Avant-propos
Le▶ dire une bonne fois.
Il ne faut pas songer à décrire en 50 petites pages tous ◀les▶ méfaits ◀de▶ ◀l’▶instruction publique. C’est à peine assez pour indiquer leur ordre ◀de▶ grandeur ; à quoi je me bornerai.
Il a paru sur ◀le▶ sujet ◀de▶ ◀l’▶instruction publique deux petits livres1 excellents dont je considère ◀les▶ thèses comme acquises : ◀L’▶Éloge ◀de▶ ◀l’▶ignorance, ◀de▶ M. Abel Bonnard, et ◀Le▶ Pédagogue n’aime pas ◀les▶ enfants, ◀d’▶Henri Roorda. Le premier montre que ◀la▶ science apprise à ◀l’▶école appauvrit ◀l’▶homme ◀de▶ tout ce que son ignorance respectait, et ne lui donne à ◀la▶ place que des laideurs et ◀de▶ ◀la▶ prétention. L’autre, avec ◀l’▶ironie tranquille du bon sens bafoué et qui s’en moque, décrit ◀la▶ stupidité ◀de▶ ◀l’▶enseignement tel qu’il ◀est▶ pratiqué dans nos collèges.
Mon dessein ◀est▶ assez différent, moins philosophique et point du tout technique. J’apporte un témoignage personnel, une réaction ◀de▶ tempérament. Je marque d’autre part ◀la▶ nécessité ◀de▶ tout cela qui me blesse, ◀la▶ liaison fatale avec ◀la▶ démocratie, ◀de▶ tout ce qui moleste ma liberté et sans doute celle ◀de▶ beaucoup d’autres à qui forcément, je ressemble. Nous vivons sous un régime radical à sécrétion socialiste, qui a ◀été▶ établi par coup ◀de▶ force, que ◀les▶ libéraux ont admis, conformément à leurs maximes, et toléré malgré leur mauvaise humeur. Ce régime ◀de▶ punaises jaunâtres aboutit à ◀l’▶instruction publique et grâce à elle prolonge abusivement sa terne existence. Je ◀l’▶ai subi ; ◀l’▶on va voir comment. ◀De▶ pareils souvenirs légitiment toutes ◀les▶ haines. Je ◀serai▶ méchant, parce que j’en ai gros sur ◀le▶ cœur.
D’ailleurs, ce petit écrit ne peut servir à rien.
— Alors ?
— Justement. Il ◀est▶ un reproche auquel je compte ne pas échapper : celui ◀de▶ naïveté. Définition du naïf dans ◀le▶ monde moderne : individu qui soutient des idées qui ne rapportent rien. En effet, je ne représente aucun parti, aucune firme. Je ne voyage pour personne. Je ne prétends pas même parler au nom de ma génération, ne m’◀étant▶ pas livré à ◀l’▶enquête préalable qui seule eût pu, à ◀la▶ rigueur, me donner ce droit bien inutile.
Pourtant je sais qu’à droite comme à gauche, ils ◀sont▶ plus nombreux qu’on ne ◀le▶ pense, ceux qui refusent ◀d’▶◀être▶ complices dans cet attentat à ◀l’▶intégrité humaine qu’◀est▶ en fait ◀l’▶esprit démocratique.
Là-dessus, ces messieurs se lamentent, ◀la▶ jeunesse ◀d’▶aujourd’hui, etc. Évidemment. Mais il y a ◀les▶ jérémiades et il y a ◀les▶ raisons. Hors ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶amour, où tout se confond miraculeusement, gémir n’◀est▶ pas un argument.
Je demande ◀le▶ droit ◀de▶ démolir. Et me ◀l’▶accorde aussitôt. Sans conditions. Mon rôle n’◀est▶ pas ◀de▶ proposer une nouvelle forme politique. Je me contente ◀de▶ vitupérer ce que je vois, qui ◀est▶ laid. Quand ◀la▶ soupe ◀est▶ brûlée, on ◀la▶ renvoie, même si ◀l’▶on n’◀est▶ pas capable ◀d’▶en faire soi-même une meilleure.
Mais j’aperçois là-bas, vautré derrière son bock, ◀le▶ Citoyen conscient et organisé pour ◀la▶ discussion. Il retrousse ses manches. Il s’apprête à cracher sur ce que je dirai de plus beau… Oh ! oh ! oh ! il va parler, ◀de▶ grâce mettez-lui ◀les▶ mains sur ◀la▶ bouche ! Donnez-lui sa choucroute, tapez-lui dans ◀le▶ dos, amenez-lui ◀le▶ Guguss 2, des bretzels, sa petite amie, au secours !
Car j’ai encore deux mots à dire.
Dès qu’une voix s’élève pour mettre en doute ◀l’▶excellence du principe ◀de▶ ◀l’▶instruction publique, on crie sur tous ◀les▶ bancs : « Alors, vous ◀êtes▶ pour un retour à ◀la▶ barbarie ? » Si ce réflexe indique un mépris vraiment exagéré pour ◀la▶ jugeotte ◀de▶ ◀l’▶adversaire ou s’il traduit simplement cette mauvaise foi pas même consciente, cette lâcheté devant ◀la▶ discussion précise ◀de▶ leurs principes par quoi se signalent bien souvent nos tolérants par inertie, je ne sais. Mais je m’attends à cent « réponses » ◀de▶ cette sorte. Et je tiens à ◀les▶ classer par avance en deux catégories dont je vais régler ◀le▶ compte sommairement. Cela n’empêchera personne ◀de▶ me resservir ces arguments, bien que dûment prévus et réduits à néant ici même ; mais — gain ◀de▶ temps — je n’aurai plus qu’à renvoyer aux lettres A ou B, selon.
A. Réponses du type : on ne peut pas aller contre ◀l’▶époque, vous ◀êtes▶ un pauvre utopiste, etc. Ce ◀sont▶ ◀les▶ positivistes qui parlent ainsi, ceux qui croient aux faits. Je leur réponds :
1° qu’ils ne peuvent me dénier ◀le▶ droit ◀de▶ juger ces faits ;
2° qu’ils ne peuvent, en vertu même ◀de▶ leur scepticisme quant à ◀la▶ valeur réformatrice des idées, m’accuser ◀de▶ faire une critique dangereuse ;
3° que néanmoins je crois à ◀l’▶efficace ◀de▶ certaines utopies. (◀Les▶ religions, ◀la▶ découverte ◀de▶ ◀l’▶Amérique par Christophe Colomb, ◀l’▶Europe napoléonienne, ◀la▶ Russie d’après Karl Marx, ◀le▶ vol des frères Wright, et tout bêtement, c’est ◀le▶ cas ◀de▶ ◀le▶ dire : ◀l’▶instruction publique.)
Résumé :
1° On a ◀le▶ droit ◀d’▶aller contre ◀l’▶époque, et on ◀le▶ peut efficacement.
2° rira bien qui rira le dernier.
B. Réponses du type : vous ◀êtes▶ un rétrograde, un infâme réactionnaire, etc.
Ce ◀sont▶ ◀les▶ partisans ◀d’▶une démocratie progressiste et tolérante qui se livrent à ces excès ◀de▶ langage. Je ◀les▶ renvoie en corps au chapitre 5 où je traiterai ◀de▶ cet aspect du problème que ◀l’▶on peut appeler ◀la▶ question ◀de▶ droit.
Certains, en effet, tirent toute leur force dans ◀les▶ discussions ◀de▶ ◀la▶ tranquillité avec laquelle ils brouillent ◀les▶ faits et ◀les▶ principes. Tourmentés par ◀les▶ scrupules ◀de▶ leur conscience libérale, ils fuient ◀la▶ rigueur jusque dans leurs raisonnements. Pour moi qui cherche à démêler ◀la▶ vérité sans égards aux dérangements, même violents, que cela ne manque jamais ◀de▶ provoquer, je me propose ◀de▶ marquer ici ◀la▶ distinction classique du fait et du droit ; et c’est pourquoi je considérerai d’abord ◀l’▶instruction publique dans ses réalisations actuelles, puis au terme ◀de▶ ce recensement lamentable, je poserai la question ◀de▶ savoir si tant de laideurs et ◀d’▶outrages au bon sens peuvent ◀être▶ légitimés par ◀le▶ but final ◀de▶ notre institution-tabou.