▶ déceptions, ◀les▶ contraintes matérielles, professionnelles, etc. Quant à ◀la▶ difficulté ◀de▶ ◀la▶ situation elle tient en une phrase ou un fait évident et qui sera ressenti plus ou moins douloureusement : ce n’est plus la première fois.
Cette deuxième fois n’a davantage ◀de▶ chances ◀de▶ réussir que s’il n’y a pas nostalgie ◀de▶ ◀la▶ passion chez l’un ou chez l’autre. Se dire : « La première fois j’ai souffert, cette fois-ci je vais faire au contraire un mariage ◀de▶ tout repos », est un autre piège. Notre mentalité, influencée par ◀l’▶héritage littéraire occidental, surestime ◀la▶ passion et sous-estime ◀les▶ caractères, ◀les▶ goûts et ◀les▶ antécédents. Un mariage où il n’y aurait que des « convenances » a plus ◀de▶ chances ◀de▶ durer mais guère plus ◀de▶ chances ◀de▶ bonheur qu’un mariage où il n’y aurait que ◀de▶ ◀l’▶amour.
◀Le▶ vrai amour c’est ◀le▶ contraire ◀de▶ ◀la▶ passion
Il faut donc « quelque chose de plus » et ça ne peut être ◀la▶ passion. Quel est ce « quelque chose » sans lequel ◀les▶ caractères, ◀les▶ goûts, ◀les▶ aspirations communs ne réussiraient qu’un mariage ◀de▶ raison ?
C’est ◀l’▶intuition du véritable moi ◀de▶ l’autre. C’est ◀l’▶acceptation ◀de▶ cet être tel qu’il est, limité et réel mais secrètement en marche vers lui-même que ◀l’▶on choisit, non pas comme prétexte à s’exalter ou comme objet ◀de▶ contemplation, mais comme une existence incomparable et autonome à laquelle on voudrait participer : voilà ◀la▶ plus profonde tendresse. ◀Le▶ passionné cherche son « type ◀de▶ femme », souvent ◀l’▶image ◀de▶ ◀la▶ mère sans qu’il s’en doute, ou alors une certaine beauté qui est ◀l’▶idéal standard ◀de▶ sa génération. Sa passion n’est que ◀la▶ projection sur l’autre ◀d’▶un idéal qui n’existe pas — et ◀l’▶on s’en aperçoit très vite — alors que ◀le▶ vrai amour est agent ◀de▶ personnalisation par excellence : ce qu’il a su voir c’est ◀l’▶irremplaçable, ◀l’▶unique, ce que chaque être peut devenir s’il y est appelé. C’est son mystère, qui n’a rien ◀de▶ littéraire, ◀de▶ romantique, ◀le▶ mystère ◀de▶ sa réalité différente.
Le deuxième mariage ayant en général ◀de▶ meilleures chances, faut-il en arriver à ◀le▶ prôner systématiquement ?
Je pense que des solutions « préventives » sont infiniment préférables. Il faudrait tout d’abord dédramatiser tout ce qui touche à ◀l’▶amour, au mariage, au divorce. À ◀la▶ surestimation ◀de▶ ◀la▶ passion, issue du mythe ◀de▶ Tristan, et ◀de▶ toute ◀la▶ littérature romanesque, se sont ajoutés tous ◀les▶ tabous sexuels du xixe siècle. ◀L’▶effet ◀de▶ révélation produit par ◀l’▶œuvre ◀de▶ Freud, cette impression « qu’il expliquait tout », vient de ce que pour la première fois, grâce à ce savant et à ses recherches « scientifiques », on osait parler du sexe ! Aujourd’hui on parle du sexe — ◀d’▶abondance — mais, en ce qui concerne ◀l’▶amour, beaucoup de gens continuent à croire que ◀l’▶analyser ◀l’▶amoindrit. Une passion « inexplicable » paraît plus forte qu’un amour justifié par ◀de▶ bonnes raisons. Or il faudrait toujours pouvoir analyser ◀les▶ motivations ◀de▶ son mariage. De même et plus encore pour ◀le▶ divorce : si ◀l’▶on veut en tirer une leçon, il est essentiel ◀de▶ ne pas ◀le▶ refouler comme un acte dont on a honte ou peur.
Je suis pour ◀le▶ « mariage-maquette »
Ceci appelle donc une réforme ◀de▶ ◀la▶ mentalité. On va souvent jusqu’à ◀la▶ réforme des mœurs lorsqu’on envisage ◀le▶ « mariage à ◀l’▶essai ». Qu’en pensez-vous ?
Je suis pour tout ce qui peut aider ◀les▶ gens à prendre conscience du sérieux, ◀de▶ ◀la▶ beauté, mais aussi ◀de▶ ◀la▶ difficulté du mariage et je pense que « ◀l’▶essai » peut aider. Bien sûr, ◀l’▶expérience est limitée : on sait que ça pourrait ne pas durer et ◀l’▶on décide qu’on n’aura pas ◀d’▶enfants ; il n’y aura donc pas ◀de▶ victimes. Appelons cette expérience un « mariage-maquette », un numéro zéro comme celui qui précède dans ◀les▶ revues ◀la▶ sortie du numéro 1, le premier numéro officiel. Ce type ◀d’▶expérience se répand de plus en plus dans ◀le▶ milieu étudiant. C’est très supérieur aux fiançailles traditionnelles qui fortifiaient par des obstacles artificiels — défense de cohabiter, ◀de▶ faire ◀l’▶amour, ◀de▶ partir ensemble en vacances — ◀l’▶idée ◀de▶ passion. Et qui négligeaient toutes ◀les▶ difficultés réelles, celles qui naissent ◀de▶ ◀la▶ cohabitation. Là, on vit, on travaille, on organise son budget ensemble.
◀Les▶ parents ne sont pas toujours très favorables au « mariage-maquette » ?
Ils ont tort. ◀L’▶Église leur donne ◀l’▶exemple en exigeant avant ◀l’▶entrée en religion plusieurs années ◀de▶ noviciat. D’ailleurs il n’est pas question ◀d’▶essais multiples. Pour avoir une valeur expérimentale il faut qu’un mariage-maquette se prolonge plusieurs années. Aucun rapport avec ◀les▶ amourettes et liaisons nouées sans idée ◀de▶ durée.
Mais il y a quand même des différences énormes avec un vrai mariage : il manque ◀les▶ enfants et il manque tout ◀le▶ côté social — être reconnu par ◀les▶ autres comme un vrai couple, ce qui est un ciment — et surtout ◀l’▶idée que ça doit durer toujours. « Après tout, je ne suis pas mariée avec lui », se dit-on au premier accrochage sérieux et ça n’incite pas à ◀l’▶effort, à ◀la▶ tolérance, ◀l’▶amour difficile. Il manque ◀le▶ pacte. ◀L’▶engagement total. Je ne crois pas à ◀la▶ valeur magique du « oui » solennel mais bien à ◀la▶ valeur psychologique ◀de▶ protection qu’il y a dans ◀la▶ décision « pour toujours » anticipant ◀la▶ plus longue durée. ◀Le▶ but lointain dégage une plus grande énergie — pour ◀le▶ rejoindre — que ◀le▶ but proche. Quand je faisais mon service militaire on nous imposait des marches ◀d’▶entraînement et j’ai fait à cette occasion une découverte qui a joué un rôle important dans ma vie : si ◀l’▶on part pour une promenade ◀d’▶une heure, on traîne ◀la▶ patte après trois quarts ◀d’▶heure. Quand nous pensions que nous aurions 20 à 30 km à couvrir, nous commencions à être fatigués au bout de 10 à 12 kilomètres. Mais quand nous avons su que cette fois-ci c’était sérieux, que nous partions pour ◀la▶ marche finale ◀de▶ 140 km, nous n’avons ressenti aucune fatigue pendant ◀les▶ 20 premiers kilomètres. ◀Le▶ corps s’était disposé pour ◀le▶ long effort, ◀la▶ longue durée. Il ne se permettait pas ◀de▶ flancher, n’acceptait simplement pas ◀la▶ fatigue et cela changeait tout.
◀La▶ valeur du « oui » solennel
Mais vous n’avez pas fait lors du premier coup une marche ◀de▶ 140 km ?
C’est pourquoi ◀le▶ mariage-maquette peut être considéré comme une marche ◀d’▶entraînement. ◀Le▶ seuil ◀de▶ fatigue et ◀de▶ lassitude sera infiniment plus élevé ou plus éloigné dans ◀la▶ « longue marche » qu’est ◀le▶ vrai mariage. Pour avoir toute sa valeur il faut aussi que ◀le▶ pacte soit sans arrière-pensée. J’ai assisté, en Amérique, au mariage ◀d’▶une jeune héritière qui répétait avec enthousiasme : « Comme c’est merveilleux ◀de▶ se marier pour la première fois ! » Voilà qui ne laissait pas prévoir autre chose que ◀les▶ quatre ou cinq échecs qui ont suivi.
Donc ◀le▶ mariage-maquette donne une idée ◀de▶ ce qu’est ◀le▶ mariage, mais ne peut guère, faute de pacte, remplacer le premier mariage. Faut-il donc élever ses filles, comme ◀le▶ préconise Margaret Mead, dans ◀l’▶idée qu’il est normal et inévitable ◀de▶ divorcer ?
Il vaudrait beaucoup mieux leur apprendre que ◀la▶ vraie vie, c’est ◀la▶ vie quotidienne et qu’elle n’a rien ◀de▶ terne et ◀d’▶ennuyeux (si ◀les▶ gens ne sont pas eux-mêmes ternes et ennuyeux). Car enfin qu’est-ce qu’un premier mariage ?
◀La▶ confrontation ◀de▶ ◀la▶ passion ou plutôt, soyons réalistes, du désir ◀de▶ ressentir une passion, qui fait croire que « ça y est », avec ◀la▶ réalité. Quand ◀les▶ gens cesseront ◀de▶ croire que ◀la▶ passion est ◀l’▶épreuve privilégiée qui seule donne un sens à ◀la▶ vie, quand ils comprendront que ◀la▶ passion n’est jamais une raison ◀de▶ se marier mais au contraire une raison ◀de▶ ne pas se marier, et qu’être heureux longtemps avec quelqu’un vaut mieux qu’être intensément désespéré à cause de lui pendant huit jours, ◀la▶ crise du mariage sera résolue en principe et ◀la▶ majorité des divorces évités. Mais ◀l’▶emprise du mythe est tellement forte que notre vocabulaire ◀le▶ plus courant en est atteint : « passionnant » c’est bien mieux qu’intéressant. Il ne s’agit d’ailleurs pas ◀de▶ condamner ◀la▶ passion. ◀Les▶ troubadours, ◀les▶ romanciers ◀de▶ ◀la▶ Table ronde, Tristan ont affiné et « compliqué » ◀les▶ sentiments, donc ont fait faire ◀d’▶énormes progrès à ◀la▶ conscience collective. Mais ne prenez pas ◀le▶ virus comme base ◀de▶ ◀la▶ santé, ne fondez pas ◀le▶ mariage sur ce qui vit ◀de▶ sa crise et ◀l’▶entretient !
Et ◀le▶ mariage lui-même, pensez-vous qu’il doit être « modernisé » ?
◀Le▶ mariage ne peut renoncer ni à ◀la▶ durée ni à ◀la▶ fidélité. Un mariage c’est une œuvre d’art, une construction à deux et comme toute création il a ses difficultés. Il faut sans cesse comprendre à nouveau, risquer et se risquer, découvrir et inventer. ◀La▶ fidélité n’est pas un luxe, une coquetterie morale et encore moins une « convenance » ou un « agent ◀de▶ répression », elle est ◀la▶ base indispensable ◀d’▶une création.
Quand un peintre commence une toile il doit sans cesse lutter contre ◀le▶ doute (est-ce que ça vaut vraiment ◀la▶ peine ?), ◀la▶ paresse (c’est bon, je vais tout plaquer !), ◀le▶ désordre, ◀l’▶envie ◀d’▶entreprendre plusieurs tableaux à la fois, ◀de▶ tout saccager lorsque ce qu’il fait paraît trop éloigné ◀de▶ ce qu’il voudrait faire. De même ◀le▶ mariage exige que ◀l’▶on se consacre à l’autre avec continuité ! C’est ◀le▶ contraire du « coup de foudre » aveuglant, ◀de▶ ◀la▶ passion « fatale » mais changeante et ◀de▶ ◀l’▶amour subi, irresponsable. ◀La▶ fidélité c’est bien autre chose que ◀de▶ se borner à ne pas tromper sa femme : c’est une œuvre d’art exigeante et qui tente ◀le▶ meilleur en chacun ◀de▶ nous. Je sais bien que depuis des siècles, ◀la▶ fidélité nous est présentée comme une sorte ◀de▶ devoir sinistre, une mutilation volontaire : nous n’avons pas été élevés pour être heureux ! ◀Le▶ contraire ◀de▶ ◀la▶ folie, du déséquilibre, ◀de▶ ◀la▶ passion, dans ◀l’▶esprit des gens, c’est ◀l’▶ennui.
En somme, lorsqu’un homme pourra dire à une femme : « Je suis sage ◀de▶ toi », ◀le▶ mariage sera sauvé ! Qui ◀l’▶osera ?