« Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations » (septembre 1975)w x
Ne risque-t-on pas de remplacer un chauvinisme national par un chauvinisme régional ?
Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations. Ce serait bien pire que les▶ grands. Ce seraient ◀les▶ défauts des grands plus ◀l’▶esprit de clocher. Ce qu’il faut, c’est tout recommencer par en bas, créer des liens réels au niveau ◀le▶ plus terre-à-terre, à partir de tâches communes et sans exiger d’abord une révolution complète : ◀les▶ gouvernements ne se mettront jamais à genoux devant ◀les▶ régions.
Au pire — au mieux —, si un mouvement régionaliste très puissant réussissait à renverser ◀les▶ gouvernements centraux, il serait obligé de reprendre leur place et il serait occupé comme ◀les▶ autres à rester au pouvoir. C’est donc une voie sans issue.
◀La▶ réforme, donc, plutôt que ◀la▶ révolution…
Il nous faudrait partir des racines, puis dresser un plan. Par exemple, dans ◀la▶ région que j’appelle lémano-alpine, pour rester volontairement un peu vague, c’est difficile de dresser un plan d’actions communes à mener par ◀les▶ gens du pays de Gex, de Genève, des deux Savoie, en partie du Bas-Valais, du Val d’Aoste et du canton de Vaud, tout ce qui est autour du Léman. Une quantité de problèmes seraient à résoudre sur place par des gens de ◀la▶ région, avec ◀l’▶aide des élus locaux.
Par exemple ◀le▶ problème de sauvetage du Léman, de ◀l’▶épuration des eaux du Rhône (qui intéresse toute ◀la▶ vallée jusqu’à Marseille et même, au-delà, une partie de ◀la▶ Méditerranée), protéger ◀les▶ poissons — et donc ◀les▶ habitants des rives — contre ◀le▶ mercure qu’on déverse chaque jour dans ◀le▶ lac, au point que ◀la▶ lotte n’est plus comestible. ◀Les▶ concentrations deviennent, aujourd’hui déjà, plus fortes qu’à Minamata. Donc, des accidents épouvantables, du type japonais, sont possibles d’un jour à l’autre dans notre région. Il y a là une tâche énorme à accomplir en commun.
◀La▶ nappe phréatique, aussi, est commune aux Genevois, aux Gessiens et aux Savoyards. Elle est très menacée, d’épuisement, de contamination, de pollutions diverses. Il faut que tout le monde s’y mette. Il ne faut pas laisser un gouvernement répondre à un autre qu’il n’est pas question de coopérer parce que, en temps de guerre, on serait très embêté si on avait ◀la▶ même station de pompage…
Il y a ◀les▶ problèmes de ◀l’▶aéroport qui sont évidemment communs aux deux côtés de ◀la▶ frontière. Il y a ◀le▶ problème des travailleurs frontaliers, celui de ◀l’▶énergie, ◀la▶ question de Verbois-ou-de-pas-Verbois-nucléaire, parce qu’on ne me fera pas croire que ◀la▶ frontière arrêterait ◀les▶ effets d’un accident grave, que ◀les▶ douaniers arrêteraient ◀les▶ neutrons…
Il y a des problèmes d’éducation : il n’est pas tolérable que des enfants de travailleurs étrangers ne disposent pas du même droit à ◀la▶ formation professionnelle que ◀les▶ Suisses. C’est en train de s’arranger, mais il aura fallu des années. Il y a ◀le▶ problème de ◀la▶ coopération entre ◀les▶ universités de ◀la▶ grande région Besançon – Lyon – Saint-Étienne – Grenoble – Aoste – Fribourg – Lausanne – Neuchâtel. Dans ce triangle, on trouve seize instituts universitaires. Vu cette densité extraordinaire, ◀les▶ universités devraient s’entendre pour des échanges d’étudiants, de professeurs (actuellement, des professeurs français enseignent en Suisse, mais ◀la▶ réciproque n’est pas possible). Il faut, au besoin, créer des équipes de travail par-dessus ◀les▶ frontières. Certaines recherches nécessitent des appareillages trop coûteux pour une seule université. ◀Les▶ langages des ordinateurs des diverses universités doivent être uniformisés.
Même cela, n’est-ce pas déjà une manière de sédition ?
Il y a des centaines de choses qu’on peut faire ensemble et pour lesquelles on n’a pas besoin d’autorisations. Si vous demandez à d’autres ◀le▶ droit d’être libre, vous êtes perdu ! ◀La▶ liberté, c’est une chose qu’on prend, qu’on mérite et, surtout, dont on se montre digne en étant responsable. Responsable : je tiens au mot. Car après tout, sans responsabilité, il n’y a pas de civisme, pas de participation du citoyen aux affaires publiques, pas de communauté ! Et c’est ◀la▶ nostalgie d’une communauté humaine restaurée, d’un lien de participation réelle, de luttes communes, d’amitiés et de voisinage retrouvé, qui me motive, quand je lutte pour ◀la▶ région.