VI. Dubrovnik : assemblée générale annuelle de▶ ◀l’▶Association européenne des festivals ◀de▶ musique
Du 20 au 24 octobre 1974
Chaque année dans un autre pays, au siège ◀de▶ l’un ◀de▶ ses membres, ◀l’▶AEFM, que je fondais il y a près ◀d’▶un quart ◀de▶ siècle avec ◀l’▶aide ◀d’▶Igor Markevitch, réunit ◀les▶ directeurs des plus grands festivals ◀de▶ ◀l’▶Europe. Il y a deux ans, c’était à Jérusalem… ◀L’▶année dernière, Bath, pure merveille ◀d’▶architecture classique anglaise — à quelques kilomètres cependant des mégalithes ◀de▶ Stonehenge aux cygnes chanteurs. Et ◀l’▶an prochain, ce sera sans doute Athènes. Ou Helsinki ?
Nous sommes très loin, dans nos débats, des affrontements politiques officiels. Plutôt soucieux ◀d’▶oppositions qui se manifestent dans ◀la▶ réalité des festivals, telles qu’élites-masses, ou œuvres classiques-expérimentation.
◀L’▶AEFM est la première institution européenne qui ait accueilli ◀l’▶Europe entière, ◀de▶ ◀la▶ Pologne au Portugal, ◀de▶ ◀l’▶Écosse à ◀la▶ Bohême, ◀de▶ ◀la▶ Suisse à ◀l’▶Espagne, et ◀de▶ Bayreuth à ◀la▶ Croatie, où nous nous retrouvons aujourd’hui ; dans ◀l’▶antique Raguse et ◀l’▶actuelle Dubrovnik.
Pendant que se déroulent nos séances dans un bel hôtel sur ◀la▶ mer, hors des remparts ◀de▶ ◀la▶ vieille ville — et c’est, je crois, ◀la▶ 23e session que je préside, avec un plaisir renouvelé par ce genius loci qui chaque fois nous surprend — je ne puis m’empêcher ◀de▶ penser, par-dessus ◀le▶ déroulement des débats en trois langues, au hasard qui a voulu que cette année nous amène dans ce pays-ci : celui qui se trouve illustrer, ◀de▶ ◀la▶ manière ◀la▶ plus précise, ◀la▶ problématique des congrès auxquels je viens de participer. Régions, fédéralisme, autogestion sont depuis vingt ans ◀les▶ mots-clés ◀de▶ ◀la▶ Yougoslavie contemporaine comme ils ◀le▶ seront ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀de▶ demain.
Régions contre centralisation politique : ◀la▶ Yougoslavie se compose ◀de▶ six républiques et ◀de▶ deux provinces autonomes, dont ◀les▶ rapports sont déterminés par une constitution fédérale. On y parle autant ◀de▶ langues qu’en Suisse, c’est-à-dire quatre. On y pratique au moins quatre religions : orthodoxie, catholicisme, islam, et communisme athée. Il s’agit ◀d’▶arranger tout cela, et non pas ◀de▶ ◀l’▶uniformiser.
Autogestion contre bureaucratie. Et cela ne concerne pas seulement ◀l’▶économie industrielle, c’est-à-dire ◀le▶ statut des usines [où ◀l’▶autogestion est acquise, officiellement, et n’en marche pas mieux] mais encore ◀le▶ statut des communes et régions, étroitement bridé jusqu’ici par ◀le▶ pouvoir central, et plus encore, par ◀le▶ Parti qui ◀le▶ détient.
Au-dehors, ◀la▶ tempête n’a pas désemparé pendant ◀les▶ quatre jours ◀de▶ ◀la▶ session. Je n’ai trouvé qu’une seule heure ◀d’▶accalmie, le troisième jour, pour revoir ◀la▶ Plaça, qui est ◀la▶ longue rue centrale ◀de▶ ◀la▶ cité, dallée ◀de▶ marbre bien usé, où je me souviens que d’autres fois, il y a dix ans, il y a cinq ou six ans, nous marchions à pieds nus, par ◀les▶ beaux soirs ◀d’▶été. Sur toutes ◀les▶ places, on jouait des opéras dans des décors ◀de▶ marbre jaune. Et dans ◀la▶ forteresse Lobrienac paraissait ◀le▶ spectre ◀d’▶Hamlet.
Tous ◀les▶ dilemmes tragiques ◀de▶ notre Europe trouvent ici leur illustration.
◀La▶ devise ◀de▶ ◀la▶ cité est Libertas ; ◀la▶ doctrine ◀de▶ ◀l’▶État : Autogestion.
Répondant au Syndic ◀de▶ ◀la▶ ville, le dernier soir, j’ai pu célébrer ◀de grand cœur ces deux termes, qui résumaient tout mon automne européen, tout notre espoir.