Naissance du Centre7
Le▶ Centre est né pour tâcher ◀de▶ répondre à certaines exigences ◀d’▶une situation qui est celle ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui, c’est-à-dire ◀d’▶une Europe mise en question dans son existence même, matérielle et morale, ◀d’▶une Europe qui ne peut se sauver qu’en regroupant ses forces et qu’en ◀les▶ refondant sur ◀les▶ bases ◀les▶ plus sûres ◀de▶ son histoire…
On peut discuter à ◀l’▶infini sur ◀l’▶opportunité et sur ◀le▶ contenu du mot « culture ». Je me contenterai ◀de▶ ◀le▶ définir ici ◀d’▶une manière pragmatique et globale : appelons « culture » ce qui a fait ◀de▶ ◀l’▶Europe autre chose que ce qu’elle est physiquement, autre chose qu’un petit cap de l’Asie (pour reprendre ◀le▶ mot toujours cité) : ◀le▶ cœur et ◀le▶ cerveau du monde moderne. C’est là qu’il faut chercher ◀les▶ vrais secrets ◀de▶ notre puissance, même matérielle, et donc ◀de▶ notre indépendance. Si maintenant nous voulons fonder ◀l’▶Europe unie sur une base ferme et réaliste, fondons-◀la▶ sur sa force principale, qui est dans ◀l’▶ordre ◀de▶ ◀l’▶esprit…
Je serais ravi que ces quelques remarques apparaissent comme autant ◀d’▶évidences et même ◀de▶ banalités. Il s’en faut cependant ◀de▶ beaucoup que ◀les▶ Européens ◀les▶ prennent pratiquement au sérieux. Ce qui est sérieux, croient-ils, ce sont ◀les▶ armements et ◀les▶ échanges économiques, voire ◀le▶ jeu des partis politiques…
On va me dire que ◀les▶ temps sont difficiles, qu’il faut courir au plus pressé. J’en tombe d’accord. Seulement ◀le▶ plus pressé, ce n’est pas nécessairement ◀de▶ nous écraser sous ◀le▶ poids des armes matérielles, mais c’est peut-être aussi ◀de▶ réveiller en Europe ◀l’▶esprit ◀de▶ résistance et ◀l’▶esprit ◀d’▶invention sans lesquels tous ◀les▶ chars ne serviront à rien, et seront bientôt démodés.
Ces considérations suffisent à désigner, à justifier s’il est besoin, la première tâche ◀de▶ notre Centre. Je n’hésite pas à lui donner son nom, bien qu’il soit très mal vu ◀de▶ nos élites : c’est une mission ◀de▶ propagande qui nous incombe, et je vais m’expliquer sur ce mot.
On peut, et ◀l’▶on doit détester ◀la▶ propagande. Mais on ne peut pas nier qu’elle existe, et qu’elle joue, avec quel succès, contre tout ce qu’il nous faut défendre. On peut détester ◀les▶ microbes, mais cette opinion ne ◀les▶ tue pas. Pasteur aussi détestait ◀les▶ microbes, mais il a su ◀les▶ employer, ◀les▶ enrôler, pour ainsi dire, au service ◀de▶ ◀la▶ santé. Utilisons ◀de▶ cette manière ◀la▶ propagande, pour vacciner contre elle ◀les▶ masses européennes et ◀les▶ élites, qui ne sont pas moins contaminées…
Si notre première tâche est ◀de▶ réveiller chez nos compatriotes européens ◀la▶ conscience ◀de▶ leurs forces et ◀de▶ leur vraie richesse, notre second objectif sera ◀de▶ regrouper ces forces et ces richesses éparses et divisées.
Ici se dresse ◀le▶ spectre menaçant, armé ◀d’▶ennui mortel, ◀de▶ ◀la▶ « Culture organisée ». Écartons-◀le▶ ◀d’▶un geste résolu — et ◀d’▶un sourire. J’allais dire : mieux vaudrait point ◀de▶ Culture du tout, que ◀de▶ ◀la▶ Culture organisée. Mais en fait, cela revient au même. ◀La▶ Culture n’a jamais connu pires adversaires que ceux qui entendent ◀l’▶organiser au service ◀de▶ ◀l’▶État ou ◀d’▶un parti. Et ceux qui demandent qu’on organise ◀d’▶en haut — si ◀l’▶État est en haut ! — ◀les▶ échanges culturels, ceux-là se font ◀les▶ complices ◀d’▶une barbarie nouvelle. Nous ne pouvons pas reconnaître à ◀l’▶État ◀le▶ droit ◀d’▶intervenir dans ce domaine, ni pour interdire, ni même pour faciliter tardivement ◀les▶ échanges ◀de▶ livres, ◀de▶ films, ◀d’▶œuvres d’art, ◀d’▶étudiants ou ◀de▶ professeurs. Nous réclamons ◀la▶ liberté, ◀la▶ libération totale et sans condition ◀de▶ ces échanges internationaux, vitaux pour ◀la▶ Culture et tels qu’ils ont existé jusqu’au xixe siècle, avant ◀d’▶être étranglés et désorganisés par nos frontières et par nos règlements ◀de▶ douanes. (Imaginez que dans certains pays, on taxe ◀les▶ livres au kilo, quel que soit leur contenu. Et ◀le▶ reste à l’avenant…)
Paracelse avait cette devise plus orgueilleuse qu’impérialiste : « Que rien ne soit ◀d’▶un autre qui puisse être ◀de▶ moi »8. ◀La▶ devise du Centre est inverse : « Que rien ne soit à moi qui puisse être à un autre ». Car ◀l’▶important, c’est que ◀les▶ choses se fassent. ◀L’▶idéal ◀d’▶un institut comme le nôtre doit être ◀de▶ disparaître une fois que tout est fait, et ◀de▶ s’évanouir dans son propre succès…
Notre programme n’est pas systématique, et il n’est pas non plus rigide. Il reste ouvert à ◀l’▶événement. J’oserais dire qu’à certains égards, il est moins décisif en soi que ◀l’▶existence même ◀de▶ ce Centre par où j’entends que ◀le▶ principal, c’est qu’il y ait en Europe un lieu de plus où des hommes en équipes consacrent leurs efforts, sans relâche, à ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, c’est-à-dire au service ◀d’▶une cause qui se confond aujourd’hui avec celle des hommes libres.