Recherche pour un modèle de société européenne (février 1974)g h
Précisons tout d’abord les▶ termes de mon titre. J’emploie ◀le▶ terme de modèle dans son sens scientifique et pas du tout moral. Chercher à composer un modèle européen ne signifie pas pour moi donner ◀l’▶Europe en exemple au reste du monde, mais simplement chercher des structures sociales, économiques et politiques, adaptées aux réalités et aux finalités européennes.
En second lieu, ◀la▶ recherche d’un modèle, signifie bien évidemment que ◀les▶ modèles anciens — ou ◀le▶ modèle de naguère — ne satisfont plus, ne marchent plus, et qu’il est temps d’inventer mieux.
Et en troisième lieu, si ◀l’▶on recherche un modèle européen, c’est que ◀l’▶on ne pense pas pouvoir s’accommoder de modèles étrangers et pour nous aliénants, comme ◀le▶ seraient ◀les▶ modèles américains, ou russes, ou chinois. Cela ne signifie pas un instant qu’on tienne ◀l’▶Europe pour supérieure — ou inférieure — à telle autre partie du monde ; mais bien qu’on ◀la▶ constate différente, et qu’elle appelle des solutions spécifiques.
Ces solutions spécifiques, par ◀la▶ suite, seront-elles valables pour ◀le▶ reste du monde ? Je n’en sais rien et n’ose pas même ◀le▶ souhaiter : ◀les▶ expériences du passé récent, ◀l’▶adoption de certains de nos modèles, comme celui de ◀l’▶État-nation par ◀le▶ tiers-monde, doivent nous rendre méfiants sur ce chapitre.
Il y a vingt ans de cela, en 1953, pendant ◀la▶ table ronde organisée à Rome par ◀le▶ Conseil de l’Europe, Arnold Toynbee nous expliqua que deux avenirs possibles s’ouvraient aux Européens :
— ou bien ◀l’▶Europe prend sa retraite et tente de vivre sur son passé culturel ;
— ou bien ◀l’▶Europe s’efforce de s’assurer une position morale dominante, en se transformant en communauté modèle.
Vingt ans plus tard, me voici à ◀la▶ recherche d’une troisième possibilité : aussi loin du repli résigné que de ◀la▶ volonté de dominer (ne fût-ce que moralement) ou de se poser en modèle exemplaire.
Une troisième possibilité qui serait en somme : ◀la▶ réponse particulière des Européens au défi de ◀la▶ crise de civilisation désormais déclarée à ◀l’▶échelle mondiale.
Car c’est bien de cette crise mondiale qu’il s’agit aujourd’hui, et avant tout, de s’occuper ; non plus seulement des moyens politiques, économiques ou culturels d’unir ◀l’▶Europe ; et non plus seulement des moyens de développer ◀le▶ tiers-monde ; et non plus seulement des moyens d’aménager ◀les▶ relations entre nations.
Je pars d’une constatation fondamentale que j’essaierai de formuler en une seule phrase, que voici : Pour la première fois dans ◀l’▶histoire, ◀l’▶homme d’aujourd’hui se voit contraint de choisir librement son avenir et celui de ◀l’▶espèce humaine ; et il y est contraint du seul fait qu’il en a, pour la première fois, ◀la▶ liberté.
Jusqu’à nos jours, depuis ◀le▶ singe, ou depuis ◀le▶ jardin mythique des origines, ◀l’▶homme n’avait fait que répondre tant bien que mal aux divers défis de ◀la▶ nature dont il vivait, défis du corps, défis de ◀l’▶environnement. Il s’agissait de survivre, donc de continuer ce qui avait réussi aux plus forts, aux plus féconds, aux plus habiles de ses ancêtres.
Aujourd’hui, c’est ◀le▶ succès même de ◀l’▶effort civilisateur de ◀l’▶Occident qui nous force à choisir notre avenir, et par là nous met en demeure de formuler une politique de ◀l’▶homme et de ◀l’▶humanité.
J’insiste : ce succès même se traduit par une crise qui remet ou met tout en question.
Choisir librement son avenir veut dire : élaborer une politique, une conduite de gouvernement, ou de gérance de ◀la▶ cité, en vue et au nom de fins déterminées.
Gouverner c’est prévoir, dit ◀l’▶adage. Mais qui prévoit ?
Vous lisez tous ◀les▶ jours dans ◀la▶ presse ◀les▶ déclarations ◀les▶ plus contradictoires relatives à ◀l’▶avenir prochain, à ◀l’▶an 2000, au xxie siècle. Qui croire ? Des futurologues distingués vous assurent que ◀les▶ réserves existantes ou encore à découvrir de pétrole seront épuisées d’ici soixante-dix ans, ou d’ici trente ans, voire d’ici vingt ans. Mais un économiste des plus sérieux, Raymond Barre, leur répond — et je ◀le▶ cite — que ces réserves sont « pratiquement inépuisables, en dépit des théoriciens de ◀l’▶Apocalypse ». Sur quoi, ◀le▶ 30 septembre 1973, ◀le▶ directeur de ◀la▶ prospection de ◀la▶ British Petroleum annonce que ◀la▶ production du pétrole commencera à diminuer dans dix ans, et que des mesures de rationnement devront être décrétées dans huit ans. Même jeu pour ◀les▶ métaux nécessaires à ◀l’▶industrie, ◀le▶ cuivre par exemple. Selon ◀les▶ uns, il en reste pour quarante-huit ans, ou pour trente ans, ou pour vingt ans seulement, mais selon ◀le▶ directeur du Bureau de documentation minière de France, il en reste pour deux millions d’années… Comment, dans ces conditions, arrêter une politique du pétrole ? ou du cuivre ?
Ce n’est pas tout. Une troisième sorte de prévision a cours dans notre société : celle des experts au service des grandes sociétés et des gouvernements. Ces experts nous répètent, par exemple, que ◀la▶ consommation d’énergie électrique va doubler désormais tous ◀les▶ sept ans, et si on leur demande comment ils ◀le▶ savent, ils répondent qu’il s’agit d’un fait scientifiquement établi par des calculs irréfutables. Mais cela ne peut pas être vrai, pour ◀les▶ deux raisons que voici :
1) Il serait déjà très difficile de doubler notre production d’énergie d’ici 1980 ; presque impossible de ◀la▶ quadrupler d’ici 1987, et totalement exclu de ◀la▶ multiplier par 16 384 en moins d’un siècle, car c’est ◀le▶ chiffre qu’on obtient au bout de quatre-vingt-dix-huit ans en multipliant une quantité quelconque par deux tous ◀les▶ sept ans.
2) Si nous décidons de nous éclairer aux bougies, ou simplement d’économiser ◀l’▶électricité au lieu de ◀la▶ gaspiller comme ◀les▶ compagnies nous y invitent, rien ne pourra faire que ◀la▶ consommation double en sept ans. ◀Les▶ compagnies essaient tout simplement de faire passer pour « fatalité » leur désir de doubler leurs ventes.
Leurs experts confondent délibérément ◀la▶ prospective et ◀le▶ marketing, détournant ainsi nos esprits de ◀la▶ seule question sérieuse, qui est ◀la▶ suivante : étant donné ◀l’▶impossibilité manifeste d’accroître indéfiniment notre consommation d’énergie, comment s’organiser pour vivre aussi bien, voire mieux, en consommant moins d’électricité, ou en recourant à d’autres formes d’énergie ?
En multipliant autour de nous et devant nous des « fatalités » alléguées et de soi-disant « impératifs techniques », on nous empêche d’élaborer une politique responsable, et d’agir sur nos gouvernants pour qu’ils ◀l’▶appliquent.
De fait, ◀les▶ détenteurs des moyens de décision politiques et économiques s’inspirent tantôt des pessimistes tantôt des optimistes, c’est-à-dire des futurologues indépendants qui s’efforcent de prendre en compte ◀les▶ dangers écologiques et ◀les▶ risques humains autant que ◀les▶ avantages économiques d’un projet, pour établir son coût réel, tantôt de promoteurs qui n’invoquent que ◀les▶ besoins supposés et ◀les▶ profits escomptés, et pensent qu’après tout, cela durera bien autant qu’eux…
Admettons qu’il est plus prudent, en tout état de cause, de suivre ◀les▶ futurologues soucieux plutôt que ◀les▶ promoteurs irresponsables, quand il s’agit de formuler une politique. Or nous voyons que dans leur majorité, ◀les▶ futurologues calculent un avenir de catastrophes, que ce soit à moyen ou à long terme. Ils nous annoncent des désastres en chaîne, des catastrophes en système, ou en boucles, qui doivent presque nécessairement résulter non pas des échecs de notre modèle de croissance, mais au contraire de ses succès. Et c’est là ce qui doit nous retenir.
Je ne vais pas résumer ici ◀le▶ fameux rapport du club de Rome, que je suppose connu de chacun d’entre vous. Je vous rappellerai seulement que ◀la▶ crise mondiale — et c’est je crois sa formule ◀la▶ plus simple — est née de ◀la▶ volonté typiquement occidentale de croissance illimitée dans un monde dont nous avions oublié qu’il est irrévocablement limité.
C’est ◀la▶ découverte, puis ◀la▶ prise de conscience de ◀l’▶explosion démographique, dans ◀les▶ années 1960, qui nous a tout d’abord alertés. ◀La▶ publication par les Nations unies de statistiques montrant que ◀le▶ temps de doublement de ◀la▶ population du globe n’était plus que de trente-cinq ans, nous a permis à tous de calculer qu’à ce taux-là, nous serions six milliards et demi en ◀l’▶an 2000, 26 milliards en 2070, 208 milliards en 2171 soit 1400 habitants au km2 (densité des grandes villes actuelles, étendue à toutes ◀les▶ terres émergées), 3 habitants au m2 en 2570, trente ans plus tard tout le monde se touche, et je m’arrête là dans mes calculs, mais d’autres ont été plus loin. Je lis dans ◀le▶ beau livre de Paul Ehrlich, Population, ressources, environnement, cet exemple de spéculation mathématique :
Si ◀la▶ population continuait à croître à ce rythme, elle dépasserait un milliard de milliards d’âmes dans mille ans d’ici, et sa densité serait de deux-mille habitants au mètre carré du sol émergé et immergé ! Mais on peut avancer des chiffres encore plus saugrenus. Dans quelques milliards d’années, tout ◀l’▶univers visible ne serait plus qu’une sphère d’êtres humains, dont ◀le▶ diamètre s’allongerait à ◀la▶ vitesse de ◀la▶ lumière.
Et je fais mienne ◀la▶ sobre conclusion de Paul Ehrlich :
De tels calculs devraient, semble-t-il, convaincre même ◀les▶ esprits ◀les▶ plus obtus qu’il faudra bien que ◀la▶ croissance démographique s’arrête un jour.
◀La▶ croissance démographique ne peut pas être illimitée. Il faudra bien que quelque chose ◀l’▶arrête, un jour ou l’autre. Si ◀l’▶on ne veut pas que ce soit une catastrophe, il faudra bien que ce soit une libre décision des hommes et des femmes. Mais où s’arrêter ? quand ? et comment ? Il s’agit de déterminer un optimum, de définir une politique, d’évaluer ses répercussions…
Car ◀le▶ même processus se répète dans tous ◀les▶ autres domaines de ◀la▶ civilisation contemporaine où ◀la▶ croissance a fait ses percées au xxe siècle et menace de devenir exponentielle. ◀La▶ croissance démographique est due en bonne partie aux succès de ◀la▶ science occidentale, laquelle est aussi à ◀l’▶origine de ◀la▶ croissance industrielle et technique. Mais toutes ◀les▶ deux vont rencontrer dans un temps calculable leur limite.
Déjà, leur succès même commence à produire leur propre mise en échec. ◀La▶ croissance démographique et ◀la▶ croissance industrielle s’entraînant l’une l’autre, provoquent l’une et l’autre ◀la▶ croissance de ◀la▶ pollution, de ◀l’▶air des villes, de ◀l’▶eau des lacs et des océans, de ◀la▶ végétation et du monde animal, de ◀l’▶alimentation et du patrimoine génétique, lesquelles pollutions entraîneront à plus ou moins brève échéance des maladies et malformations physiques et psychiques nouvelles, des épidémies sans précédent, des famines continentales, et finalement des effondrements massifs de ◀la▶ population. Parallèlement, ◀la▶ croissance de ◀la▶ production industrielle entraîne ◀l’▶épuisement des ressources terrestres c’est-à-dire de ◀l’▶eau potable, du pétrole, des métaux non ferreux sans lesquels ◀le▶ fer ne pourra plus devenir acier, et par suite ◀le▶ ralentissement, puis ◀l’▶arrêt catastrophique de ◀la▶ production industrielle. Nous arrivons au point où ◀le▶ moteur de ◀la▶ croissance commence à avoir des ratés*13 très inquiétants…
Tout cela, je ◀le▶ répète, est assez exactement quantifiable, mesurable et datable. Cette Apocalypse à court terme — vingt-sept ans, cinquante ans, un siècle au mieux — selon ◀les▶ auteurs, est calculée par de nombreux futurologues qu’on dit atteints de sinistrose, mais dont je serais tenté de dire qu’ils pèchent au contraire par excès d’optimisme : car pour spectaculaires que soient ◀les▶ catastrophes prévues par leurs méthodes plus ou moins rigoureuses, elles me font bien moins peur que celles dont ils ne parlent pas, et qui sont liées inexorablement aux succès de ◀la▶ croissance des villes, des mégalopoles infinies où 80 % de ◀l’▶humanité va vivre, ou plutôt s’entasser, dans vingt-cinq ans.
◀L’▶urbanisation sauvage de ◀l’▶humanité annonce en effet ◀la▶ destruction finale du lien social, du sens de ◀la▶ communauté, et simplement de ◀l’▶amour du prochain, remplacé par ◀la▶ loi de ◀la▶ jungle et ◀la▶ schizophrénie généralisée. Tout cela doit nous faire redouter, au-delà des pires prévisions de nos futurologues, ce qu’un vieux mythe des Indiens Navahos représente comme ◀l’▶Ère de ◀l’▶Accroissement des Monstres.
Que faire des prévisions du club de Rome — tellement moins effrayantes que celles de ces Indiens ?
D’abord ◀les▶ croire. C’est ◀le▶ seul moyen de ◀les▶ faire mentir. Car elles ne demandent qu’à être démenties, on peut même dire qu’elles ne sont là que pour ça. Si on ne ◀les▶ croit pas, parce qu’on ◀les▶ juge trop pessimistes, elles vont certainement devenir vraies. Question de calcul. (◀La▶ pomme qui tombe : si rien ne ◀la▶ retient, vous pouvez calculer au millième de seconde quand elle touchera ◀le▶ sol.)
Mais ◀les▶ futurologues ne sont pas tous pessimistes, il s’en faut. ◀Les▶ plus connus du grand public, ◀les▶ plus choyés par ◀les▶ pouvoirs, et pour tout dire ◀les▶ mieux payés, sont ceux qui nous annoncent encore ◀l’▶âge d’or pour ◀le▶ siècle qui vient, tel ◀le▶ Hudson Institute d’Herman Kahn par exemple, qui n’hésite pas à nous promettre un revenu de 20 000 dollars par tête pour une population mondiale de vingt milliards d’habitants vers 2050. Mais là, il ne s’agit plus à vrai dire de prospective, ni même de marketing, il s’agit simplement de guerre psychologique, de fausses nouvelles délibérées, en vue d’une action précise sur ◀l’▶opinion mondiale. Herman Kahn est ◀l’▶auteur, avec Anthony J. Wiener, d’un ouvrage célèbre sur ◀L’▶An 2000. Son système de prévision est ◀le▶ plus simple qu’on ait jamais imaginé : il repose entièrement sur ◀la▶ technologie et son évolution ◀la▶ plus probable au cours des vingt à trente années qui viennent. Il s’agit donc de supputer ◀les▶ inventions techniques qui seront faites dans ce temps, et ◀les▶ conséquences politiques qu’elles entraîneront.
Sans vouloir entreprendre ici ◀la▶ critique d’une pareille méthode, je me contenterai de citer ce que ses auteurs eux-mêmes en disent. À ◀la▶ page 54 de ◀la▶ traduction française de ◀L’▶An 2000, ils donnent un bref tableau (n° IV) de ce que leur méthode n’eût pas permis de prévoir, si elle eût été appliquée vers 1900. Parmi ◀les▶ événements qu’ils qualifient de « surprenants et presque toujours inattendus » on trouve :
- Première Guerre mondiale. Destruction d’une partie de ◀l’▶Europe.
- ◀Les▶ États-Unis deviennent la première puissance mondiale.
- Baisse du moral de ◀l’▶Europe (et de ◀la▶ démocratie et de son prestige).
- Montée du communisme et de ◀l’▶Union soviétique.
- Grande crise économique.
- Poussée des idéologies fascistes et établissement de diverses dictatures.
Voilà ce que ◀la▶ méthode n’eût pas permis de prévoir selon ◀les▶ propres dires de Kahn. J’en déduis que ◀la▶ méthode ne vaut rien. ◀Les▶ faits déterminants du xxe siècle, de ◀l’▶aveu de son propre auteur, elle ◀les▶ aurait ratés. Ils étaient en effet, comme il ◀le▶ dit, « surprenants et presque toujours inattendus ». Ils n’étaient en somme pas sérieux, pas scientifiques, puisque pas mesurables. Ils étaient simplement… historiques !
Au surplus, qu’ils soient pessimistes comme Meadows, Ehrlich, G. Rattray Taylor, Georg Picht, Jean Dorst, Edward Goldsmith ou René Dubos, ou qu’ils soient optimistes comme Herman Kahn, quelques PDG de choc à ◀la▶ mode d’avant-hier, et de nombreux aménageurs du territoire, presque tous ◀les▶ futurologues que je connais me paraissent pécher également par ◀l’▶incapacité où ils se trouvent et parfois se veulent, d’indiquer des remèdes politiques aux maux qu’ils ont calculés, et de se référer à des finalités humaines ou divines qui pourraient seules permettre de récuser ◀les▶ prétendus « impératifs techniques » derrière lesquels ◀l’▶homme moderne court se cacher, comme Adam derrière ◀les▶ buissons quand Dieu rappelle, plutôt que de reconnaître ses responsabilités.
Si utiles que puissent être ceux qui calculent nos risques et définissent ◀les▶ contraintes que nous devons subir, ils demeurent incapables de fonder ◀la▶ politique de notre avenir prochain, soit parce qu’ils ne veulent pas choisir ses buts, soit parce qu’ils réduisent tout à ◀la▶ technologie. Ni ◀les▶ uns ni ◀les▶ autres n’auraient donc pu prévoir ◀les▶ deux phénomènes ◀les▶ plus littéralement bouleversants de notre siècle, ◀les▶ deux fléaux majeurs de ◀l’▶Europe, je veux dire ◀l’▶auto et Hitler.
◀L’▶aventure totalement imprévisible de ◀l’▶auto mériterait une très ample monographie. Je suis parfois tenté d’écrire cette épopée, ou cette histoire de fous, qui aurait pour titre : ◀L’▶Autodestruction d’une civilisation. Je ne puis ici qu’en résumer ◀l’▶intrigue.
Tout commence en 1875 (il y a donc un peu moins de cent ans), au fin fond du Middle West, à huit miles de Detroit, ◀le▶ jour où un garçon de 12 ans et demi, Henry Ford, fils d’un paysan, rencontre une « locomotive routière », c’est-à-dire une machine agricole à moteur. « Ce fut mon chemin de Damas », écrit-il cinquante ans plus tard. Depuis ◀l’▶instant où il aperçut cette « machine de route », sa grande et constante ambition fut d’en construire une semblable pour partir au hasard sur ◀les▶ routes de campagne, loin des voies ferrées, symboles de ◀la▶ tyrannie.
À 19 ans, ◀le▶ petit Henry construit et conduit sa première « machine de roule ». (À ce moment, ◀la▶ Grande-Bretagne interdit ce moyen de transport, ◀la▶ France tente de ◀l’▶adapter à ◀la▶ « science militaire ».) À 24 ans, il fonde une fabrique. Il vend très peu : « Il n’y avait pas de demande pour ◀les▶ automobiles », écrit-il simplement dans ses mémoires. Il parle même d’une « répugnance pour ◀la▶ machine » dans ◀le▶ public. Puis ◀l’▶idée d’aller vite amuse ◀les▶ Américains. D’autres fabriques se fondent, dans ◀l’▶intention de jouer au plus rapide. En 1903, Ford gagne une course de vitesse, et encouragé par ce succès, fonde ◀la▶ Société des automobiles Ford. Dans sa première publicité, il écrit que ◀l’▶auto « peut vous mener n’importe où il vous plaît d’aller… pour vous reposer ◀le▶ cerveau par de longues promenades au grand air et vous rafraîchir ◀les▶ poumons grâce à ce tonique des toniques : une atmosphère salubre ». En 1910, Ford introduisit son fameux « Modèle T », robuste, utile et laid, mais bon marché et destiné à ◀la▶ masse. Il ne cessera de faire baisser son prix au fur et à mesure de ◀l’▶accroissement des ventes. (C’est ◀l’▶idée de ◀la▶ VW sous Hitler !) En 1908 il vend 10 000 voitures.
En 1910, 35 000. En 1924, il fabrique 7500 voitures par jour. Aujourd’hui, ◀les▶ USA produisent douze millions de voitures par an. ◀La▶ General Motors est ◀la▶ plus grande firme du monde, ◀l’▶industrie automobile domine ◀l’▶évolution mondiale des industries.
Or elle est née, cette industrie n° 1, du fantasme d’un adolescent fugueur, fasciné par ◀l’▶idée de partir au hasard dans ◀la▶ campagne, loin des villes détestées, sur une machine de roule n’obéissant qu’à ses humeurs. ◀L’▶auto ne répondait alors à aucun besoin du public, bien au contraire, comme Henry Ford ◀l’▶a noté. Aujourd’hui, moins d’un siècle plus tard, c’est une nécessité primordiale pour ◀l’▶homme occidental. Elle devait servir ◀les▶ loisirs, elle mène d’abord au bureau, à ◀l’▶usine. Elle devait « rafraîchir ◀les▶ poumons », elle ◀les▶ pollue et cancérise. Elle devait permettre d’aller vite, et elle ne fait que du 4 km à ◀l’▶heure dans ◀le▶ centre de nos grandes villes, qu’elle asphyxie. Elle devait révéler ◀la▶ campagne et ◀la▶ solitude, elle ◀les▶ tue d’une manière irréversible. Car pour elle, on bétonne ◀les▶ campagnes (18 % de ◀la▶ Hollande déjà) et c’est autant d’humus perdu en quelques semaines pour des centaines de milliers d’années. Elle devait libérer ◀l’▶homme, elle ◀l’▶asservit. Ivan Illich a calculé que ◀l’▶Américain moyen qui roule ses 10 000 km par an, doit consacrer pour payer sa voiture, son essence, ses impôts, son garage, etc., tant de journées de travail, qu’au total ses 10 000 km lui auront pris environ 1700 heures de son temps, et cela fait du 6 à ◀l’▶heure — ◀l’▶allure d’un piéton.
Mais là ne s’arrêtent pas ◀les▶ bouleversements et ◀les▶ méfaits en chaîne produits par ◀l’▶auto. Comme elle ne marche pas encore sans pétrole, et que ◀le▶ pétrole consommé par ◀l’▶Europe est détenu à 80 % par ◀les▶ pays arabes, voilà ◀la▶ politique mondiale et ◀l’▶existence même d’Israël, par exemple, subordonnées en fait à ◀la▶ circulation de nos automobiles ◀le▶ dimanche. Or cette circulation quasi sacrée, qu’il faut sauver à n’importe quel prix, elle fait bon an mal an 280 000 morts chaque année dans ◀le▶ monde, et plus de 8 millions de blessés. Mais il y a plus grave. B. de Jouvenel a montré qu’elle stérilise ◀les▶ bases de ◀la▶ démocratie en transformant ◀les▶ places en parkings, et en chassant ◀les▶ piétons des rues ; car c’était sur ◀les▶ places et dans ◀les▶ rues que se formait traditionnellement ◀l’▶opinion, — de ◀l’▶agora des cités grecques en passant par ◀le▶ forum des Romains et par ◀les▶ communes médiévales, jusqu’à nos jours.
Enfin, ◀la▶ crise monétaire mondiale est due principalement, m’expliquent des banquiers, aux milliards de dollars — 16 environ — détenus par quatre ou cinq émirs et dictateurs du Proche-Orient, qui ne savent où ◀les▶ investir, et qui pourraient, selon ◀les▶ déclarations récentes du petit-fils de Henry Ford, racheter ◀la▶ General Motors et ◀la▶ Société Ford elle-même, s’ils ◀le▶ voulaient. Et voilà ◀la▶ boucle bouclée.
Résumons-nous : vers 1890, personne n’a besoin de ◀l’▶auto. Mais Henry Ford réussit à ◀l’▶imposer au monde, en quelques dizaines d’années, et voici nos villes invivables, ◀le▶ bétonnage universel, ◀la▶ nature défigurée, ◀la▶ morale quotidienne dégradée, ◀l’▶industrie et ◀l’▶économie tout entière suspendues à ◀l’▶auto, qui est elle-même suspendue aux ressources de pétrole, qui dépendent de ◀la▶ politique des Arabes, laquelle est déterminée par ◀l’▶existence d’Israël, qui a été rendue possible et nécessaire par ◀les▶ camps de ◀la▶ mort et de ◀la▶ folie de cet Hitler, que Herman Kahn n’a pas prévu.
Une histoire de fous, je vous ◀l’▶ai dit. Et seul peut-être un fou eût pu prévoir son déroulement — ou alors un homme très sensible, qui au premier contact avec la première auto, eût refusé d’instinct ce bruit, ces vapeurs, ces odeurs, et ◀l’▶idée même d’aller plus vite à n’importe quel prix, sans savoir où…
Mais voilà bien ce que nos futurologues n’eussent pas deviné davantage que ◀l’▶aventure nationale-socialiste ou fasciste, ou même stalinienne, qu’ils jugent « inattendues », aberrantes, erronées, — mais qui hélas ont fait notre histoire !
Herman Kahn vient d’avouer qu’à ses yeux, Hitler était méthodiquement imprévisible. Pourtant d’autres méthodes ◀l’▶ont bel et bien prévu.
Dès 1885, J. Burckhardt annonce ◀le▶ temps des « terribles simplificateurs » et décrit d’une manière saisissante ce que sera ◀la▶ vie des ouvriers dans ◀les▶ pays totalitaires du xxe siècle. Dans ◀le▶ même temps, Nietzsche crie son mépris pour ◀le▶ chauvinisme, ◀le▶ « nationalisme de bêtes à cornes », et ◀l’▶antisémitisme, qui se manifestent déjà en Allemagne, et dont il annonce ◀le▶ sinistre avènement européen.
Sur ◀la▶ trace de ces maîtres, entre ◀les▶ deux guerres mondiales, des groupes de jeunes gens en colère, ◀les▶ « personnalistes des années 1930 », à Paris, à Londres, en Allemagne, en Italie, et en Suisse, dénoncent en Hitler comme en Staline ◀les▶ réalisateurs énergiques et sans humour, c’est-à-dire fanatiques, du modèle de ◀l’▶État-nation posé par ◀les▶ jacobins et imposé d’abord par Napoléon. Ils voient dans ◀l’▶État totalitaire ◀l’▶achèvement logique de nos États-nations, lesquels se sont constitués depuis cent-cinquante ans aux dépens des communautés réelles qu’ils ont enfermées dans leurs frontières, mises au pas, uniformisées et vidées de leur vitalité. ◀Les▶ personnalistes annoncent d’ailleurs ◀le▶ succès des grands dictateurs, succès qui leur paraît inévitable — pour un temps —, du seul fait que ◀les▶ dictateurs proclament qu’ils apportent une réponse au grand appel qui monte de leur peuple vers une communauté nouvelle. Cette réponse est mauvaise, voire atroce, mais c’est une réponse tout de même, alors que nos démocraties bourgeoises n’ont même pas vu ◀le▶ problème, et ne soupçonnent même pas son importance fondamentale.
Mais ◀l’▶État-nation n’est pas seulement responsable de ◀la▶ décadence des liens communautaires, donc du civisme et de ◀la▶ morale sociale. Je ◀le▶ trouve aussi à ◀l’▶origine de ◀la▶ grande crise dénoncée par ◀le▶ club de Rome : pollution, désastres écologiques, urbanisation sauvage, gaspillage des ressources naturelles. Car cette crise, de toute évidence, résulte d’une très mauvaise gestion de notre terre et de ses ressources. Mais qui était ◀le▶ Gérant responsable ?
◀La▶ réponse est dangereusement simple. ◀Les▶ responsables sont ◀les▶ États-nations, nés et multipliés sur toute ◀la▶ terre, au xxe siècle. Ce sont eux seuls qui ont prétendu gérer ◀la▶ terre. Qui s’en sont octroyé ◀le▶ droit souverain. Eux seuls qui en avaient ◀les▶ moyens. Et vous voyez ce qu’ils en ont fait.
Ils ont géré et détruit ses ressources en vue de leur seule puissance et de leur seul prestige ; en vue de ◀la▶ guerre, dont tous sont nés. Ils ont créé ◀l’▶économie industrielle sur ◀la▶ base et dans ◀le▶ cadre, d’ailleurs occidental, des seules frontières nationales, et pour leurs seuls intérêts, fussent-ils contraires aux intérêts de leurs habitants et de ◀l’▶humanité en général. Comme ◀le▶ fait voir leur procédé de mesure, ◀le▶ PNB (que je voudrais appeler Prestige National Brutal) qui ramène tout à ◀l’▶État-nation et rien à ◀l’▶homme, — chef-d’œuvre inégalé de bêtise codée.
Au principe de ◀la▶ crise qui résulte de cette mauvaise gestion de ◀la▶ terre, nous tenons donc un responsable incontesté, ◀l’▶État-nation souverain sur toutes choses et gens dans ◀le▶ cadre de ses frontières, ◀l’▶État-nation tel que nous ◀l’▶avons fait, nous ◀les▶ Européens — mauvais Européens ! — et répandu sur toute ◀la▶ terre.
Et avec cela, ◀le▶ principal est sinon dit, du moins très clairement annoncé, sur ◀la▶ recherche que je propose et sur ses directions majeures : nous voyons maintenant ce qu’il s’agit de changer dans notre société européenne : c’est ◀le▶ modèle stato-national. Et nous voyons dans quelle direction il faut aller : celle qui nous permettra de refaire une communauté, des communautés, au-delà de ◀l’▶État-nation, et en deçà.
Comme il convient quand on présente une recherche, je ne saurais anticiper sur ses résultats, ni donc ◀les▶ décrire en détail ; mais vous restez en droit d’attendre, à tout ◀le▶ moins, que je vous donne mes hypothèses de travail, et ◀le▶ plan général de mon enquête.
◀La▶ critique de ◀l’▶État-nation centralisé constitue ◀le▶ point de départ obligé de cette enquête.
Elle pose en soi un problème très sérieux, voire formidable. Nous avons été formés par quatre ou cinq générations d’instruction publique à considérer que ◀l’▶État national est ◀l’▶aboutissement suprême de toute ◀l’▶histoire. Qu’il n’y a rien à imaginer au-delà. Et nous en avons persuadé ◀la▶ terre entière ; environ 150 États-nations, dont ◀les▶ deux tiers sont nés au xxe siècle. Ils se touchent tous : plus de jeu, plus de vide entre eux. Que faire contre ce mur impénétrable, apparemment inébranlable ? À supposer qu’on y arrive, créerait-on un chaos ? Une anarchie ? C’est ce que me disent ceux qui se croient « réalistes ». Et même certains autres, comme Malraux, lequel répète non sans quelque emphase que ◀le▶ xxe siècle est ◀le▶ siècle des nations, que ◀la▶ nation est ◀la▶ réalité par excellence du xxe siècle. Je lui réponds : oui, mais ◀le▶ cancer aussi, ◀la▶ pollution aussi, ◀l’▶État totalitaire aussi sont des « réalités » typiques du siècle. Ce n’est pas une raison pour ◀les▶ accepter, moins encore pour ◀les▶ glorifier.
En vérité, à y regarder de près14, nous nous apercevons que ◀l’▶État-nation est bien malade.
Et tout d’abord, sa souveraineté prétendue est de plus en plus illusoire. Selon Jean Bodin (xvie siècle), ◀la▶ souveraineté consiste dans ◀le▶ droit de déclarer ◀la▶ guerre et de conclure ◀la▶ paix quand on ◀le▶ veut, et de poser ou de casser ◀les▶ lois. Qui a encore ce droit ? ◀La▶ guerre de Suez en 1956 a permis d’en mesurer ◀le▶ peu de réalité, lorsque ◀la▶ France et ◀la▶ Grande-Bretagne ont dû stopper leurs opérations sur un froncement de sourcil du président des USA et un grognement de Moscou.
◀La▶ souveraineté de nos nations européennes ne reste réelle qu’en tant que prétexte à refuser ◀les▶ mesures d’union proposées au plan européen, qu’il s’agisse du rejet de ◀la▶ CED, ou du veto opposé par certains pays à toute mesure écologique supranationale. Ce dernier refus, d’ailleurs, est particulièrement maladroit, et révèle bien ◀la▶ faiblesse réelle de ◀l’▶État-nation ; tant il est clair qu’aucun problème écologique ne se laisse définir par nos frontières, et qu’aucune frontière politique ou économique n’a jamais arrêté ni tempête, ni virus, ni pollution de ◀l’▶air ou des eaux.
◀La▶ faiblesse fondamentale, basique, de ◀l’▶État-nation réside dans sa définition même, dans sa prétention intenable à imposer ◀les▶ mêmes frontières et ◀la▶ même administration à des réalités radicalement hétérogènes, telles que langue et sous-sol, économie et histoire. Il faudrait un miracle pour que ces réalités coïncident dans ◀l’▶espace, correspondent aux mêmes frontières, et ce miracle ne s’est jamais réalisé. ◀L’▶idée de ◀la▶ coïncidence territoriale de ◀l’▶idéologie, de ◀l’▶économie, de ◀l’▶état civil et de ◀la▶ culture serait proprement délirante si elle ne s’expliquait pas nécessairement par ◀la▶ guerre. Elle n’est plus tenable au xxe siècle.
◀L’▶État-nation ne répond plus aux problèmes économiques du monde moderne et encore moins aux réalités civiques. ◀L’▶État-nation est à la fois trop petit et trop grand. Trop petit pour jouer un rôle international, trop grand pour animer réellement ◀les▶ régions, pour offrir une structure de participation civique. Il faut donc ◀le▶ dépasser par en haut et par en bas, par ◀la▶ fédération continentale et par ◀la▶ région.
Ceci se trouve correspondre aux réalités européennes ◀les▶ plus traditionnelles, ◀les▶ plus vivantes et ◀les▶ plus créatrices.
Comparée à d’autres civilisations ou cultures, ◀l’▶Europe est caractérisée par une extrême diversité, due aux sources multiples de sa culture, et aux valeurs souvent contradictoires qu’elle a héritées de ◀la▶ Grèce, de Rome, de Jérusalem, des Celtes, des Germains, plus tard des Arabes au Sud et des Slaves à ◀l’▶Est. Impossible donc de concevoir une union européenne sur un modèle stato-national, unifié et centralisé, ni en tant que ligue d’États. ◀Le▶ seul modèle rendant justice à ◀la▶ diversité de ces réalités, et pouvant rendre fécondes leurs tensions innombrables, sans sacrifier l’un de leurs termes, c’est ◀la▶ fédération.
Une simple confédération fondée sur des États souverains serait contradictoire dans ◀les▶ termes, impraticable. C’est ◀l’▶idéal qu’affirment ◀les▶ juristes et ◀les▶ chefs d’État, et c’est là leur hypocrisie. Je ◀l’▶appelle ◀l’▶amicale des misanthropes. Cela peut se dire, non se faire.
◀La▶ seule forme d’union concevable et praticable étant donné ◀les▶ réalités spécifiquement européennes, serait une fédération fondée sur des régions, plus petites que nos États actuels, et la plupart du temps chevauchant leurs frontières.
Voilà pour ◀le▶ cadre continental. Plus important, plus neuf, plus intéressant aussi pour ◀le▶ reste du monde en quête d’un nouvel équilibre : ◀le▶ contenu régional de ◀la▶ société européenne de demain.
Mais attention : ◀les▶ régions que je conçois et cherche à repérer, à définir, ne seront pas des mini-États-nations qui reproduiraient en pire ◀les▶ prétentions absurdes des grandes : souveraineté illimitée et frontières identiques imposées à toutes ◀les▶ réalités publiques.
◀Le▶ modèle que nous recherchons prévoit par hypothèse des régions fonctionnelles, c’est-à-dire définies par des fonctions soit économiques, soit culturelles et éducatives, soit écologiques, soit sociales, et dont ◀les▶ aires territoriales ne se recouvrent pas plus que ◀les▶ réalités fonctionnelles.
On imagine ◀la▶ complexité du tissu régional créé par ces fonctions diversement superposées. Mais justement : complexité est l’un des mots-clés du modèle recherché, l’un des mots-clés de ◀l’▶Europe aussi. ◀L’▶anti-Europe, c’est celle des « terribles simplificateurs » dont parlait J. Burckhardt, celle des dictatures totalitaires du xxe siècle. ◀L’▶Europe créatrice a toujours cultivé ◀la▶ complexité, qui rend justice aux caractères spécifiques de nos peuples et, plus encore, aux vocations personnelles.
Un autre mot-clé de notre modèle, c’est ◀l’▶adjectif petit.
◀La▶ motivation ◀la▶ plus profonde du modèle régional étant d’offrir une structure de participation civique à ◀la▶ personne, elle implique ◀la▶ valorisation des petites communautés. Là seulement ◀l’▶homme peut être vraiment libre, car là seulement il est vraiment responsable.
Jean-Jacques Rousseau ◀l’▶avait déjà bien vu et très bien dit dans ◀le▶ Contrat social, au chapitre où il démontre que plus une cité s’agrandit, moins ses citoyens ont de prise sur ses réalités, moins nombreux donc y sont ◀les▶ responsables de tout ordre, à tel point que dans un grand pays, il n’y a plus que quelques ministres tout puissants, et dans un très grand pays, un seul chef ou dictateur.
Participation des personnes à des communautés de toute espèce, aussi nombreuses et variées que possible, pluralité des allégeances, liberté garantie par ◀l’▶exercice de responsabilités concrètes, voilà ◀l’▶éthique et ◀la▶ philosophie du modèle de société fédéraliste dont ◀l’▶établissement me paraît définir ◀la▶ vocation de cette génération, et non seulement la dernière chance de ◀l’▶Europe, mais l’une des plus belles chances de ◀l’▶homme en général.