L’▶Intellectuel contre ◀l’▶Europe (été 1978)d
Voici sans doute ◀la▶ description ◀la▶ plus complète jamais tentée ◀de▶ ◀la▶ mauvaise conscience européenne5. « Qu’est-ce que ◀l’▶antieuropéanisme ? » se demande ◀l’▶auteur, lorsqu’il tente à ◀la▶ fin ◀de▶ son essai ◀d’▶en récapituler ◀les▶ données.
C’est tout d’abord « ◀l’▶attitude ◀de▶ ◀l’▶écrivain, ◀de▶ ◀l’▶artiste, du savant et du militant qui consiste à prendre appui, en se définissant par rapport à ◀l’▶Europe, sur ◀les▶ civilisations d’autres continents ». Par où ◀l’▶on voit qu’il s’agit ◀d’▶une attitude spécifiquement européenne, et si peu étrangère ou extérieure à ◀l’▶Europe que ◀l’▶on peut lire dès ◀la▶ p. 3 : « Je considère ◀l’▶antieuropéanisme comme un élément constitutif ◀de▶ ◀la▶ pensée européenne. »
Ce qui me rappelle irrésistiblement ◀les▶ débats ◀de▶ la première table ronde ◀de▶ ◀l’▶Europe que je présidai à Rome puis à Strasbourg, en 1954 je croise. Légèrement agacé par ◀les▶ déclarations des délégués ◀d’▶une quinzaine ◀de▶ pays, qui venaient l’un après l’autre mettre en doute ◀l’▶unité foncière ◀de▶ ◀l’▶Europe au nom de ◀la▶ seule réalité ◀de▶ leur nation ou ◀de▶ je ne sais quelle « mondialité », je notai cette définition et ◀la▶ fis circuler mine ◀de▶ rien : « ◀L’▶Européen ne serait-il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen dans ◀la▶ mesure précise où il doute qu’il ◀le▶ soit, et prétend au contraire s’identifier soit avec ◀l’▶homme universel qu’il imagine, soit avec l’une des composantes du grand complexe européen, dont il révèle ainsi qu’il fait partie par ◀le▶ seul fait qu’il ◀le▶ conteste ? »
◀L’▶antieuropéanisme, c’est aussi « ◀la▶ nostalgie ◀d’▶une vie meilleure dont nos mythes perpétuent ◀le▶ souvenir et que d’autres peuples… auraient préservée jusqu’à nos jours ». C’est ◀la▶ préférence accordée par principe aux « modèles » ◀de▶ transformation ou ◀de▶ conservation culturelle et politique extraeuropéens. C’est enfin « ◀la▶ tendance à favoriser systématiquement et inconditionnellement ◀les▶ modes intellectuelles qui attribuent à ◀l’▶Europe ◀la▶ responsabilité ◀de▶ tout ce qui va mal dans ◀le▶ monde ».
André Reszler illustre ◀les▶ étapes ◀de▶ cet immense procès sans avocats, qui va ◀de▶ ◀l’▶éloge du bon sauvage aux imprécations contre ◀l’▶Occident moderne, par un fascinant feu ◀d’▶artifice ◀de▶ citations — ◀d’▶Hérodote louant ◀les▶ Scythes et Tacite ◀les▶ Germains, par ◀les▶ pages célèbres ◀de▶ Montaigne et ◀les▶ « clameurs » ◀de▶ Bartholomé ◀de▶ las Casas sur ◀l’▶innocence et ◀les▶ souffrances des Indiens, et par ◀l’▶aimable mythologie du xviiie — ◀le▶ sage Égyptien, ◀le▶ philosophe Chinois, ◀le▶ Persan railleur, ◀le▶ noble Ottoman — aux ricanements ◀de▶ Voltaire, aux nostalgies ◀de▶ Rousseau, aux accusations ◀de▶ ◀l’▶abbé Galiani6 jusqu’aux diatribes exaspérées ◀d’▶un Franz Fanon et ◀de▶ son préfacier Jean-Paul Sartre invitant à « tirer à vue » sur ◀l’▶Européen qui se présenterait en Afrique.
On me pardonnera ◀d’▶apprécier spécialement ◀la▶ découverte faite dans ◀les▶ Alpes suisses par ◀le▶ naturaliste Albert de Haller, du bon sauvage archétypique : ce « contemporain des habitants ◀de▶ ◀l’▶Âge ◀d’▶Or réduit à rien ◀les▶ prétentions puériles ◀de▶ ◀la▶ civilisation par son innocence et ses vertus simples ». Nous tenons enfin ◀le▶ Suisse au-dessus ◀de▶ tout soupçon !
◀L’▶éloge séculaire du bon sauvage conduit à celui du primitivisme dans ◀les▶ arts — ◀de▶ Gauguin aux masques nègres, aux Demoiselles ◀d’▶Avignon, au Sacre du Printemps. Et tout débouche au xxe siècle sur une crise non seulement ◀de▶ ◀la▶ culture mais ◀de▶ ◀l’▶idée même ◀de▶ culture, sur ◀le▶ divorce entre art et société, sur ◀l’▶impuissance ◀de▶ ◀la▶ révolte en soi et ◀la▶ mise au pas ◀de▶ ◀l’▶artiste dans ◀la▶ moitié du monde non européen…
◀L’▶essai témoigne ◀de▶ ◀la▶ culture très étendue ◀d’▶un Hongrois rescapé in extremis ◀de▶ ◀la▶ révolution ◀de▶ 1956, qui a fait ses études en Suisse et professé dans une grande université américaine avant de revenir à Genève s’intégrer à ◀l’▶équipe qui a mené, depuis près de trente ans, ◀le▶ Centre européen de la culture, puis ◀l’▶Institut universitaire ◀d’▶études européennes. Culture littéraire et politique, qui comprend à la fois, outre ◀les▶ domaines français, allemand et anglo-saxon, celui ◀de▶ ◀l’▶Europe de l’Est, et qui a nourri deux ouvrages marquants sur ◀les▶ rapports ◀de▶ ◀l’▶anarchie et du marxisme avec ◀l’▶esthétique.
Cent-cinquante pages seulement, mais qui ne laissent pas ◀le▶ sens critique du lecteur s’endormir une seconde ; soit par ◀la▶ surprise ◀de▶ citations souvent stupéfiantes ◀d’▶auteurs qu’on croyait bien connaître ou ◀d’▶inconnus profonds et pittoresques ; soit par certaines ambiguïtés, par des raccourcis polémiques, ou par une profusion ◀de▶ thèses que ◀l’▶on voudrait voir amplifiées, explicitées, discutées plus avant. Voilà qui mériterait, se dit-on, ◀d’▶au moins tripler ce mince volume, et surtout ◀de▶ lui donner des suites non plus seulement descriptives mais normatives, programmatiques, et pour tout dire ◀d’▶un mot dont ◀l’▶auteur se méfie : plus « engagées ». Là-dessus, je me propose ◀de▶ revenir. Mais d’abord je voudrais commenter quelques thèses, parmi celles qui m’ont retenu, éclairé, ou qui me paraissent plutôt appeler des objections, des compléments.
1. Dans un raccourci brillant, André Reszler observe qu’historiquement, c’est au mythe du Progrès inévitable que ne tardera pas à répondre ◀le▶ mythe du Déclin final ◀de▶ ◀l’▶Occident. À ◀l’▶optimisme ◀d’▶un Saint-Simon, ◀d’▶un Auguste Comte et ◀d’▶un Marx, tous trois tenants ◀d’▶un européocentrisme fanatique et ◀d’▶un progressisme qui n’admet aucune limitation, contestation, ou qualification, va s’opposer ◀le▶ pessimisme ◀d’▶un Jacob Burckhardt, ◀d’▶un Nietzsche et ◀d’▶un Spengler ; à quoi ◀l’▶on pourrait ajouter celui ◀d’▶un Gobineau, précurseur du Paul Valéry toujours cité sur ◀la▶ mortalité des civilisations : « C’est nous modernes, nous les premiers, qui savons que toute agglomération ◀d’▶hommes et ◀le▶ mode ◀de▶ culture intellectuelle qui en résulte doivent périr. » « Nous autres tard venus de ◀l’▶humanité » s’exclame J. Burckhardt au moment même — relève ◀l’▶auteur — « où Verlaine et ◀les▶ poètes du mouvement décadent transforment ◀l’▶intuition ◀de▶ ◀l’▶épuisement du pouvoir créateur ◀de▶ ◀l’▶Europe en nouveau principe créateur », cependant que « Nietzsche décèle dans ◀la▶ musique wagnérienne ◀la▶ grande fatigue, cette maladie fatale ◀de▶ ◀la▶ volonté européenne : toute musique authentique est un chant du cygne ».
Ainsi désormais, jusqu’à nous, ◀le▶ pessimisme européen, entendons : ◀le▶ pessimisme des sages au sujet de ◀l’▶Europe et ◀de▶ son avenir, va-t-il se nourrir aux mêmes sources dont ◀les▶ colonialistes puis ◀les▶ grands capitaines ◀de▶ ◀l’▶expansion des machines, du béton et ◀de▶ ◀la▶ pollution universelle tirent cet orgueil dont ◀l’▶Évangile nous dit qu’il « va devant ◀l’▶écrasement ».
2. Un autre aspect du pessimisme européen apparaît dans ◀les▶ arts au xxe siècle : c’est ◀le▶ recours « au fond oublié, primitif et ancestral, ◀d’▶un art européen archaïque ou ◀de▶ ◀l’▶art pur, non médiatisé, ◀de▶ ◀l’▶Afrique et ◀de▶ ◀l’▶Océanie » : années « nègres » ◀de▶ ◀la▶ peinture (◀de▶ Matisse à Picasso), almanach du Blaue Reiter réunissant sous ◀la▶ même couverture « ◀les▶ peintures sur verre bavaroises, ◀le▶ graphisme populaire du folklore russe, ◀les▶ sculptures du Cameroun et ◀de▶ ◀la▶ Nouvelle-Calédonie et ◀les▶ eaux-fortes issues des « palettes sauvages » ◀de▶ Kandinsky, Franz Marc et Matisse ». À quoi s’ajoute bientôt ◀l’▶engouement pour ◀l’▶art enfantin : « ◀Les▶ chances ◀de▶ renouveau dont ◀l’▶homme dépend pour retrouver ◀les▶ chemins ◀de▶ ◀la▶ création ne se trouvent pas seulement dans ◀les▶ salles des musées ◀d’▶ethnographie, écrit Paul Klee ; elles sommeillent également dans ◀les▶ chambres des enfants du monde entier ».
Dans ce mouvement profond et général ◀de▶ retour aux sources, André Reszler me paraît tenté ◀de▶ voir un symptôme ◀de▶ décadence, ◀de▶ lassitude, finalement ◀de▶ rejet ◀de▶ ◀l’▶Europe ou tout au moins ◀de▶ sa culture. Mais ne serait-ce pas aussi, et peut-être surtout, un renouveau ◀de▶ ◀l’▶aventure occidentale dans son avidité ◀de▶ tout « comprendre », tout explorer, tout intégrer ? Plus même : un moment ◀d’▶accélération ◀de▶ cette dialectique du créateur occidental qui crée toujours contre ce qui ◀l’▶a précédé (Malraux), contre ◀les▶ modèles admirés ◀de▶ sa jeunesse, contre ◀la▶ tradition dans laquelle, par cet acte même il s’insère ? Peut-être n’est-il rien au monde de plus difficile à rejeter qu’une culture faite depuis des siècles ◀de▶ rejets et ◀d’▶innovation. Peut-être ◀le▶ seul vrai anti-Européen en art comme en littérature et en philosophie comme en morale, n’est-il tout simplement que ◀le▶ pompier ? Voire celui qui entend faire passer ◀le▶ prestige ◀de▶ son État-nation avant toute vérité générale ou personnelle aussitôt réputée « abstraite », ou « pacifiste », ou « subversive ».
Dans cette optique, ◀l’▶explosion surréaliste ne m’apparaît nullement comme un moment caractéristique ◀de▶ « ◀l’▶antieuropéanisme violent » (p. 80). Bien au contraire ! ◀Les▶ textes cités ◀d’▶Aragon ne sont d’ailleurs typiques que ◀de▶ ◀l’▶irresponsabilité congénitale du personnage. Ses insultes contre ◀la▶ Patrie et ◀la▶ France ne sont certes pas plus antieuropéennes que ne ◀le▶ seront quelques années plus tard ◀les▶ poèmes ◀de▶ « ◀La▶ Diane française », renouvelés ◀de▶ Déroulède, ou ◀les▶ poèmes à ◀la▶ gloire ◀de▶ Staline « toi qui fais lever ◀le▶ soleil ». Et je reste témoin, pour ma part, ◀de▶ ◀l’▶attachement profond ◀d’▶André Breton à ◀la▶ grande tradition ◀de▶ ◀l’▶ésotérisme renaissant, au romantisme allemand et à ◀la▶ pensée libertaire, ◀de▶ Pélage à Fourier en passant par ◀les▶ cathares et ◀les▶ alchimistes. Sans compter sa passion pour ◀la▶ peinture qui, à ◀l’▶en croire, était exclusivement européenne…
Reste ◀le▶ paradoxe ◀de▶ ◀la▶ modernité et ◀de▶ ◀l’▶avant-garde : dans ◀les▶ arts et dans ◀la▶ politique, il s’agit ◀de▶ tendances inconciliables. En tant qu’elles se veulent politiques, ◀les▶ avant-gardes du xxe siècle prônent ◀l’▶art social, fait pour tous et « par tous » (selon ◀l’▶oracle ◀de▶ Lautréamont). En tant qu’elles ambitionnent ◀de▶ faire ◀la▶ mode, d’autres avant-gardes ou ◀les▶ mêmes publient des revues que pas un ouvrier n’aura jamais ◀l’▶idée ou ◀l’▶occasion ◀d’▶ouvrir, pour ne rien dire ◀de▶ sa capacité ◀de▶ ◀les▶ comprendre. Mais il serait vain ◀de▶ chercher si pareille situation est conforme ou hostile à ◀la▶ tradition européenne : elle est tout simplement l’une des constantes des prétentions intellectuelles ◀de▶ nos élites, des marquis moliéresques aux précieux du structuralisme ◀de▶ naguère.
3. En vérité, ◀les▶ ambiguïtés qui subsistent dans ◀la▶ polémique sur ◀l’▶Europe, sa spécificité culturelle et ◀la▶ possibilité ◀de▶ son union politique, résultent toutes ou presque — y compris dans ce livre — ◀de▶ ◀l’▶absence ou ◀de▶ ◀l’▶oubli ◀d’▶une distinction fondamentale entre ◀les▶ deux Europes qui se partagent ◀la▶ tradition historique commune à tous ◀les▶ peuples ◀de▶ ce continent.
◀Le▶ mythe du « bon sauvage » que ◀l’▶Europe « réaliste » se plaît à ridiculiser et que ◀l’▶Europe des États absolutistes puis des États-nations ◀de▶ type napoléonien, enfin des États totalitaires taxe ◀d’▶utopie, non sans hargne, correspond — comme ◀l’▶auteur ◀le▶ démontre par des textes frappants — à une Europe rêvée, « décentralisée et fédérative », qui prendrait ses modèles, plutôt que « du pouvoir centralisé ◀de▶ ◀la▶ France absolutiste », ◀de▶ « ◀l’▶expérience anarchiste des Hurons », voire ◀de▶ ◀l’▶idée que se fit ◀l’▶Antiquité du peuple des Scythes, connu (nous disent Boas et Lovejoy)7 « pour ◀la▶ Voie communautaire qu’il poursuit dans sa recherche du bonheur ». Toute leur vie sociale est « fondée sur une base communale ». ◀La▶ justice y est basée « sur ◀le▶ respect qu’ont pour elle ◀les▶ membres ◀de▶ ◀la▶ tribu, et non pas sur ◀les▶ lois ». Et voilà qui évoque une fois de plus ◀l’▶exemple des premiers Confédérés, et ◀de▶ leur Suisse ◀d’▶avant ◀le▶ secret des banques.
C’est cette Europe fille des cités grecques, bien plus que ses désirs projetés sur ◀les▶ Barbares, que je veux opposer au schéma ◀de▶ ◀l’▶État-nation, celui que toute ◀la▶ terre copie au xxe siècle. Et je ne cesserai ◀de▶ dresser cette image comme celle du modèle directeur ◀de▶ ◀la▶ vraie tradition européenne, ◀la▶ seule qui puisse nous sauver ◀de▶ ◀la▶ tentation des despotismes asiates, des théocraties et idéocraties absolutistes qui triomphent désormais dans ◀le▶ tiers-monde mais que nous avons réussi, depuis peu, à extirper ◀de▶ notre continent — ◀le▶ seul qui ne compte aujourd’hui ni dictature militaire ni règne ◀d’▶un parti unique.
◀La▶ véritable anti-Europe ne serait-elle pas celle des nationalistes ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche qui dénoncent comme utopie ou idylle naïve ◀les▶ conditions mêmes ◀de▶ ◀la▶ liberté, j’entends ◀l’▶union fédérale ◀de▶ nos peuples, au-delà des prétentions ◀de▶ ◀l’▶État-nation ?
4. Sur ◀le▶ chapitre du colonialisme — qui est sans doute décisif pour définir ◀le▶ rôle mondial ◀d’▶une bonne Europe — André Reszler est peut-être trop bref, mais ses formulations denses et nettes sont ◀de▶ nature à couper court à tous ◀les▶ procès ◀d’▶intention qu’une certaine gauche intellectuelle ne manquera pas, sinon ◀d’▶instruire — elle ne ◀le▶ pourrait — du moins ◀de▶ suggérer qu’il y aurait lieu ◀de▶ ◀l’▶instruire contre ◀l’▶auteur. « Je ne me fais pas ici ◀le▶ défenseur des politiques ◀de▶ conquête du passé ou du présent. Je hais ◀l’▶impérialisme sous toutes ses formes et je me méfie fondamentalement des messianismes religieux ou laïques par lesquels se justifiaient ◀les▶ volontés ◀de▶ domination. » Voilà qui est clair, mais voici qui est mieux encore : « Terre ◀de▶ civilisation, ◀l’▶Europe n’est pas à ◀l’▶abri ◀de▶ tout soupçon. Je ne commettrai pas ◀l’▶erreur ◀de▶ vouloir ◀la▶ blanchir ◀de▶ toutes ◀les▶ fautes et ◀de▶ tous ◀les▶ crimes qu’elle a pu — et qu’elle pourrait encore commettre. Comme ◀le▶ remarque Jacques Ellul, “notre civilisation est construite sur ◀le▶ sang et ◀le▶ vol, ressemblant en cela à toutes ◀les▶ civilisations” » (p. 147).
Ceci posé, et maintenu fermement dans ◀les▶ conclusions ◀de▶ son essai, André Reszler se livre à ◀la▶ malice ◀de▶ citer au sujet du colonialisme tant décrié par ◀les▶ antieuropéens ◀de▶ gauche, ◀l’▶opinion permanente ◀de▶ Marx et ◀d’▶Engels. « Loin de porter sur ◀le▶ colonialisme une condamnation globale, Marx et Engels aperçoivent dans ◀l’▶expansion territoriale ◀de▶ ◀l’▶Angleterre, des États-Unis, ◀la▶ marche ◀de▶ ◀l’▶humanité vers ◀l’▶unité. Ainsi, Engels peut écrire, en 1848, au sujet de ◀l’▶expansion américaine : « En Amérique, nous avons été témoins ◀de▶ ◀la▶ conquête du Mexique, et cela nous réjouit… Il est ◀de▶ ◀l’▶intérêt ◀de▶ son propre développement que dans ◀le▶ futur (◀le▶ Mexique) passe sous ◀la▶ tutelle des États-Unis ». ◀Le▶ même Engels qualifie ◀la▶ conquête ◀de▶ ◀l’▶Algérie par ◀la▶ France ◀de▶ « fait important et heureux pour ◀le▶ progrès ◀de▶ ◀la▶ civilisation ». Ainsi que ◀l’▶écrit Miklos Molnar8 : « Pour Marx et Engels, ◀la▶ colonisation n’est au fond que ◀l’▶épiphénomène ou ◀le▶ corollaire ◀d’▶un processus historico-économique plus vaste : ◀le▶ processus ◀d’▶unification du monde. »
Sur quoi ◀l’▶auteur conclut dans un large finale : « Si ◀l’▶Europe doit survivre en tant que civilisation et s’acquitter des dettes qu’elle a contractées envers ◀le▶ monde dans sa tentative ◀de▶ ◀l’▶unifier sous sa conduite, elle doit bien mieux résoudre ◀l’▶énigme qu’elle lui a posée et qu’elle ne cesse ◀de▶ se poser à elle-même. » ◀Le▶ monde, en effet, « se détourne ◀de▶ ◀l’▶Europe tout en reprenant ses idées et ses créations. Il emprunte sa philosophie ◀de▶ ◀l’▶efficacité et sa folie centralisatrice. Il édifie des États puissants et jacobins qui défendent acariâtrement ◀les▶ frontières tracées par ◀l’▶arbitraire des puissances coloniales ». Bien plus, ◀le▶ tiers-monde reprend à son compte ◀le▶ modèle « ◀d’▶une économie industrielle incapable ◀de▶ maîtriser ◀la▶ pollution et qui provoque ◀la▶ rupture ◀de▶ ◀l’▶équilibre écologique ◀de▶ ◀la▶ planète ».
5. Reste alors ◀l’▶engagement au service ◀de▶ ◀l’▶Europe, par quoi j’entends : au service ◀de▶ ◀la▶ vocation mondiale qu’elle s’est donnée dès ◀la▶ Renaissance. ◀Le▶ sort du monde et ◀la▶ propre survie ◀de▶ ◀l’▶Europe dépendent désormais ◀de▶ notre capacité à présenter au monde — sans chercher à ◀le▶ vendre et encore moins à ◀l’▶imposer — un modèle ◀de▶ fédération fondé sur ◀les▶ régions autogérées, donc sur ◀la▶ participation des citoyens à leurs propres destins.
Il ne s’agit plus désormais, ◀de▶ projeter dans ◀l’▶espace lointain ni dans ◀le▶ temps des origines, ni dans ◀l’▶avenir, ◀l’▶image fantasmatique ◀d’▶un bon sauvage ou ◀d’▶un homme régénéré. Il s’agit pour ◀l’▶Europe ◀de▶ proposer au Monde et ◀d’▶illustrer ◀d’▶une manière convaincante, par une économie écologique et des institutions personnalistes, ◀l’▶exemple salutaire du bon civilisé.