Ramuz, Présence de▶ ◀la▶ mort [préface à ◀la▶ traduction américaine] (24 septembre 1978)aa ab
◀D’▶autant plus nous connaissons ◀les▶ choses particulières, ◀d’▶autant plus nous connaissons Dieu.
Quand on arrive chez C. F. Ramuz, dans une ample maison campagnarde en pierre rose, au tournant ◀d’▶une rue en pente qui continue entre deux murs ◀de▶ vignes vers ◀le▶ lac — c’est un village près de Lausanne — on est reçu par un homme grand et maigre qui a l’une des plus belles têtes que je connaisse : on ◀la▶ dirait taillée dans du bois par un sculpteur du xve siècle. Il sourit derrière sa moustache. Il vous conduit à grands pas dans sa chambre ◀de▶ travail, dont ◀les▶ fenêtres à barreaux ◀de▶ fer donnent sur ◀les▶ vignobles en terrasse et ◀le▶ lac dans sa coupe ◀de▶ lumière. Ramuz vous offre une cigarette ◀de▶ tabac noir — ◀le▶ blond lui fait mal au cœur, dit-il – et il commence à poser des questions. Peut-être par une sorte ◀de▶ timidité, peut-être aussi pour se moquer ◀de▶ ◀l’▶interviewer possible, en renversant ◀les▶ rôles, et parce qu’il est curieux ◀de▶ ◀la▶ manière ◀de▶ vivre des humains, dans ◀le▶ détail ◀de▶ leur existence. « Comment êtes-vous venu jusqu’ici ? À bicyclette ? Quelle marque ? Avez-vous un changement ◀de▶ vitesse ? Avez-vous pu grimper ◀la▶ côte sans descendre ◀de▶ vélo ? Ah ! vous faites des voyages à bicyclette ? Comme c’est bien ! Vous avez parcouru ◀le▶ Midi ? Avez-vous parlé avec ◀les▶ paysans dans ◀la▶ région ◀de▶ Nîmes ? Ils sont huguenots, dit-on, pour la plupart, mais en réalité ce sont des Sarrasins, avec ce sens ◀de▶ ◀la▶ fatalité… Vous avez vu comme ils se tiennent immobiles et tout noirs dans leurs cuisines ? Jusqu’à Bordeaux, ce sont des musulmans… Ici, nous sommes Savoyards. ◀Les▶ deux rives du Léman et ◀la▶ vallée du Rhône, c’est une même civilisation. ◀De▶ ce côté-ci du lac, on nous a fait devenir protestants, c’est-à-dire qu’on a voulu remplacer nos verres ◀de▶ vin blancs par des tasses ◀de▶ thé, mais c’est superficiel… Et vous-même, ◀d’▶où êtes-vous ? Ah ! vous êtes du Jura ! Savez-vous une chose très curieuse ? ◀La▶ chaîne du Jura est ◀le▶ début ◀d’▶un long plissement ◀de▶ ◀la▶ terre qui va jusqu’au Tibet, oui, oui ! ce sont ◀les▶ mêmes hauts plateaux avec des lacs perdus et des sapins, et ◀l’▶on retrouve des mœurs et des chansons pareilles, tout le long de cette chaîne, dans toutes ◀les▶ langues… » Et Ramuz s’empare ◀d’▶un atlas. Nous ne parlerons que ◀de▶ géographie, ◀de▶ races… Non, il avise un petit nid ◀d’▶oiseau sur sa grande table ◀de▶ travail (en sapin blanc, sans peinture ni vernis). « Voyez-vous, rien ne se perd dans ◀la▶ nature. Ma fille se peigne chaque matin à sa fenêtre. ◀Les▶ oiseaux ramassent ses cheveux blonds, et ils ont fait ce nid en cheveux ◀de▶ ma fille… » (En effet, c’est un nid soyeux et blond, avec quelques brins ◀de▶ paille seulement.)
On quitte Ramuz, on est content, on a parlé ◀d’▶une foule ◀de▶ choses — je ne dis pas ◀de▶ problèmes, mais ◀de▶ choses — on s’aperçoit aussi qu’il n’a rien dit ◀de▶ lui.
Qui est Ramuz ?
◀Le▶ plus grand écrivain suisse ◀d’▶aujourd’hui, auteur ◀d’▶une trentaine ◀de▶ romans, un régionaliste farouche, ◀le▶ créateur ◀d’▶un langage particulier, lent, pesant, paysan, stylisé à ◀l’▶extrême ? C’est ce que diront ◀les▶ journalistes et ◀les▶ manuels. Ramuz n’est pas si facile à étiqueter.
Et d’abord, s’il est vrai ◀de▶ dire qu’il est ◀le▶ plus célèbre écrivain suisse vivant, il faut ajouter aussitôt qu’il n’est nullement représentatif ◀de▶ son pays et des traditions suisses ◀les▶ plus connues.
Ramuz est né en 1878 dans ◀le▶ canton ◀de▶ Vaud, en Suisse romande. Il y a vécu presque toute sa vie, à ◀l’▶exception ◀de▶ quelques années à Paris, avant ◀la▶ guerre ◀de▶ 1914. Il se trouve être Suisse ◀de▶ nationalité, parce que ◀le▶ canton ◀de▶ Vaud est l’une des 22 républiques qui forment ◀la▶ Confédération helvétique, mais il est d’abord Vaudois, et disons plus : il est d’abord ◀de▶ ◀la▶ terre et ◀de▶ ◀la▶ race, du peuple ◀de▶ ◀la▶ terre vaudoise. À ◀l’▶inverse ◀d’▶un Alexandre Vinet, ◀d’▶un Benjamin Constant, nés dans ◀le▶ même canton, Ramuz appartient davantage à ◀la▶ géographie qu’à ◀l’▶histoire ◀de▶ sa petite patrie locale.
◀La▶ Confédération helvétique a été ◀l’▶œuvre des familles patriciennes gouvernant ◀les▶ cantons, et Ramuz ne veut représenter que ◀la▶ paysannerie. ◀L’▶esprit suisse — et surtout suisse romand — est à la fois analytique et comparateur, introspectif et cosmopolite ; mais Ramuz est synthétique et se dit volontiers « raciste », c’est-à-dire qu’il veut exprimer ◀les▶ réalités non intellectuelles et permanentes ◀de▶ sa race latine, vaudoise et savoyarde. ◀Les▶ idéaux proprement suisses ◀de▶ coopération des langues, des races et des religions au sein d’une fédération, ◀d’▶éducation et ◀de▶ civisme protestant ne jouent aucun rôle dans son œuvre. Il saisit ◀la▶ réalité ◀de▶ son pays à un autre niveau, plus difficile à exprimer parce que ce n’est pas ◀le▶ niveau des échanges ◀de▶ formules. C’est ◀le▶ niveau ◀de▶ ◀la▶ terre, du contact avec ◀la▶ nature, ◀le▶ niveau des croyances instinctives et des passions élémentaires. Ramuz veut rejoindre par là — c’est tout ◀le▶ paradoxe ◀de▶ son œuvre — quelque chose de plus généralement humain que ◀l’▶ensemble politique, religieux et intellectuel bien défini qui se nomme ◀la▶ Suisse. À travers ◀le▶ paysan vaudois et ◀les▶ circonstances ◀de▶ sa vie, c’est ◀l’▶homme dans ◀le▶ cosmos que Ramuz nous fait voir. À travers ◀le▶ pays vaudois, c’est ◀le▶ Pays ◀de▶ ◀l’▶humanité.
Ramuz n’écrit pas des romans, au sens habituel du terme, mais des poèmes en prose, des descriptions épiques. ◀L’▶intrigue en est absente ou réduite à sa plus élémentaire simplicité, car ◀le▶ sujet ◀d’▶un « roman » ◀de▶ Ramuz, c’est toujours ◀l’▶irruption ◀d’▶un événement unique, ou ◀d’▶un grand mythe dans ◀l’▶existence ◀d’▶une communauté. ◀Le▶ diable s’installe chez ◀les▶ habitants ◀d’▶un village (◀Le▶ Règne ◀de▶ ◀l’▶esprit malin), un poète parcourt ◀le▶ pays (Passage du poète), ◀le▶ génie ◀de▶ ◀la▶ race se réveille (◀La▶ Séparation des races), une servante ◀d’▶auberge affole par sa beauté tout un village (◀La▶ Beauté sur ◀la▶ terre), ou bien c’est ◀l’▶ouverture ◀d’▶un cinéma qui bouleverse ◀les▶ imaginations (◀L’▶Amour du monde), ou encore une avalanche (Derborence), ou enfin ◀l’▶approche ◀de▶ ◀la▶ fin du monde (Si ◀le▶ Soleil ne revenait pas, ◀Les▶ Signes parmi nous), sa réalisation (Présence ◀de▶ ◀la▶ mort) ou ce qui ◀la▶ suivra (Joie dans ◀le▶ ciel). Et ◀le▶ roman n’a pas ◀d’▶autre mouvement ni ◀d’▶autre intrigue que ◀le▶ mouvement même des images propagées par ◀l’▶apparition du mythe.
Cependant, que ◀l’▶on ne s’attende point à ◀de▶ faciles amplifications lyriques, à ◀la▶ poésie éloquente ou sentimentale, à du charme, à ◀de▶ ◀la▶ fantaisie. ◀La▶ poésie ◀de▶ Ramuz n’est jamais obtenue par ◀l’▶idéalisation, ◀le▶ rêve ou ◀la▶ belle phrase musicale. Au contraire, elle surgit lentement, difficilement, comme malgré lui, ◀d’▶une prise étroite sur ◀les▶ réalités ◀les▶ plus brutes, ◀les▶ moins poétiques au sens banal du mot. « On ne fait ◀de▶ ◀la▶ poésie qu’avec ◀l’▶antipoétique — écrit Ramuz. Nos vrais amis sont ◀les▶ gens ◀de▶ métier, et non pas ceux qu’on nomme ◀les▶ artistes. »
Je voudrais définir ◀l’▶esthétique ◀de▶ Ramuz comme ◀l’▶anti-glamour absolu. ◀Les▶ poètes romantiques parlent du « chant mélodieux des oiseaux », mais Ramuz décrit ◀la▶ rumeur des moineaux et des merles sous ses fenêtres comme « un bruit ◀de▶ vitres cassées, ◀de▶ grincements pareils à ceux ◀d’▶un clou sur un caillou, un mélange ◀de▶ toux sèches ou rauques et ◀de▶ coups ◀de▶ pioches ou ◀de▶ marteau ». Pour lui, ◀les▶ glaciers ◀de▶ ◀la▶ Suisse ne sont pas « sublimes », comme on ◀le▶ chante dans ◀les▶ écoles, mais ils sont « ◀le▶ mauvais pays », comme ◀les▶ appellent ◀les▶ paysans. Rien ◀de▶ flatteur, rien ◀de▶ facile, jamais ◀de▶ bel canto dans ◀la▶ prose ◀de▶ Ramuz ; mais son application à reproduire ◀le▶ geste intime ◀d’▶un homme en communion avec ◀les▶ forces élémentaires ; son application à décrire ◀les▶ outils qui prolongent ◀le▶ bras ◀de▶ cet homme ; à rendre présent et pesant ◀le▶ cadre matériel ◀de▶ sa vie ; à suivre enfin, comme en ◀les▶ recréant, ◀les▶ images qui viennent à ses yeux, qui ◀le▶ submergent soudain, ◀le▶ soulèvent ou ◀l’▶anéantissent — tout cela compose un art têtu, rugueux, lent à agir, mais profondément efficace, et qui vous introduit dans ◀la▶ grandeur ◀de▶ ◀la▶ vie, ◀de▶ ◀la▶ mort, ◀de▶ ◀la▶ condition ◀d’▶homme. Car il ne s’agit ◀de▶ rien ◀d’▶autre, et ◀le▶ reste est littérature quand vous sortez ◀d’▶un livre ◀de▶ Ramuz.
Présence ◀de▶ ◀la▶ mort figure un des moments extrêmes ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀de▶ Ramuz, celui ◀de▶ ◀l’▶exaspération ◀de▶ son style ◀le▶ plus volontaire. Ramuz avait débuté vers 1900 par des romans naturalistes et deux petits recueils ◀de▶ poèmes. Puis, durant son séjour à Paris, il s’était patiemment fait un style où réalisme et poésie se mêlaient indistinctement. Seul, ignoré ou dénigré par ◀la▶ critique parisienne qui ◀l’▶accusait ◀d’▶écrire en « suisse » plus qu’en français ; peu populaire dans son propre pays, qui ◀le▶ jugeait obscur et trop moderne, Ramuz s’avançait lentement du pas têtu et régulier des montagnards. Un groupe ◀d’▶amis se réunit autour de lui pendant ◀la▶ guerre : quelques peintres, quelques musiciens, dont Stravinsky13. Claudel venait parfois lui apporter ◀le▶ témoignage ◀d’▶une chaleureuse admiration. Mais un groupe ◀de▶ disciples et ◀d’▶amis ne fait pas encore un public. Devant ◀la▶ résistance des lecteurs, Ramuz réagit en accentuant son originalité, en faisant du Ramuz encore plus pur : et c’est Présence ◀de▶ ◀la▶ mort.
Tôt après, Paris ◀le▶ découvrait, ◀le▶ publiait, rééditait ses œuvres anciennes, se passionnait pour ou contre Ramuz (c’est ◀le▶ titre ◀d’▶un ouvrage collectif publié en 1926). Et il me semble que ◀les▶ romans et ◀les▶ essais composés à partir de 1925 ont quelque chose ◀de▶ moins tendu et ◀de▶ moins solitaire dans ◀le▶ ton ◀de▶ ◀la▶ voix. Désormais, Ramuz parle à un public qui ◀l’▶aime, il engage avec lui un dialogue et ◀l’▶on découvre un homme curieux ◀de▶ tout, qui perçoit tous ◀les▶ bruits du monde du fond ◀de▶ sa retraite vaudoise. Maintenant, c’est ◀l’▶époque qu’il interroge, à sa manière socratique. ◀Les▶ trois titres ◀de▶ ses essais décrivent en raccourci ◀le▶ monde ramuzien : Questions, Taille ◀de▶ ◀l’▶homme ac et Besoin ◀de▶ grandeur.
Pour revenir à Présence ◀de▶ ◀la▶ mort, trois remarques encore : sur sa langue, sa vision, et son actualité.
On a dit, et Ramuz lui-même s’est expliqué sur ce sujet, qu’il écrivait comme parlent ◀les▶ paysans vaudois. Je ne ◀le▶ crois pas. Personne ne peut écrire réellement comme on parle, à moins ◀de▶ recopier un rouleau ◀de▶ dictaphone — et je parie qu’on retouchera ◀le▶ texte. Ramuz n’écrit pas en Vaudois, mais au lieu de s’inspirer, comme la plupart des écrivains, des « bons modèles » du français imprimé ◀de▶ France, il s’est inspiré du langage ◀de▶ son pays. Il ◀le▶ recrée — comme tout poète recrée sa langue — dans un mouvement qui évoque ◀la▶ lenteur du Vaudois, son sens du concret, sa conscience scrupuleuse. C’est un homme, par exemple, qui règle son allure sur celle des pentes ◀de▶ ses vignes ou ◀de▶ ses champs à ◀la▶ montagne. « ◀D’▶où cette démarche qu’ils ont ; ◀d’▶où ◀la▶ nécessité quelquefois ◀de▶ refaire son pas, parce que ◀la▶ pente vous porte en arrière, parce qu’on ◀l’▶a mal calculé et il faut d’abord qu’on ◀le▶ corrige. C’est comme moi… » C’est comme Ramuz quand il écrit. Notons aussi ◀l’▶influence du style biblique, si fortement inculqué à ce peuple. Par une lacune étrange, Ramuz ne montre jamais ses paysans à ◀l’▶église du village, ni leurs pasteurs. Mais on sent ◀la▶ Bible présente dans leur langage et dans leur vision même. ◀La▶ Bible, véritable « Antiquité » des peuples protestants, comme ◀l’▶observait un jour Ramuz, car elle remplace pour eux ◀la▶ mythologie grecque et romaine.
Et malgré cela une sorte ◀de▶ résistance profonde au christianisme semble animer ◀le▶ peuple ramuzien14 : c’est un peuple « nuque raide » qui ne veut croire qu’à ce qu’il touche et voit et qui se ferme avec méfiance à ◀l’▶invisible. Jusqu’à un certain point, Ramuz ◀l’▶imite, mais tout ◀d’▶un coup il ◀le▶ dépasse et ◀le▶ confronte avec ◀l’▶Invraisemblable.
Il ◀l’▶imite dans son esthétique. « Ne mettre rien que ce qu’on voit. » Il écrit comme un peintre, en formes, en volumes, cernant fortement ◀le▶ dessin, en jouant sur ◀le▶ clair-obscur ◀de▶ grandes scènes ◀d’▶où surgit un geste. On ◀l’▶a souvent comparé à Cézanne. ◀Le▶ lecteur ◀de▶ Présence ◀de▶ ◀la▶ mort s’apercevra très vite que tout est vu avant ◀d’▶être expliqué, dans ce livre. Certaines parties ◀de▶ ◀l’▶épopée sont écrites comme un scénario ◀de▶ cinéma. ◀Les▶ personnages apparaissent, une tête, un bras dans ◀la▶ lumière, ◀le▶ corps entier, une main en close up… Mais dans ce monde ◀de▶ ◀la▶ vue, voici ◀les▶ signes — et ils annoncent ◀la▶ présence incroyable, pourtant vraie, ◀d’▶une menace invisible. « Il y a eu comme un coucher ◀de▶ ◀l’▶astre, intérieur, intérieur à vous, dans une nouvelle couleur, une nouvelle espèce ◀de▶ lumière : sur ◀les▶ choses, sur toutes ◀les▶ choses, sur ◀les▶ femmes aux bras nus qui passent… »
Il y a eu cette approche ◀de▶ ◀la▶ fin du monde, cette condamnation ◀de▶ tout en bloc et d’un seul coup, cette mise en question physique et définitive ◀de▶ tout ce qu’on fait, ◀de▶ tout ce qu’on aime, ◀de▶ tout ce qu’on touche et voit — qui va finir. Ce qu’on ne pouvait pas croire, et qu’on savait pourtant inévitable — comme ◀la▶ mort — mais plus tard, ou pour d’autres… Ce qui transcende ◀la▶ vue et ◀la▶ raison, ce qui pose ◀les▶ questions dernières : ◀le▶ voici dressé devant nous, comme si Dieu venait parler lui-même sur ◀les▶ places et dans ◀les▶ cafés, parmi ◀les▶ choses ◀de▶ tous ◀les▶ jours, celles qui rassurent…
Ainsi ◀les▶ catastrophes nous ont surpris, en 1939 dans notre Europe, un peu plus tard, ici, ◀le▶ soir ◀de▶ Pearl Harborad. On devait s’y attendre et ◀l’▶on n’y croyait pas. C’était vrai et ce n’était pas possible. Et nous avons tous fait comme ◀les▶ paysans ◀de▶ Ramuz : nous avons refusé ◀de▶ voir ◀les▶ signes. Ils sont entrés lentement dans nos consciences. Et ◀la▶ vie s’est trouvée changée…
Je ne connais pas ◀d’▶autre écrivain qui ait su traduire, comme Ramuz, ◀l’▶incarnation ◀de▶ ◀la▶ catastrophe dans ◀le▶ détail concret ◀de▶ ◀la▶ vie. Je ne connais pas ◀d’▶autre écrivain qui ait su poser ◀les▶ grandes questions métaphysiques en termes d’objets, ◀de▶ sensations élémentaires, ◀de▶ petites phrases ◀de▶ tous ◀les▶ jours. Et je ne connais pas ◀d’▶autre écrivain qui ait jeté pareil cri ◀d’▶amour aux choses, aux paysages, aux coutumes ◀de▶ ◀la▶ terre, à l’instant qu’elles vont s’abîmer dans ◀l’▶amen ◀de▶ ◀l’▶éternité. « Salut quand même ! Salut ! toutes ◀les▶ choses ! Salut, pays, pays d’ici… Salut, tout ! » Ce bref délai, cette dernière grâce, ◀le▶ temps ◀d’▶espérer follement, ◀d’▶évaluer ◀l’▶existence, ◀de▶ faire retour sur soi, ◀d’▶aimer « quand même », c’est ◀le▶ sujet ◀de▶ Présence ◀de▶ ◀la▶ mort — c’est aussi l’une des vues ◀les▶ plus profondes que ◀l’▶on puisse prendre ◀de▶ notre condition ◀d’▶êtres condamnés en principe, faits pour aimer, destinés à mourir, mais qui seront sauvés par ◀l’▶amour.
Aux dernières pages, « ayant quitté ◀la▶ grande vallée » — souvenez-vous ici encore ◀de▶ ◀l’▶Évangile, ils montent dans ◀le▶ paysage ◀de▶ leur pays, « en ce tout dernier jour, ce tout dernier moment ». Et voici que ◀le▶ vent se lève, il n’y en avait plus sur ◀la▶ terre, c’est ◀le▶ souffle ◀d’▶une autre vie. Et voici que ◀la▶ cloche a sonné, celles ◀de▶ ◀la▶ terre s’étaient tues. « Il leur a été dit : vous venez ? » Ils sont allés comme des enfants. ◀L’▶amour ne ◀les▶ a pas trompés : ◀le▶ ciel qui s’ouvre est fidèle à ◀la▶ terre.