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Les variétés de▶ ◀l’▶expérience régionale
Alors que ◀les▶ Communautés ◀de▶ Bruxelles abordaient ◀la▶ région, au départ162, comme un problème ◀de▶ développement, j’en parle ici comme ◀d’▶un problème décisif ◀de▶ participation civique et ◀d’▶animation, ou réanimation in extremis — ◀d’▶une société menacée à la fois ◀d’▶anémie politique (mal compensée par ses fièvres politiciennes), ◀de▶ désertion civique, et ◀de▶ colonisation économique.
C’est ◀le▶ tissu ◀de▶ ◀la▶ vie sociale qu’il s’agit ◀de▶ reconstituer dans toute ◀l’▶Europe ; et ◀les▶ variétés du tissu préfigurant ◀les▶ organes en formation.
S’il s’agit ◀de▶ « reconnaître » une région, ce ne sera pas seulement en ◀la▶ tâtant du doigt sur une carte en relief, mais en vivant dans son climat social et coutumier, en évoquant ◀les▶ possibilités communautaires latentes dans certains milieux, villes et villages, et qu’il serait tentant ◀de▶ faire émerger, ◀d’▶inciter à une prise de conscience. Non, ce n’est pas au terme ◀d’▶une enquête sociologique ou économétrique qu’aura lieu ◀la▶ « reconnaissance » créatrice, mais plutôt au cours ◀d’▶une soirée ◀de▶ discussions « sur tout et ◀le▶ reste » avec ◀les▶ animateurs ◀de▶ tous âges ◀d’▶un mouvement régionaliste.
Que leurs motivations soient très diverses on s’en apercevra bientôt, et ◀l’▶on jugera que ces diversités mêmes rendent ces motivations valables — à ◀la▶ seule condition qu’aucune ne soit tenue pour exclusive des autres, ni suffisante en soi.
Car ce n’est pas ◀l’▶homogénéité des aspects géographiques, des productions agricoles ou industrielles, ◀de▶ ◀la▶ langue ou des statuts sociaux qui détermine une région, mais souvent, au contraire, ◀la▶ variété des structures et des sols, des cultures, des paysages, contribuant à faire un vrai « pays »163. Voyons ◀d’▶un peu plus près ◀les▶ composantes ◀d’▶une région qui serait complète — ce que n’est aucune des régions existantes, pour ◀la▶ simple raison qu’elles ne sont pas théoriques.
Facteurs géographiques. On s’imagine trop facilement que ◀la▶ région est d’abord un bassin, une entité topographique ou orographique délimitée par des accidents naturels, fleuves ou montagnes. On parle ainsi ◀de▶ ◀la▶ « cuvette genevoise » entre ◀les▶ Alpes et ◀le▶ Jura : une région « naturelle » divisée par ◀l’▶histoire, qui a violé ◀la▶ géographie une fois de plus. Mais Neuchâtel et ◀la▶ Franche-Comté, un peu plus au Nord, n’ont jamais été séparées mais bien plutôt reliées par ◀le▶ Jura ; de même que ◀les▶ Basques et ◀les▶ Catalans ◀de▶ France et ◀d’▶Espagne ne sont pas séparés mais reliés par ◀les▶ Pyrénées, comme bien d’autres régions par ◀les▶ Alpes ; et que ◀les▶ Badois, Bâlois et Alsaciens ne sont pas séparés mais reliés par ◀le▶ Rhin. Quant à ◀la▶ Savoie et au Val ◀d’▶Aoste si longtemps liées par ◀la▶ langue et ◀les▶ appartenances historiques, quoique séparées par ◀la▶ masse colossale du Mont-Blanc, elles ont vu cette relation entre histoire et géographie s’inverser aux lendemains ◀de▶ la dernière guerre : ce n’est plus ◀le▶ Mont-Blanc désormais percé par un tunnel routier, qui ◀les▶ sépare, mais ◀les▶ décrets ◀de▶ Rome et ◀de▶ Paris.
◀La▶ géographie n’a pas ◀de▶ vertu communautaire en soi. Quand se manifeste ◀le▶ désir ◀d’▶autonomie ◀d’▶une communauté régionale, ◀le▶ problème n’est donc pas du tout ◀de▶ définir d’abord son territoire, comme nous y incitent ces technocrates agressifs dont la première question, à propos d’une région, est pour savoir comment ◀la▶ « découper ».
Car une région écologique (◀le▶ lac Léman et ses affluents, par exemple), n’aura pas nécessairement ◀la▶ même extension qu’une ethnie, ou qu’un système ◀de▶ flux économiques, ou qu’une tradition historique. ◀Le▶ territoire ◀de▶ l’une n’est pas celui ◀de▶ l’autre ou plutôt ne ◀le▶ recouvre qu’en partie. Il convient donc ◀de▶ prévoir d’abord autant ◀de▶ régions qu’il y a ◀de▶ fonctions régionalisantes, chacune ayant pour extension ◀le▶ territoire ◀de▶ sa réalité.
Pratiquement, ce territoire ne peut être que celui ◀de▶ ◀l’▶ensemble des communes intéressées à ◀l’▶exercice ◀de▶ telle fonction — enseignement, environnement, production et distribution ◀d’▶énergie, transports, hygiène, implantations industrielles, planification agricole, etc.164
Facteurs ethniques. ◀L’▶histoire récente nous ◀l’▶a fait voir : selon ◀les▶ temps et ◀les▶ espaces régionaux, certains facteurs priment tous ◀les▶ autres. Ainsi ◀l’▶ethnie peut devenir ◀l’▶agent déterminant ◀d’▶une prise de conscience régionale, et ◀l’▶est devenue effectivement au cours de la dernière décennie, en Bretagne comme en Corse, dans ◀le▶ pays de Galles comme en Écosse, en Catalogne comme en Euskadi, comme en Occitanie, comme en Alsace, et même dans ◀le▶ Jura naguère bernois.
◀De▶ ◀la▶ notion très composite ◀d’▶ethnie, nous pouvons écarter sans dommage ◀la▶ composante raciale, contestée par beaucoup de savants rigoureux, bien qu’alléguée par ◀les▶ massacreurs que ◀l’▶on sait. Parmi ◀les▶ autres composantes, telles que ◀l’▶unité ◀de▶ culture, ◀de▶ mœurs et ◀de▶ coutumes, ◀les▶ stéréotypes, ◀les▶ structures sociales, ◀les▶ ressources naturelles, et ◀la▶ langue, c’est cette dernière qui prime évidemment dans ◀l’▶esprit des contemporains : si ◀l’▶on demande à ◀l’▶homme ◀de▶ ◀la▶ rue ◀de▶ définir ◀les▶ Basques ou ◀les▶ Flamands, ◀les▶ Occitans ou ◀les▶ Gallois, il ◀le▶ fera par ◀la▶ langue d’abord, et ◀le▶ plus souvent s’en tiendra là, ignorant ◀les▶ coutumes sociales et politiques et tous ◀les▶ autres caractères ◀de▶ ◀l’▶identité ◀de▶ ces peuples. Et sans doute aura-t-il raison, à toutes fins politiques dans ce siècle.
Rien n’est plus propre à ◀la▶ personne que ◀l’▶usage qu’elle fait ◀de▶ ◀la▶ langue, manifestation ◀la▶ plus subtile et ◀la▶ plus quotidienne à la fois. ◀La▶ langue est donc, et ◀de▶ très loin, ◀le▶ facteur communautaire ◀le▶ plus efficace, ◀le▶ mieux lié à ◀l’▶affectivité autant qu’à ◀la▶ pensée et au jugement moral. Dès qu’un homme est ému, ou se met à jurer, ◀l’▶accent ◀de▶ sa première adolescence se déclare. Priver un homme ◀de▶ son dialecte, c’est-à-dire ◀de▶ cette langue première, c’est en faire ◀la▶ victime désignée du monde ◀de▶ ◀l’▶uniformité subie, ◀de▶ ◀la▶ banalité aisément exploitée, ◀de▶ ◀la▶ passivité civique, et ◀de▶ ◀la▶ servitude stato-nationaliste. ◀L’▶empêcher ◀de▶ jurer dans sa langue, c’est en faire un furieux séparatiste ; ou un inerte.
Une ethnie c’est une langue d’abord, ou en fin de compte. Et cela vaut pour celles que je viens de citer, et pour vingt autres ou plus dans ◀l’▶Europe intégrale, j’entends celle qui comprend ◀les▶ sept pays ◀de▶ ◀l’▶Est, ◀les▶ plus riches en minorités niées, négligées, opprimées, interdites ou déportées ; et ◀les▶ trois anciens pays baltes.
Mais à partir de ces données premières, incontestables : 1. ◀la▶ diversité des ethnies ; 2. qu’elle est nécessaire à ◀l’▶Europe ; 3. que ◀l’▶Europe sera fédérée ou asservie ; 4. mais qu’il n’y aura point ◀d’▶Europe fédérée sans régions — ◀le▶ jugement se met à fonctionner en clignotant.
Car dans ◀les▶ cas que j’ai décrits, s’agit-il vraiment ◀de▶ régions, ◀de▶ communautés régionales, ou seulement ◀de▶ nations, au sens ancien du terme ? ◀L’▶Irlande (3 millions ◀d’▶habitants), ◀la▶ Catalogne (4 millions), ◀l’▶Écosse (5,5 millions) ne sont-elles pas beaucoup trop grandes pour présenter ◀les▶ avantages décisifs ◀de▶ ◀la▶ région, j’entends ◀les▶ possibilités ◀de▶ prises concrètes du citoyen sur ◀la▶ chose publique, tant par ses initiatives que par ◀l’▶exercice effectif et permanent ◀de▶ ses droits ◀de▶ contrôle ? De plus, ◀la▶ revendication des « ethnies sans État » ne risque-t-elle pas ◀d’▶aboutir, en cas ◀de▶ succès, à des mini-États-nations, c’est-à-dire à ◀l’▶inverse des formules préconisées par ◀les▶ fédéralistes ?
Je serai le dernier à prendre à ◀la▶ légère une confusion qui porte en fait sur ◀la▶ définition même des régions. Certes, ◀l’▶inconvénient sémantique est peu de chose au regard de ◀l’▶impact qu’exerce déjà sur ◀l’▶opinion et ◀les▶ gouvernements ◀la▶ révolte des ethnies brimées, car cette révolte ébranle ◀les▶ bases mêmes ◀de▶ ◀l’▶État-nation, ◀la▶ croyance qu’entretiennent ◀les▶ capitales en ◀la▶ valeur sacrée, tabou, et à jamais indiscutable ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue, une et indivisible ◀de▶ ◀l’▶État.
Mais ◀l’▶avantage tactique trop évident acquis à ◀la▶ faveur ◀d’▶un malentendu risque ◀de▶ compromettre à long terme ◀le▶ succès des formules authentiques ◀de▶ ◀la▶ région.
Pour évaluer ◀le▶ sens réel ◀de▶ ◀la▶ lutte des mouvements ◀de▶ libération autonomistes ou séparatistes, il faut tenter ◀de▶ saisir dans sa globalité et dans ses dynamismes spécifiques ◀le▶ conflit qui oppose ◀les▶ régions émergentes à des États-nations qui se savent menacés et se font ◀d’▶autant plus menaçants.
Reprenons ◀le▶ paradoxe des autonomistes : sans ◀les▶ plasticages en Bretagne et ◀les▶ fusillades en Corse, ◀l’▶opinion française ne se serait pas intéressée à ce qu’on nomme ◀le▶ régionalisme. Mais ni en Corse, ni en Bretagne il ne s’agit d’abord ◀de▶ ◀la▶ région : une nationalité minoritaire exige son propre État, et ce projet peut apparaître comme relevant encore du système ◀de▶ valeurs ◀de▶ ◀l’▶État-nation, c’est-à-dire ◀de▶ ◀l’▶antirégion, et non pas ◀d’▶un projet communautaire.
Toutefois, cette conclusion, sans doute correcte quant aux définitions formelles, serait dangereusement fausse et mystifiante quant aux réalités politiques et culturelles. ◀La▶ liberté ◀de▶ s’exprimer dans sa langue natale est l’une des revendications fondamentales ◀de▶ tout régionalisme authentique. Cela ne signifie pas du tout qu’à chaque langue doive correspondre un État, mais que ◀l’▶État ne possède aucun droit sur ◀la▶ langue — ni celui ◀d’▶en interdire ◀l’▶usage ou ◀l’▶enseignement, comme ◀l’▶a fait ◀l’▶État français en Bretagne et en Alsace, ni celui ◀de▶ ◀l’▶imposer — et encore moins celui ◀de▶ réunir des territoires où ◀la▶ même langue est parlée, comme fit ◀l’▶État nazi annexant ◀les▶ Sudètes puis ◀l’▶Alsace avec un œil sur ◀la▶ Suisse alémanique.
Si ◀le▶ petit État national se rapproche du grand État-nation quant à son inconvénient majeur : ◀la▶ fixité ◀d’▶une frontière identique posée à des fonctions diverses et diversement variables, il s’en distingue en revanche par sa taille réduite, qui entraîne une différence qualitative quant à ◀la▶ participation civique, c’est-à-dire au tonus communautaire — et par-là, ◀le▶ petit État se rapproche pratiquement ◀de▶ ◀la▶ région.
En second lieu, quant au maintien ◀de▶ ◀la▶ paix, ◀la▶ taille réduite entraîne un avantage certain. Car un petit État-nation ne peut pas conduire une grande guerre, ce qui représente un progrès absolu : on ne saurait, en effet, imaginer quels avantages détenus par ◀les▶ Grands surpasseraient éventuellement ◀les▶ inconvénients ◀de▶ leurs guerres.
Ces ethnies minoritaires et ces langues brimées ou interdites ne sont pas encore ◀les▶ régions, mais ne sont déjà plus ◀l’▶État-nation, « formé par ◀la▶ guerre et pour ◀la▶ guerre » (C. N. Parkinson). Leur anticentralisme ouvre ◀la▶ voie vers ◀les▶ régions communautaires et agit en faveur de leur instauration.
De plus, ◀la▶ cause des ethnies sans État est ◀de▶ loin ◀la▶ meilleure qu’on puisse imaginer dans une époque qui a pris pour thèmes majeurs ◀la▶ décolonisation, ◀le▶ droit ◀de▶ libre disposition des peuples, ◀la▶ décentralisation dans tous ◀les▶ domaines et ◀l’▶autogestion.
Dès 1940, Simone Weil écrivait :
« ◀Le▶ patriotisme actuel consiste en une équation entre ◀le▶ bien et une collectivité correspondant à un espace territorial, à savoir ◀la▶ France ; quiconque change dans sa pensée ◀le▶ terme territorial ◀de▶ ◀l’▶équation, et met à ◀la▶ place un terme plus petit, comme ◀la▶ Bretagne, ou plus grand, comme ◀l’▶Europe, est regardé comme un traître. Pourquoi cela ? C’est tout à fait arbitraire. » (◀L’▶Enracinement.)
Plus près de nous, Herman Kahn (qui n’avait pas même mentionné ◀le▶ terme ◀de▶ région dans son fameux An 2000, daté ◀de▶ 1967) découvre ◀le▶ phénomène en 1972, et y consacre dans l’un ◀de▶ ses derniers ouvrages165 des pages ◀d’▶une objectivité et ◀d’▶un bon sens impitoyables :
« Aujourd’hui nous tenons pour acquise ◀la▶ légitimité des États-nations existant en Europe occidentale… Certains d’entre eux remontent à plusieurs siècles. ◀L’▶existence ◀de▶ ces États-nations nous paraît tellement normale qu’il nous arrive ◀d’▶oublier que leurs frontières actuelles… sont fondées sur une longue série ◀d’▶accidents et ◀de▶ coïncidences historiques… Chacun s’est forgé une histoire nationale qui démontre que son développement était inévitable, et son destin arrangé par ◀la▶ Providence, comme ◀le▶ mythe français des “frontières naturelles”… »
◀Le▶ grand État unifié offre-t-il à ses habitants plus et mieux que ◀le▶ petit État ? se demande H. Kahn. Et ◀de▶ constater que « ◀la▶ France n’a pas une économie nécessairement plus saine que celle ◀de▶ ◀la▶ Belgique, et aucune des deux n’a une économie plus saine que ◀le▶ Luxembourg ». « ◀La▶ France n’est pas plus en sécurité que ◀la▶ Belgique et aucune des deux n’est plus en sécurité que ◀le▶ Luxembourg (lequel d’ailleurs a dissous son armée). »
Pourquoi, dans ce cas, un Breton (ou un Sicilien, ou un Écossais ou un Flamand) devrait-il continuer à tolérer ◀de▶ faire partie ◀d’▶un État plus grand qui lève ses impôts, se moque ◀de▶ ses allures et ◀de▶ son dialecte ?… Il est peut-être temps que ◀les▶ nations submergées ◀de▶ ◀l’▶Europe renaissent…
◀De▶ sérieux troubles pourraient être provoqués par ◀les▶ luttes ◀de▶ quelques autonomistes pour ◀l’▶égalité des droits, un gouvernement propre, une autonomie régionale ou même ◀l’▶indépendance totale… ◀Le▶ processus pourrait s’étendre à ◀l’▶Europe tout entière. ◀Le▶ rôle essentiel ◀d’▶un État-nation — ◀la▶ défense — s’est fortement amenuisé. ◀Les▶ raisons essentielles ◀de▶ ◀l’▶existence des États-nations européens sont en train de disparaître ; il se peut qu’elles soient historiquement dépassées ; elles peuvent alors être remplacées… Une Europe constituée ◀d’▶États-nations éclatés pourrait former une communauté politique plus effective que ◀le▶ système actuel.
(◀Les▶ ministres qui parlent encore ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀de▶ défendre ◀la▶ République une et indivisible doivent se sentir étrangement à côté des réalités humaines contemporaines. Cette expression emphatique et abstraite, à quoi peut-elle correspondre aujourd’hui en termes de vie quotidienne ? ◀d’▶économie ? ◀de▶ finalités ◀de▶ ◀la▶ personne ?)
Objectivement, ◀la▶ percée du régionalisme contre ◀l’▶État-nation, dans tous ◀les▶ pays que j’ai cités, a été ◀le▶ fait ◀de▶ ◀la▶ révolte des ethnies. Et peu importe qu’il s’agisse ◀de▶ vraies « régions » ou seulement ◀de▶ « nations primaires » comme dit Robert Lafont : ce qui compte, c’est ◀d’▶accroître ◀les▶ chances ◀de▶ ◀la▶ paix en même temps que ◀les▶ possibilités ◀de▶ participation civique : or, ◀les▶ deux causes sont également servies par ◀le▶ passage du grand État-nation à ◀l’▶ethnie révoltée qui en appelle à ◀l’▶Europe, comme jadis ◀les▶ communes ◀d’▶Italie, ou des Alpes, du Rhin ou des Flandres en appelaient au Saint-Empire contre ◀les▶ Princes.
Cependant, dans d’autres contrées, comme ◀le▶ Mezzogiorno toujours cité, ◀le▶ Sud-Ouest ◀de▶ ◀la▶ France ou certaines contrées du Nord de la RFA, faute de conflit en milieu homogène, ◀les▶ facteurs ethniques demeurent nuls. ◀Les▶ structures géographiques, des problèmes brûlants ◀d’▶économie agricole, ◀d’▶emploi, ou ◀d’▶environnement, manifestent alors un pouvoir plus actif ◀de▶ mobilisation communautaire — pour un temps ◀de▶ crise du moins : car une analyse historique et psychologique des jugements et des motivations conscientes ou non, dans ◀le▶ climat social et culturel ◀de▶ telles régions, peut très bien révéler — et révèle en effet dans la plupart des cas — ◀l’▶influence ◀de▶ facteurs ethniques effacés par ◀l’▶action ◀de▶ ◀l’▶État central, mais régnant au secret ◀de▶ ◀la▶ psyché collective. ◀L’▶école aux trois degrés, principal agent colonisateur ◀de▶ ◀l’▶ethnie dominante dans ◀la▶ Capitale, n’a pas mal réussi en moins ◀de▶ deux siècles. On peut s’en assurer si ◀l’▶on se reporte à cette déclaration ◀de▶ ◀l’▶abbé Grégoire qui date ◀de▶ 1793, et selon laquelle plus ◀de▶ treize millions ◀de▶ Français — soit un peu plus ◀de▶ ◀la▶ moitié ◀de▶ ◀la▶ population ◀d’▶alors — « ignorent totalement ◀la▶ langue ◀de▶ ◀la▶ nation ». Voilà qui a changé, certes, selon toutes apparences… Mais deux siècles, c’est peu pour ◀l’▶âme ◀d’▶un peuple, pour ces réalités irréductibles à ◀l’▶analyse rationaliste et que C. G. Jung voyait vivre dans ce qu’il nomme ◀l’▶Inconscient collectif. De même que ◀l’▶analyse par radiation ultraviolette fait reparaître sous ◀la▶ peinture visible une première exécution — parfois ◀la▶ meilleure — ◀de▶ tel tableau célèbre, une radioscopie historique ◀de▶ nos régions révélerait des « états antérieurs » linguistiques, culturels, et socioéconomiques dont nul ordinateur jamais n’abolira ◀les▶ leçons surprenantes.
Un triangle magique
◀La▶ collaboration entre ◀les▶ universités cantonales ◀de▶ ◀la▶ Suisse romande, Neuchâtel, Fribourg, Lausanne et Genève, s’avère déjà très difficile et très ténue, mais elle est quasi nulle ou négative entre universités suisses et françaises. ◀Les▶ professeurs français peuvent être nommés en Suisse, mais non ◀l’▶inverse. ◀La▶ mobilité des étudiants, un peu plus égale en droit, se voit limitée en fait par ◀l’▶absence ◀d’▶équivalence des diplômes. Quant au droit ◀d’▶exercice ◀d’▶une profession libérale (effectus civilis) pour ◀les▶ diplômés ◀d’▶une université « étrangère », il est quasi nul. Pourtant, ◀l’▶extraordinaire densité des établissements ◀d’▶enseignement supérieur dans ◀la▶ région lémano-alpine (seize pour ◀le▶ moment, dans une région qui va ◀de▶ Saint-Étienne à ◀l’▶ouest, à Besançon au nord et Aoste à ◀l’▶est166), invite à imaginer ◀la▶ richesse des possibilités ◀de▶ coopération qu’ouvrirait ◀l’▶organisation ◀d’▶une région universitaire. Englobant celles déjà citées plus haut, cette nouvelle région fonctionnelle contribuerait à former ◀la▶ conscience ◀d’▶une entité transfrontalière réunissant ◀la▶ Franche-Comté, ◀la▶ Suisse romande, ◀le▶ Val ◀d’▶Aoste et plusieurs départements ◀de▶ Rhône-Alpes. Entité que je croyais accidentelle d’ailleurs, mais je me trompais. Car ◀la▶ région universitaire dont j’avais esquissé ◀la▶ possibilité devant plusieurs recteurs suisses et présidents ◀d’▶université française, se trouve coïncider très exactement, comme ◀le▶ fit observer l’un d’entre eux, avec ◀l’▶aire du franco-provençal, qui y fut parlé, écrit et chanté du ixe siècle jusqu’aux débuts du xixe (Pictet de Rochemont, négociateur en 1815 des actuelles frontières franco-genevoises, avait écrit trois opuscules dans cette langue, dont ne sont plus utilisés que quelques mots mêlés au parler quotidien, mais qui a sans aucun doute marqué toute ◀la▶ culture ◀de▶ ◀la▶ région et laissé des traces profondes dans ◀l’▶inconscient ◀de▶ ses habitants.)
J’ajoute que cette plus grande région se trouve être aussi celle où ◀l’▶on produit 85 % ◀de▶ ◀l’▶horlogerie européenne, et celle ◀de▶ ◀la▶ clientèle principale ◀de▶ ◀l’▶aéroport ◀de▶ Genève. Elle fut aussi le deuxième royaume ◀de▶ Bourgogne ◀de▶ 888 à 1032, avant son rattachement au Saint-Empire.
Je ne puis que constater toutes ces coïncidences. Elles détiennent ◀le▶ mystère ◀de▶ ◀la▶ région.
◀L’▶âme ◀de▶ ◀la▶ Bretagne est sans nul doute dans ◀la▶ forêt ◀de▶ Brocéliande, auprès de ◀la▶ fontaine Baranton, qui fut ◀le▶ lieu, dans ◀le▶ temps légendaire, ◀de▶ ◀la▶ rencontre ◀de▶ Merlin et ◀de▶ Viviane. Mais ◀la▶ Bretagne bretonnante ne vivra pas sans ◀le▶ pays gallo, sans Rennes et Nantes ; sans un corps et qui parle français dès qu’il compte, pèse et mesure, ou lève des taxes pour ◀la▶ capitale…
Facteurs économiques. En revanche ◀les▶ réalités économiques, dont ◀la▶ vertu communautaire reste à tout ◀le▶ moins incertaine, ne sauraient définir une région que ◀d’▶une manière accidentelle, tout éphémère. ◀Le▶ Mezzogiomo ne connaît aucun problème linguistique mais une immense pauvreté. Si ◀la▶ communauté européenne et ◀le▶ gouvernement italien donnaient une solution à ce problème — dit ◀de▶ « déséquilibre économique » — que deviendrait ◀la▶ raison ◀d’▶être ◀d’▶une région comme ◀la▶ Calabre, ◀la▶ Campanie ou ◀les▶ Pouilles ?
◀Le▶ fait patent, bien qu’il doive apparaître scandaleux aux yeux de ◀l’▶aménageur du territoire, c’est qu’il n’existe — hors ◀d’▶une coïncidence miraculeuse, par définition peu durable — pas ◀d’▶unités économiques correspondant à une région ethnique, écologique ou historique ; et donc, à proprement parler, pas ◀de▶ régions économiques. Il n’y a que des aspects économiques, — conditions générales ◀d’▶existence ou problèmes conjoncturels — qui « permettent » ◀la▶ vie ◀d’▶une région, tout comme un minimum vital assuré à ◀l’▶artiste « permet » son œuvre.
On a faussé dès ◀le▶ départ — et pas spécialement à Bruxelles — ◀le▶ problème des régions, en ◀le▶ posant sur le plan ◀de▶ ◀l’▶efficacité (industrielle et agricole), alors qu’il s’agissait ◀de▶ communauté. Cette erreur est typique ◀de▶ ◀la▶ mentalité ◀de▶ ◀l’▶établissement stato-nationaliste, en laquelle se confondent ◀les▶ deux superstitions du « réalisme » des grands et petits bourgeois du xixe et du matérialisme déclaré des marxistes vulgaires du xxe siècle. ◀Les▶ uns croyant que ◀l’▶argent peut tout, ◀les▶ autres que ◀les▶ « processus ◀de▶ production » déterminent tout. En foi ◀de▶ quoi ◀les▶ fonctionnaires ◀de▶ ◀la▶ capitale — socialistes ou capitalistes — découpent des régions déterminées par leur « potentiel économique ». C’est renverser une fois de plus ◀le▶ rapport des moyens et des fins, qui veut que ◀l’▶économie, loin de déterminer ◀la▶ communauté — locale, régionale ou fédérale — soit mise à son service.
Aujourd’hui, c’est ◀l’▶État-nation qui prétend mettre au pas ◀l’▶économie, mais celle-ci se joue ◀de▶ lui, en réalité, par ◀le▶ biais des multinationales. S’il n’y avait plus ◀d’▶États-nations, et une monnaie commune pour ◀l’▶Europe, ◀les▶ multinationales deviendraient des sociétés ◀de▶ production comme ◀les▶ autres. Elles perdraient en pouvoir ◀de▶ manipulations monétaires (désormais sans objet) ce qu’elles pourraient retrouver en utilité publique.
Resterait cependant ◀l’▶inconvénient majeur ◀de▶ leur taille. Contre ce danger, une défense : ◀l’▶autogestion ◀de▶ ◀la▶ région.
Facteurs écologiques. Comment expliquer ◀la▶ colère que provoquent chez beaucoup de mes contemporains dans ◀l’▶establishment et ◀la▶ presse, ◀l’▶énoncé ◀d’▶un souci relatif à ◀l’▶environnement, ou ◀le▶ simple mot ◀d’▶écologie utilisé hors des laboratoires ?
Voici ◀les▶ scientifiques fort agacés parce qu’on répète ◀le▶ mot sans même savoir qu’il désigne une science des plus spécialisées en même temps que des plus interdisciplinaires, mais on en fait une « mode » dont se réclament aujourd’hui des incompétents désinvoltes qui ne connaissent rien ◀de▶ nos travaux. Voici ◀les▶ technocrates qui tiennent ◀le▶ souci ◀de▶ ◀l’▶environnement pour du « sentimentalisme ». Voici ◀les▶ promoteurs, ◀les▶ petits industriels, ◀les▶ gros commanditaires, et dans tous ◀les▶ partis ◀les▶ démagogues qui enflent ◀la▶ voix pour dénoncer « ces fauteurs ◀de▶ crise dont ◀l’▶action irresponsable n’aboutit qu’à créer du chômage ». Voici enfin ceux qui répètent en chœur parlé qu’on n’arrête pas ◀le▶ progrès, et qui ◀l’▶arrêtent par là même à ◀l’▶idée que s’en faisait ◀le▶ siècle dernier.
Je réponds aux savants que ma réaction ◀de▶ « laïc » aux agressions contre ◀l’▶environnement n’est pas comptable envers leur science, mais provient ◀de▶ mes sens agressés (◀l’▶odorat et ◀l’▶ouïe en premier lieu). Compétent ou non à leurs yeux, je suis, aux miens en état ◀de▶ légitime défense.
Aux technocrates qui me traitent ◀de▶ sentimental (voulant peut-être dire sensible ?), je réponds par un hémistiche ◀de▶ Racine, qui aurait ◀de▶ quoi ◀les▶ inquiéter : « Il perd ◀le▶ sentiment » veut dire : il devient fou.
Aux démagogues ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche, aux promoteurs et aux ministres qui nous font ◀le▶ coup du chômage, je réponds que ◀la▶ lutte contre ◀la▶ pollution pourrait créer dès ◀l’▶an prochain bien plus ◀d’▶emplois — c’est calculé — que « Concorde » et toutes ◀les▶ centrales ensemble pendant ◀les▶ dix années qui viennent.
Et je réponds aux progressistes à ◀la▶ mode ◀d’▶hier que ◀les▶ centrales qu’ils défendent sont toutes ◀de▶ modèles périmés, ◀d’▶où ◀la▶ hâte des États-nations et ◀de▶ leurs banquiers à ◀les▶ construire avant que cela ne s’ébruite…
Enfin, je ferai remarquer à certains journalistes que ◀les▶ « maniaques ◀de▶ ◀l’▶environnement », quand ils invoquent ◀l’▶écologie contre ◀le▶ « tout électrique, tout nucléaire » ne sont pas plus fauteurs ◀d’▶une « crise ◀de▶ ◀l’▶énergie » que ◀le▶ thermomètre n’est cause ◀de▶ ◀la▶ fièvre.
Derrière ces attitudes hautaines ou rageuses, quelquefois désintéressées, quoi ◀de▶ commun ? Je vois ◀la▶ peur croissante ◀d’▶une nature imprévisible, et périssable comme ◀la▶ vie même ; je vois ◀l’▶anxieuse aspiration à un monde entièrement calculable, métallique, cristallin, abstrait ; je vois une volonté ◀de▶ puissance mise sur ◀la▶ défensive ; et tous ◀les▶ symptômes habituels ◀de▶ ◀la▶ schizophrénie technologique.
Mais en face, je vois toute une jeunesse qui trouve dans ◀le▶ scandale des nuisances favorisant « ◀l’▶emploi », et des destructions ◀d’▶écosystèmes justifiées par ◀la▶ préparation à ◀la▶ guerre atomique, ses plus fortes motivations à revendiquer ◀les▶ régions.
J’ai dit plus haut tout ce qu’a mobilisé ◀l’▶occupation non violente des sites ◀de▶ Wyhl en RFA, ◀de▶ Kaiseraugst en Suisse, puis ◀de▶ Creys-Malville en France. Et voilà qui situe ◀le▶ problème écologique à son niveau ◀de▶ réalité ◀la▶ plus intense, qui est celui ◀d’▶un problème immédiat à résoudre, et non pas ◀d’▶une définition « scientifique » (c’est-à-dire conventionnelle) à préciser dans un sens compatible avec ◀les▶ « grands intérêts » engagés.
Écologie, ◀le▶ terme est ambigu, mais certainement pas davantage, et plutôt moins que ne ◀le▶ sont État-nation, progrès, socialisme et capitalisme, PNB et bonheur des masses.
Je prends ici ◀le▶ terme en son sens ◀le▶ plus large ◀de▶ système des échanges et des interactions entre nature, cité, personnes. Et je tiens qu’il s’agit ◀de▶ gérer ce système ◀de▶ telle manière que ◀la▶ résultante vécue en soit constamment positive, c’est-à-dire qu’elle permette ◀l’▶évolution des équilibres successifs vers un pouvoir croissant ◀d’▶intégration des déséquilibres créateurs (inventions, innovations, « percées » ◀de▶ toute nature) en une synthèse de plus en plus complexe ; et donc ◀de▶ mieux en mieux autoréglée. Une résultante négative serait celle qui provoquerait ◀le▶ blocage du système et des déséquilibres irréversibles, par destruction ◀de▶ l’un des termes en tension, entraînant ◀l’▶accroissement accéléré ◀de▶ ◀l’▶entropie dans ◀le▶ système entier.
On ne fera pas honte au citoyen moyen ◀de▶ son souci écologique en alléguant qu’il n’a pas maîtrisé tous ◀les▶ savoirs acquis et ◀les▶ techniques actuelles dans chacune des branches ◀de▶ cette science — ce que personne encore n’a fait — pas même dans une seule ◀de▶ ces branches. Car ◀l’▶écologie, c’est d’abord, pour chacun ◀de▶ nous, un problème très concret à résoudre en vue de certaines fins. C’est un objet ◀de▶ recherches « scientifiques », sans aucun doute, dans ◀les▶ limites que tout savant sérieux sait reconnaître à cette appellation. C’est une sagesse aussi, peut-être un art. Mais surtout, ce doit être une politique et dans ce sens, vraiment, ◀l’▶affaire ◀de▶ chacun ◀de▶ nous. Une sage politique écologique visera donc à nous affranchir — et ◀la▶ nature à travers nous — ◀de▶ notre actuel asservissement aux prétendus « impératifs technologiques ». Elle nous aidera à nous délier ◀de▶ « ce rapport au monde défini par ◀la▶ technique » dont Heidegger a décrit le premier ◀les▶ vertiges « néantisants »167.
Quant aux rapports entre ◀l’▶écologie et ◀les▶ régions, on peut ◀les▶ résumer en quatre points majeurs :
1. — Nulle pollution n’a jamais été arrêtée par une frontière nationale : ni ◀les▶ tempêtes, ni ◀les▶ contagions, ni ◀le▶ déversement du mercure dans nos lacs et du pétrole dans nos eaux territoriales, ni ◀les▶ ondes des Radios et TV, ni ◀les▶ insinuations ni ◀les▶ éclats des fanatismes idéologiques. (◀Les▶ enfants des écoles sont très sensibles à cette impuissance des frontières que leurs atlas tendaient à présenter comme des barrières absolues.)
2. — En revanche, ◀l’▶application des mesures écologiques est nécessairement locale et régionale dans ◀la▶ grande majorité des cas : choix du site ◀d’▶une centrale nucléaire, option pour d’autres sources ◀d’▶énergie, tracé des autoroutes et des canaux, grands travaux potentiellement destructeurs ◀de▶ forêts, ◀d’▶humus et ◀de▶ paysages ; implantation ◀d’▶usines ; monocultures. ◀Le▶ traitement ◀de▶ ces problèmes demande que ◀les▶ régions soient dotées ◀de▶ pouvoirs ◀de▶ décision, c’est-à-dire ◀d’▶un régime ◀d’▶autogestion.
3. — Quant aux problèmes dont ◀l’▶ordre ◀de▶ grandeur s’annonce continental (climats, matières premières, monnaies, grandes voies ◀de▶ communication), ou planétaire (océans, stratosphère, couche ◀d’▶ozone protectrice ◀de▶ ◀la▶ vie sur ◀la▶ Terre, certes plus rares, mais non moins vitaux), ils demandent ◀l’▶intervention ◀d’▶autorités continentales, dont on a vu qu’elles ne pourront se constituer que sur ◀la▶ base des régions, non des États-nations actuels.
4. — ◀L’▶impuissance des États dans ◀la▶ lutte vitale contre ◀les▶ pollutions terrestres, maritimes, aériennes, est constitutive : elle est déterminée par leur prétention même à ◀la▶ souveraineté absolue. Mais ◀le▶ sentiment ◀d’▶impuissance (civique) ◀de▶ ◀l’▶individu n’en est pas moins inévitable, tant que ◀l’▶État souverain prétend tout régler mais ne règle rien. « Que peut-on faire ? Tout se décide là-bas ! » ◀L’▶existence ◀de▶ pouvoirs régionaux, à portée ◀de▶ voix, changerait tout cela. Ma voix compterait, et je pourrais enfin savoir ◀de▶ quoi ◀l’▶on parle, m’en informer, et décider en connaissance de cause.
Nous ◀l’▶avons vu : c’est au carrefour ◀de▶ ◀l’▶énergie et ◀de▶ ◀l’▶économie que ◀l’▶échelon écologique régional se constitue et se charge ◀d’▶affectivité. Il y a, dans ◀la▶ révolte civique contre ◀le▶ diktat stato-nationaliste une puissante incitation à ◀la▶ région.
Mais là aussi se manifeste ◀la▶ liaison nécessaire régions-fédération. Car c’est dans ◀les▶ régions que se décide normalement ◀l’▶application des mesures écologiques, mais c’est au niveau de ◀la▶ fédération que ◀les▶ études fondamentales peuvent être faites, ◀les▶ études régionales financées et ◀la▶ politique continentale élaborée.
Hiérarchie des motifs
◀Le▶ motif ethnique ou linguistique a servi ici ou là, ◀de▶ détonateur, souvent au sens technique du terme. ◀Les▶ motifs économiques se sont révélés partout actifs et nécessaires mais nulle part suffisants ni durables. C’est donc ◀le▶ besoin ◀d’▶une communauté nouvelle, structurée par et pour ◀la▶ participation civique, qui s’avère ◀le▶ motif ◀le▶ plus sérieux, ◀le▶ plus profond et ◀le▶ plus général ◀de▶ ◀la▶ création des régions.
◀La▶ participation civique signifie simplement mais pleinement ceci : que chacun ◀de▶ nous puisse enfin, ou de nouveau, se sentir libre et responsable dans ◀la▶ cité ◀de▶ sa naissance ou ◀de▶ son choix. Ni perdu dans ◀de▶ trop vastes dimensions, ni confiné dans des unités closes. ◀L’▶enjeu qui est ◀la▶ survie ◀de▶ ◀l’▶espèce nous enjoint ◀de▶ faire ici ◀l’▶économie des chicaneries habituelles sur ◀les▶ appartenances partisanes du concept.
Tout ce qu’on a dit jusqu’ici dans ce livre appelle, prépare et qualifie ◀la▶ participation civique. Or, celle-ci implique et appelle comme condition première ◀de▶ son exercice ce qu’on nommait ◀l’▶autonomie dans ◀la▶ cité-État des Grecs anciens — ◀le▶ fait ◀de▶ se donner ses propres lois — et ce qu’on nomme aujourd’hui ◀l’▶autogestion — ◀le▶ fait ◀de▶ décider soi-même ◀de▶ ses affaires.