Préface 1972
I
Situer au centre de▶ ◀l’▶homme ◀le▶ centre ◀de▶ ◀la▶ société
J’ai écrit la seconde partie ◀de▶ ce livre à ◀l’▶île de Ré, où je vivais ◀de▶ ◀la▶ manière que je décris dans mon Journal ◀d’▶un intellectuel en chômage , et j’y ai ajouté une première partie, à Francfort, sous ◀l’▶œil des nazis, comme ◀le▶ raconte mon Journal ◀d’▶Allemagne. J’avais 27 et 29 ans. Il est fréquent, et c’est presque une loi, que ◀les▶ intuitions ◀de▶ type structurel — mathématique, logique, mais aussi politique — se manifestent entre vingt et trente ans. Rien ◀d’▶étonnant si, relisant ◀l’▶ouvrage dix ans plus tard, à mon retour ◀d’▶Amérique je me suis étonné ◀d’▶y retrouver ◀le▶ principe ◀d’▶une Morale du But dont j’étais convaincu que je venais de ◀l’▶inventer, et si aujourd’hui, ayant publié une Lettre ouverte aux Européens et je ne sais combien ◀de▶ pages sur ◀les▶ communautés régionales, textes qui me paraissaient renouveler ◀de▶ fond en comble ma doctrine du fédéralisme, j’en retrouve ◀les▶ notions ◀de▶ base rapidement mais clairement formulées dans ce livre paru en 1936.
Voici qui peut illustrer ◀l’▶effet ◀de▶ reconnaissance qui m’a surpris lorsque j’ai relu mon essai en vue de cette réédition :
Lettre ouverte aux Européens, p. 203 :
◀La▶ révolution que j’appelle, qui fera seule ◀l’▶Europe, et qui ne peut être faite que par ◀l’▶Europe en train de se faire, consiste […] à déplacer ◀le▶ centre du système politique, non seulement ◀de▶ ◀la▶ nation vers ◀l’▶Europe, mais encore vers ◀l’▶humanité dans son ensemble et en même temps vers ◀la▶ personne.
Penser avec les mains, p. 250 :
Situer en ce centre ◀de▶ ◀l’▶homme ◀le▶ centre ◀de▶ ◀la▶ société préfigure dès maintenant ◀la▶ conquête et ◀l’▶effort ultime auxquels pourra jamais prétendre une révolution humaine.
II
Problème de l’État-nation, peu changé
Cette continuité pourrait suggérer que je n’ai rien appris ni inventé depuis ◀l’▶époque où j’écrivais ce livre — ou au contraire que ◀la▶ situation ◀de▶ ◀l’▶Europe n’a pas radicalement changé dans ◀le▶ même temps, et motive donc des prises ◀de▶ position presque identiques.
◀De▶ fait, ◀les▶ données politiques et culturelles des années 1930 et celles des années 1970 ◀de▶ ce siècle nous frappent d’abord par leurs contrastes.
En ce temps-là, ◀le▶ principe du désordre à l’intérieur de nos démocraties capitalistes était ◀d’▶autant plus mal perçu et dénoncé que ◀le▶ danger totalitaire était plus évident à ◀l’▶extérieur.
À ◀l’▶Ouest, seuls ◀les▶ groupes personnalistes qui s’exprimaient dans des revues telles qu’ Esprit , L’Ordre nouveau , Die Gegner ou New Europe tentaient ◀de▶ prendre une vue globale ◀de▶ ◀l’▶Occident en crise ◀de▶ civilisation. ◀Les▶ autres « jeunes » se bornaient à condamner en termes rituels soit ◀les▶ contradictions des démocraties capitalistes, soit ◀les▶ systèmes totalitaires ◀de▶ toute couleur (◀le▶ rouge, ◀le▶ noir et ◀le▶ brun, par ordre ◀d’▶entrée en scène). ◀La▶ gauche approuvait une dictature ◀de▶ fait qui se prétendait « prolétarienne », ◀la▶ droite un socialisme ◀d’▶État qui se proclamait « national » : ◀l’▶adjectif seul comptait, et cela n’a guère changé.
◀D’▶où ◀les▶ polémiques perpétuelles qui opposaient nos mouvements doctrinaux au bataillon discipliné des intellectuels du PC. Nous accusions ces inconditionnels ◀de▶ ◀l’▶URSS ◀de▶ s’aveugler sur ◀la▶ nature du vrai danger fasciste et national-socialiste : ◀le▶ fanatisme ◀de▶ ◀l’▶État-nation. S’ils omettaient ◀de▶ dénoncer ◀l’▶État-nation sous sa forme imparfaite dans nos démocraties, s’ils refusaient ◀d’▶y voir sous sa forme achevée ◀l’▶aspect ◀le▶ plus nocif et politiquement criminel des totalitarismes brun et noir, c’était pour n’avoir pas à reconnaître que Staline était en bon train ◀de▶ ◀le▶ substituer à ◀l’▶élan révolutionnaire des Internationales.
Nous ne cessions, pour notre part, ◀de▶ répéter que cette religion ◀de▶ ◀l’▶État-nation exigeait ◀la▶ guerre, mais que ◀la▶ guerre ne pourrait que ◀la▶ perpétuer et « justifier » ses exigences accrues. ◀L’▶État-nation centralisé par ◀l’▶administration et ◀les▶ transports en vue de ◀la▶ mobilisation ◀la▶ plus efficace et rapide, alignant ◀les▶ esprits par ◀l’▶instruction publique, alignant ◀les▶ corps par ◀la▶ conscription universelle, alignant ◀les▶ curiosités même par ◀la▶ presse à grand tirage, tributaire des agences ◀d’▶État, c’était « ce plus froid ◀de▶ tous ◀les▶ monstres froids »1, ce robot manipulant impunément ◀les▶ passions nationales portées au rouge, qui allait jeter notre génération dans une guerre qui ne serait pas ◀la▶ nôtre mais la sienne. Or nous serions forcés ◀de▶ ◀la▶ faire, ne fût-ce que pour tenter ◀de▶ sauver, contre ◀le▶ mensonge systématique des fascismes, ◀les▶ vérités partielles préservées en espoir par ◀l’▶imperfection même ◀de▶ nos régimes et, comble ◀d’▶ironie, par ◀les▶ incohérences que nous ne cessions ◀d’▶y dénoncer…
Nous savions que nous n’aurions pas ◀le▶ temps ◀de▶ nous faire entendre utilement avant ◀la▶ catastrophe. Nous parlions par colère et pour mieux nous comprendre, mais aussi pour montrer des pistes vers un avenir « possible » encore que peu probable. (Beaucoup de résistants devaient s’en souvenir.)
Aujourd’hui, ◀l’▶hitlérisme a été écrasé, ◀le▶ fascisme s’est écroulé, ◀le▶ stalinisme est moribond : nul danger ◀de▶ guerre ne menace à bout portant ◀la▶ jeune génération contestataire. À tel point qu’en mai 1968, elle a dû susciter son Ennemi, ◀le▶ provoquer par ◀l’▶érection ◀de▶ barricades — ces signes flamboyants du discours ◀de▶ révolte. Encore a-t-il fallu que ◀la▶ police accepte ◀de▶ jouer ce jeu ◀d’▶un autre siècle.
Mais ◀les▶ problèmes fondamentaux ◀de▶ ◀l’▶Occident sont-ils mieux vus qu’en 1936 ? Ont-ils été je ne dis pas résolus, du moins ici ou là évacués par ◀les▶ faits, ou au contraire posés en termes plus concrets ? ◀L’▶opinion publique, et d’abord ◀l’▶avant-garde intellectuelle, est-elle devenue plus sensible à ◀l’▶importance décisive non plus des classes ni ◀de▶ ◀la▶ propriété des industries mais bien des cadres ◀de▶ ◀la▶ vie civique : États-nations centralisés, vivant ◀de▶ ◀la▶ guerre et ◀de▶ ◀la▶ répression, ou foyers ◀de▶ rayonnement régionaux, animant ◀la▶ paix ?
Je ne vois rien ◀de▶ bien neuf, ni à gauche ni à droite, ni maux ni remèdes inédits. Point ◀de▶ renouvellement ◀de▶ ces communes mesures dont j’ai décrit ◀la▶ fonction décisive. Mao, ◀le▶ seul peut-être, innove, au-delà ◀de▶ Marx et ◀de▶ ses dogmes, par ◀l’▶idée tout à fait hérétique ◀de▶ « révolution culturelle » (titre ◀d’▶un ◀de▶ mes chapitres, en 1935) et plus encore par ◀la▶ notion ◀de▶ « commune » — qui rappelle Fourier et Proudhon mais pas du tout ◀le▶ marxisme-léninisme, et qui était partout présente dans ◀les▶ écrits personnalistes.
Aujourd’hui, ◀la▶ commune mesure est visiblement cassée, aux États-Unis comme en URSS : ◀la▶ faille s’approfondit et s’élargit inexorablement entre intelligentsia et hiérarchies ◀d’▶État, l’une et l’autre d’ailleurs coupées des masses. (Rares contacts par ◀la▶ TV.)
Chez nous ? Je ne vois que ◀l’▶entreprise du fédéralisme européen à base de régions (et non ◀d’▶États-nations) qui propose ◀le▶ modèle ◀d’▶une société nouvelle : elle aurait pour finalité non ◀la▶ croissance du PNB mais ◀l’▶équilibre dynamique entre ces trois déséquilibres perpétuels que sont ◀l’▶Homme, ◀la▶ cité et ◀la▶ Nature ; ou encore ◀la▶ liberté des personnes et des groupes, non ◀la▶ puissance des États-nations.
Hors de cela, « ◀la▶ Révolution » n’est que verbiage ◀de▶ sectaires, ◀de▶ piétistes ◀de▶ ◀la▶ gauche, ou ◀de▶ paras plus ou moins paranoïaques.
III
La Révolution : une conversion des finalités
On butera — et moi le premier — sur ce mot ◀de▶ révolution, qui revient partout dans mon ouvrage.
Je ne vois pas une seule révolution, dans ◀le▶ monde moderne, qui ait abouti à autre chose qu’à renforcer ◀l’▶État central, ◀le▶ chauvinisme et ◀la▶ police dans ◀le▶ pays où elle a triomphé. Je ne vois pas une seule révolution — quelle que fût ◀la▶ valeur ◀de▶ ◀l’▶ordre qu’elle appelait — qui ait réussi à instaurer cet ordre, ou n’ait instauré d’abord sa négation : ◀les▶ droits de l’homme et du citoyen n’ont pas été mieux bafoués que par Napoléon, qui imposa par ses Codes ◀les▶ seuls droits ◀de▶ ◀l’▶État. ◀Les▶ mouvements libertaires et « nationalitaires » ◀de▶ 1848 n’ont abouti qu’à renforcer ◀les▶ pouvoirs étatiques ◀de▶ gouvernements plus nationalistes ◀les▶ uns ◀les▶ autres. ◀Les▶ soviets ou conseils ◀d’▶usine et ◀de▶ village, première formule ◀de▶ participation, n’ont été nulle part plus radicalement oblitérés que dans ◀l’▶URSS de Staline. ◀Les▶ droits du peuple allemand à un espace vital n’ont jamais été plus durement niés que par ◀les▶ suites concrètes ◀de▶ ◀la▶ révolution nationale-socialiste ; etc.
Tantôt, c’est ◀la▶ défaite ◀de▶ ◀la▶ révolution (1848, Hitler, Mussolini) qui déclenche des désastres pires que ◀les▶ abus contre lesquels elle se dressait. Tantôt c’est ◀le▶ triomphe même ◀de▶ ◀la▶ révolution (1793, 1917) qui installe au pouvoir ◀le▶ négateur ◀de▶ ses principes.
Pourtant, je crois à ◀la▶ révolution, telle que ◀la▶ définit Penser avec les mains : une grande mutation spirituelle ou conversion des finalités ; ◀l’▶accession à un ordre nouveau par ◀l’▶instauration effective ◀d’▶une hiérarchie nouvelle des fins ◀de▶ ◀la▶ vie civique, accordées aux fins de ◀la▶ personne.
Mais alors, renonçons aux « jugements ◀de▶ ◀l’▶Histoire », qui ne sont que ◀les▶ verdicts contradictoires ◀d’▶historiographies partisanes, car jamais ne s’est réalisé cet accord des moyens aux fins, depuis ◀l’▶instauration du christianisme, premier modèle ◀de▶ ◀l’▶irruption ◀d’▶un ordre neuf dans ◀le▶ déroulement historique, — « nouveaux cieux, nouvelle Terre », « homme nouveau », « voici, toutes choses sont devenues nouvelles », et cela s’est produit « une fois pour toutes », « sous Ponce Pilate » précise ◀le▶ Credo — mais qui oserait dire que cette révolution ait bien réussi parce que, plus qu’aucune autre force concurrente, c’est elle qui a fomenté ◀le▶ monde occidental ?
Il n’y a pas ◀de▶ mystère dans cette contradiction. Dès lors que ◀le▶ christianisme est « établi », ou qu’une révolution est « victorieuse », ◀les▶ moyens tendent irrésistiblement à devenir ◀les▶ vraies fins que ◀l’▶on sert ; ◀l’▶institution oppose à ◀la▶ force instituante ses dogmes fixes et son Inquisition.
◀L’▶exemple ◀de▶ ◀l’▶Église est paradigmatique, mais chaque époque, chaque société, ◀le▶ spécifie.
Aujourd’hui, toute révolution liée à un État-nation doit périr par ◀les▶ soins du Pouvoir qu’elle instaure. Ses chefs sont condamnés à ◀la▶ trahir, en toute loyauté ◀d’▶intentions, par ◀les▶ structures mêmes qu’ils décrètent au nom du sacré national, lequel est né ◀de▶ ◀la▶ guerre et prépare à ◀la▶ guerre, bornant ◀le▶ peuple, son économie, sa culture et ses aspirations par des frontières prétendues naturelles mais qui ne sont que ◀les▶ absurdes résidus ◀de▶ guerres anciennes, maintenus à cause du souvenir ◀de▶ ces guerres et en vue de leur retour qu’on prétend redouter…
IV
Au-delà des États-nations
En cette fin du xxe siècle, il n’y a ◀de▶ révolution concevable et possible qu’au-delà des États-nations, malgré eux et contre eux s’il ◀le▶ faut.
Ils empêchent tout et ne créent rien : leur souveraineté est purement négative, elle n’a plus ◀d’▶autre preuve que ◀le▶ veto. Ils sont structurellement fauteurs ◀de▶ guerre. Trop petits pour participer à ◀la▶ politique planétaire, trop grands pour procurer ◀les▶ cadres ◀d’▶une participation civique, tout ◀les▶ condamne à une rapide obsolescence, tandis que se constituent dans toute ◀l’▶Europe des structures neuves ou rénovées : communes, régions à géométrie variable, fédération continentale ouverte au monde.
V
Un traité ◀de▶ ◀la▶ pensée engagée
Ceux qui ne croient pas, avec certaines factions ◀de▶ ◀la▶ jeune université et ◀le▶ théâtre off-off-Broadway, que ◀la▶ révolution est une sorte ◀de▶ happening qui peut se faire « dans ◀la▶ rue » et « sur-le-champ »2, ceux-là seuls seront en mesure ◀de▶ comprendre ce que nous appelions, dans ◀les▶ années 1930, ◀l’▶engagement.
Dès 1935 apparaît dans ◀la▶ revue Esprit une chronique mensuelle intitulée par ◀les▶ soins ◀de▶ Mounier « ◀La▶ pensée engagée ».
Un an plus tôt j’avais publié Politique ◀de▶ ◀la▶ personne , dont le premier chapitre est intitulé « ◀L’▶engagement politique », et le deuxième « Ridicule et impuissance du clerc qui s’engage ». ◀Le▶ recueil tout entier, d’ailleurs, appelait à ◀l’▶engagement, terme nouveau, mais dont ◀la▶ fortune fut rapide. À ◀la▶ veille ◀de▶ ◀la▶ guerre déjà, j’éprouvais ◀le▶ besoin ◀de▶ dénoncer ◀l’▶abus qui en était fait, et donnais à L’Ordre nouveau (numéro du 15 juin 1938) un article intitulé « Trop ◀d’▶irresponsables s’engagent ! ». En voici quelques citations :
Ils ont signé pour ◀le▶ négus et contre lui ; pour ◀le▶ chef bien-aimé, Père des peuples, et pour ses innocentes victimes, vipères lubriques ; pour Franco et contre Franco ; contre Dollfuss et pour Schuschnigg ; pour Thaelmann, contre ◀le▶ Japon, à propos du tsar, à M. Bénès ; des deux mains, des quatre pattes, ◀les▶ yeux fermés, ◀d’▶une ◀croix▶, ◀d’▶une faucille et ◀d’▶un marteau, ou avec plus ou moins ◀de▶ réticences ; ◀d’▶un nom connu, ◀d’▶un nom à faire connaître… Bref, il n’est pas un acte commis dans ◀le▶ monde, depuis quatre ans qui n’ait été vertement dénoncé par des « intellectuels » français.
[…] Pour qu’une pensée s’engage dans ◀le▶ réel, il ne faut pas ni ne saurait suffire qu’elle se soumette à des réalités dont elle ignore ou répudie ◀la▶ loi interne : ◀la▶ tactique ◀d’▶un parti, par exemple. Ce n’est pas dans ◀l’▶utilisation accidentelle et partisane ◀d’▶une pensée que réside son engagement. C’est au contraire, dans sa démarche intime, dans son élan premier, dans sa prise sur ◀le▶ réel et dans sa volonté ◀de▶ ◀le▶ transformer. S’engager, ce n’est pas se mettre en location. Ce n’est pas « prêter » son nom ou son autorité. Ce n’est pas signer ici plutôt que là. Ce n’est pas passer ◀de▶ ◀l’▶esclavage ◀d’▶une mode à celui ◀d’▶une tactique politique. Ce n’est pas du tout devenir esclave ◀d’▶une doctrine, mais au contraire, c’est se libérer et assumer ◀les▶ risques ◀de▶ sa liberté.
[…] Je ◀l’▶ai dit ailleurs : un gant qui se retourne ne devient pas pour si peu une main vivante et agissante. Un libéral qui se soumet aux directives ◀d’▶un parti ne devient pas pour si peu un penseur engagé. Et il ne faudrait pas que ces trahisons insignes ridiculisent toute espèce ◀d’▶engagement.
[…] Voyez donc comme nos libéraux se mettent ◀d’▶eux-mêmes en rangs dès qu’une menace se précise contre ◀les▶ libertés françaises ! ◀Le▶ réflexe du libéral devant ◀le▶ péril, c’est ◀de▶ faire un fascisme. […] ◀La▶ panique ◀de▶ ◀l’▶« union sacrée » qui vient de souffler sur notre élite en est ◀l’▶ahurissant exemple. Du moins a-t-elle eu cela ◀de▶ bon : ◀les▶ écrivains qui ont décidé tout récemment ◀de▶ renoncer à ◀l’▶usage ◀de▶ leur pensée devant ◀la▶ menace hitlérienne, ont exprimé en toute clarté qu’ils étaient ◀de▶ vrais libéraux, irresponsables-nés, égarés pour un temps dans ◀les▶ voies ◀de▶ ◀l’▶« engagement » politique, et faisant amende honorable. Ils étaient en rupture ◀de▶ bercail.
Voici venir ◀le▶ temps des vrais dangers, c’est-à-dire des vraies luttes et des vrais engagements.
◀La▶ vogue du terme au lendemain ◀de▶ ◀la▶ guerre et son attribution quelque peu surprenante à une école philosophique dont c’est en vain que ◀l’▶on chercherait ◀la▶ trace dans ◀l’▶histoire des mouvements et des doctrines politiques ◀de▶ ce temps, motiva ◀la▶ reprise ◀de▶ mon article par ◀le▶ journal Combat : après huit ans, il n’y avait rien à y changer.
J’expliquais que s’engager n’est pas s’embrigader, n’est pas aliéner sa responsabilité personnelle entre ◀les▶ mains ◀d’▶un Parti infaillible, et n’est pas forcément s’inscrire « à gauche »3, mais consiste tout simplement à assumer ◀les▶ conséquences ◀de▶ ses actes et ◀le▶ sens politique ◀de▶ ses écrits, tous risques personnels compris — car il n’est pas ◀de▶ pensée innocente, ◀de▶ création sans sacrifice, ◀d’▶incarnation sans doutes parfois torturants.
Pour ◀le▶ lecteur ◀d’▶aujourd’hui, j’ajouterai simplement que Penser avec les mains est un traité ◀de▶ ◀la▶ pensée engagée, et même le premier ◀de▶ sa sorte.
VI
Pour une écologie politique
S’engager, c’est choisir en connaissance ◀de▶ fins, et comme ◀les▶ fins dernières n’agissent sur nous qu’en vertu d’une anticipation créatrice des choses espérées, ◀de▶ celles qu’on ne voit point, c’est toujours un acte ◀de▶ foi.
◀Le▶ choix politique désormais consiste à ordonner, dans tous ◀les▶ cas ◀de▶ conflit, ◀la▶ Puissance ◀de▶ ◀l’▶État à ◀la▶ Liberté des personnes, et ◀la▶ Croissance matérielle à une Sagesse équilibrante. Or nous découvrons depuis peu que ce choix politique se confond avec ◀le▶ choix écologique.
◀L’▶écologie est ◀le▶ carrefour obligé par lequel passent toutes ◀les▶ options ◀de▶ ◀la▶ politique au sens ◀de▶ stratégie ◀de▶ ◀l’▶humanité.
« Il faudrait que ◀l’▶économie politique devienne ◀l’▶écologie politique4. » Ce qui revient à choisir ◀l’▶équilibre écologique non seulement comme indicateur principal ◀d’▶une politique ◀de▶ progrès réel, donc global, mais comme test ◀de▶ tout engagement.