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Que tout appelle les▶ régions
◀L’▶autonomie des communes appelle ◀les▶ régions
Pour devenir, enfin, ◀l’▶école ◀de▶ ◀la▶ liberté que Tocqueville voyait en elle, ◀la▶ commune doit se rendre autonome. Mais ◀les▶ moyens ◀de▶ cette autonomie — savoir, technique et pouvoir financier — excèdent dans bien des cas ◀les▶ ressources locales, même dans ◀les▶ pays où ◀l’▶État central n’en draine pas 80 % à son profit. Faudra-t-il de nouveau ◀les▶ mendier à ◀l’▶État ? Non, car en ◀les▶ donnant ◀d’▶une main, il reprendrait ◀de▶ l’autre notre autonomie. Qu’il s’agisse ◀d’▶avoir notre école, ◀de▶ mener notre lutte locale contre spéculateurs et pollueurs, ◀d’▶épurer nos rivières ou ◀d’▶améliorer ◀les▶ voies ◀de▶ communication sans détruire nos cultures et nos rues, ◀le▶ problème est ◀le▶ même pour ◀les▶ communes voisines, et ◀la▶ solution qui s’impose est celle du syndicat intermunicipal. Or, ce système, qui se répand sans bruit dans toute ◀l’▶Europe, trouve son lieu et sa formule dans ◀la▶ région : il nous permet ◀de▶ définir celle-ci, en première approximation, comme une grappe ◀de▶ communes, puis, avec un peu plus ◀de▶ précision, comme ◀l’▶ensemble ◀de▶ plusieurs syndicats ◀de▶ communes, répondant chacun aux nécessités ◀d’▶un domaine spécifique — écoles, environnement, transports, aménagement du territoire, etc., chacun groupant celles des communes qui ◀le▶ désirent, qui en ont besoin, sans obligation pour ◀les▶ autres.
◀L’▶espace normal ◀d’▶action civique ne peut plus être ◀la▶ tribu et ne sera jamais ◀la▶ nation étatisée. Pour ◀l’▶Occident moderne, c’est ◀la▶ commune. Ce sont alors ◀les▶ besoins ◀de▶ ◀la▶ commune qui nous amènent à voir dans ◀la▶ région ◀l’▶aire des communes fédérées en vue ◀d’▶une tâche qui est vitale pour chacune mais qui excède ◀les▶ forces ◀d’▶une seule.
◀La▶ région devient ainsi ◀le▶ mot-clé ◀de▶ notre avenir, si nous ◀le▶ voulons démocratique, en tant que lieu ◀de▶ ◀la▶ coopération grâce à laquelle ◀les▶ communes vont trouver ◀les▶ moyens qui leur manquent pour traiter effectivement ◀de▶ nos affaires. En d’autres termes, si ◀les▶ communes assurent ◀la▶ possibilité ◀de▶ ◀la▶ communauté générale, c’est ◀la▶ région qui assure leur efficacité.
◀L’▶aménagement du territoire ne trouve ses réalités qu’à ◀l’▶échelon des régions
Selon l’un des grands géographes du siècle dernier, Vidal de la Blache, « une région n’est pas quelque chose qu’il faut délimiter, mais qu’il s’agit ◀de▶ reconnaître ». Et qu’est-ce qu’aménager ◀le▶ territoire, sinon reconnaître ces différences locales et régionales, et s’efforcer ◀d’▶y adapter ◀l’▶implantation des constructions urbaines et des industries tout en préservant ◀l’▶environnement et ◀les▶ cultures, de manière à établir des proportions optimales entre population et ressources, zones agricoles, zones à bâtir et zones « sauvages » ?
C’est dire que cette activité n’a guère ◀de▶ sens au niveau national et n’en prend qu’à ◀l’▶échelon ◀de▶ ◀la▶ région, qu’elle contribue d’ailleurs à identifier.
Mais alors, ◀l’▶entité régionale, complexe ◀de▶ fonctions qui s’exercent dans un espace limité par ◀les▶ conditions mêmes ◀de▶ leur équilibre, a ◀les▶ meilleures chances ◀de▶ devenir un facteur ◀de▶ régulation et ◀d’▶harmonisation ◀de▶ ◀la▶ croissance.
Supposons que ◀la▶ région, comme tout ◀l’▶y porte, choisisse ◀d’▶utiliser par priorité ses sources locales ◀d’▶énergie (charbon, eau, vents, soleil) et qu’elle y ordonne ◀la▶ nature et ◀les▶ rythmes ◀de▶ sa production. ◀L’▶emprise ◀de▶ ◀l’▶État central se relâchera ◀d’▶autant ; ◀le▶ gaspillage diminuera, et avec lui ◀les▶ tensions financières et ◀la▶ nécessité ◀d’▶emprunts renouvelés ; il y aura moins ◀de▶ publicité massive par ◀les▶ grandes agences ◀de▶ ◀l’▶État, donc une meilleure adaptation ◀de▶ ◀la▶ production aux besoins réels des consommateurs. En lieu et place de ◀la▶ croyance magique à ◀l’▶expansion indéfinie et à tout prix, laquelle motive dans ◀la▶ population consommatrice ◀l’▶insatisfaction permanente, et dans ◀l’▶industrie productrice une perpétuelle fuite en avant.
Que ◀l’▶instauration ◀d’▶entreprises et ◀d’▶usines nouvelles doive être soumise, dans un proche avenir, à ◀l’▶approbation des communautés locales et régionales paraît « hautement probable » aux experts américains ◀d’▶aujourd’hui. Cette hypothèse s’inscrit d’ailleurs dans une structure ◀d’▶évolution très générale. Tandis que ◀le▶ développement ◀de▶ ◀l’▶industrie, pour une foule ◀de▶ raisons convergentes — techniques, sociales et politiques, psychologiques et commerciales — conduit à ◀la▶ multiplication des petites et moyennes entreprises158, mais simultanément à ◀la▶ formation ◀de▶ multinationales, ◀la▶ grande entreprise nationale se découvre de plus en plus mal adaptée à ◀la▶ conjoncture mondiale. De même, ◀l’▶État-nation tout uniformisant dans ses frontières et toujours prêt à se refermer comme ◀l’▶escargot à ◀la▶ moindre suggestion — à ce double titre, facteur ◀d’▶entropie — se voit promis à ◀la▶ dissociation au profit des régions, d’une part, et des agences fédérales continentales, d’autre part, facteurs ◀d’▶information, donc ◀de▶ néguentropie.
◀La▶ lutte contre ◀la▶ pollution ne devient efficace que dans ◀l’▶espace régional
Au niveau national, ◀l’▶échec est manifeste. Car ce n’est pas seulement ◀la▶ « toute-puissance » ◀de▶ ◀l’▶État qui est à redouter, là où elle ne devrait pas exister (cas ◀de▶ ◀la▶ censure, par exemple), mais c’est bien plus encore son impuissance, là où il faudrait agir : circulation automobile, sociétés multinationales, pollution.
Dans ◀la▶ revue ◀d’▶une association nationale qui entend représenter ◀l’▶ensemble des automobilistes, je lis :
« ◀L’▶auto est devenue ◀l’▶instrument légal du meurtre. Nos autorités ont capitulé depuis longtemps devant ce chaos. » Et plus loin : « ◀L’▶État n’a pas encore réussi à obtenir des intéressés ◀le▶ respect des prescriptions pour ◀la▶ protection des eaux. » Ou encore : « ◀De▶ graves lacunes existent au niveau cantonal, communal et régional. » (Nous sommes en Suisse.)
Ailleurs, dans ◀les▶ pays maritimes, ◀la▶ lutte contre ◀la▶ pollution des plages et des fonds marins est ouvertement sabotée par ◀les▶ pouvoirs publics avec ◀le▶ cynisme tranquille ◀de▶ ceux qui savent que ◀le▶ souverain ne dispose ◀d’▶aucun moyen ◀d’▶intervention. Un centre ◀de▶ recherche scientifique établit-il ◀la▶ liste des plages où ◀la▶ baignade présente un danger faible, moyen ou « mortel », ◀l’▶État, par un ◀de▶ ses ministres, fait interdire ◀la▶ publication des résultats et réduit ◀de▶ moitié sa subvention à ◀l’▶institut coupable ◀d’▶objectivité scientifique et ◀de▶ divulgation ◀d’▶informations nuisibles à ◀l’▶accroissement du PNB. ◀L’▶Assemblée nationale, dans son rapport sur ◀la▶ pollution du littoral méditerranéen, déplore ◀l’▶impuissance des services chargés ◀de▶ ◀l’▶environnement, qu’elle accuse ◀d’▶être « à la fois juges et parties, puisqu’ils sont chargés aussi bien du développement que ◀de▶ ◀la▶ défense du milieu marin ». Admirons ◀l’▶aveu : dans ◀le▶ jargon stato-national, « développer » un milieu est exclusif ◀de▶ ◀le▶ « défendre » et conduira donc à sa destruction à terme, conformément à ◀la▶ logique ◀de▶ ◀la▶ croissance à tout prix.
Tout cela ne serait rien s’il s’agissait ◀de▶ méchants hommes : on pourrait ◀les▶ calmer, ◀les▶ remplacer par d’autres. Ce qui est tout à fait grave, c’est que ◀les▶ autres, quels que soient leur parti, leur talent, leur volonté bonne ou mauvaise, feraient pareil ou pire ; et ce qu’on devrait leur reprocher serait seulement ◀d’▶être là où, si bon que ◀l’▶on soit, on ne peut faire que du mal, parce que c’est ◀le▶ système qui ◀le▶ veut.
Tout cela désigne donc ◀les▶ changements nécessaires : là où ◀l’▶État central est impuissant, créer ◀de▶ vrais services publics, c’est-à-dire au service du public et contrôlés directement par lui, comme on peut ◀le▶ faire dans ◀la▶ commune et ◀la▶ région ; là où ◀l’▶État central s’avère sans pouvoir, créer ◀l’▶Autorité européenne. Plus évidente encore est ◀la▶ carence ◀de▶ nos pouvoirs nationaux devant ◀les▶ phénomènes ◀de▶ pollution qui sévissent ◀de▶ part et ◀d’▶autre ◀de▶ nos frontières « nationales ». Je pense au Rhin, au lac Léman, à ◀la▶ région côtière qui va ◀de▶ Marseille à Gênes. Il n’y a plus ◀de▶ responsables, là où ◀le▶ sont en fait deux pays souverains, trop contents ◀de▶ pouvoir expliquer leur carence par celle du voisin.
◀La▶ pollution ne connaît pas ◀de▶ frontières, et nos enfants ◀le▶ voient très bien. Mais nous voyons aussi que nos ministres ◀l’▶ignorent, parce qu’ils estiment ◀les▶ intérêts ◀de▶ ◀l’▶État plus importants, absolument, que ◀les▶ « statistiques fastidieuses » ◀d’▶écologistes qui exagèrent.
Mais cet excès ◀d’▶orgueil crée son humiliation. Des dizaines ◀de▶ milliers ◀d’▶associations privées pour ◀la▶ sauvegarde écologique des régions — quelle que soit leur définition, géographique, économique, historique ou sociopolitique — quoique sans nul pouvoir prennent ◀de▶ ◀l’▶autorité. On va ◀les▶ écouter, car elles ont beaucoup mieux que des fonds et ◀l’▶appui ◀de▶ ◀la▶ mafia : elles ont une influence électorale. On ◀l’▶a vu ◀l’▶an dernier en Grande-Bretagne, dans vingt départements français, et dans ◀le▶ canton ◀de▶ Genève, notamment, où ◀les▶ candidats et candidates aux élections locales et nationales ont pris ◀la▶ tête partout où ils s’étaient engagés à soutenir ◀les▶ mesures demandées par ◀de▶ nombreuses Associations civiques contre ◀les▶ pollutions ◀de▶ toute nature — et cela dans ◀les▶ partis ◀de▶ toute couleur, socialistes, libéraux ou centristes. C’est qu’à ◀l’▶échelle locale, quelques centaines ◀de▶ voix de plus ou ◀de▶ moins peuvent faire toute ◀la▶ différence. C’est surtout, qu’à ◀l’▶échelle locale et régionale, ◀la▶ vie quotidienne est sentie comme qualité (ou manque ◀de▶ qualité) tandis que ◀les▶ États ne peuvent que mesurer leur PNB.
◀La▶ crise ◀de▶ ◀l’▶énergie appelle ◀les▶ régions
◀La▶ petite panique créée par ◀la▶ crise du pétrole en 1973-1974 a beaucoup appris aux Européens. Et notamment ceci : que ◀l’▶État prélève jusqu’à 70 % du prix ◀de▶ ◀l’▶essence vendue à ◀l’▶industrie et aux garages, et qu’il serait donc ◀le▶ grand bénéficiaire ◀de▶ ◀la▶ montée des prix du pétrole brut, s’il n’y avait ses achats directs pour ◀les▶ armées, aviation, marine et chars, qui risquent ◀de▶ ◀les▶ mettre en état ◀de▶ dépendance partielle, économique et financière, des Arabes. Ce danger éventuel fournit aux États-nations ◀le▶ meilleur prétexte à pousser leur propagande en faveur des centrales nucléaires, présentées comme ◀le▶ gage ◀d’▶une indépendance nationale reconquise. Certes, ◀l’▶électricité produite par ces centrales ne remplacera ni ◀le▶ kérosène dans ◀les▶ moteurs ◀d’▶avion, ni ◀le▶ mazout dans ◀les▶ turbines des grands navires, ni ◀l’▶essence pour ◀les▶ chars et ◀les▶ camions ; mais ce détail ne paraît troubler ni ◀l’▶opinion ni donc ◀le▶ Parlement.
À vrai dire, ◀les▶ centrales nucléaires intéressent ◀l’▶État au premier chef en tant qu’instruments ◀de▶ pouvoir. Elles ne lui assureraient pas seulement ◀le▶ monopole ◀de▶ ◀la▶ production et ◀de▶ ◀la▶ distribution ◀d’▶énergie, mais ◀de▶ puissants moyens ◀de▶ manipulation des investissements, et ◀les▶ meilleures raisons ◀d’▶étendre encore ◀le▶ contrôle policier préventif ◀de▶ tout et ◀de▶ tous — un commando est si vite arrivé…
Cette situation, lourde des pires dangers pour nos libertés et ◀la▶ paix, appelle des mesures conservatoires ◀de▶ ◀l’▶humain et ◀de▶ ◀la▶ nature, celles que réclament dès aujourd’hui des dizaines ◀de▶ milliers ◀d’▶associations pour ◀la▶ sauvegarde ◀de▶ ◀l’▶environnement, et avec elles tous ◀les▶ esprits assez lucides pour voir dans ◀l’▶actuelle dissémination des armes nucléaires par trois ou quatre États européens, ◀la▶ mise en place, très calme et rigoureuse, assortie ◀de▶ garanties tatillonnes, des moyens ◀d’▶extinction pacifiques — c’est promis — et au surplus rentables, ◀de▶ notre espèce.
◀Le▶ principe des mesures conservatoires à proposer se déduit aisément des programmes stato-nationaux que ◀l’▶on connaît, par inversion ◀de▶ leurs visées et caractéristiques principales.
Programme des États-nations : construire un nombre illimité ◀de▶ centrales toujours plus puissantes (10 000 MW vers ◀la▶ fin du siècle) décrétées ◀d’▶intérêt national, et permettant ◀d’▶accroître indéfiniment ◀la▶ puissance des armements atomiques des pays qui auront promis solennellement ◀de▶ ne jamais s’en servir. Et tant pis pour ◀l’▶environnement.
Programme des « maniaques ◀de▶ ◀l’▶environnement » : remplacer ◀les▶ grandes centrales que voulait imposer ◀la▶ capitale, par des milliers ◀d’▶installations ◀de▶ petite taille, justement dites ◀d’▶intérêt local — hydrauliques, éoliennes, solaires — de manière à accroître ◀les▶ autonomies municipales et régionales, et à prévenir ◀les▶ concentrations stato-nationales ◀de▶ puissance, tout en respectant ◀l’▶environnement.
Ce programme implique ◀les▶ régions. Il ◀les▶ promeut dans ◀la▶ mesure où il ◀les▶ montre nécessaires. Au surplus, nous voyons ◀les▶ régions se former dans ◀la▶ lutte contre ◀les▶ centrales, par une dialectique exemplaire.
◀La▶ révolte contre ◀les▶ centrales nucléaires appelle ◀les▶ régions transfrontalières
Autour de Bâle, au coude du Rhin, en Suisse alémanique, en Haute-Alsace et dans ◀le▶ pays ◀de▶ Bade-Wurtemberg, une région s’est fait reconnaître par un complexe ◀de▶ problèmes communs, dans un paysage ◀de▶ vallée fluviale borné par ◀le▶ Jura au sud, ◀les▶ Vosges au nord-ouest et ◀la▶ Forêt noire au nord-est. On y parle avec des accents différents presque ◀le▶ même dialecte germanique159. Cette Regio basiliensis qui se trouve actuellement partagée entre trois nations, est en réalité au centre ◀de▶ ◀l’▶Europe, mais pour chacune des capitales, elle est faite ◀de▶ cantons périphériques. Autour de Genève et du Léman ◀d’▶où sort ◀le▶ Rhône, en Suisse romande, dans ◀le▶ pays ◀de▶ Gex, en Savoie et dans ◀le▶ Val ◀d’▶Aoste, entre ◀les▶ Alpes et ◀le▶ Jura, une région cherche à exister quoique divisée par ◀les▶ frontières ◀de▶ trois États.
Dans ◀les▶ deux cas, un grand nombre ◀d’▶études, ◀de▶ statistiques et ◀de▶ propositions concrètes ont été faites. Peu ◀d’▶actions communes à ce jour : ◀la▶ frontière bloque tout. On nous disait : Votre région n’est qu’une vue ◀de▶ ◀l’▶esprit (merveilleuse expression, en vérité, dont on comprend qu’elle exaspère ◀les▶ sots), personne n’y croit, personne n’est prêt pour elle à consentir ◀le▶ moindre sacrifice.
Or, il advient que ◀les▶ trois gouvernements qui prétendent gérer chacun à sa manière son secteur ◀de▶ ◀la▶ même Regio décrètent ◀la▶ construction ◀de▶ centrales nucléaires qui jetteront leur chaleur dans ◀le▶ Rhin et leurs déchets on ne sait où : sept réacteurs en France, quatre en Allemagne et cinq en Suisse, seize en tout, quand un seul suffirait pour cette région hautement industrialisée et ◀de▶ population très dense. Chacun des projets nationaux se voit fortement contesté dans son pays, pour des raisons ◀de▶ sécurité et ◀de▶ sauvegarde ◀de▶ ◀l’▶environnement. Mais ◀l’▶ensemble ◀de▶ seize réacteurs dans un rayon restreint autour du coude du Rhin paraît tout simplement dément aux yeux ◀d’▶un expert non prévenu. Seul, ◀le▶ profond réalisme stato-national, ignorant tout ce qui vit, et agit, et rayonne ◀de▶ l’autre côté ◀de▶ ◀la▶ frontière, peut « justifier » ce délire nucléaire.
Mais ◀la▶ population, mobilisée par quelques citoyens mieux informés que ◀la▶ moyenne des ministres et des députés, décide ◀de▶ faire valoir son droit ◀de▶ regard sur ce qui se passe dans ◀la▶ région, en dépit des aspects subversifs et illégaux ◀de▶ cette prétention.
À Markolsheim en France, à Wyhl en République fédérale, à Kaiseraugst dans ◀le▶ canton ◀d’▶Argovie, des occupations ◀de▶ chantier s’organisent dès 1974 : Suisses et Allemands en France, Français et Suisses en Allemagne, Allemands et Français à Kaiseraugst avec des Confédérés venus de toute ◀la▶ Suisse, interdisent par leur seule présence non violente ◀l’▶ouverture des travaux, réclament des enquêtes jamais faites jusque-là sur ◀les▶ incidences climatiques des centrales, et finalement obtiennent un moratoire ◀d’▶un an.
Des voix s’élèvent en Suisse, condamnant ces atteintes à ◀la▶ « démocratie ◀de▶ droit ». Mais comment accuser un peuple ◀de▶ ruiner ◀la▶ démocratie parce qu’il entend rester ◀le▶ maître ◀de▶ ses affaires ? Bien plutôt il ◀la▶ fonde en s’opposant au coup ◀de▶ force du pouvoir central.
Aux 10 000 manifestants qui se sont joints aux occupants du chantier ◀de▶ Kaiseraugst, un dimanche ◀de▶ janvier 1975, j’ai envoyé ◀le▶ message suivant qui sera lu, avec beaucoup d’autres, sous une tempête ◀de▶ neige :
Aujourd’hui, ce n’est plus aux frontières qu’il faut monter ◀la▶ garde pour défendre ◀le▶ sol ◀de▶ ◀la▶ patrie : c’est ici où vous êtes, où vous campez !
Ce n’est pas ◀d’▶un pays étranger que vient ◀la▶ menace mortelle pour votre terre. Elle vient ◀d’▶un ennemi commun à vos voisins badois et alsaciens et à vous-mêmes.
Cet ennemi, c’est ◀l’▶esprit ◀de▶ puissance brutale, ◀de▶ profit matériel à court terme, qui prétend imposer ◀les▶ centrales nucléaires au mépris des droits populaires, au mépris des devoirs ◀d’▶un État responsable, au mépris des paysages, qui sont ◀la▶ chose ◀de▶ tous dans ◀l’▶ensemble régional, et non pas ◀d’▶un ou deux propriétaires ◀d’▶un morceau ◀de▶ sol ; et enfin, au mépris ◀de▶ ◀la▶ justice, à laquelle on prétend, une fois de plus, opposer ◀la▶ légalité.
Oui, je sais, il y a cette loi sur ◀l’▶énergie nucléaire qui donne tous pouvoirs au Conseil fédéral, et c’est ◀le▶ peuple qui ◀l’▶a votée.
Mais alors il était ignorant des dangers que représentent ◀les▶ centrales nucléaires, et aussi ◀de▶ leur prix fantastique.
◀La▶ loi qu’il a votée dans ◀l’▶ignorance, ◀le▶ peuple peut ◀la▶ rapporter demain. Mais il doit, aujourd’hui, en appeler contre elle à ◀l’▶instinct ◀de▶ conservation du genre humain. Vous êtes en état ◀de▶ légitime défense !
Aux États-Unis, l’autre jour, un tribunal a condamné une centrale nucléaire en construction. Ses promoteurs auront à reboucher un trou ◀de▶ cent-quarante hectares — et ◀l’▶on ne dit pas ◀de▶ combien ◀de▶ centaines ◀de▶ millions dans ◀le▶ budget.
Ce précédent fera peut-être réfléchir ◀les▶ agresseurs ◀de▶ notre terre, ◀de▶ nos régions. Peut-être aussi, ◀le▶ Conseil fédéral.
Je voudrais ici rendre hommage au conseiller fédéral Willy Ritschard, seul homme d’État, ◀de▶ toute ◀l’▶Europe, qui ait osé dire, et répéter à trois reprises ◀l’▶année dernière, que ◀l’▶option en faveur des centrales nucléaires était sans doute un pacte avec ◀le▶ diable, un « pacte ◀de▶ Faust ». Il ajoutait que s’il devait choisir entre sécurité, d’une part, pénurie ◀d’▶énergie et chômage partiel ◀de▶ l’autre, il opterait, quoi qu’il pût lui en coûter, pour ◀la▶ sécurité — c’est-à-dire logiquement et dans ◀l’▶état présent des choses, contre ◀les▶ centrales nucléaires !
En occupant ce coin ◀de▶ pays menacé, comme vos concitoyens ◀de▶ ◀la▶ région ont occupé Markolsheim en Alsace et occupent encore Wyhl au pays ◀de▶ Bade, en décidant ◀de▶ reprendre en main cette affaire publique, parce qu’elle est votre affaire, vous faites bien plus que nous défendre tous contre un danger incalculable. Vous recréez une communauté, vous fondez une nouvelle société !
◀La▶ bataille que vous livrez ici est exemplaire et fondatrice.
Nos manuels ◀d’▶histoire suisse nous ont appris à célébrer ◀les▶ combattants ◀de▶ Morgarten et ◀de▶ Sempach, ceux qui ont gagné nos premières libertés contre ◀les▶ lois féodales ◀de▶ leur temps. Aujourd’hui, il vous faut gagner, à Kaiseraugst, non seulement pour votre région, mais pour toutes ◀les▶ régions ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀le▶ Morgarten du xxe siècle !
Du côté de ◀la▶ région genevoise, des manifestations contre ◀le▶ surgénérateur ◀de▶ Creys-Malville, à 40 km ◀de▶ Lyon et 70 km ◀de▶ Genève, ont groupé aux côtés des Français des milliers ◀de▶ Suisses. Là encore, une région prend conscience ◀d’▶elle-même en s’opposant à des décrets qui, non contents ◀de▶ refuser son existence légale en tant que région, se disposent à ◀la▶ sacrifier en tant que réalité humaine, sur ◀l’▶autel du prestige national.
◀La▶ fédération européenne appelle ◀les▶ régions : elles se feront en ◀la▶ faisant
De même que ◀la▶ personne appelle ◀la▶ communauté pour s’actualiser, de même que ◀la▶ commune appelle ◀la▶ région, ◀la▶ région appelle ◀la▶ fédération continentale.
Je crois bien n’avoir plus à démontrer que ◀l’▶Europe des États n’est qu’un cercle carré160, une contradiction dans ◀les▶ termes, une amicale des misanthropes. Si ◀l’▶obstacle est ◀l’▶État-nation — comme il ◀le▶ démontre lui-même avec une belle constance depuis trois décennies —, son antithèse régionale porte désormais toutes nos chances, celles ◀d’▶une fédération ◀de▶ nos peuples, non ◀d’▶une coalition ◀de▶ leurs tyrans.
◀Le▶ Monde appelle ◀les▶ régions comme antidote du virus européen
En tant que puissance colonisatrice, ◀l’▶Europe a répandu dans ◀le▶ monde entier ◀la▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation (imitée aujourd’hui à quelque cent-soixante-quinze exemplaires), ◀la▶ croyance aux deux-mille-cinq-cents calories nécessaires par jour, et ◀le▶ désir morbide ◀de▶ posséder non seulement des centrales nucléaires mais beaucoup de sources ◀de▶ pollution (indices ◀de▶ distinction sociale et ◀de▶ maturité industrielle). Il appartient donc à ◀l’▶Europe, en cette fin du xxe siècle, ◀de▶ montrer par ◀l’▶exemple vécu des régions que ◀l’▶État-nation est une formule périmée, au surplus meurtrière et colonisatrice, impérialiste par définition.
◀La▶ paix appelle ◀les▶ régions, comme ◀la▶ guerre ◀les▶ États-nations
◀Le▶ moteur ◀de▶ ◀la▶ vie politique est ◀la▶ puissance, dès qu’il n’est plus ◀la▶ liberté. Si ◀l’▶on veut ◀la▶ puissance, on veut ◀l’▶État-nation, c’est-à-dire ◀la▶ guerre. Si ◀l’▶on veut ◀la▶ liberté, on veut ◀les▶ régions, c’est-à-dire ◀la▶ paix.
Car il est clair que ◀les▶ régions autonomes et fédérées rendraient impraticables ◀les▶ guerres dites nationales, celles que déclarent ◀les▶ États-nations par ◀la▶ voix ◀de▶ leur gouvernement, sans jamais consulter leurs sujets : c’est ◀la▶ raison pour quoi ◀les▶ hommes ◀de▶ ◀l’▶État et tous ceux qui partagent leurs goûts (qu’ils prennent pour ◀les▶ réalités), se refusent à considérer je ne dis pas ◀la▶ possibilité, moins encore ◀la▶ nécessité, mais ◀l’▶idée même ◀de▶ régions autonomes. C’est ◀de▶ ◀l’▶utopie, disent-ils sans réfléchir. C’est ◀de▶ ◀l’▶utopie, en effet, puisque cela supprimerait ◀la▶ guerre. Or, « il y a toujours eu des guerres », nous apprennent-ils.
Il n’y a pas toujours eu ◀la▶ bombe H. Elle existe pourtant et elle exige qu’il n’y ait plus ◀de▶ guerres nationales, si ◀l’▶on veut que ◀l’▶histoire des hommes et que ◀la▶ vie simplement continuent.
Mais si ◀l’▶on refuse ◀la▶ guerre atomique, il faut défaire et dépasser ◀d’▶urgence nos États-nations criminels. Ils viennent de se désigner pour ◀la▶ peine capitale — celle qui frappe ◀l’▶homicide prémédité — en vendant des centrales nucléaires et des usines ◀de▶ retraitement du plutonium à plusieurs pays du tiers-monde, qui n’en ont, ◀de▶ toute évidence, nul besoin, si ce n’est pour faire leur bombe. Tout le monde ◀le▶ sait, même nos « chefs de l’État ». Mais tout le monde ment à qui mieux mieux : il s’agit ◀de▶ créer des emplois, ◀d’▶assurer ◀le▶ prestige national, ◀de▶ protéger des intérêts par définition légitimes, à défaut ◀d’▶être défendables161, etc.
Jusqu’en 1976, il y avait lieu ◀de▶ dénoncer ◀l’▶État-nation comme une usurpation ◀de▶ ◀la▶ souveraineté du peuple, comme une machine ◀de▶ guerre, comme une tyrannie anonyme, comme un organe ◀de▶ décision généralement inadapté aux réalités du xxe siècle — trop petit pour jouer un rôle au plan mondial, trop grand pour animer chacune ◀de▶ ses régions. Désormais, ◀le▶ voilà criminel avéré. ◀Le▶ verdict va tomber, irrévocable. En signant ◀les▶ contrats ◀de▶ ventes ◀d’▶usines à bombes avec quelques pouvoirs ◀de▶ ◀l’▶Afrique blanche, ◀de▶ ◀l’▶Asie, et ◀de▶ ◀l’▶Amérique latine, ◀les▶ États-nations occidentaux ont signé leur condamnation aux yeux de ◀l’▶histoire : ils périront déshonorés par cela même qu’ils ont vendu pour ◀le▶ prestige.
Mais si ◀l’▶Europe des régions fédérées désarme seule, allez-vous me dire, cela va-t-il suffire pour que ◀les▶ autres Grands bientôt ◀l’▶imitent ? Nul ne ◀le▶ sait, mais personne n’a vu ◀de▶ meilleur moyen pour inciter ◀les▶ Autres à désarmer : il est risqué mais c’est ◀le▶ seul, et bien plus grand serait ◀le▶ risque, à ne rien faire.
Résumé
1. — ◀La▶ nécessité des régions paraît ancrée dans ◀l’▶homme lui-même, c’est-à-dire dans ◀les▶ exigences ◀de▶ ◀la▶ personne.
◀La▶ personne appelle ◀les▶ régions et ◀la▶ liberté, dans et par ◀la▶ responsabilité, tout de même que ◀l’▶individu égoïste et qui se sent menacé appelle ◀l’▶État-nation et sa puissance, subie en tant que sécurité.
2. — ◀Les▶ régions sont ◀l’▶alternative nécessaire et possible à ◀l’▶État-nation ; ou encore : ◀la▶ crise actuelle appelle ◀les▶ régions, parce qu’elle résulte ◀d’▶un système dont ◀le▶ moteur est ◀l’▶État-nation.
3. — ◀La▶ région est à faire, elle n’est pas une donnée. Elle n’est pas pré-formée dans ◀le▶ ciel des idées mais potentielle dans nos besoins et nos désirs. De même que ◀la▶ personne qui se fait tous ◀les▶ jours par ses actes imprévisibles, elle n’est jamais achevée, toujours instante, toujours à inventer au jour ◀le▶ jour à venir. ◀La▶ région vit et veut ◀la▶ vie, et c’est pourquoi, ◀l’▶État-nation ◀la▶ hait, lui qui n’est fait que pour ◀la▶ guerre.