Genève et l’▶Europe : un exemple ◀de▶ coopération transfrontalière [préface] (1979)ak
I. Émergence des régions dans ◀la▶ vie politique
Lorsque parut, il y a onze ans, le premier numéro ◀de▶ notre publication consacrée au problème régional : Naissance ◀de▶ ◀l’▶Europe des régions , ◀l’▶expression était inédite et ◀la▶ bibliographie du sujet se réduisait à quelques dizaines ◀de▶ volumes et à quelques centaines ◀d’▶études, brochures et articles15. Dans ◀les▶ milieux scientifiques officiels, dispensateurs ◀de▶ subventions à ◀la▶ recherche, on estimait ◀le▶ sujet purement spéculatif, voire « trop nouveau » comme on nous ◀le▶ signifia, donc dépourvu ◀de▶ sérieux scientifique.
Aujourd’hui c’est ◀le▶ raz-de-marée, à tous égards : des centaines ◀de▶ volumes et des milliers ◀d’▶études préparent ◀d’▶innombrables colloques, séminaires, groupes ◀d’▶études et congrès dans ◀le▶ monde entier, ou résultent ◀de▶ leurs travaux.
Tout cela ne serait encore que littérature si ◀l’▶on ne voyait émerger, s’affirmer et s’amplifier ◀d’▶année en année ◀le▶ problème des régions au niveau national dans ◀les▶ pays ◀les▶ plus divers ◀de▶ notre Europe : agitation ethnique et réaction jacobine en France, nouvelle Constitution espagnole introduisant ◀les▶ autonomies régionales, reconnaissance ◀de▶ ◀la▶ Generalitat catalane, débat sur ◀la▶ dévolution en Grande-Bretagne, projet ◀de▶ constitution fédéraliste, régionaliste et communaliste en Belgique. Alors que ◀l’▶Italie, constituée en vingt-et-une régions, ◀la▶ République fédérale allemande constituée en onze Länder, ◀la▶ Suisse formée ◀de▶ vingt-six cantons souverains, ont déjà dépassé ◀le▶ stade du débat théorique « faut-il ou non » et vivent ◀les▶ problèmes du « comment » — ◀la▶ dialectique ◀de▶ l’Un et du Divers.
Nulle part d’ailleurs ces problèmes et cette dialectique ne sont vécus ◀d’▶une manière plus concrète que dans ◀les▶ régions frontalières — ou plus exactement transfrontalières — comme celles qu’on trouve le long de ◀l’▶axe rhénan puis ◀de▶ ◀l’▶axe rhodanien, sur ◀l’▶arc alpin ◀de▶ Nice à Trieste, à cheval sur ◀les▶ Pyrénées, enfin dans ◀le▶ Grand Nord scandinave. Une quarantaine ◀de▶ régions brochant sur deux et parfois trois États, et dont plusieurs déjà sont en bon train ◀de▶ se constituer au sens formel du terme.
II. Une « première » dans ◀l’▶histoire ◀de▶ ◀l’▶Europe
Dans ◀la▶ littérature surabondante qui a préparé et qui commente une évolution si remarquable par son ampleur et par ◀le▶ rythme régulier ◀de▶ son progrès, ◀le▶ recueil que nous présentons tient une place tout à fait particulière. Il nous parle en effet ◀d’▶une région dont ◀la▶ formule se prête ◀le▶ mieux à ◀la▶ généralisation, et qui a été ◀le▶ lieu et ◀l’▶occasion ◀d’▶une origine clairement repérable et entièrement analysable en ses facteurs, ◀d’▶un début net comme il est rarissime ◀d’▶en trouver dans ◀l’▶histoire.
◀La▶ région franco-genevoise que ce recueil commence par situer dans ◀les▶ coordonnées espace-temps ◀de▶ ◀l’▶Europe en la seconde moitié du xxe siècle, mérite un examen spécial pour ◀les▶ trois raisons suivantes :
1. Cette région se trouve être une des rares, à ce jour, qui ne se définisse pas en termes d’ethnie, ◀de▶ conflit ◀de▶ langues, ◀de▶ développement industriel contrarié, ni ◀de▶ libération ◀de▶ quoi que ce soit, sinon ◀de▶ ◀la▶ seule frontière stato-nationale, — frontière qui ne correspond plus à rien ◀d’▶utile mais qui gêne tout, sauf ◀la▶ libre circulation des nuisances.
2. ◀La▶ région franco-genevoise ici décrite, dans ◀la▶ complexité ◀de▶ ses problèmes et ◀de▶ ses virtualités, présente ◀l’▶intérêt historique ◀d’▶avoir été la première en Europe à se faire doter par convention entre ◀les▶ gouvernements intéressés ◀d’▶une Commission bipartite aux compétences limitées mais réelles.
Bien plus, ◀la▶ région franco-genevoise a été la première, et demeure ◀la▶ seule jusqu’ici, à passer outre à l’un des tabous ◀de▶ ◀la▶ souveraineté nationale absolue. C’est en effet à ◀l’▶initiative du gouvernement ◀de▶ ◀la▶ République et canton ◀de▶ Genève qu’une part importante des impôts payés à Genève par ◀les▶ quelque 24 000 travailleurs frontaliers venant chaque jour ◀de▶ Haute-Savoie et du pays ◀de▶ Gex se trouve reversée aux communes françaises ◀de▶ résidence par ◀l’▶État de Genève — lequel renonce ainsi à exercer l’un des droits principaux indicatifs ◀de▶ ◀la▶ souveraineté étatique dans ◀l’▶ère moderne : celui ◀de▶ lever des impôts réguliers.
Il s’agit là ◀d’▶une « première » dans notre histoire européenne. Qu’elle ait passé pratiquement inaperçue ◀de▶ ◀la▶ grande presse et ◀de▶ ◀la▶ RTV des deux pays intéressés paraît étrange, pour dire ◀le▶ moins. C’est que ◀le▶ phénomène régional se voit encore considéré, tant en Suisse qu’en France et en Grande-Bretagne, comme une espèce ◀de▶ nuisance politique, accidentelle, qu’on ne peut plus nier mais qu’il est difficile ◀de▶ résoudre, au sens ◀de▶ « comment s’en débarrasser » ; et non pas du tout, ou pas encore, comme ce qu’il est en vérité, à savoir ◀l’▶ouverture ◀d’▶un long processus ◀de▶ renaissance communautaire dans une société occidentale qui se verrait enfin capable ◀d’▶offrir à un tiers-monde jusqu’ici fasciné par ◀la▶ seule croissance industrielle, un modèle neuf ◀de▶ développement.
III. Sur un point ◀d’▶histoire récente
Deux autres régions transfrontalières ont suivi récemment ◀le▶ modèle franco-genevois. Je veux parler d’abord ◀de▶ ◀la▶ Regio (naguère Regio basiliensis) qui s’est formée autour du coude du Rhin à Bâle, et qui englobe ◀le▶ Haut-Rhin français, une partie du pays ◀de▶ Bade-Wurtemberg, et ◀les▶ deux demi-cantons suisses ◀de▶ Bâle-Ville et Bâle-Campagne. Cette région s’est dotée ◀d’▶une commission tripartite établie par convention entre ◀la▶ RFA, ◀la▶ République française et ◀la▶ Confédération suisse.
Je veux parler ensuite ◀de▶ ◀l’▶Euregio qui unit ◀de▶ part et ◀d’▶autre du Rhin, à ◀la▶ hauteur ◀d’▶Arnhem, des districts néerlandais et allemands, dans ◀l’▶intention clairement indiquée par son nom même, ◀de▶ « bâtir un morceau ◀d’▶Europe unie ».
Quant à ◀la▶ région Sarre-Lorraine-Luxembourg, elle n’attend plus que sa forme légale, soit une convention tripartite définissant ◀les▶ compétences ◀de▶ sa commission régionale gouvernementale.
Que tout cela ait commencé à Genève n’est peut-être pas sans relation avec ◀les▶ recherches entreprises depuis douze ans par ◀l’▶Institut universitaire ◀d’▶études européennes.
Sur ◀la▶ base ◀de▶ cours et ◀de▶ séminaires tenus à ◀l’▶IUEE dès 1966, plusieurs groupes ◀de▶ recherches sociologiques, économiques, écologiques et historiques16 ont été formés pour étudier méthodiquement ◀la▶ région que nous appelions « lémano-alpine » dans sa plus grande extension, et qui allait devenir dans une définition plus restreinte, ◀le▶ champ ◀d’▶opération assigné à ◀la▶ Commission franco-suisse et à ses comités ◀de▶ travail.
Dans ◀le▶ même temps, ◀la▶ Conférence des pouvoirs locaux et régionaux, qui a son siège au Conseil de l’Europe à Strasbourg, convoquait la première « Confrontation des régions frontalières » en 1972 — à laquelle notre Institut fut étroitement associé et dont notre bulletin publia ◀les▶ rapports et ◀les▶ résolutions. D’autres manifestations à Salzbourg, Galway et Bordeaux n’ont cessé ◀d’▶élargir ◀le▶ champ ◀d’▶action des efforts convergents vers ◀l’▶Europe des régions.
J’ose croire que ◀les▶ travaux menés à Genève sous ◀la▶ conduite quotidienne ◀de▶ Charles Ricq, avec ◀la▶ rigueur, ◀la▶ patience et ◀le▶ réalisme acharné qui conviennent seuls au traitement ◀d’▶une formule aussi neuve, ont joué un rôle non négligeable dans une évolution qui porte désormais ◀les▶ espoirs ◀de▶ ◀l’▶Europe fédérale — donc ◀de▶ ◀la▶ paix.