Jean-Paul Sartre et l’▶engagement
◀La▶ critique ◀de▶ ◀l’▶engagement surréaliste, que J.-P. Sartre développe dans Qu’est-ce que ◀la▶ littérature ?6 ne fait guère qu’ajouter à ces malentendus. Plus que ◀l’▶erreur temporaire ◀de▶ Breton, elle expose ◀la▶ faiblesse fondamentale du concept sartrien ◀de▶ ◀l’▶engagement.
J.-P. Sartre reproche à Breton ◀d’▶avoir dans ses écrits théoriques, nonobstant ◀le▶ radicalisme ◀de▶ leur critique, dit plus qu’il ne faisait : « Pour finir il noircit beaucoup de papier, mais il ne détruit jamais rien pour ◀de▶ vrai. » À mon sens, ce reproche procède ◀d’▶une confusion entre ◀l’▶engagement ◀de▶ ◀l’▶écrivain et son embrigadement, comme militant, dans un parti ◀d’▶étiquette révolutionnaire. Sans insister sur ◀le▶ fait, trop évident, que ◀le▶ PC n’a rien « cassé » jusqu’ici (sinon ◀les▶ velléités révolutionnaires ◀de▶ Mai 68), on relèvera que ◀l’▶écrivain qui détruirait « pour ◀de▶ vrai », selon Sartre, ne pourrait ◀le▶ faire par ◀l’▶écriture mais par ◀l’▶application ◀de▶ ce qu’il a écrit à ◀la▶ réalité matérielle du physique donc en cessant ◀d’▶être écrivain, en reniant sa fonction propre, tel un poteau indicateur qui déciderait ◀de▶ faire lui-même ◀le▶ chemin et cesserait aussitôt ◀d’▶être utile.
◀La▶ « vraie » révolution n’est pas celle qui détruit, et ◀la▶ production ◀de▶ valeurs et ◀d’▶un modèle neuf ◀de▶ société n’a jamais été ◀le▶ fait du militant ◀de▶ base (électeur, manifestant, gréviste ou franc-tireur), mais dans tous ◀les▶ cas que ◀l’▶on connaît, ◀d’▶hommes qui ont écrit et même beaucoup écrit. Ce n’est pas parce qu’il n’a rien cassé « pour ◀de▶ vrai » que Breton n’était pas engagé, mais parce que sa pensée ne fut jamais en puissance ◀d’▶action politique et demeure purement subversive (comme ◀le▶ fait ◀de▶ descendre dans ◀la▶ rue un revolver dans chaque main et ◀de▶ tirer au hasard sur ◀les▶ passants, qui définit ◀l’▶acte surréaliste, selon l’un des premiers textes ◀de▶ Breton).
Quant à J.-P. Sartre, ◀les▶ meilleures réfutations ◀de▶ sa théorie ◀de▶ ◀l’▶engagement pourraient être trouvées dans ses propres écrits, et non seulement dans ◀les▶ pages qui esquissent une morale existentialiste, mais dans nombre ◀d’▶affirmations où je crois me lire, comme celle-ci, que je trouve page 298 ◀de▶ ◀l’▶ouvrage cité : « En un mot, nous devons dans nos écrits militer en faveur de ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀la▶ personne et ◀de▶ ◀la▶ révolution socialiste. On a souvent prétendu qu’elles n’étaient pas conciliables, c’est notre affaire ◀de▶ montrer inlassablement qu’elles s’impliquent l’une l’autre. »
De plus, à ◀la▶ fin ◀de▶ son essai (pages 314 à 316), Sartre rejoint (à peu de chose près7) ◀les▶ conclusions que j’avais tirées de mon côté, et à ◀la▶ même date (1946), ◀d’▶un examen ◀de▶ ◀la▶ situation européenne du point de vue ◀de▶ ◀l’▶écrivain engagé : « Entre ◀l’▶URSS et ◀le▶ bloc anglo-saxon il est vrai qu’il faut choisir. ◀L’▶Europe socialiste, elle, n’est pas « à choisir » puisqu’elle n’existe pas : elle est à faire… Quoi qu’il en soit, et tant que ◀les▶ circonstances n’auront pas changé, ◀les▶ chances ◀de▶ ◀la▶ littérature sont liées à ◀l’▶avènement ◀d’▶une Europe socialiste, c’est-à-dire ◀d’▶un groupe ◀d’▶États à structure démocratique dont chacun serait, en attendant mieux, dessaisi ◀d’▶une partie ◀de▶ sa souveraineté au profit ◀de▶ ◀l’▶ensemble… Si ◀l’▶écrivain est pénétré, comme je suis, ◀de▶ ◀l’▶urgence ◀de▶ ces problèmes, on peut être sûr qu’il y proposera des solutions dans ◀l’▶unité créatrice ◀de▶ son œuvre, c’est-à-dire dans ◀l’▶indistinction ◀d’▶un mouvement ◀de▶ libre création. ◀La▶ chance ◀de▶ ◀la▶ littérature, aujourd’hui son unique chance, c’est ◀la▶ chance ◀de▶ ◀l’▶Europe. Il faut ◀la▶ jouer ; si nous ◀la▶ perdons, nous autres écrivains, tant pis pour nous. »
Faut-il donc dire tant pis pour Sartre ◀l’▶écrivain ? ◀De▶ fait, il n’a pas joué cette « unique chance », bien au contraire. Il a choisi ◀le▶ camp ◀de▶ ◀l’▶URSS d’abord, puis ◀le▶ tiers-monde, contre ◀l’▶Europe expressément8. S’il a renié ◀les▶ conclusions concrètes (politiquement parlant) ◀de▶ son essai sur ◀l’▶engagement, sans modifier pour autant sa doctrine, c’est donc que ◀les▶ formules personnalistes et européistes que je citais n’étaient pas liées organiquement à ◀l’▶essentiel ◀de▶ cette doctrine, comme ◀la▶ suite devait ◀le▶ démontrer. Parlant ◀de▶ ◀l’▶Europe, il disait vrai, objectivement, mais c’était par erreur dans ◀la▶ logique du système dominant ◀de▶ sa pensée.