I
Le problème de▶ ◀la▶ culture
Qu’est-ce qu’un problème ?
Je me propose ◀d’▶envisager dans cet ouvrage ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ culture.
Lorsque ◀l’▶on entreprend ◀de▶ lire un livre qui traite ◀d’▶un « problème » précis, il est prudent ◀de▶ se demander d’abord si vraiment ce problème se pose — ou si ◀l’▶auteur tout simplement s’est amusé à ◀le▶ poser. Il ne serait pas mauvais non plus ◀de▶ savoir si ◀l’▶on cherche, en lisant, un passe-temps, un vertige ou une réponse. Mais ◀l’▶invention ◀de▶ ◀l’▶imprimerie a multiplié ◀les▶ problèmes dans une telle proportion qu’il n’est pas raisonnable ◀d’▶espérer qu’un lecteur ◀d’▶aujourd’hui soit bien au clair sur ses besoins quand il entre chez son libraire pour acheter « ◀le▶ livre dont on parle ». Et voilà, par exemple, une situation qui nous pose un problème réel ! Mais après tout, qu’est-ce qu’un problème ?
Allons tout de suite à un exemple extrême.
Pour ◀le▶ croyant, Dieu n’est pas un problème, ni ◀la▶ solution ◀d’▶un problème, mais il est ◀la▶ présence réelle qu’on connaît avec assurance dès ◀l’▶instant qu’on lui obéit. C’est lorsque ◀la▶ foi disparaît que ◀le▶ problème ◀de▶ Dieu se pose — éternellement insoluble. Ou bien Dieu est présent, et c’est un ordre souverain ; ou bien il se retire, et devient un problème.
Problème signifie donc absence, recherche anxieuse ◀d’▶une réalité qui se dérobe et qui ne commande plus rien à ◀l’▶homme.
Multitude des problèmes
◀Les▶ choses humaines ne comportent pas cette alternative absolue. Ni totalement souveraines, ni totalement problématiques, même au faîte ◀de▶ leur pouvoir, même au comble ◀de▶ leur présence, quand elles font leur plein dans nos vies, elles laissent toujours une petite place à notre doute, à nos questions, à notre sentiment privé. Il ne faut donc pas s’étonner ◀de▶ ◀la▶ multitude des problèmes que nous sommes en état ◀de▶ poser, sinon ◀de▶ résoudre du tout. (Mais ◀la▶ vie ne s’arrête pas pour si peu.) ◀La▶ nature des choses humaines permet qu’au sein de ◀l’▶ordre ◀le▶ plus ferme, notre esprit trouve lieu ◀de▶ s’ébattre autour des forces et des faits qui ◀l’▶animent, et qui ◀le▶ soutiennent. Nous avons tout loisir ◀de▶ jouer ◀le▶ jeu des grandes questions métaphysiques sans ébranler ◀l’▶autorité spirituelle ou politique qui nous commande — tant qu’elle nous commande vraiment.
Mais autre chose est ◀de▶ poser des questions au sein d’un ordre solidement bâti, autre chose est ◀de▶ découvrir que soudain des problèmes se posent, qui débordent ◀l’▶ordre établi et qui minent ses fondements. À plusieurs moments ◀de▶ ◀l’▶histoire, ◀les▶ hommes ont éprouvé ce phénomène : soudain ce n’est plus eux qui posent des questions en vertu de ◀la▶ pétulance naturelle ◀de▶ leur pensée, mais voilà qu’au contraire certaines questions s’imposent à eux, avec une très grande violence, et dans des termes tout nouveaux. (Ce qui fait dire à certains écrivains, prisonniers des catégories anciennes, que ◀le▶ monde devient « impensable ».)
Ce renversement ◀d’▶équilibre n’est pas facile à définir, ni surtout à localiser. Il me semble qu’il est d’abord éprouvé par ◀le▶ sentiment, comme une espèce ◀de▶ tragique dont on distingue mal ◀les▶ causes, ◀la▶ naissance et ◀l’▶ampleur véritable. Ainsi ◀la▶ nuit surprend ◀les▶ hommes, ainsi ◀les▶ crises et ◀les▶ paniques s’installent. Métamorphose imperceptible au plus grand nombre, qui n’en perçoit que ◀les▶ effets, quand c’est trop tard. Il ne s’agit que ◀d’▶un plus ou ◀d’▶un moins, ◀d’▶un glissement ◀de▶ ◀la▶ confiance à ◀la▶ méfiance, mais bien des choses et bien des actes en dépendent.
Moment ◀de▶ ◀la▶ révolution
On abuse pas mal ◀de▶ ce mot, trop souvent et trop aisément défini comme une utopie. Je ne veux en garder ici que ◀le▶ sens ◀le▶ plus général, celui ◀de▶ changement ◀d’▶autorité. Et pour marquer ◀le▶ point ◀de▶ ◀la▶ durée où sa réalité entre en vigueur, je me borne à constater ceci : ◀la▶ révolution est ouverte quand se pose soudain ◀la▶ question du uhlan ◀de▶ ◀la▶ guerre ◀de▶ Bohême : il s’arrête au milieu de ◀la▶ campagne et demande : « ◀De▶ quoi s’agit-il ? » Or, c’était justement ◀la▶ question qu’on avait décidé ◀de▶ ne pas poser, en vertu de cette confiance sans laquelle on ne peut gouverner. Voilà ◀le▶ signe indubitable ◀d’▶une décadence des lieux communs qui jusqu’alors avaient régi ◀l’▶action.
Quand ◀la▶ masse des problèmes qui se posent se révèle soudain plus pesante que ◀les▶ forces qui sont encore vives dans ◀l’▶ordre social par exemple, ◀les▶ chances et ◀la▶ nécessité ◀d’▶une révolution se font jour. Et c’est pourquoi ◀le▶ simple fait qu’un problème se pose, et qu’on ◀l’▶avoue, est souvent beaucoup plus important que ◀les▶ solutions qu’on lui propose. Ainsi ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ culture. Quelqu’un demande : à quoi sert-elle ? et déjà ◀la▶ crise est ouverte.
Insuffisance ◀de▶ nos refus
Si ◀la▶ culture nous pose un problème, c’est donc, et tout d’abord, qu’elle est en décadence.
Or, on n’arrête pas une décadence en essayant ◀de▶ résoudre ◀les▶ faux problèmes ou ◀les▶ problèmes sans issue qu’elle a fait naître. C’est ce que ◀la▶ sagesse populaire traduit à sa manière en affirmant qu’on n’améliore pas ◀la▶ peste. On n’arrête pas non plus une décadence, en décrivant minutieusement tous ses méfaits avec une amertume voilée ◀de▶ complaisance.
Au point où nous voici, ◀la▶ seule chose possible, c’est ◀de▶ repartir avec une grande passion sévère dans une direction toute nouvelle. Repartir, ce n’est pas réformer, ni redresser, ni accélérer ◀le▶ cours des choses ; c’est changer ◀de▶ but, et mettre en œuvre au service ◀d’▶un but nouveau une force intacte, endormie jusqu’ici. Ce n’est pas renouveler ◀de▶ vieux combats qui traînent, mais déclarer une guerre nouvelle au nom d’une ambition plus vaste. C’est donner dès maintenant au futur une prépondérance active sur ◀le▶ passé. Toute renaissance paraît prendre son élan dans ◀la▶ constatation ◀d’▶un mal actuel, mais ce mal n’a pu être révélé que par ◀la▶ connaissance ◀d’▶un bien nouveau, ◀d’▶un bien qui, lui, ne pose pas ◀de▶ problèmes, mais qui donne des ordres, et ◀la▶ force, et ◀la▶ joie ◀de▶ ◀les▶ accomplir. ◀Les▶ critiques perspicaces et pessimistes ◀de▶ notre état social et culturel en plein déclin n’aboutissent, on ◀l’▶a remarqué, qu’à précipiter ◀le▶ cours du mal. Ils semblent n’avoir ◀d’▶autre rôle que ◀d’▶attiser notre mauvaise conscience. Ce sont ◀les▶ hommes ◀les▶ plus intelligents du siècle, mais aussi ◀les▶ moins créateurs au sens absolu ◀de▶ ce mot : un Spengler, un Huxley, un Joyce, un Proust, un Gide et ◀d’▶une manière générale, tous nos romanciers à ◀la▶ mode, bourgeois confus ◀de▶ ◀l’▶être encore, habiles dans ◀l’▶analyse du désordre, fascinés par ◀les▶ subversions prochaines, mais incapables ◀de▶ concevoir ou ◀de▶ créer ◀les▶ germes ◀d’▶un ordre nouveau. Certains d’entre eux se posent en révolutionnaires : c’est par un abus ◀de▶ langage. Préparer ◀la▶ révolution, ce n’est pas simplement « refuser » ce qui subsiste encore tant bien que mal du vieil ordre. C’est avant tout fonder un pouvoir neuf. Bien entendu, cela suppose une critique radicale du pouvoir décadent. Mais cette critique n’a pas ◀de▶ sens en soi, elle n’a ◀de▶ sens et ◀de▶ réalité qu’en tant que lutte du pouvoir neuf contre celui qui se survit. ◀La▶ critique révolutionnaire est liée ◀d’▶une façon immédiate à ◀l’▶affirmation créatrice : elle n’est en somme que ◀l’▶aspect accidentellement négateur ◀de▶ cette affirmation centrale. Mais ◀la▶ critique des auteurs que j’ai dit ne veut être qu’une pure critique ; elle veut être valable en soi, elle prétend ne rien préjuger ◀de▶ cet avenir qu’il faut pourtant former — ou alors qui s’en chargera ? À ◀l’▶élite bourgeoise avancée qui se complaît dans ◀le▶ tableau ◀d’▶une décadence dont elle vit encore, adressons ce rappel élémentaire : il est dangereux ◀de▶ confondre goût du désordre avec révolution ; goût du suicide avec libération ; pénitence avec obéissance à une nouvelle vocation créatrice.
Parti pris ◀de▶ ce livre
Cette mise au point me paraît nécessaire pour situer ◀la▶ critique qui va suivre et qui procède ◀d’▶un parti pris ◀de▶ création dont j’espère bien que ◀le▶ lecteur éprouvera çà et là ◀la▶ poussée, ◀le▶ coup ◀de▶ pouce simplificateur. Méfions-nous des critiques « impartiales », des « je vous parle en toute sincérité » : ◀l’▶homme n’est pas un point de vue abstrait, mais un animal créateur ; et ce n’est pas ce qu’il pense ◀de▶ sa sincérité qui m’intéresse, mais ce qu’il veut, et pourquoi il ◀le▶ veut.
Ce que je veux faire, en écrivant ce livre, c’est chercher ◀les▶ moyens ◀d’▶action dont ◀l’▶esprit ◀de▶ ◀l’▶homme dispose ; c’est montrer que ◀l’▶esprit n’est réel et ne mérite que ◀l’▶on s’inquiète à son sujet que lorsqu’il s’abaisse au niveau des hommes concrets, des ouvriers au sens premier du mot : ceux qui ont prise sur ◀les▶ choses et qui « étreignent ◀la▶ réalité rugueuse », comme dit Rimbaud ; ceux qui œuvrent ; et ceux qui ouvrent. ◀L’▶esprit n’est vrai que lorsqu’il manifeste sa présence, et dans ◀le▶ mot manifester il y a main. ◀L’▶esprit n’est vrai que dans son acte, que nos clercs qualifient ◀d’▶abaissement. C’est en effet un abaissement pour ◀l’▶esprit pur que ◀de▶ descendre à ◀la▶ portée des hommes, mais c’est là qu’il cesse ◀d’▶être un mensonge. ◀L’▶amour est ◀le▶ comble ◀de▶ ◀l’▶esprit, et ◀l’▶amour du prochain est un acte, c’est-à-dire une main tendue, non pas un sentiment drapé, non pas un idéal qui passe sur ◀le▶ chemin ◀de▶ Jéricho, devant ◀l’▶homme dépouillé par ◀les▶ brigands.
Décadence ou abaissement ?
Mais je m’avise ◀d’▶une espèce ◀d’▶équivoque, sait-on jamais, qui pourrait s’insinuer dans ◀l’▶esprit du lecteur. C’est une occupation pénible à laquelle sont soumis ceux qui écrivent au xxe siècle que ◀de▶ faire ◀la▶ chasse aux gros malentendus qui parcourent en tous sens ◀la▶ jungle du vocabulaire. J’ai dit que ◀la▶ culture est en pleine décadence. Et maintenant je demande qu’elle s’abaisse ! Guérir une décadence par un abaissement, voilà qui peut paraître une opération délicate. Je voudrais prudemment insister.
◀La▶ décadence ◀de▶ notre culture provient à mon avis ◀d’▶un ensemble ◀de▶ causes économiques, politiques et morales, dont ◀les▶ « intellectuels » m’apparaissent responsables pour une part qui n’est pas ◀la▶ moindre : j’essaierai ◀de▶ ◀la▶ mesurer. ◀La▶ faute que je leur impute, n’est pas ◀d’▶avoir mal conduit ◀l’▶opinion, mais ◀d’▶avoir refusé ◀de▶ ◀la▶ conduire, et cela sous ◀l’▶éternel prétexte invoqué par toutes nos lâchetés : ◀le▶ prétexte ◀de▶ ◀l’▶impuissance. « Une aussi sotte race que ◀l’▶espèce humaine » (Renan) ne mérite pas ◀le▶ sacrifice ◀de▶ ◀l’▶esprit pur. Sacrifice inutile au reste : ◀la▶ science ne nous apprend-elle pas que ◀les▶ lois ◀de▶ ◀l’▶histoire sont des lois, et que ◀l’▶esprit ne peut rien y changer ? Que ◀l’▶esprit plane donc, sublime et décanté. Apportez-moi ◀de▶ quoi écrire et ◀de▶ quoi me laver ◀les▶ mains. Voilà nos clercs.
C’est pour avoir refusé ◀de▶ s’abaisser à hauteur ◀d’▶homme, au niveau du réel, que notre culture se défait. Faute ◀de▶ s’être montrée « à ◀la▶ hauteur » ◀d’▶une tâche humaine, elle a voulu se hisser au sublime, où ◀le▶ siècle, bien trop heureux ◀d’▶être débarrassé ◀de▶ son contrôle, ◀la▶ laisse poliment dépérir. Au mythe ◀d’▶Icare, je ne vais pas opposer ◀le▶ mythe ◀d’▶Antée, remède matérialiste. Mais à l’une et à l’autre erreur, au fait du prince et au fait ◀de▶ ◀l’▶esclave, j’opposerai ◀le▶ fait ◀de▶ ◀l’▶homme. Voilà ◀le▶ sens et ◀la▶ limite ◀de▶ ◀l’▶abaissement que je demande.
◀D’▶un symptôme ◀de▶ décadence
Pour mesurer ◀la▶ décadence ◀de▶ ◀la▶ culture, considérons d’abord ◀le▶ train banal des choses. Tâchons ◀de▶ prendre sur ◀le▶ fait ◀le▶ clerc qui ne se croit pas observé, ◀le▶ laïque adonné à ses superstitions laïques ◀les▶ plus grossières. Tout ceci dans un seul exemple.
◀L’▶homme politique, ◀l’▶industriel, ◀le▶ meneur et ◀le▶ journaliste n’ont pas coutume ◀d’▶admettre ◀la▶ légère ironie qu’on pourrait opposer à leurs affaires sous prétexte que ◀le▶ vrai tragique est ◀de▶ ◀l’▶ordre du spirituel. Qu’un intellectuel refuse absolument ◀de▶ s’intéresser à quelque loi fiscale ou militaire dont ◀le▶ projet surexcite ◀l’▶opinion ; qu’il dise au financier : « Entre nous, cher monsieur, tout cela n’a guère ◀d’▶importance, c’est une simple question ◀d’▶argent ! » — ou qu’il écrive ◀de▶ ◀la▶ loi ◀de▶ deux ans : « vaine querelle ◀de▶ défense nationale » — ◀l’▶opinion unanime ◀l’▶accusera ◀de▶ démence, ou au contraire ◀d’▶intelligence avec ◀l’▶ennemi. Et je ne dis pas que cela ne soit dans ◀l’▶ordre. Mais je remarque d’autre part que ◀les▶ clercs admettent fort bien qu’un politique ou qu’un brasseur ◀d’▶actions traite ◀les▶ problèmes spirituels ◀les▶ plus graves ◀de▶ « simples questions ◀de▶ mots », et ◀les▶ écarte avec ◀la▶ fumée ◀de▶ son cigare. Et c’est cela qui n’est pas dans ◀l’▶ordre.
Cette tolérance serait-elle ◀d’▶aventure une sorte ◀d’▶ironie philosophique ? « Parle toujours, tu as ◀la▶ force pour toi, mais moi je sais ◀le▶ sens des mots et leur valeur ! » — Non, non, nulle ironie dans ◀la▶ politesse ◀de▶ ces clercs. Preuve en soit ◀la▶ manière dont ils usent entre eux, sans éveiller ◀la▶ méfiance ◀de▶ leurs pairs, ◀de▶ ◀l’▶argument « simple question ◀de▶ mots ». Comment ne voient-ils pas que si ◀la▶ convention qui fixe ◀la▶ valeur des mots se voit tacitement dénoncée, et que si ◀l’▶on convient ◀de▶ mettre au second plan ◀le▶ débat des définitions, considéré comme byzantin — on met du coup au second plan ◀le▶ travail spécifique ◀de▶ ◀la▶ pensée, on ◀la▶ prive ◀de▶ ses résistances, on sabote ses instruments, on réduit ◀la▶ mission ◀de▶ ◀l’▶écrivain à celle du propagandiste, chargé ◀de▶ ressasser ◀les▶ à-peu-près du jour ?
Importance des « questions ◀de▶ mots »
Que ceux qui doutent ◀de▶ ◀la▶ portée ◀d’▶une aussi quotidienne observation acceptent, ne fût-ce qu’un instant, ◀de▶ se demander si leur doute ne fournit pas une preuve supplémentaire ◀de▶ ◀la▶ décadence que j’affirme. Douter ◀de▶ ◀l’▶importance des « questions ◀de▶ mots », c’est en effet le premier moment ◀de▶ cette décadence. Mais avec lui ◀la▶ catastrophe est déjà virtuellement consommée.
Car si ◀l’▶on doute ◀de▶ ◀l’▶importance des mots, c’est que ◀l’▶on doute en réalité ◀de▶ ◀la▶ commune mesure ◀de▶ ◀la▶ culture et ◀de▶ ◀l’▶importance qu’il y aurait à ◀la▶ traduire avec fidélité. En d’autres termes, si ◀l’▶on néglige ◀le▶ langage, on néglige ◀la▶ culture elle-même. Et ◀l’▶on néglige surtout ses avertissements.
Comment ◀les▶ entendrait-on, en effet, si ◀l’▶on a privé ◀le▶ langage ◀de▶ ce qui fait sa poignante saveur : ◀la▶ rigoureuse et passionnée définition des mots, en vue de leur emploi ◀le▶ plus précis ? (« Révolution », « amour », « esprit » pour ne citer que ◀les▶ plus courants.) À quoi sert encore ◀de▶ parler, quand on ne sait plus très bien ce que parler veut dire ? J’entends : quand tout le monde lit ◀les▶ journaux et prend au sérieux ce qu’ils impriment, sans remarquer que leur langage est ◀la▶ négation du langage, ◀la▶ négation ◀de▶ ◀la▶ culture, ◀la▶ négation ◀de▶ sa mesure vivante et ◀de▶ ◀la▶ dignité ◀de▶ ses grands prêtres, ◀les▶ « clercs », dit-on, que je voudrais comparer à des vestales ? Mais où sont encore ces vestales, gardiennes du sens et ◀de▶ ◀l’▶usage du discours ? Mariées, vendues, traîtresses à leurs vœux, ou bien, qu’on me pardonne, violées par des politiciens, houspillées ◀de▶ vulgaire façon par certains vieux coquins auteurs ◀de▶ manuels classiques, momifiées par ◀l’▶Académie, mises en boîte par des journalistes, pire encore, honorées sous forme de statues allégoriques, à ◀l’▶entrée du « Palais ◀de▶ ◀l’▶Esprit5 », par des députés égrillards !
Mais je vais sans doute un peu vite. Et ◀le▶ lecteur soucieux ◀de▶ juger à son aise ◀de▶ ◀l’▶honnêteté ◀d’▶une déduction, même subversive, me saura gré ◀de▶ reprendre un à un ces tumultueux considérants, dans un rythme plus détendu.
J’ai constaté ◀l’▶existence ◀d’▶un problème ◀de▶ ◀la▶ culture. J’ai dit que tout problème réel se pose à nous à partir du moment où son objet (Dieu, ◀la▶ culture, ◀l’▶amour, ◀la▶ nation, ◀le▶ travail, etc.) s’éloigne ou s’affaiblit, ou même cesse ◀d’▶être présent et actif. Ensuite, que ◀l’▶aveu même ◀de▶ ◀l’▶existence ◀d’▶un problème est déjà un essai ◀de▶ ◀le▶ résoudre, et ◀la▶ preuve qu’on pressent sa solution. Et qu’ainsi toute critique réelle suppose une intention ◀de▶ construction.
Ces constatations préalables vont nous guider dans ◀l’▶examen du concept ◀de▶ culture en soi — ◀de▶ ses apparitions ◀les▶ plus considérables dans ◀l’▶histoire —, ◀de▶ sa décadence actuelle, — enfin des grands essais ◀de▶ restauration que le premier tiers ◀de▶ ce siècle aura vus naître en Russie et en Allemagne.