De▶ ◀l’▶Europe des États coalisés à ◀l’▶Europe des peuples fédérés (mai 1978)t u
Je voudrais vous faire voir, ce soir, que ◀l’▶idée ◀d’▶une Europe fédérée n’est nullement ◀la▶ lubie ◀de▶ quelques-uns, mais une nécessité qui sera subie par tous si nous ne savons pas ◀la▶ choisir et ◀la▶ former à notre idée en temps utile ; qu’elle n’est donc pas un vague idéalisme, mais ◀le▶ seul réalisme digne aujourd’hui ◀de▶ ce nom ; et enfin, qu’elle n’est pas seulement conservation mais invention, pas seulement sauvetage mais nouveau mode de vie.
J’ai donc choisi ◀de▶ m’interroger devant vous sur ◀les▶ motifs ◀d’▶unir ◀l’▶Europe et sur ◀l’▶évolution ◀de▶ ces motifs depuis ◀la▶ veille ◀de▶ la dernière guerre mondiale, jusqu’à cette veille ◀de▶ ◀l’▶année qui verra la première élection par ◀les▶ peuples ◀d’▶un Parlement européen.
C’est une histoire assez intense et dramatique, vous allez ◀le▶ voir. C’est ◀l’▶alternance ◀de▶ grands élans dans ◀l’▶enthousiasme créateur, et ◀d’▶enlisements dans ◀le▶ marécage des intérêts à très court terme, c’est-à-dire dans ◀le▶ « réalisme » aux yeux des classes politiciennes.
Prenons pour point ◀de▶ départ dans notre siècle ◀l’▶année 1924. Cette année-là, à Vienne, ◀le▶ jeune comte Coudenhove-Kalergi, né à Tokyo, vingt-sept ans auparavant, ◀d’▶une Japonaise et ◀d’▶un diplomate autrichien ◀d’▶origine hollando-grecque, publie un bref ouvrage intitulé Manifeste paneuropéen.
On peut y lire des phrases simples et grandes comme celle-ci :
◀La▶ question européenne, ◀la▶ voici : — Est-il possible que sur ◀la▶ petite presqu’île européenne, 25 États vivent côte à côte dans ◀l’▶anarchie internationale sans qu’un pareil état de choses conduise à ◀la▶ plus terrible catastrophe politique, économique et culturelle ?… Si ◀les▶ peuples ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀le▶ veulent, ◀la▶ Paneurope se réalisera… Il ne faut pas se lasser ◀de▶ ◀le▶ répéter : une Europe divisée conduit à ◀la▶ guerre, à ◀l’▶oppression, à ◀la▶ misère ; une Europe unie à ◀la▶ paix, à ◀la▶ prospérité. Sauvez ◀l’▶Europe et vos enfants !
Quelques années plus tard, parlant au nom de ◀la▶ France dont il est président du Conseil, devant ◀l’▶assemblée ◀de▶ ◀la▶ Société des Nations à Genève, Aristide Briand prononce un discours retentissant appelant ◀les▶ peuples à ◀l’▶union préconisée par Coudenhove-Kalergi :
Je me suis associé pendant ces dernières années, déclare-t-il, à une propagande active en faveur d’une idée qu’on a bien voulu qualifier ◀de▶ généreuse, peut-être pour se dispenser ◀de▶ ◀la▶ qualifier ◀d’▶imprudente. Cette idée, qui a hanté ◀l’▶imagination des philosophes et des poètes, qui leur a valu ce qu’on peut appeler des succès ◀d’▶estime, cette idée a progressé dans ◀les▶ esprits par sa valeur propre. Elle a fini par apparaître comme répondant à une nécessité. Des propagandistes se sont réunis pour ◀la▶ répandre, ◀la▶ faire entrer plus avant dans ◀l’▶esprit des nations, et j’avoue que je me suis trouvé parmi ces propagandistes […]. Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés, comme ◀les▶ peuples ◀d’▶Europe, il doit exister une sorte ◀de▶ lien fédéral […]. Évidemment, ◀l’▶association agira surtout dans ◀le▶ domaine économique. C’est ◀la▶ question ◀la▶ plus pressante. Je crois que ◀l’▶on peut y obtenir des succès. Mais je suis sûr aussi qu’au point de vue politique, au point de vue social, ◀le▶ lien fédéral, sans toucher à ◀la▶ souveraineté ◀d’▶aucune des nations qui pourraient faire partie ◀d’▶une telle association, peut être bienfaisant.
Briand préconise donc ◀l’▶union des intérêts économiques d’abord, sur ◀la▶ base ◀d’▶un respect religieux ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue ◀de▶ nos États.
Étonnante anticipation sur ◀la▶ formule du Marché commun, qui naîtra vingt-cinq ans plus tard, mais aussi sur ◀les▶ limitations ◀les▶ plus graves ◀de▶ cette formule…
Un Mémorandum sur ◀l’▶organisation ◀d’▶un régime ◀d’▶union fédérale européenne sera présenté en 1930 à ◀la▶ Société des Nations, rédigé par ◀le▶ directeur ◀de▶ cabinet ◀de▶ Briand, Alexis Léger (futur prix Nobel ◀de▶ poésie sous ◀le▶ pseudonyme ◀de▶ Saint-John Perse). Ce beau texte répète avec insistance : « C’est sur le plan ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue que doit être réalisée ◀l’▶entente entre Nations européennes… »
On sait que ◀la▶ proposition Briand devait rester sans suite : non seulement parce que ◀les▶ États membres, dans leurs réponses, multipliaient à l’envi ◀les▶ objections et restrictions, mais surtout parce que Hitler venait de remporter son premier grand succès électoral (14 septembre 1930). ◀Le▶ sort en était jeté : ◀l’▶Europe désunie glissait vers ◀le▶ désastre, la Deuxième Guerre mondiale devenait inévitable.
Était-ce ◀la▶ fin des espérances unionistes et fédéralistes ? Ce fut tout au contraire ◀le▶ banc ◀d’▶essai ◀de▶ leurs forces ◀de▶ résistance et ◀le▶ terme s’impose, puisque ce fut précisément ◀l’▶ensemble des réseaux ◀de▶ ◀la▶ Résistance à ◀l’▶hitlérisme et au fascisme qui fournit à ◀l’▶idée européenne son milieu ◀le▶ plus efficace ◀de▶ propagation en profondeur et en intensité, dans ◀la▶ lutte, dans ◀le▶ danger, et surtout dans ◀l’▶espoir. Dès 1941, des internés politiques ◀de▶ ◀l’▶île de Ventotene, près des côtes italiennes, rédigent un manifeste fédéraliste européen qui circulera dans toute ◀l’▶Europe. Dès 1942, tous ◀les▶ journaux ◀de▶ ◀la▶ Résistance française affirment qu’ils luttent pour instaurer une vraie fédération européenne.
En mars 1944, Henry Frenay, chef du mouvement « Combat », lance un appel « à tous ◀les▶ hommes ◀de▶ ◀la▶ Résistance européenne ».
Je sais, dit-il, pour en avoir recueilli maintes preuves, que dans chaque pays ◀de▶ ◀l’▶Europe occupée, (ces hommes) ont une volonté et des espoirs qui concordent étrangement avec les nôtres. […] Que ◀l’▶orgueil et ◀l’▶égoïsme éventuels des gouvernements, ◀les▶ principes ◀d’▶une souveraineté souvent illusoire, n’entravent pas cette marche à ◀l’▶unité. !
Et des voix fraternelles sourdement lui répondent, du fond des camps ◀d’▶otages ◀de▶ ◀la▶ Hollande, des ténèbres où déjà ◀l’▶Allemagne chancelle, voix des rares survivants ◀de▶ ◀l’▶Orchestre rouge, ou du groupe ◀de▶ ◀la▶ Rose blanche.
Enfin, en juillet ◀de▶ cette même année 1944, tandis que ◀la▶ guerre sévit encore sur ◀l’▶Europe, des militants ◀de▶ ◀la▶ Résistance ◀de▶ neuf pays réussissent à passer ◀les▶ frontières et à se rencontrer à quatre reprises à Genève, dans ◀la▶ villa du secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, Willem Visser ’t Hooft. ◀De▶ ces rencontres clandestines sortira un document ◀d’▶une clairvoyance sans défaut. Citons :
Quelques militants des mouvements ◀de▶ résistance du Danemark, ◀de▶ France, ◀d’▶Italie, ◀de▶ Norvège, des Pays-Bas, ◀de▶ Pologne, ◀de▶ Tchécoslovaquie et ◀de▶ Yougoslavie, et ◀le▶ représentant ◀d’▶un groupe ◀de▶ militants antinazis en Allemagne, se sont réunis dans une ville ◀d’▶Europe ◀les▶ 31 mars, 29 avril, 20 mai, 6 et 7 juillet. Ils ont élaboré ◀le▶ projet ◀de▶ déclaration ci-dessous qu’ils ont soumis à ◀la▶ discussion et à ◀l’▶approbation ◀de▶ leurs mouvements respectifs et ◀de▶ ◀l’▶ensemble des mouvements ◀de▶ résistance européens.
Ils affirment que ◀la▶ vie des peuples qu’ils représentent doit être fondée sur ◀le▶ respect ◀de▶ ◀la▶ personne, ◀la▶ sécurité, ◀la▶ justice sociale, ◀l’▶utilisation intégrale des ressources économiques en faveur de ◀la▶ collectivité tout entière et ◀l’▶épanouissement autonome ◀de▶ ◀la▶ vie nationale.
Ces buts ne peuvent être atteints que si ◀les▶ divers pays du monde acceptent ◀de▶ dépasser ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue des États en s’intégrant dans une unique organisation fédérale.
◀La▶ paix européenne est ◀la▶ clé ◀de▶ ◀la▶ voûte ◀de▶ ◀la▶ paix du monde. En effet, dans ◀l’▶espace ◀d’▶une seule génération, ◀l’▶Europe a été ◀l’▶épicentre ◀de▶ deux conflits mondiaux qui ont eu avant tout pour origine ◀l’▶existence sur ce continent ◀de▶ trente États souverains. Il importe ◀de▶ remédier à cette anarchie par ◀la▶ création ◀d’▶une union fédérale entre ◀les▶ peuples européens.
Vous ◀l’▶aurez remarqué : autant ◀le▶ Mémorandum Briand s’appliquait à rassurer ◀les▶ États quant au respect ◀de▶ leur souveraineté absolue, autant ◀la▶ déclaration des Résistances européennes souligne ◀la▶ nécessité littéralement vitale ◀de▶ « dépasser ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue des États ». C’est que Briand est au pouvoir, et ◀les▶ résistants au combat ! L’un espérait encore « apaiser » ◀les▶ États, et ◀les▶ autres subissent leurs guerres. ◀L’▶opposition est aussi fondamentale qu’inévitable. On ◀la▶ retrouvera bientôt entre de Gaulle et ◀les▶ fédéralistes européens.
Mais nous ne sommes encore qu’en 1944. Un an plus tard, ◀la▶ guerre finie, que va-t-on faire ?
Tous ceux qui sortent ◀de▶ ◀la▶ Résistance ont répondu ◀d’▶avance ! faire ◀l’▶Europe !
À Hertenstein, en Suisse, dès 1945, puis en Hollande, à Luxembourg, finalement lors du grand congrès fédéraliste ◀de▶ Montreux (1947), ◀les▶ résistants ◀d’▶hier fondent ◀l’▶Europe ◀de▶ demain : 100 000 membres cotisants, venus de ◀la▶ gauche ou ◀de▶ ◀la▶ droite, mais surtout ◀de▶ ◀la▶ Résistance, se regroupent sous ◀l’▶égide ◀de▶ ◀l’▶Union européenne des fédéralistes.
Leurs motifs ? Nous venons de ◀les▶ voir. Ce sont 1° ◀le▶ refus ◀de▶ toute nouvelle guerre européenne, 2° ◀la▶ fédération au-delà des formules ◀d’▶absolue souveraineté nationale, 3° « ◀l’▶Europe une dans un monde uni ».
Ces vues sont justes mais trop vastes, en ce sens que ◀les▶ moyens ◀de▶ leur réalisation ne sont pas encore imaginés, ni même sérieusement envisagés. Il est clair que ◀les▶ gouvernements n’accepteront jamais, sauf s’ils y sont contraints par une superpuissance voisine, ◀le▶ moindre abandon ◀de▶ souveraineté.
Dans cette situation quelque peu irréelle où se mêlent un sentiment ◀d’▶urgence très intensément motivé et une étrange incertitude quant aux prochains pas que ◀l’▶on pourra faire, éclate ◀le▶ discours ◀de▶ Churchill à ◀l’▶Université ◀de▶ Zurich, ◀le▶ 19 septembre 1946.
◀D’▶un trait génial, Churchill va ramener ◀la▶ conjoncture ◀la▶ plus complexe et angoissante à une seule mesure, ◀la▶ plus simple, et il va formuler par là même, en quelques phrases, ◀le▶ seul motif immédiat et concret qui se trouve être vraiment commun à ◀l’▶entreprise des militants fédéralistes et à ◀la▶ classe politique au pouvoir. Voici ces phrases capitales :
Au sort misérable ◀de▶ ◀l’▶Europe il existe un remède qui, s’il était adopté partout et spontanément, transformerait comme par miracle toute ◀la▶ scène, et ferait ◀de▶ ◀l’▶Europe, en peu ◀d’▶années, une terre aussi libre et heureuse que celle ◀de▶ ◀la▶ Suisse ◀d’▶aujourd’hui.
Quel est ce remède souverain ? C’est ◀de▶ reformer ◀la▶ famille européenne, dans toute ◀la▶ mesure où nous ◀le▶ pouvons encore, et ◀de▶ ◀l’▶assurer ◀d’▶une structure à ◀l’▶abri ◀de▶ laquelle elle puisse vivre en paix et en sécurité. Nous devons construire une sorte ◀d’▶États-Unis d’Europe. Ainsi seulement, des centaines ◀de▶ millions ◀de▶ travailleurs seront capables ◀de▶ retrouver ◀les▶ simples joies et ◀les▶ espoirs qui rendent ◀la▶ vie digne ◀d’▶être vécue.
Je vais vous dire maintenant quelque chose qui vous étonnera. Le premier pas consistera à faire ◀de▶ ◀la▶ France et ◀de▶ ◀l’▶Allemagne des partenaires. Si ◀l’▶on veut mener à bien ◀l’▶œuvre ◀de▶ construire ◀les▶ États-Unis d’Europe, leur structure devra être conçue ◀de▶ telle sorte que ◀la▶ puissance matérielle ◀de▶ chaque État perde son importance. ◀Les▶ petites nations y compteront autant que ◀les▶ grandes et tireront leur honneur ◀de▶ leur contribution au bien commun… Il s’agit aujourd’hui ◀d’▶affranchir ◀de▶ ◀la▶ guerre et ◀de▶ ◀la▶ servitude ◀les▶ populations ◀de▶ toute race et ◀de▶ toute contrée. ◀De▶ cette œuvre urgente, c’est à ◀la▶ France et à ◀l’▶Allemagne qu’il appartient ◀de▶ prendre conjointement ◀l’▶initiative… Debout ◀l’▶Europe !
Un an plus tard, à Montreux, naîtra ◀l’▶idée ◀d’▶une collaboration, théoriquement paradoxale mais peut-être en fait praticable, entre ◀le▶ mouvement fédéraliste et ◀les▶ clubs ◀de▶ notables politiques et industriels patronnés par Churchill.
Et c’est ce « compromis historique » qui va se réaliser au début ◀de▶ mai 1948 sous ◀les▶ espèces du Congrès ◀de▶ ◀l’▶Europe, réunissant dans ◀la▶ Salle des chevaliers, qui est ◀la▶ salle du trône ◀de▶ La Haye, près de 800 délégués parmi lesquels 16 anciens présidents du Conseil, 48 ministres dont Paul Reynaud, Anthony Eden, Harold Macmillan, Carlo Schmid, 250 députés, une centaine ◀de▶ syndicalistes, des évêques anglicans ou romains côtoyant Bertrand Russell ou Salvador de Madariaga aussi bien qu’Étienne Gilson ou Charles Morgan.
◀Le▶ Message aux Européens qui conclut ce congrès historique, est adopté par acclamations lors de ◀la▶ séance ◀de▶ clôture. Il résume ◀l’▶ensemble des motifs du congrès et du « Mouvement européen » qui en sortira quelques semaines plus tard. Je vous demanderai ◀la▶ permission ◀de▶ ◀le▶ lire comme j’eus ◀l’▶honneur ◀de▶ ◀le▶ faire à La Haye, ayant eu ◀la▶ charge ◀de▶ ◀l’▶écrire :
◀L’▶Europe est menacée, ◀l’▶Europe est divisée, et ◀la▶ plus grave menace vient de ses divisions.
Appauvrie, encombrée ◀de▶ barrières qui empêchent ses biens ◀de▶ circuler mais qui ne sauraient plus ◀la▶ protéger, notre Europe désunie marche à sa fin. Aucun ◀de▶ nos pays ne peut prétendre, seul, à une défense sérieuse ◀de▶ son indépendance. Aucun ◀de▶ nos pays ne peut résoudre, seul, ◀les▶ problèmes que lui pose ◀l’▶économie moderne. À défaut ◀d’▶une union librement consentie, notre anarchie présente nous exposera demain à ◀l’▶unification forcée, soit par ◀l’▶intervention ◀d’▶un empire du dehors, soit par ◀l’▶usurpation ◀d’▶un parti du dedans.
◀L’▶heure est venue ◀d’▶entreprendre une action qui soit à ◀la▶ mesure du danger.
Tous ensemble, demain, nous pouvons édifier avec ◀les▶ peuples ◀d’▶outremer associés à nos destinées, ◀la▶ plus grande formation politique et ◀le▶ plus vaste ensemble économique ◀de▶ notre temps. Jamais ◀l’▶histoire du monde n’aura connu un si puissant rassemblement ◀d’▶hommes libres. Jamais ◀la▶ guerre, ◀la▶ peur et ◀la▶ misère n’auront été mises en échec par un plus formidable adversaire.
Entre ce grand péril et cette grande espérance ◀la▶ vocation ◀de▶ ◀l’▶Europe se définit clairement.
Elle est ◀d’▶unir ses peuples selon leur vrai génie, qui est celui ◀de▶ ◀la▶ diversité, et dans ◀les▶ conditions du xxe siècle, qui sont celles ◀de▶ ◀la▶ communauté, afin d’ouvrir au monde ◀la▶ voie qu’il cherche, ◀la▶ voie des libertés organisées. Elle est ◀de▶ ranimer ses pouvoirs ◀d’▶invention pour ◀la▶ défense et pour ◀l’▶illustration des droits et des devoirs ◀de▶ ◀la▶ personne humaine, dont malgré toutes ses infidélités, ◀l’▶Europe demeure aux yeux du monde ◀le▶ grand témoin.
◀La▶ conquête suprême ◀de▶ ◀l’▶Europe s’appelle ◀la▶ dignité ◀de▶ ◀l’▶homme et sa vraie force est dans ◀la▶ liberté. Tel est ◀l’▶enjeu final ◀de▶ notre lutte. C’est pour sauver nos libertés acquises, mais aussi pour en élargir ◀le▶ bénéfice à tous ◀les▶ hommes, que nous voulons ◀l’▶union ◀de▶ notre continent.
Sur cette union ◀l’▶Europe joue son destin et celui ◀de▶ ◀la▶ paix du monde.
Soit donc notoire à tous que nous, Européens, rassemblés pour donner une voix à tous ◀les▶ peuples ◀de▶ ce continent, déclarons solennellement notre commune volonté dans ◀les▶ cinq articles suivants, qui résument ◀les▶ résolutions adoptées par notre congrès :
1) Nous voulons une Europe unie, rendue dans toute son étendue à ◀la▶ libre circulation des hommes, des idées et des biens.
2) Nous voulons une Charte des droits de l’homme, garantissant ◀les▶ libertés ◀de▶ pensée, ◀de▶ réunion et ◀d’▶expression, ainsi que ◀le▶ libre exercice ◀d’▶une opposition politique.
3) Nous voulons une Cour ◀de▶ justice, capable ◀d’▶appliquer ◀les▶ sanctions nécessaires pour que soit respectée ◀la▶ Charte.
4) Nous voulons une Assemblée européenne, où soient représentées ◀les▶ forces vives ◀de▶ toutes nos nations.
5) Et nous prenons ◀de▶ bonne foi ◀l’▶engagement ◀d’▶appuyer ◀de▶ tous nos efforts, dans nos foyers et en public, dans nos partis, dans nos églises, dans nos milieux professionnels et syndicaux, ◀les▶ hommes et ◀les▶ gouvernements qui travaillent à cette œuvre ◀de▶ salut public, suprême chance ◀de▶ ◀la▶ paix et gage ◀d’▶un grand avenir, pour cette génération et celles qui ◀la▶ suivront.
On a reconnu dans ce Message ◀la▶ convergence des motifs principaux qui animeront ◀les▶ mouvements européistes des années 1940 et 1950, et qui vont se traduire au début par quelques réalisations spectaculaires.
Le premier motif : empêcher ◀le▶ retour ◀d’▶une conflagration franco-allemande, était au cœur du discours ◀de▶ Zurich, et il va inspirer ◀le▶ traité ◀de▶ ◀la▶ CECA, cette mise en commun du charbon et ◀de▶ ◀l’▶acier dont on fait ◀les▶ canons, qui lie symboliquement et concrètement ◀les▶ ennemis ◀d’▶hier.
Le deuxième motif : ◀la▶ prospérité à rétablir par ◀l’▶intégration économique est celui qui donnera lieu à ◀l’▶ouverture du Marché commun dès 1957.
Le troisième motif, celui ◀de▶ ◀la▶ défense des libertés et des droits de l’homme, seul fondement ◀d’▶une union politique conforme au vrai génie européen et à ◀la▶ culture commune ◀de▶ nos peuples, donnera lieu, un an après ◀le▶ congrès ◀de▶ La Haye, à ◀la▶ création du Conseil de l’Europe et ◀de▶ ◀la▶ Cour ◀de▶ justice ◀de▶ Luxembourg, d’une part ; d’autre part à ◀de▶ nombreux instituts culturels, dont le premier en date, ◀le▶ Centre européen de la culture, fondé à Genève en 1950, a donné naissance notamment au projet initial du CERN, à ◀la▶ Fondation européenne ◀de▶ ◀la▶ culture, ainsi qu’à une douzaine ◀d’▶associations européennes ◀d’▶enseignants, ◀d’▶éditeurs, ◀d’▶historiens, ◀de▶ sociologues, ◀de▶ politologues, ◀d’▶instituts universitaires et même ◀de▶ festivals ◀de▶ musique.
On notera que ◀le▶ motif ◀de▶ ◀la▶ défense commune n’était pas mentionné dans ◀le▶ Message ◀de▶ La Haye, ou plus exactement : avait été barré ◀de▶ ◀la▶ version finale. Quatre ans plus tard, ce motif allait se déclarer sous ◀le▶ nom ◀de▶ Communauté européenne de défense, ou CED. On sait que ◀le▶ traité rejeté par ◀la▶ France en août 1954, devait inaugurer ◀la▶ série des échecs qu’eut à subir ◀l’▶idée européenne au cours des deux dernières décennies.
Du côté de Strasbourg, d’abord. Pendant ◀la▶ session inaugurale ◀de▶ ◀l’▶Assemblée du Conseil de l’Europe, qui n’était que consultative (première et grave déception), ◀le▶ député anglais Mackay avait fait voter ◀l’▶important amendement que je cite :
◀L’▶Assemblée considère comme ◀le▶ but et ◀l’▶objectif du Conseil de l’Europe ◀de▶ créer une autorité politique européenne dotée ◀de▶ fonctions limitées mais ◀de▶ pouvoirs réels.
Vingt-huit ans ont passé, et il n’est que trop clair que ◀le▶ Conseil de l’Europe non seulement n’a pas atteint « ◀le▶ but et ◀l’▶objectif » ainsi définis, mais qu’il a perdu tout espoir et peut-être même tout désir ◀d’▶y conduire ◀les▶ Européens.
Dira-t-on que ◀la▶ Communauté ◀de▶ Bruxelles a repris ◀le▶ flambeau ? On voit bien qu’elle en a quelquefois ◀l’▶ambition, qu’elle souhaite que ◀les▶ pouvoirs purement économiques ◀de▶ sa Commission soient élargis aux domaines du social, ◀de▶ ◀la▶ culture, et finalement ◀de▶ ◀la▶ politique commune des pays membres ; on voit bien que dans ses publications, elle se nomme tranquillement « ◀l’▶Europe », mais comment soutenir cette prétention ? ◀L’▶Europe de l’Ouest, déjà amputée ◀de▶ ◀l’▶Est satellisé, c’est encore vingt pays et non pas neuf ! Et c’est tout de même autre chose qu’un marché ! ◀La▶ gestion ◀d’▶une partie ◀de▶ ◀l’▶économie partiellement intégrée ◀de▶ neuf pays ne prépare pas ◀la▶ Commission ◀de▶ Bruxelles à décider des grandes options morales et politiques ◀de▶ ◀l’▶Europe tout entière.
J’en vois ◀la▶ preuve dans ◀le▶ récent Rapport annuel ◀de▶ ◀la▶ Communauté, qui exprime ◀la▶ crainte que ◀l’▶élargissement ◀de▶ celle-ci à trois pays nouveaux n’« affaiblisse ◀la▶ construction européenne » !
Autrement dit, cette construction serait ◀d’▶autant plus faible qu’elle deviendrait plus européenne ! Drôle ◀de▶ manière ◀de▶ reformer ◀la▶ « famille » dont parlait Churchill, que ◀d’▶en exclure pour des motifs purement économiques, ◀les▶ pays scandinaves et ◀l’▶Ibérie, ◀les▶ Balkans et ◀l’▶Autriche, et même ◀la▶ Suisse, si coupable qu’elle soit ◀d’▶avoir su depuis des siècles que ◀la▶ prospérité, ◀la▶ paix sociale, ◀les▶ libertés civiques et ◀la▶ sécurité appellent un régime fédéral, autogéré et décentralisé.
Une espèce ◀d’▶enlisement ◀de▶ ◀la▶ cause européenne et des espoirs fédéralistes dans ◀la▶ bureaucratie et ◀la▶ technocratie des eurocrates, depuis vingt ans, suffit à expliquer ◀l’▶amère désaffection ◀de▶ tant de militants ◀de▶ la première heure et ◀l’▶indifférence des jeunes gens à l’égard d’une « Europe » qui n’évoque plus pour eux un continent libéré des frontières nationales mais au contraire ◀les▶ marathons nocturnes ◀de▶ Bruxelles sur ◀la▶ surproduction des vins méditerranéens ou ◀le▶ prix ◀de▶ ◀la▶ betterave communautaire. Et je ne dis pas que ◀les▶ vins et ◀la▶ betterave n’ont aucune importance, loin de là : je dis seulement qu’il ne faut pas s’attendre que ◀la▶ jeunesse, à leur propos, s’exalte.
Un seul exemple peut suffire pour évaluer ◀les▶ progrès ◀de▶ cette indifférence : ◀l’▶élimination des derniers droits ◀de▶ douane entre ◀les▶ neuf pays du Marché commun s’est effectuée ◀le▶ 1er juillet 1977, dans ◀l’▶inattention générale : c’était pourtant le premier achèvement du grand dessein ◀de▶ Jean Monnet, son premier objectif pleinement atteint.
Faut-il en conclure que « ◀L’▶Europe n’intéresse plus », comme ◀le▶ répètent depuis plusieurs années la plupart des journaux ◀de▶ nos pays, tout en lui consacrant de plus en plus ◀de▶ place dans leurs colonnes ? Ou plutôt que ◀l’▶Europe qui intéresse au sens fort ◀les▶ Européens ◀d’▶aujourd’hui n’est pas celle ◀de▶ ◀l’▶économie, du libre-échange commercial, mais bien celle des chances ◀de▶ ◀la▶ vie, c’est-à-dire des chances ◀de▶ ◀la▶ paix, et du maintien des libertés, donc du progrès des responsabilités civiques ?
« ◀L’▶Europe c’est fini », dit ◀la▶ Presse. Du moins ◀le▶ disait-elle jusqu’à ◀l’▶année dernière. Voici quelques échantillons ◀de▶ gros titres parus dans ◀les▶ principaux journaux ◀de▶ France, ◀de▶ Suisse, ◀de▶ Belgique, ◀d’▶Italie, ◀d’▶Allemagne et ◀de▶ Grande-Bretagne, ◀de▶ 1974 à 1976 :
Sur ◀l’▶Europe en général : « ◀L’▶Europe à ◀la▶ dérive » — « ◀L’▶Europe agonise » — « ◀L’▶Europe c’est fini ».
Et sur ◀les▶ activités des Neuf : « ◀L’▶Europe verte écartelée » — « Europa-Agrarpolitik — wer kann das noch verstehen ? » — « ◀Les▶ Neuf divisés sur leur politique énergétique » — « Conseil européen : ◀l’▶enlisement » — « ◀Les▶ Neuf ont étalé divergences et absence ◀de▶ volonté politique » — « Europa auf der Flucht ».
◀La▶ lecture ◀de▶ ces titres pose une question : ◀de▶ quelle Europe parlent-ils ? Quelle est ◀l’▶Europe qui selon eux « agonise » ?
Si c’est « ◀l’▶Europe des Neuf », qu’on ◀l’▶appelle par son nom : c’est un Marché commun partiel.
S’il s’agit ◀de▶ ◀l’▶Europe des États plus ou moins « unis » ou « confédérés » — dont ◀les▶ ministres nous répètent depuis trente ans qu’elle est nécessaire et urgente —, nous sommes en présence d’une fausse nouvelle : cette Europe-là ne peut pas « agoniser » puisqu’elle n’a jamais existé, et ◀l’▶on peut douter qu’elle voie ◀le▶ jour aussi longtemps que ◀les▶ États refuseront ◀de▶ rien céder sur leur souveraineté nationale.
S’agirait-il enfin ◀de▶ ◀l’▶Europe réelle, celle des Européens vivants, ◀de▶ leurs cultures et ◀de▶ leurs espoirs ? Mais alors comment pourrait-on avec un tel sang-froid, sans ◀la▶ moindre émotion dans ◀la▶ voix, ◀le▶ geste ou ◀le▶ style, et parfois même avec un je ne sais quoi ◀de▶ complaisant dans ◀la▶ résignation, voire ◀de▶ sournoisement jubilant, annoncer et accepter que tout cela soit perdu — comme si tout cela n’était pas nous ?
Ils parlent ◀de▶ ◀l’▶Europe qui agonise comme on parle ◀de▶ malheurs étrangers, ◀de▶ ◀la▶ mort qui n’arrive qu’aux autres. Sont-ils conscients du fait inéluctable qu’ils subiront ◀le▶ sort ◀de▶ ◀l’▶Europe, peu importe qu’ils soient pour ou contre, ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite, européistes ou nationalistes ?
Dans cette situation plutôt décourageante est apparu voici deux ans un projet qui, précisément, concerne par sa nature même ◀l’▶ensemble des Européens (même limité provisoirement aux Neuf) — ◀le▶ projet ◀d’▶élection du Parlement européen au suffrage universel à ◀l’▶automne ◀de▶ 1978.
◀Le▶ débat général sur ◀l’▶Europe, qui ne va pas manquer ◀de▶ déclencher ◀la▶ campagne électorale, aura pour effet ◀de▶ reposer ◀le▶ problème des « vrais » motifs ◀de▶ ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, qu’il s’agisse ◀de▶ celle des bureaux, ou ◀de▶ celle des multinationales, ou ◀de▶ celle des esprits et des cœurs, ◀de▶ celle des peuples.
Et voilà qui exigera, ◀de▶ toute nécessité, ◀l’▶examen objectif des motifs antérieurs et ◀la▶ prise de conscience des motifs nouveaux.
◀Les▶ principaux motifs anciens, ce sera vite vu.
Empêcher ◀la▶ France et ◀l’▶Allemagne ◀de▶ se faire ◀la▶ guerre : voilà qui est acquis, par bonheur, mais disparaît donc, du même coup, en tant que motif dynamique ◀d’▶union.
Rétablir ◀la▶ productivité industrielle ? Nous n’y avons que trop bien réussi : voir nos indices ◀de▶ gaspillage, ◀d’▶épuisement des ressources non renouvelables, et nos indices ◀de▶ chômage.
Assurer ◀la▶ paix ? Nos États se préparent plutôt, pour rétablir leur balance commerciale, à vendre des centrales ◀de▶ retraitement dont ◀l’▶unique intérêt sera ◀de▶ fournir au tiers-monde ◀le▶ plutonium des armes nucléaires, s’il promet, bien sûr, ◀de▶ ne jamais s’en servir…
Enfin, former un corps politique capable à la fois ◀de▶ se défendre et ◀de▶ se faire entendre à ◀l’▶échelle mondiale ? Ici nous devons confesser ◀l’▶échec total : il n’y a pas, dans aucun domaine fondamental, ◀de▶ politique commune des États de l’Europe : non, pas même pour ◀les▶ Neuf ◀de▶ ◀la▶ Communauté. Ni Parlement européen élu, légitimé, législatif ; ni Sénat des États ou des régions ; ni exécutif aux ordres du Souverain populaire représenté par ◀les▶ deux chambres ; ni monnaie commune ; ni défense commune ; ni plan commun pour faire face aux crises énergétiques comme celle ◀de▶ 1973 ; ni politique commune contre ◀l’▶inflation sans augmenter ◀le▶ chômage, ou contre ◀le▶ chômage sans aggraver ◀l’▶inflation…
Je ne vois ◀d’▶autre explication à tant ◀d’▶impuissances que dans ◀le▶ fait, toujours plus évident, que ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ souveraineté nationale absolue n’a jamais été dépassé, comme ◀le▶ demandaient ◀les▶ résistants. Seuls ◀les▶ États s’arrogent ◀le▶ droit ◀de▶ faire, ou ◀de▶ ne pas faire ◀l’▶Europe. Or, il est clair qu’ils ne ◀la▶ feront jamais, étant eux-mêmes ◀les▶ obstacles à ◀l’▶union, s’il n’y sont pas contraints par des forces extérieures, ou poussés par ◀la▶ volonté des peuples.
Quelles sont ◀les▶ forces extérieures qui peuvent constituer pour ◀l’▶Europe ◀de▶ nouveaux motifs ◀de▶ s’unir ?
◀La▶ situation ◀de▶ ◀l’▶Europe dans ◀le▶ monde ◀d’▶aujourd’hui est caractérisée par un contraste violent : ◀Le▶ tiers-monde est en état ◀d’▶explosion démographique, particulièrement dans ◀le▶ Sud-Est asiatique et dans certaines parties ◀de▶ ◀l’▶Amérique latine, tandis que dans ◀les▶ pays industrialisés ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀le▶ taux ◀de▶ croissance est en baisse, approchant parfois ◀de▶ ◀la▶ croissance zéro. (◀Le▶ phénomène se reproduit au sein de ◀l’▶Union soviétique : tandis que ◀le▶ taux des naissances dans ◀la▶ partie russe demeure bas, celui des parties asiatiques augmente sans relâche. Dans quelques décennies, ◀l’▶URSS comptera une forte majorité ◀de▶ Turcs et ◀d’▶Asiatiques.)
Voilà qui est propre à modifier ◀d’▶une manière dramatique ◀les▶ équilibres dits « traditionnels » entre ◀l’▶Europe et ◀le▶ reste du monde.
◀Les▶ besoins alimentaires du tiers-monde vont croître ◀d’▶une manière inévitablement catastrophique dans plusieurs cas. Un exemple : ◀les▶ démographes du Bangladesh prévoient un taux annuel ◀de▶ morts par famine se traduisant par plus ◀de▶ 20 millions dans ◀les▶ années 1980, jusqu’à ce que ◀l’▶excès ◀de▶ population soit corrigé « par ◀la▶ Nature » — à moins que des quantités énormes ◀de▶ nourriture ne puissent être procurées ◀de▶ ◀l’▶extérieur. Une partie ◀de▶ cette alimentation pourrait être fournie par ◀les▶ États-Unis, et par eux seuls, mais au prix ◀d’▶une expansion rapide ◀de▶ leur production agricole, qui se trouve être particulièrement vorace en énergie.
◀Le▶ monopole américain quant à ◀l’▶alimentation du monde sera comparable au monopole arabe quant au pétrole. Il ne sera pas facile pour ◀les▶ USA et ◀le▶ Canada, ◀de▶ ne jamais abuser ◀de▶ cet avantage à des fins politiques, d’autant que ◀l’▶URSS restera ◀le▶ client ◀le▶ plus important pour ◀le▶ blé américain dans ◀les▶ années ◀de▶ mauvaises récoltes. Or, ces années vont être de plus en plus fréquentes si ◀les▶ climatologistes ont raison. Il faut donc s’attendre que ◀le▶ pouvoir économique et politique des USA devienne toujours plus dominant.
Mais d’autre part, ◀la▶ proportion des Blancs à haut niveau de vie va diminuer rapidement par rapport au tiers-monde, et leur moyenne ◀d’▶âge sera plus élevée. Cet accroissement ◀de▶ ◀la▶ population du tiers-monde et ◀de▶ ses besoins par tête en énergie et en matières premières ne peut manquer ◀d’▶entraîner des répercussions très dures pour ◀l’▶ensemble des peuples ◀de▶ ◀l’▶Europe.
En effet, ayant été les premiers à lancer ◀la▶ révolution industrielle, nous avons déjà fortement entamé nos ressources non renouvelables et nous ne pouvons plus compter sur un accès automatique à la plupart de nos sources extérieures ◀d’▶approvisionnement. ◀La▶ crise du pétrole en 1973 a montré combien notre économie était devenue vulnérable à des événements politiques lointains sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle, et qui nous trouvent ◀d’▶autant plus désarmés que nous n’avons aucun plan ◀de▶ premiers secours mutuels, ni aucune politique commune à moyen et à long terme.
Toutes ces tensions, lourdes ◀de▶ conflits latents, menacent ◀l’▶ensemble des Européens dans leurs conditions ◀d’▶existence économique d’abord, puis ◀d’▶indépendance politique, et finalement ◀de▶ survie pure et simple.
Déséquilibres démographiques, pénuries et famines, monopoles étrangers conduisant à des formes diverses ◀d’▶asservissement économique, puis politique, crise ◀de▶ civilisation laissant prévoir des désastres désormais calculables si ◀l’▶on continue dans ◀le▶ même sens et au même rythme — même ◀l’▶addition ◀de▶ ces données est encore loin de rendre compte ◀de▶ toute ◀la▶ réalité que doivent affronter aujourd’hui ◀les▶ habitants ◀de▶ ◀la▶ péninsule Europe.
Tous ◀les▶ observateurs lucides ◀de▶ ◀l’▶époque nous répètent qu’il s’agit désormais ◀d’▶orienter autrement ◀le▶ « développement » ◀de▶ notre société, et ◀de▶ revoir ◀la▶ définition ◀de▶ ce que nous avons été les premiers dans ◀le▶ monde et pendant longtemps ◀les▶ seuls à nommer « ◀le▶ Progrès ».
◀Le▶ bonheur, ◀le▶ salut ◀de▶ ◀l’▶humanité sont-ils vraiment liés à ◀la▶ croissance du PNB et ◀de▶ ◀la▶ consommation ◀d’▶énergie, comme ◀l’▶ont cru depuis ◀le▶ siècle dernier, identiquement, capitalistes et communistes, socialistes et libéraux ? Mais si cela doit nous mener ◀de▶ crise en crise et ◀de▶ pénuries en famines au désastre final ◀de▶ ◀la▶ guerre nucléaire, ne serait-il pas temps ◀de▶ changer ◀de▶ cap ? ◀De▶ réviser ◀les▶ dogmes du progrès matériel, ◀de▶ ◀la▶ croissance illimitée ◀de▶ tout et ◀de▶ n’importe quoi, du salut par ◀la▶ quantité au mépris ◀de▶ ◀la▶ qualité, laquelle ne peut pas être comptabilisée ?
Demandons-nous alors qui peut imaginer, vouloir et réaliser ce changement ◀de▶ cap.
Il y a peu de chances que ce soit ◀le▶ tiers-monde : sa passion dominante paraît être aujourd’hui ◀de▶ reproduire chez lui ◀les▶ causes mêmes ◀de▶ notre crise ; il nous accuse ◀de▶ vouloir ◀l’▶en frustrer dès que nous tentons ◀de▶ ◀l’▶avertir. (Il ne veut pas seulement nos autos, mais nos embouteillages polluants et nos pénuries ◀de▶ pétrole qui exigent des centrales nucléaires, etc.)
Il y a peu de chances que ce soit ◀l’▶URSS, qui veut « rattraper ◀l’▶Amérique », laquelle continue ◀de▶ croire, dans sa majorité, que plus c’est grand et mieux cela vaut.
Reste alors notre « vieille Europe » : elle a été la première à inventer ◀le▶ Progrès, puis la première à prendre conscience ◀de▶ ses erreurs ◀d’▶orientation, la première à créer ◀l’▶État-nation. Il semblerait donc naturel qu’elle soit aussi la première capable ◀de▶ rectifier ◀les▶ conceptions qu’elle a lancées dans ◀le▶ monde entier et que ◀les▶ communautés ◀les▶ plus traditionnelles adoptent ou subissent aujourd’hui. ◀L’▶Europe va-t-elle faillir à sa mission mondiale ? ◀Le▶ peut-elle sans trahir ses raisons ◀d’▶être et abdiquer, avec ses responsabilités, ses libertés ?
Ici se pose la question fondamentale : quelle Europe ? Car il y en a deux.
◀L’▶histoire nous montre ◀la▶ naissance dans ◀la▶ Grèce des cités autonomes, ◀d’▶une Europe ◀de▶ ◀la▶ solidarité civique, ◀de▶ ◀la▶ mesure, et ◀de▶ ◀la▶ tolérance socratique. Mais elle nous montre aussi, dans ◀la▶ Rome impériale ◀la▶ naissance ◀de▶ ce qui deviendra au cours des siècles ◀l’▶Europe des dictatures, des règlements collectivistes uniformisants, ◀de▶ ◀la▶ « raison ◀d’▶État » généralement contraire à ◀la▶ raison, et ◀de▶ ◀la▶ « juste place » réservée selon Lénine à ◀l’▶opposition politique, à savoir ◀la▶ prison.
La première Europe a créé et nourri ◀les▶ idées ◀de▶ liberté et ◀de▶ responsabilité dans ◀la▶ Communauté, ◀de▶ foi jurée et ◀de▶ pacte fédéral, puis ◀d’▶internationalisme et ◀d’▶arbitrage, enfin ◀de▶ fédération européenne.
La deuxième Europe a formé des sujets passifs. Elle a repris ◀l’▶idée romaine du réseau ◀d’▶institutions centralisées encadrant toujours plus étroitement toujours plus ◀de▶ réalités ◀de▶ ◀la▶ vie publique et privée ◀d’▶une nation, afin d’en obtenir plus facilement toujours plus ◀d’▶obéissance passive. Cette Europe est celle des nationalismes étatisés, ◀de▶ leurs guerres « glorieuses » et ◀de▶ leurs révolutions, des fascismes ◀de▶ gauche puis ◀de▶ droite et des « impératifs technologiques » au service ◀de▶ « ◀la▶ souveraineté nationale absolue ».
Or, aujourd’hui, c’est cette deuxième Europe qui s’oppose à ◀l’▶union fédérale ◀de▶ nos peuples, seul espoir qui nous soit proposé. Et par malheur, c’est cette deuxième Europe que ◀le▶ tiers-monde copie avec passion, depuis ◀la▶ prétendue dé-colonisation.
Mais comment qualifier ◀de▶ « décolonisation » un processus qui perpétue ◀les▶ superstitions ◀les▶ plus typiques des colonisateurs, parmi lesquelles ◀l’▶idée du Progrès matériel et surtout ◀l’▶équation « bonheur ◀de▶ ◀l’▶homme égale accroissement des dépenses nationales (ou PNB), gaspillage ◀d’▶énergie, fabrication ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique » ?
◀Le▶ fait est qu’il est plus facile ◀de▶ copier ◀les▶ caricatures que ◀les▶ modèles, ◀les▶ vices que ◀les▶ vertus, ◀les▶ armes ◀de▶ guerre que ◀les▶ procédures ◀de▶ paix. Il est plus facile ◀de▶ s’approprier ◀les▶ recettes du nationalisme arrogant que celles du fédéralisme solidaire.
Une bonne centaine ◀d’▶États nouveaux se sont proclamés souverains depuis ◀la▶ fin ◀de▶ la Deuxième Guerre mondiale. Du fait que tous veulent à tout prix ◀les▶ structures ◀de▶ ◀l’▶État napoléonien et ◀les▶ armements ◀de▶ ◀l’▶impérialisme nucléaire, cette division du monde ne peut conduire qu’à une guerre générale, qui pourrait très bien être la dernière parce qu’elle détruirait ◀les▶ bases mêmes ◀de▶ toute guerre : ◀les▶ communautés humaines.
Devant ◀les▶ grands défis mondiaux que j’ai évoqués, nous ne gardons quelques chances ◀de▶ nous en tirer que tous ensemble. Nous ne pourrons survivre aux crises inévitables en nous bornant à leur opposer fermement nos prétendues « souverainetés nationales », c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ rhétorique. ◀Le▶ choix est simple : ou nous périrons un à un, ou nous survivrons fédérés.
Telle étant ◀la▶ situation ◀de▶ ◀l’▶Europe dans ◀la▶ conjoncture mondiale, qu’en est-il ◀de▶ ◀la▶ situation à l’intérieur de ◀l’▶Occident ?
La plupart des Européens ont ◀l’▶impression décourageante ◀d’▶être « écrasés » entre ◀les▶ Super-Grands ◀de▶ ◀l’▶Est et ◀de▶ ◀l’▶Ouest. Ce sentiment que ◀les▶ chiffres et ◀les▶ faits ne justifient pas, traduit cependant ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀l’▶état ◀de▶ division du continent. Si nous nous sentions Européens, membres ◀d’▶une communauté fédérale ◀d’▶environ 400 millions ◀d’▶habitants à ◀l’▶Ouest, en attendant que ◀les▶ 100 millions des satellites ◀de▶ ◀l’▶Est puissent nous rejoindre, nous pourrions regarder sans craintes excessives ◀les▶ 220 millions ◀d’▶Américains et ◀les▶ 250 millions ◀de▶ Russes : ces Super-Grands additionnés n’atteindraient même pas notre taille ! Il est bien clair que ◀le▶ nombre des habitants ne dit pas tout sur ◀la▶ puissance ou ◀le▶ bonheur ◀d’▶un peuple, mais s’il est vrai que nous ne sommes pas trop enclins à juger selon ◀les▶ quantités, cet exemple illustre assez bien que notre défaitisme actuel n’est justifié que par notre état ◀de▶ division, par ◀le▶ refus ◀de▶ nous fédérer.
Derrière nos représentations exagérément pessimistes, et dans ◀l’▶attente ◀d’▶une réunion des peuples européanisés depuis mille ans, quelles sont ◀les▶ réalités présentes ?
Entre ◀les▶ USA et ◀l’▶URSS, ◀la▶ situation ◀de▶ ◀l’▶Europe apparaît très malsaine et grevée ◀d’▶injustices intolérables.
Il n’est pas sain que notre économie et nos monnaies demeurent à ◀la▶ merci ◀d’▶une manipulation ◀de▶ ◀la▶ valeur ◀d’▶échange du dollar, ou ◀de▶ ◀l’▶inflation exportée par ◀l’▶industrie américaine, suite à ◀la▶ guerre du Vietnam.
Il n’est pas sain que ce qu’on appelle ◀la▶ sécurité ◀de▶ ◀l’▶Europe paraisse être assurée par ◀la▶ présence ◀de▶ quelques divisions américaines en République fédérale ◀d’▶Allemagne, non par ◀l’▶union des forces européennes. Il n’est pas sain que ◀la▶ survie abusive (en Europe comme en Amérique latine) ◀de▶ régimes dictatoriaux, militaires ou cléricaux, expressément antidémocratiques, ait pu dépendre ◀de▶ « ◀l’▶aide américaine ».
Mais d’autre part, il n’est pas juste que six pays européens à ◀l’▶Est soient privés du droit ◀de▶ choisir leur éventuelle fédération avec ◀l’▶Ouest du continent. Il n’est pas juste qu’aussitôt qu’ils manifestent un goût, même timide, pour ◀la▶ démocratie, ils soient envahis par ◀les▶ Russes. Il n’est pas juste qu’à Yalta, ◀les▶ peuples ◀de▶ ◀l’▶Europe du Sud-Est aient été « répartis » et « partagés » entre ◀les▶ Super-Grands en protectorats, satellites, zones à souveraineté limitée, etc., comme ◀les▶ tribus ◀de▶ ◀l’▶Afrique noire ◀l’▶avaient été par ◀la▶ conférence ◀de▶ Berlin en 1885.
Ce qui est juste, urgent et humain, c’est ◀de▶ promouvoir et ◀de▶ vouloir ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe, seul moyen ◀de▶ résister à ◀l’▶emprise économique ou politique des Super-Grands, mais plus encore : seul moyen ◀de▶ résister à ◀la▶ catastrophe finale. Voici comment.
◀La▶ guerre est ◀le▶ produit — comme elle fut ◀l’▶origine, cela n’est plus à démontrer — des grands États centralisés. Or ◀la▶ croissance illimitée ◀de▶ ◀la▶ production industrielle a entraîné une consommation toujours plus gaspillante ◀d’▶énergie, ◀d’▶où ◀la▶ « nécessité » des centrales nucléaires et même, d’ici vingt ans, des surgénérateurs. Qui à leur tour, ne fût-ce que par leur prix, leurs dangers, et ◀les▶ résistances qu’ils provoquent, augmenteront nécessairement ◀la▶ centralisation, ◀l’▶emprise ◀de▶ ◀l’▶État sur ◀les▶ investissements, et ◀l’▶inquisition policière préventive. Or on sait que plus un État est centralisé, moins il accepte ◀les▶ formules fédératives, plus il est poussé vers ◀la▶ guerre.
Devant cette menace totale — née ◀de▶ nos œuvres, ne ◀l’▶oublions pas —, ◀la▶ vocation ◀de▶ ◀l’▶Europe est ◀de▶ donner au monde ◀l’▶exemple ◀d’▶une désescalade. Si ◀les▶ grands États sont responsables des grandes guerres, il faut diminuer à la fois leur taille et leurs pouvoirs ◀d’▶agression. Car ainsi que ◀l’▶écrit Bertrand de Jouvenel : « ◀Le▶ Pouvoir est lié à ◀la▶ guerre, et si une Société veut borner ◀les▶ ravages ◀de▶ ◀la▶ guerre, il n’en est ◀d’▶autre moyen que ◀de▶ borner ◀les▶ facultés du Pouvoir. » ◀L’▶Europe seule, je ◀l’▶ai dit, semble aujourd’hui capable ◀d’▶amorcer ce renversement ◀de▶ ◀la▶ tendance, dont ◀les▶ conditions pourraient être :
1° guérir ◀de▶ ◀l’▶obsession ◀d’▶un productivisme indéfiniment accru au prix de famines dans ◀le▶ tiers-monde ;
2° réduire ◀le▶ gaspillage ◀d’▶énergie payé au prix ◀d’▶agressions irréversibles contre ◀la▶ Nature et contre nos descendants durant vingt-quatre-mille ans (car telle est ◀la▶ « période ◀de▶ demi-vie » du plutonium que ◀l’▶on se prépare à stocker dans nos cavernes) ;
3° réduire ainsi au minimum ◀la▶ centralisation, qui toujours pousse au mépris des réalités locales, régionales, communautaires, ◀d’▶où ◀la▶ dégradation toujours plus angoissante des relations humaines dans notre société : égoïsme ◀de▶ classe, délinquance, prises ◀d’▶otages, terrorisme international ; 4° enfin dénoncer ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ souveraineté nationale absolue, au profit ◀de▶ ◀l’▶autonomie des régions et ◀de▶ leurs fédérations, nationales d’abord, puis continentales.
Ce serait du même coup se soustraire aux mécanismes ◀de▶ ◀la▶ guerre et permettre ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe. Tel était bien ◀le▶ sens du slogan qui ouvrait ◀le▶ Message final ◀de▶ ◀la▶ conférence ◀de▶ Lausanne consacrée en 1949 à ◀l’▶Europe ◀de▶ ◀la▶ culture, slogan qui m’avait été dicté par Carlo Schmid, alors vice-président du Bundestag : « Il faut faire ◀l’▶Europe, ou il faut faire ◀la▶ guerre ! »
Mais si ces enchaînements ◀de▶ causes et ◀d’▶effets, soit vers ◀la▶ guerre par ◀la▶ logique des souverainetés absolues, soit vers ◀la▶ paix par ◀la▶ formation progressive ◀de▶ fédérations ◀de▶ régions nous paraissent désormais évidents, ◀les▶ moyens ◀d’▶amorcer ◀la▶ pratique des régions ◀le▶ sont beaucoup moins. ◀La▶ plus claire vision du danger ne suffit pas toujours à fournir ◀l’▶impulsion décisive.
Ce qui a fait défaut, jusqu’ici, aux efforts des mouvements fédéralistes et aux tentatives ◀d’▶union initiées par un Coudenhove, par un Briand, puis par ◀les▶ Résistances européennes, c’est ◀l’▶appui passionné ◀de▶ larges couches populaires et ◀de▶ ◀la▶ jeunesse ◀la▶ plus active ◀de▶ nos pays, dans toutes ◀les▶ classes, pas seulement chez ◀les▶ intellectuels. Or ce levier, tout porte à croire que ◀le▶ fédéralisme européen vient de ◀le▶ trouver, du côté où on ◀l’▶attendait ◀le▶ moins.
Depuis quelques années, un phénomène immense monte lentement dans ◀les▶ consciences et déjà, nous ◀le▶ voyons déterminer ◀l’▶actualité européenne ◀la▶ plus brûlante : c’est ◀le▶ soulèvement germinal, ◀l’▶émergence partout des deux motivations majeures que sont devenues en peu ◀d’▶années ◀les▶ régions et ◀l’▶écologie.
Je n’en ai pas connues, depuis plus ◀de▶ quarante ans que je milite pour ◀le▶ fédéralisme européen, de plus largement mobilisatrices. Elles sont effectivement ◀les▶ seules, en Europe, à pouvoir rassembler des foules ◀de▶ dizaines ou ◀de▶ centaines ◀de▶ milliers, comme on ◀l’▶a vu durant ◀le▶ seul mois ◀d’▶août ◀de▶ cette année : 80 000 écologistes à Creys-Malville, et 300 000 régionalistes devant Pampelune, militants non violents, résolus, qui déconcertent ◀la▶ police par leur refus ◀de▶ se conformer aux clichés ◀de▶ ◀la▶ contestation et du gauchisme.
Or elles rejoignent irrésistiblement ◀le▶ mouvement des fédéralistes européens, ◀les▶ trois étant organiquement liées dans leur genèse par une réaction identique contre un monde brutal ◀de▶ massification, ◀de▶ gigantisme et ◀d’▶alignements au cordeau, qui ne peut plus respecter aucune différence — minorité, écorégion, région ethnique —, se méfie par principe ◀de▶ toute autonomie, détruit ◀les▶ équilibres naturels, et ◀les▶ petites communautés ◀de▶ base dans lesquelles seules ◀le▶ citoyen pourrait devenir une personne à la fois libre et responsable.
Mouvement ◀de▶ base, spontané et pacifique, dans lequel on voit bien que ◀les▶ motifs écologiques, régionalistes, fédéralistes sont intimement entrelacés et se conditionnent mutuellement. ◀L’▶écologie trouve ses solutions tantôt au niveau régional et tantôt à ◀l’▶échelle du continent, non dans ◀le▶ cadre ◀d’▶un État-nation. Et ◀les▶ régions, souvent déterminées par des problèmes écologiques, sont à leur tour ◀les▶ unités ◀de▶ base ◀de▶ toute fédération continentale.
Mouvement qui pour la première fois, depuis des siècles qu’est apparue cette « vieille idée neuve » qu’est ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe, permet ◀d’▶envisager son avènement puissant mais sans violence, et ◀de▶ croire de nouveau à notre avenir commun.
Écologie – régions – Europe : même avenir !
Cette triple émergence va se manifester à ◀l’▶occasion ◀de▶ ◀l’▶élection, dans un an, du Parlement européen. Écologistes, régionalistes, fédéralistes, enfin unis, ne vont pas manquer ◀d’▶exercer une influence multiforme et profonde sur ◀les▶ partis traditionnels qui verdissent à l’envi pour leur plaire : phénomène sans précédent ! Et il est clair que ◀le▶ Parlement européen une fois doté ◀de▶ ◀la▶ légitimité que donne ◀le▶ peuple, ne s’en tiendra pas au vote du budget ◀de▶ Bruxelles.
Il voudra, il devra traduire au plan ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀les▶ motifs nouveaux qui ◀l’▶auront fait élire : écologie, énergie, régions, politique à l’égard du tiers-monde, et défense locale « à ◀la▶ suisse »…
Mais ◀la▶ Suisse, justement, n’y participera pas. Ici éclate ◀le▶ scandale ◀de▶ ◀la▶ confusion entretenue entre ◀les▶ Neuf et ◀l’▶Europe tout entière : car tous ◀les▶ motifs invoqués pour ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe concernent ◀la▶ Suisse, vitalement. N’est-il pas temps que ◀les▶ Suisses se réveillent aux réalités continentales et mondiales dont ils dépendent ? Je voudrais que vous gardiez ◀de▶ ma conférence cette conclusion sérieusement motivée : ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶Europe est aussi notre affaire !