Message de▶ M. Denis de Rougemont (1976)z
Robert Schuman, piéton tranquille sur ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀l’▶histoire a frayé ◀la▶ voie vers ◀l’▶union fédérale en s’y avançant le premier !
◀L’▶Europe des esprits et des cœurs, c’est elle qui motiva au premier chef Robert Schuman.
Aux yeux de ◀l’▶histoire, il restera ◀l’▶homme d’État grâce auquel la première Communauté européenne a pu voir ◀le▶ jour. Mais lui-même, comme jeune homme, s’était rêvé un avenir tout différent, celui ◀de▶ ◀l’▶homme ◀de▶ culture et ◀de▶ méditation qu’il fut, en fait, ◀d’▶une manière invisible mais réelle et qui, loin ◀d’▶être marginale par rapport à son œuvre politique, pourrait bien en être ◀la▶ source.
Personnellement, je vois ◀la▶ preuve ◀de▶ cela dans ◀le▶ fait qu’il accepta ◀de▶ présider, pour un temps bref mais décisif, deux institutions au sort desquelles j’avais eu ◀le▶ bonheur ◀de▶ ◀l’▶intéresser : ◀le▶ Centre européen de la culture à Genève, puis, née du Centre, ◀la▶ Fondation européenne présidée par S. A. R. ◀le▶ prince Bernhard des Pays-Bas.
Dans quel esprit ◀l’▶homme politique ◀de▶ premier plan qu’était devenu Robert Schuman jugeait-il ◀la▶ fonction ◀de▶ ces deux entreprises, si modestes au regard de ◀la▶ CECA ? Relisant ◀le▶ précieux recueil ◀de▶ textes Pour ◀l’▶Europe, réunis par lui à ◀la▶ fin ◀de▶ sa vie, je trouve ces mots qu’on ne saurait souhaiter plus éclairants et qui servent ◀de▶ titre à son deuxième chapitre :
◀L’▶Europe, avant ◀d’▶être une alliance militaire ou une entité politique, doit être une communauté culturelle.
Et dans ce même chapitre, je souligne cette phrase :
◀L’▶unité ◀de▶ ◀l’▶Europe ne se fera ni uniquement ni principalement par des institutions : leur création suivra ◀le▶ cheminement des esprits.
Selon Littré, cheminement signifie « action ◀de▶ cheminer » et cheminer « faire du chemin, surtout en ce sens que ◀le▶ chemin est long et qu’on ◀le▶ parcourt lentement ».
On sent bien ici que Schuman n’a jamais eu en réalité à « interrompre sa méditation pour passer à ◀l’▶action » (comme ◀l’▶a écrit Jean Monnet) puisque c’est tout naturellement que sa méditation s’est poursuivie en création et n’a cessé ◀de▶ soutenir son action.
Voilà pourquoi cet homme d’État ◀d’▶allure volontairement modeste, aura été plus créateur que ◀les▶ grands ténors ◀de▶ ce siècle. Piéton tranquille sur ◀les▶ chemins ◀de▶ ◀l’▶histoire, il a frayé ◀la▶ voie vers ◀l’▶union fédérale en s’y avançant le premier. Et certes, il n’a jamais entretenu ◀l’▶illusion qu’il irait lui-même jusqu’au but. Il m’avait dit un jour ◀de▶ 1960, dans un moment ◀de▶ confidence :
Je suis sans doute trop vieux pour surmonter ◀l’▶idée ◀de▶ nation souveraine, dans laquelle j’ai été élevé. Ce sera ◀l’▶affaire ◀de▶ votre génération.
Trois lustres ont passé déjà sans que rien nous rapproche visiblement du but. Comment sauver ◀la▶ face ◀de▶ ma génération ? Il nous reste assez peu ◀d’▶années. Quant à repasser ◀le▶ flambeau, selon ◀le▶ cliché, ce serait une démission, voire une abdication qui ne trouverait plus personne pour ◀l’▶accepter, je ◀le▶ crains. Parce qu’il n’y aurait plus même ◀d’▶Européens.