« Gagner le▶ monde ou sauver son âme »
Tout cela se ramène peut-être au grand dilemme évangélique :
— Gagner ◀le▶ monde (quitte à détruire ◀la▶ Nature) ou sauver son âme (et sauver ◀la▶ Nature du même coup).
Bien sûr, il est plus facile ◀de▶ mesurer ◀la▶ croissance ◀d’▶un PNB que ◀de▶ déterminer ◀les▶ conditions ◀d’▶une qualité ◀de▶ vie meilleure, ◀d’▶un meilleur équilibre vivant. Cependant, ◀l’▶évidence aveuglante des crises écologiques, du stress urbain, provoqués par ◀l’▶industrialisation, ainsi que ◀les▶ interactions si rapidement universelles ◀de▶ tous nos déséquilibres locaux ou sectoriels, nous forcent à choisir un cours nouveau. Nous sommes libres ◀de▶ notre choix, mais nous sommes contraints ◀de▶ choisir.
Or ce choix global désormais entre Puissance, Profit, Croissance indéfinie d’une part, et Liberté, Service, Équilibre d’autre part, qui est ◀le▶ choix politique par excellence, nous découvrons maintenant qu’il se confond avec ◀le▶ choix écologique.
◀L’▶Écologie est ◀l’▶axe ou ◀le▶ carrefour par lequel passent toutes ◀les▶ options fondamentales ◀de▶ ◀la▶ politique, au sens large ◀de▶ stratégie ◀de▶ ◀l’▶espèce humaine. Tous ◀les▶ grands dilemmes que je viens ◀d’▶énumérer comportent un enjeu écologique.
Mais si ce fut ◀l’▶erreur tragique ◀de▶ ◀l’▶ère industrielle que ◀de▶ prendre ◀le▶ PNB pour indicateur unique et suffisant du Progrès, ce serait une erreur utopique que ◀de▶ vouloir éliminer totalement ◀le▶ motif du profit : ce qui est requis ◀d’▶urgence, c’est ◀d’▶accorder ◀la▶ priorité aux facteurs ◀d’▶équilibre chaque fois qu’il y a conflit déclaré entre croissance matérielle et nuisances morales ou naturelles.
Ce qui m’amène à penser, avec Bertrand de Jouvenel, qu’il « faudrait que ◀l’▶économie politique devienne ◀l’▶écologie politique ».
Ce qui revient, à mon sens, à prendre ◀l’▶écologie — et non plus ◀l’▶économie — comme indicateur principal ◀d’▶une politique ◀de▶ Progrès réel, je veux dire : global.
Une des leçons capitales que nous enseigne ◀l’▶écologie, dans ◀le▶ domaine politique traditionnel, celui ◀de▶ ◀l’▶État et des institutions, c’est ce que je nommerai ◀la▶ loi ◀de▶ double développement vers ◀les▶ ensembles continentaux d’une part, et régionaux ◀de▶ l’autre. Chacun voit en effet que ◀les▶ problèmes écologiques posés par ◀les▶ mers, ou par des fleuves comme ◀le▶ Rhin et ◀le▶ Rhône, ne peuvent être traités qu’au niveau continental et appellent un Pouvoir européen, un Département fédéral ◀de▶ ◀l’▶Écologie étendant son autorité sur tous nos pays, indépendamment des frontières stato-nationales, que ◀la▶ pollution des eaux s’obstine à ignorer… Mais, d’autre part, rien de plus local et régional que ◀les▶ décisions ◀d’▶application à prendre pour assurer ◀les▶ équilibres entre nature et industrie humaine : songez à ◀la▶ défense du Léman, ou au problème des centrales thermonucléaires à construire au voisinage du Rhin. Mieux que tout autre indicateur économique ou que ◀l’▶analyse culturelle, ◀l’▶écologie illustre aux yeux de tous ◀le▶ fait que nos États-nations ne correspondent plus aux réalités ◀de▶ ◀la▶ société moderne, étant à la fois trop petits pour se charger des tâches ◀de▶ dimensions continentales ou mondiales, et trop grands pour résoudre selon ◀la▶ justice et ◀l’▶efficacité des tâches par nature locales et régionales. Et voilà pourquoi tout bon fédéraliste suisse et européen se doit ◀de▶ faire siennes ◀les▶ options écologiques, et tout bon écologiste ◀d’▶appuyer ◀les▶ efforts pour ◀l’▶union ◀de▶ nos peuples en deçà et au-delà ◀de▶ leurs États-nations.
Quant aux chances ◀de▶ réaliser ce beau programme ◀d’▶écologie fédéraliste européenne profilé sur un horizon mondial, je voudrais en dire deux mots avant de terminer.
Si ◀l’▶on se demande comment ◀les▶ mesures ◀d’▶équilibre écologique nécessaires pourraient être adoptées, en ◀l’▶absence ◀d’▶un pouvoir mondial ou même continental capable ◀d’▶imposer une politique, il reste à élaborer et à faire connaître des modèles ◀de▶ conduite, à ◀les▶ rendre désirables, et à entraîner ◀de▶ ◀la▶ sorte un consensus des forces et des groupes ◀les▶ plus actifs. C’est dire que ◀les▶ seules possibilités qui subsistent, me semble-t-il, sont celles ◀de▶ ◀l’▶information massive et ◀de▶ ◀l’▶éducation, c’est-à-dire des mass médias et ◀de▶ ◀l’▶École aux trois degrés.
Pour jouer son rôle ◀d’▶information sérieuse, ◀la▶ TV devrait échapper aux servitudes ◀de▶ ◀la▶ publicité, car ◀la▶ publicité vise des fins ◀d’▶expansion, non ◀d’▶équilibre.
Et pour jouer son rôle ◀d’▶initiation aux réalités du monde moderne, ◀l’▶École devrait instituer des cours théoriques et pratiques ◀d’▶économie autant que ◀d’▶écologie. Elle devrait battre en brèche ◀la▶ superstition bourgeoise du secret ◀de▶ ◀l’▶économie et ◀de▶ ◀la▶ finance : après tout, ◀les▶ trois quarts des votations auxquelles ◀l’▶ensemble des citoyens suisses se voient invités portent sur des objets économiques, qui auraient dû faire ◀l’▶objet ◀d’▶un enseignement sans parties réservées ni carré blanc.
◀Le▶ principe qu’il faudrait inculquer dès ◀l’▶enfance est que ◀l’▶économie n’a pas sa fin en soi, mais au service ◀de▶ ◀l’▶homme, et qu’elle servira ◀l’▶homme quand elle s’ordonnera non plus au seul profit individuel ni à ◀la▶ seule croissance du PNB, mais à un équilibre dynamique entre ◀la▶ personne, ◀la▶ cité et ◀l’▶environnement naturel — à ce BNB (Bonheur National Brut) dont parlait Tinbergen (mais je persiste à penser que ◀le▶ N y est ◀de▶ trop, et empêche tout).
À quoi j’ose ajouter que ◀l’▶économie me paraît une chose trop sérieuse pour qu’on en confie ◀la▶ conduite aux soins des seuls économistes, qu’ils soient d’ailleurs marxistes ou libéraux : elle doit être au service ◀de▶ finalités humaines que ◀les▶ économistes spécialisés n’ont pas plus qualité que d’autres pour définir. Elle doit faire en permanence ◀l’▶objet ◀d’▶un grand débat public, dominé par ◀les▶ seuls impératifs ◀de▶ ◀l’▶équilibre.
Je m’en suis tenu aujourd’hui, en ma qualité ◀de▶ généraliste, et sans prétendre aborder (encore moins résoudre) ◀les▶ problèmes spécifiques ◀d’▶exécution, au niveau où ◀la▶ politique préconisée peut et doit être mise en œuvre. J’ai voulu poser ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀d’▶une politique, donc ◀d’▶une démarche prospective impliquant ◀le▶ dépôt et ◀la▶ déclaration des fins globales ◀de▶ notre société. Je me suis gardé, je ◀l’▶espère, ◀d’▶un alarmisme exagéré, malgré ◀la▶ mode. Et j’imagine que mon propos pourrait être résumé par un seul signe : un ◀de▶ ces grands points ◀d’▶exclamation qui dans ◀la▶ signalisation routière avertissent ◀de▶ redoubler ◀d’▶attention à ◀l’▶approche ◀d’un passage dangereux.