Objection de▶ conscience : Denis de Rougemont répond (4 juillet 1969)ae af
Monsieur le rédacteur en chef,
J’ai été surpris ◀de▶ vous voir répondre à une lettre que j’avais adressée au président ◀d’▶un tribunal militaire et que vous publiez à mon insu, sous un titre trompeur, je le crains. Car ce titre semble annoncer une prise ◀de▶ position ◀de▶ principe sur le problème ◀de▶ l’objection, voire une sorte ◀de▶ manifeste. Or, il s’agit ◀d’▶un simple témoignage rédigé à des fins précises, pour servir une cause personnelle, et pas du tout pour haranguer la foule par-dessus la tête du président.
Si j’avais voulu traiter publiquement ◀de▶ l’objection ◀de▶ conscience en général, et des objecteurs suisses en particulier, il m’eût fallu beaucoup de temps, beaucoup de place, et un minimum ◀de▶ précautions. Il m’eût fallu peser le pour et le contre, et surtout dans le cas ◀de▶ la Suisse, pays où il est le plus difficile ◀de▶ défendre l’armée, le plus difficile ◀de▶ se dire objecteur, donc le plus courageux ◀de▶ l’être — si l’on est sérieux, toutefois, ce qui n’est pas le cas, nécessairement, ◀de▶ tout contestataire ◀de▶ nos institutions. J’ai parlé pour René Bugnot. Si je me relis bien, je n’ai pas proposé qu’on fasse ◀de▶ lui le « dépositaire ◀de▶ la mission morale du pays ». Je n’ai pas demandé qu’on le décore, mais simplement qu’on ne le mette pas au ban ◀de▶ notre société et que l’on s’interdise ◀de▶ répéter que l’objecteur est lâche, un mauvais citoyen qui trahit ses devoirs ◀de▶ solidarité.
Quant à votre sous-titre « Tout ou rien », je ne le crois pas justifié par mon texte, et vous avez raison ◀de▶ refuser ◀de▶ me suivre dans une direction où jamais je n’ai songé à entraîner personne. Non, je ne pense pas et je n’ai donc pas dit « qu’à défaut ◀d’▶un statut des objecteurs, la Suisse ne serait qu’un État policier ». J’ai dit seulement que si l’on choisissait ◀de▶ s’en tenir à « l’ordre à tout prix » et à l’écrasement légal des opposants ou des simples non-conformistes, Moscou ferait cela bien mieux que nous.
Cela dit, il me reste à vous remercier ◀d’▶avoir, en publiant ma lettre, ramené l’attention ◀de▶ vos lecteurs sur le grave problème qui l’avait motivée : c’est ce problème qui importe seul, et qu’il faut prendre soin ◀de▶ poser dans ses termes les plus authentiques.
Veuillez croire, Monsieur le rédacteur en chef, à mes sentiments dévoués.