I.
L’économie
De▶ quelle économie va-t-on parler ici ?
◀Le▶ grand public croit trop souvent que ◀l’▶Économie est une entité qui a ses lois, lesquelles s’imposent même aux Premiers ministres, et ses mystères, impénétrables même aux plus savants économistes. Superstition que ◀les▶ vrais économistes ne partagent pas, et dont ◀les▶ seuls bénéficiaires sont ceux qui savent nous faire prendre leurs projets pour des impératifs du Progrès, et leurs désirs pour nos fatalités. Pour tous ◀les▶ autres, il faut bien constater que ◀les▶ « lois du Progrès économique » apportent aux hommes ◀d’▶aujourd’hui autant ◀de▶ stress que ◀de▶ mieux-être, voire un peu plus et même beaucoup plus en temps ◀de▶ crise.
Or ◀la▶ crise est devenue ◀le▶ régime habituel (si pas normal) ◀de▶ toute ◀l’▶économie occidentale et ◀l’▶horizon toujours plus sombre du « progrès », selon ◀le▶ credo du xixe européen adopté par ◀les▶ masses mondiales du xxe siècle.
Dans ce domaine, point ◀de▶ lois ni ◀de▶ mystères autres que ceux ◀de▶ ◀l’▶homme qui a fait ◀l’▶Économie et par qui seul elle est en crise. Dans ◀le▶ monde qui nous entoure, où tout est fait ◀de▶ main ◀d’▶homme, même ◀les▶ paysages et ◀les▶ déserts (surtout ceux-là), ◀l’▶Économie comme science, en dernière analyse, ne peut étudier que ◀la▶ projection ◀de▶ nos besoins, ou plutôt ◀de▶ nos désirs, vrais ou faux, provoqués par ◀la▶ publicité, ◀la▶ mode et ◀l’▶imitation du voisin. Tout se ramène aux options et aux désirs ◀de▶ ◀l’▶homme.
◀D’▶où il suit que changer nos désirs — changer nos cœurs comme on disait jadis — serait ◀la▶ seule solution réaliste à notre crise dite économique.
On voudra bien ne pas oublier ces remarques préalables en lisant ce qui suit.
1.
État économique ◀de▶ ◀l’▶Europe
Croissance mais insatisfaction
◀Les▶ Communautés ◀de▶ Bruxelles semblent avoir atteint en vingt-cinq ans la plupart de leurs buts économiques immédiats. ◀La▶ libération des échanges, achevée en 1977, a permis ◀la▶ création ◀de▶ marchés ◀de▶ grandes dimensions et des productions ◀de▶ masse. Par ◀le▶ jeu ◀de▶ ◀l’▶expansion et des concentrations, ◀l’▶industrie des Six puis des Neuf a pu se rapprocher des niveaux ◀de▶ ◀la▶ grande industrie américaine. Pour ◀les▶ Communautés donc, ◀l’▶« Europe » est déjà une réalité.
Quant aux populations ◀de▶ nos pays, ◀les▶ rapports gouvernementaux ou privés, décrivant ◀l’▶état ◀de▶ ◀la▶ société occidentale, ne cessent ◀de▶ vanter ◀l’▶« extraordinaire amélioration du bien-être matériel des Européens » et en donnent pour exemple ◀l’▶amélioration ◀de▶ leur alimentation, ◀de▶ leur habitat, ◀de▶ leurs conditions ◀de▶ travail, des possibilités ◀d’▶éducation et ◀d’▶hygiène qui leur sont offertes, ainsi que rallongement du temps des loisirs et, finalement, rallongement ◀de▶ ◀l’▶espérance ◀de▶ vie.
Mais en fait, la plupart des Européens ◀le▶ sentent bien — et ◀d’▶innombrables études scientifiques ◀le▶ démontrent — c’est trop souvent ◀le▶ contraire qui est vrai et que nous vivons quotidiennement :
— notre alimentation, en général trop abondante, est de plus en plus dénaturée : produits ◀de▶ conservation, colorants et raffinages (souvent cancérigènes), engrais chimiques, pesticides, hormones ; vins trafiqués, eaux polluées, six à huit fois épurées et rebues, etc. ;
— ◀l’▶habitat urbain est devenu plus coûteux, plus asocial ou antisocial, plus anonyme, plus dévorateur ◀d’▶énergie, plus bruyant, et beaucoup moins sûr ;
— ◀les▶ conditions ◀de▶ travail ont empiré dans un grand nombre ◀d’▶industries : accidents, contaminations, cadences accélérées, travail posté insupportable… ;
— ◀l’▶allongement des trajets entre logis et lieu ◀de▶ travail diminue ◀le▶ temps des loisirs (◀l’▶expression française « métro-boulot-dodo » ◀le▶ dit très bien) ;
— ◀les▶ possibilités ◀d’▶éducation, théoriquement élargies, sont limitées en fait par ◀les▶ exigences sans cesse accrues ◀de▶ ◀la▶ spécialisation, et par ◀l’▶emprise uniformisante des chaînes ◀de▶ TV pratiquement étatisées, « chaînes » vraiment pour ◀les▶ esprits quand elles propagent et imposent stéréotypes, clichés, modes et préjugés, aux dépens de ◀l’▶esprit critique ;
— enfin ◀l’▶allongement ◀de▶ ◀l’▶espérance ◀de▶ vie s’appelle aussi vieillissement ◀de▶ ◀la▶ population, et pose à ce titre un des problèmes ◀les▶ plus alarmants et ◀les▶ plus difficiles à maîtriser ◀de▶ notre société industrielle.
◀La▶ majorité ◀de▶ nos contemporains paraissent inconscients ◀de▶ ces faits, masqués par ◀la▶ publicité et par une politique délibérée ◀de▶ « relance ◀de▶ ◀la▶ croissance », que pas un seul ◀de▶ nos gouvernements n’ose encore remettre en question, tout en sachant qu’il n’est possible que ◀de▶ retarder ◀les▶ échéances… jusqu’au retour au pouvoir ◀de▶ ◀l’▶opposition.
◀L’▶insatisfaction n’est pas ◀le▶ résultat ◀de▶ ◀la▶ croissance matérielle en soi, mais bien du fait qu’on a proposé aux peuples ◀l’▶idée que cette croissance pouvait leur apporter un « bien-être » proportionnel au taux ◀d’▶augmentation du PNB. ◀L’▶inverse est en passe ◀de▶ devenir vrai.
Quand on apprend un beau matin par ◀la▶ radio ◀de▶ ◀l’▶État que ◀le▶ tabac fait plus ◀de▶ morts que ◀l’▶auto dans tel pays ◀de▶ ◀la▶ CEE, et que si ◀les▶ taxes sur ◀le▶ tabac apportent à ◀l’▶État tant de milliards par an, ◀les▶ soins hospitaliers, assurances et autres dépenses pour ◀les▶ maladies tabagiques s’élèvent à un peu plus du double, on oublie ◀d’▶en conclure que plus cela va mal dans ce secteur (pour ◀la▶ santé et pour ◀la▶ bourse du contribuable), plus ◀le▶ PNB augmente et permet au Premier ministre ◀de▶ parler ◀de▶ « ◀la▶ santé sans cesse améliorée ◀de▶ ◀l’▶économie ◀de▶ notre pays ». En d’autres termes : ◀la▶ santé ◀de▶ ◀l’▶économie est parfois en raison inverse ◀de▶ celle des citoyens.
À quoi s’ajoute ◀le▶ fait que ◀l’▶introduction des systèmes ◀d’▶industrialisation dans ◀les▶ structures sociales du tiers-monde non préparées à ◀les▶ recevoir, a détruit encore plus qu’en Europe des biens et des valeurs inestimables ◀d’▶utilisation quotidienne. Avec ◀le▶ résultat que ◀l’▶industrialisation a produit autant ou plus ◀de▶ misère pour un grand nombre que ◀de▶ richesse pour un petit nombre. Elle a fortement accru ◀les▶ inégalités entre ◀les▶ classes, entre ◀les▶ pays, entre ◀le▶ Nord et ◀le▶ Sud.
Toute progression rapide crée des problèmes nouveaux et imprévus
Nonobstant ces déceptions, ◀le▶ « Public », c’est-à-dire en fait ◀l’▶opinion créée par ◀la▶ Publicité, et ◀l’▶Industrie ont été d’accord, au cours des trente dernières années, pour développer ◀le▶ modèle ◀de▶ société ◀le▶ plus favorable à ◀la▶ maximisation ◀de▶ ◀la▶ production et du niveau de vie, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ consommation.
Mais du fait même ◀de▶ ces « progrès », ou plutôt ◀de▶ cette progression et ◀de▶ sa rapidité, certains problèmes nouveaux se sont posés :
a) ◀Les▶ institutions sont lentes à s’adapter : ◀la▶ législation économique n’arrive plus à protéger assez vite ◀le▶ consommateur et ◀l’▶épargnant ; ◀les▶ municipalités n’arrivent plus à éviter une urbanisation chaotique ; ◀les▶ services publics (transports, PTT) sont débordés ; hôpitaux, universités, assurances sociales, se trouvent en crise permanente : sous-financés, suroccupés et sollicités.
b) Délinquance et criminalité se développent dans ◀les▶ centres urbains, ◀la▶ violence individuelle et collective devient un réflexe pour résoudre ◀les▶ difficultés angoissantes ◀d’▶un monde en changement trop rapide ; ◀la▶ malhonnêteté s’accroît, en protestation contre ◀la▶ bureaucratie.
c) ◀Les▶ convictions collectives, religieuses ou idéologiques s’affaiblissent et perdent peu à peu leur pouvoir ◀de▶ surmonter ◀les▶ problèmes matériels, multipliés plutôt que résolus par ◀la▶ civilisation industrielle.
d) Loin de s’atténuer, ◀les▶ discriminations sociales s’accentuent, et ◀les▶ réactions ◀de▶ rejet à l’égard des groupes marginaux ou minoritaires, tels que travailleurs immigrés ou contestataires, s’amplifient dans ◀la▶ population.
e) ◀La▶ vulnérabilité aberrante ◀de▶ ◀l’▶ensemble économique occidental devient évidente dès ◀l’▶automne 1973 : il suffirait ◀d’▶un embargo (par ◀l’▶URSS peut-être) sur ◀le▶ pétrole des émirats du Golfe pour que tout s’arrête…
f) ◀De▶ là chez ◀les▶ Européens un sentiment croissant ◀d’▶insécurité. ◀L’▶individu ne se sent plus participant ◀d’▶une structure sociale protectrice, comme ◀l’▶était ◀la▶ famille, mais se voit livré sans défense aux pressions collectives du monde moderne. Hors des heures ◀de▶ travail (◀le▶ plus souvent ennuyeux) et des heures ◀de▶ déplacement (◀le▶ plus souvent irritantes), son temps ◀de▶ loisir se trouve envahi par d’autres pressions sociales (TV, publicité) qui ◀le▶ poussent vers toujours plus ◀de▶ consommation, ◀de▶ dépenses, ◀de▶ besoin ◀de▶ gagner plus, et donc ◀de▶ frustration et ◀d’▶insécurité.
g) Née ◀d’▶un sentiment ◀d’▶impuissance, ou ◀d’▶incapacité ◀de▶ comprendre ce qui se passe, cette insécurité est génératrice ◀d’▶une nervosité anxieuse dans laquelle on peut chercher une des causes des poussées inflationnistes actuelles. Elle motive en effet ◀les▶ syndicats dans leurs demandes ◀d’▶augmentation ◀de▶ salaires. Elle explique que ◀les▶ consommateurs, livrés à des pressions multiples dont ils ignorent ◀la▶ nature, acceptent ◀les▶ augmentations ◀de▶ prix ◀les▶ plus arbitraires. Elle explique enfin que ◀les▶ gouvernements croient nécessaire ◀d’▶augmenter encore ◀l’▶expansion pour obtenir dans un proche avenir ce qu’on n’arrive déjà plus à obtenir dans ◀le▶ présent.
◀La▶ question qui se pose est alors ◀de▶ savoir si ◀la▶ crise actuelle n’est qu’un accident ◀de▶ parcours dans ◀le▶ développement général du monde vers une productivité et une consommation accrues à ◀l’▶infini ; ou si elle est ◀le▶ signal ◀d’▶alarme indiquant ◀l’▶urgente nécessité ◀d’▶un développement très différent, ◀d’▶un véritable changement ◀de▶ cap.
2.
La crise
◀Les▶ questions sans réponse se multiplient
Vue dans une perspective mondiale, ◀l’▶Europe n’a pas été seulement ◀l’▶initiatrice ◀de▶ ◀l’▶aventure industrielle mais son premier champ ◀d’▶expérience.
Pauvre en matières premières, elle était condamnée aux techniques ◀de▶ transformation. Sa chance était ◀de▶ devenir ◀le▶ foyer ◀le▶ plus intense ◀de▶ productivité et ◀de▶ rayonnement mondial : ce fut ◀l’▶histoire du xixe siècle et ◀de▶ ◀la▶ colonisation. Celle-ci connut son plus grand essor à partir des années 1880, pour se terminer pratiquement en 1934 avec ◀l’▶invasion ◀de▶ ◀l’▶Éthiopie. ◀La▶ décolonisation qui suivit ◀la▶ Seconde Guerre mondiale fut achevée pour ◀l’▶essentiel autour des années 1960, en ce qui concerne ◀la▶ Grande-Bretagne, ◀la▶ France, ◀la▶ Hollande et ◀la▶ Belgique. ◀Le▶ Portugal devait suivre un peu plus tard : Mozambique, Angola, 1975-1976.
Ayant découvert ◀la▶ terre entière, alors que personne n’était jamais venu ◀la▶ découvrir, ◀l’▶Europe avide ◀de▶ nouveauté, curieuse ◀de▶ tout, missionnaire non seulement ◀de▶ sa religion dominante qui se donnait pour universelle (« catholique »), mais des idéologies qui pouvaient en découler par sécularisation (telles que ◀la▶ démocratie, ◀le▶ socialisme, ◀les▶ droits de l’homme) ou par rejet ◀de▶ ses croyances fondamentales, spiritualistes et universelles (◀d’▶où ◀le▶ matérialisme capitaliste ou marxiste et ◀les▶ nationalismes de plus en plus totalitaires), ◀l’▶Europe devait naturellement accéder la première au stade ◀de▶ ◀la▶ mise en question des idées directrices du « progrès industriel », c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ croyance dans ◀le▶ Progrès humain acquis par ◀la▶ multiplication des objets et ◀l’▶accroissement du PNB.
◀Les▶ signes étaient apparus bien avant, mais il est clair que ce sont ◀les▶ événements ◀de▶ 1973-1975 qui ont déclaré ◀la▶ crise, et qui ont ébranlé ◀la▶ confiance générale dans ◀la▶ croissance illimitée, rapide et sans problèmes, ◀de▶ nos économies.
◀La▶ crise actuelle, qui déborde ◀le▶ champ ◀de▶ ◀l’▶économie, résulte à la fois ◀d’▶une récession conjoncturelle, ◀de▶ vices structurels dans ◀le▶ modèle ◀de▶ croissance partout admis, et ◀de▶ ◀la▶ conscience émergente ◀d’▶un changement nécessaire dans ◀le▶ choix des finalités ◀de▶ notre existence sur ◀la▶ terre, et des priorités qui en découlent.
Avons-nous ◀le▶ droit ◀de▶ brûler tout ◀le▶ pétrole ◀de▶ ◀la▶ Terre, ne laissant à nos descendants que ◀la▶ gestion ◀d’▶énormes dépôts radioactifs à refroidir pendant 100 000 ans, ou bien tout saute ? Augmenter nos besoins, est-ce un progrès ? Vers quoi ? Est-ce un pari raisonnable, ou une fuite en avant vers ◀le▶ suicide collectif ◀de▶ ◀l’▶espèce ?
Une question transparaît en filigrane derrière ces doutes : « Quand nous aurons gagné ◀le▶ monde au prix de notre âme, que nous restera-t-il à aimer ? »
Causes multiples, effets semblables
En tant qu’économique au sens strict, ◀la▶ crise actuelle a des causes multiples telles que ◀l’▶explosion démographique, ◀l’▶anarchie monétaire et ◀la▶ spéculation, ◀la▶ montée des prix du pétrole 5, ◀les▶ menaces ◀de▶ pénuries ◀d’▶énergie et ◀d’▶épuisement des ressources non renouvelables, ◀l’▶accroissement alarmant ◀de▶ ◀la▶ pollution par ◀les▶ activités industrielles, ◀l’▶application sans scrupules ◀de▶ toutes ◀les▶ inventions techniques susceptibles ◀d’▶accroître ◀la▶ compétitivité ◀d’▶une entreprise ou ◀d’▶un État fût-ce au mépris ◀de▶ toute autre « raison » et des conséquences possiblement maléfiques pour ◀la▶ Nature et pour ◀l’▶homme…
Mais ◀la▶ crise a des effets semblables, tels que ◀la▶ vulnérabilité aberrante des systèmes économiques, proportionnelle à leur centralisation et à leur gigantisme, ◀l’▶inflation, ◀le▶ chômage, et ◀la▶ détérioration des relations humaines qui en résulte.
Inflation et chômage
Selon ◀les▶ monétaristes consultés, ◀l’▶inflation qui caractérise ◀l’▶économie occidentale résulterait d’abord ◀de▶ ◀la▶ guerre du Vietnam, dont ◀les▶ conséquences auraient été exportées vers ◀l’▶Europe. Cette guerre terminée, ses conséquences se prolongent et s’amplifient. Mais il est évident qu’à ce motif conjoncturel, aujourd’hui disparu, s’ajoutent des motifs généraux tels que ◀la▶ croyance devenue populaire — plus encore que capitaliste ou marxiste — dans ◀la▶ croissance matérielle comme synonyme ◀de▶ mieux-vivre et comme acceptation passive ◀de▶ ◀la▶ mise en œuvre « sauvage » des techniques nouvelles, à ◀la▶ seule condition qu’elles soient présentées comme rentables à court terme.
◀De▶ ◀l’▶utopie ◀de▶ ◀la▶ croissance matérielle permanente et infinie — évidemment impossible dans un monde fini — et ◀de▶ ◀la▶ dictature des « impératifs technologiques », devaient résulter ◀l’▶inflation et ◀le▶ chômage, ces deux maladies complémentaires ou complices.
On connaît ◀l’▶ordre ◀de▶ grandeur des taux ◀de▶ croissance ◀de▶ ◀l’▶inflation dans ◀les▶ pays ◀de▶ ◀la▶ CEE : ◀de▶ 7 à 8 % par an, en moyenne, avec des pointes pour certains ◀de▶ 13,7 %, voire ◀de▶ 15,9 %, et des minima ◀de▶ 3,1 %, voire ◀de▶ 2,1 % pour d’autres.
Quant au chômage, deux chiffres suffiront ici :
6,1 millions ◀de▶ demandes ◀d’▶emploi non satisfaites dans ◀les▶ Neuf à ◀la▶ fin ◀de▶ 1978, contre 2,65 millions en 19746.
Il est certain que ◀le▶ chômage actuel est dû en partie à ◀l’▶automation, c’est-à-dire au « progrès » industriel, substituant ◀la▶ machine à ◀l’▶ouvrier ; en partie aux énormes investissements dans ◀les▶ secteurs ◀de▶ ◀l’▶Énergie où ◀le▶ capital compte plus que ◀le▶ travail ; en partie au transfert (par ◀les▶ multinationales) ◀de▶ nos technologies aux pays du tiers-monde ; enfin à une certaine lassitude ◀de▶ ◀la▶ société ◀de▶ consommation.
◀Le▶ chômage n’est donc pas un accident conjoncturel dans notre société. Il résulte au contraire des structures mêmes ◀de▶ cette société et ◀de▶ ses principes sacro-saints ◀de▶ profit prioritaire et ◀de▶ production sans cesse accrue par ◀les▶ technologies ◀de▶ pointe.
Exemples :
— ◀les▶ nouvelles techniques en sidérurgie, appliquées par ◀le▶ Japon, vont permettre une réduction ◀de▶ 70 % ◀de▶ ◀l’▶emploi dans cette branche (et déjà, ◀la▶ sidérurgie européenne est en crise grave !) ;
— ◀de▶ 1952 à 1973, ◀le▶ nombre des techniciens employés dans ◀l’▶industrie pétrochimique en France s’est accru ◀de▶ 150 %, mais celui des ouvriers a diminué ◀de▶ 28 % à 6 % ;
— ◀les▶ nouvelles machines utilisées pour ◀la▶ coupe rase ou ◀la▶ plantation mécanique des forêts permettront ◀de▶ supprimer en dix ans ◀les▶ deux tiers des emplois ◀d’▶ouvriers forestiers ;
— en France seule, dans ◀les▶ Postes, 150 000 emplois sont mis en cause par ◀l’▶invention technique nommée télécoupleur, qui permet ◀d’▶envoyer des lettres par TV ◀d’▶un domicile à l’autre en trente secondes ;
— chaque nouvelle centrale nucléaire produisant 1000 MW rendrait possible ◀la▶ suppression, pour cause ◀d’▶automation, ◀d’▶un minimum ◀de▶ 4000 emplois ;
— ◀la▶ compétition dans ◀l’▶industrie automobile amènera ◀les▶ Européens à diminuer ◀de▶ moitié ◀le▶ nombre des travailleurs occupés dans cette branche.
◀Les▶ effets cumulés ◀de▶ ◀l’▶inflation et du chômage provoquent nécessairement ◀la▶ détérioration du climat social. On assiste dans la plupart de nos pays — surtout ◀les▶ grands — à une polarisation ◀de▶ ◀l’▶opinion publique créatrice ◀de▶ haines inexpiables entre une droite et une gauche plus symboliques et mythiques que réelles, mais qui procèdent sans relâche à ◀la▶ condamnation globale et sans appel ◀d’▶une moitié du pays par l’autre et réciproquement, au nom de principes et ◀de▶ finalités qu’il devient de plus en plus difficile ◀de▶ distinguer et, a fortiori, ◀d’▶opposer sur ◀les▶ grands thèmes ◀de▶ ◀la▶ croissance à tout prix, des armements et ◀de▶ ◀l’▶énergie nucléaires, ou encore ◀de▶ ◀l’▶exploitation du tiers-monde à ◀l’▶enseigne ◀de▶ ◀la▶ Coopération : communistes et conservateurs ◀de▶ ◀l’▶espèce dure votent ensemble sur tous ces choix — qui sont ◀les▶ choix fondamentaux du siècle !
Ainsi se répand ◀la▶ conviction que ◀le▶ type occidental ◀d’▶économie n’est plus maîtrisable, ni par ◀la▶ droite qui ◀l’▶a créé, ni par ◀la▶ gauche qui a plus peur qu’envie ◀d’▶en hériter. « Au bout de ◀la▶ politique économique actuelle, il n’y a rien, sinon une aggravation ◀de▶ l’un ou ◀de▶ l’autre des aspects ◀de▶ ◀la▶ crise : au bout des périodes ◀de▶ contrôle il y a plus ◀de▶ chômage, au bout des périodes ◀de▶ relance, il y a plus ◀d’▶inflation. »7
Après une période exceptionnellement « favorable » ◀de▶ ◀l’▶exploitation ◀de▶ ◀la▶ technologie fondée sur ◀la▶ science, on s’est aperçu que cette même technologie n’était plus en mesure ◀de▶ se développer à ◀la▶ vitesse et dans ◀les▶ conditions nécessaires pour que ◀la▶ croissance économique produise du vrai « bien-être ». On a découvert ◀la▶ loi des rendements décroissants ◀de▶ ◀la▶ technologie, qui paraît dominer désormais ◀la▶ relation entre ◀le▶ progrès industriel et ◀le▶ bien-être humain.
Dans ◀les▶ pays industrialisés, ◀la▶ pression sociale de plus en plus forte et impatiente a modifié substantiellement ◀la▶ distribution des revenus en faveur du travail et a renforcé ◀la▶ demande ◀d’▶équipements collectifs. ◀De▶ ces pressions accrues sur ◀le▶ système économique ont résulté une forme nouvelle ◀d’▶inflation généralisée, et une réduction des investissements mettant fin, pratiquement, au dynamisme « exponentiel » ◀de▶ ◀la▶ croissance.
Inflation, chômage, récession, instabilité croissante du système monétaire international, constituent donc ◀les▶ aspects ◀d’▶une seule et même crise structurelle.
Et ◀l’▶on ne voit pas que nos États soient en mesure ◀de▶ ◀la▶ maîtriser chacun pour son compte à ◀l’▶échelle nationale. Pas plus d’ailleurs que ◀les▶ partis ne font voir ◀d’▶une manière tant soit peu convaincante comment sortir des cercles vicieux qui constituent ◀la▶ crise, dans ◀le▶ système productiviste au sein duquel ils s’affrontent.
Un dernier mot : ◀le▶ pire danger qui menace ◀l’▶Europe — et à cause ◀d’▶elle d’abord, mais avec elle demain, ◀le▶ tiers-monde — ce n’est pas ◀la▶ récession industrielle, ni ◀l’▶épuisement des ressources, ni ◀la▶ hausse des impôts, ni ◀l’▶inflation, ni même ◀la▶ croissance du chômage. ◀Le▶ pire danger est dans une politique économique qui cherche à sortir ◀de▶ ses impasses en exportant vers ◀le▶ tiers-monde ◀les▶ causes mêmes ◀de▶ notre crise et ◀les▶ moyens — notamment nucléaires — ◀d’▶y mettre fin soit par ◀l’▶asservissement ◀de▶ ses fauteurs, soit par ◀la▶ destruction ◀de▶ ses victimes, qui se trouvent être ◀les▶ mêmes, à savoir nous.
C’est notre modèle ◀de▶ croissance qu’il va falloir changer, notre idéologie ◀de▶ ◀la▶ croissance, et tout de suite ◀les▶ cadres nationaux dans lesquels nous voulions mesurer son « progrès ».
3.
Solutions possibles par ◀l’▶union et par une restructuration concomitante
◀Le▶ savoir économique doit s’établir non sur des prémisses ◀de▶ volonté ◀de▶ puissance et ◀de▶ recherche ◀de▶ profit, mais sur celles ◀de▶ ◀la▶ bonne organisation ◀de▶ vie des groupes humains, selon ◀l’▶étymologie même du terme.
◀La▶ croissance économique à une dimension aboutit à un accroissement des désirs, non du bonheur.
Indira Gandhi.
◀De▶ ce qui précède résulte à ◀l’▶évidence qu’à ◀la▶ crise économique actuelle, il n’existe pas ◀de▶ solutions purement économiques.
◀Les▶ déclarations gouvernementales annoncent tous ◀les▶ six mois environ des mesures propres à nous faire « sortir du tunnel », qu’il s’agisse ◀de▶ ◀l’▶inflation ou du chômage. Pourtant, ni ◀les▶ États capitalistes, ni ◀les▶ États sociaux-démocrates, ni ◀les▶ États communistes ne peuvent se targuer ◀d’▶avoir trouvé ◀les▶ meilleures solutions dans ◀le▶ traitement ◀de▶ ces problèmes : ils ◀les▶ ont abordés en effet au nom des mêmes principes ◀de▶ croissance illimitée, et dans ◀le▶ même cadre national où ces problèmes se révèlent insolubles par définition.
Toutes ◀les▶ études récentes conduites aux États-Unis et en Europe sur ◀la▶ « qualité ◀de▶ ◀la▶ vie » sont d’accord pour estimer qu’il s’agit là ◀d’▶une notion qui n’a pas ◀de▶ contenu « national » : ◀la▶ qualité ◀de▶ ◀la▶ vie est fonction ◀de▶ ◀la▶ perception par ◀l’▶individu ◀de▶ ◀l’▶état du système économique, social et politique dans lequel il vit. Or, cette perception porte d’abord sur ◀le▶ milieu géographiquement limité dans lequel son existence se déroule : son habitat, son lieu ◀de▶ travail, ◀les▶ moyens ◀de▶ transport et ◀les▶ services collectifs qu’il utilise, ◀les▶ institutions locales ou régionales auxquelles il peut participer. Une politique ◀de▶ « qualité ◀de▶ ◀la▶ vie » est en fait une politique qui décentralise au maximum ◀les▶ pouvoirs réels et encourage ◀la▶ participation directe des citoyens aux niveaux décisionnels ◀les▶ plus immédiats, ◀les▶ plus proches ◀de▶ ◀la▶ vie ◀de▶ ◀la▶ commune.
◀De▶ ◀l’▶ère industrielle, nous devons passer à ◀l’▶ère des ressources humaines.
◀L’▶ère industrielle, parce qu’elle recherchait ◀la▶ maximisation ◀de▶ ◀la▶ production, quel qu’en fût ◀le▶ prix social, appelait ◀la▶ concentration des efforts, ◀le▶ centralisme. Elle appelait une planification nationale et au-delà : des marchés plus étendus, comme ◀l’▶« Europe des Six », puis des Neuf ou des Douze. ◀Les▶ progrès des multinationales s’inscrivaient dans cette prétendue « nécessité » économique.
◀L’▶ère des ressources humaines, en revanche, parce qu’elle recherche en priorité ◀le▶ bien-être, appelle ◀la▶ décentralisation, ◀l’▶initiative locale, ◀l’▶autonomie, une refonte des méthodes ◀de▶ production ◀de▶ masse, et une planification régionale.
Des processus ◀de▶ solidarité. — Cependant, toute ◀l’▶activité économique ne peut pas être décentralisée. Des arbitrages restent souhaitables ou nécessaires au niveau suprarégional ou national voire mondial ou continental ; des processus ◀de▶ solidarité restent à établir ou à maintenir, car ◀les▶ inégalités ◀de▶ distribution ◀de▶ ◀la▶ richesse entre régions, accentuées aujourd’hui par ◀le▶ processus même ◀de▶ ◀la▶ croissance industrielle, doivent être atténuées, sinon totalement corrigées.
Alors ◀l’▶Europe — mais au sens large ◀de▶ ◀l’▶union ◀de▶ tous ses pays — retrouve un sens dans ◀l’▶élan organisé des solidarités transnationales.
Nécessité ◀d’▶un nouveau modèle européen. — ◀L’▶Europe a besoin, aujourd’hui, ◀d’▶un véritable projet régional qui transcende ◀les▶ barrières politiques et douanières, et donne au monde un grand exemple ◀de▶ ◀la▶ capacité ◀de▶ nos peuples à résoudre un problème crucial pour ◀l’▶avenir ◀de▶ toute ◀l’▶humanité : celui ◀de▶ ◀la▶ réalisation ◀de▶ nos espérances en termes à la fois ◀de▶ niveau et ◀de▶ qualité ◀de▶ vie, et en pleine solidarité avec ◀les▶ habitants des autres continents.
◀L’▶absence, jusqu’ici, ◀d’▶un projet ◀de▶ ce type, explique ◀la▶ crise du Mouvement européen. Aux yeux ◀d’▶un observateur extérieur, ce qui manque ◀le▶ plus à ◀l’▶Europe actuelle, ce sont ◀de▶ vrais projets porteurs ◀d’▶avenir, capables ◀de▶ redonner une motivation européenne à notre opinion publique.
Projets possibles, possibilités motivantes. — Jusqu’à présent on peut dire, en simplifiant, que ◀les▶ tentatives ◀de▶ projets européens se sont soldées par des échecs. Ce ne sont pas ◀les▶ quelques réalisations technologiques ou leurs retombées industrielles (dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶espace, ◀de▶ ◀l’▶aéronautique) et encore moins ◀le▶ « marché commun agricole » qui peuvent véritablement motiver ◀la▶ formation ultérieure ◀de▶ ◀l’▶Europe. Pourtant, ce ne sont pas ◀les▶ possibilités qui ont manqué : c’est ◀le▶ dessein global, c’est ◀le▶ projet ◀d’▶une société qui dépasse ◀l’▶ère industrielle en ceci qu’elle entend subordonner ◀l’▶économie non plus au profit mais à ◀l’▶homme.
◀La▶ crise énergétique actuelle offre ◀l’▶occasion ◀de▶ créer un projet européen qui non seulement éviterait à terme ◀de▶ passer ◀de▶ ◀l’▶actuelle dépendance des Arabes à une dépendance des Américains, des Russes et des dictateurs africains, mais qui surtout permettrait ◀d’▶accéder à un système ◀d’▶approvisionnement en énergie qui serait intégré aux autres activités économiques, sociales et culturelles ◀de▶ nos régions. Et ce projet, étendu sur le plan ◀de▶ ◀la▶ recherche fondamentale à toutes ◀les▶ sources ◀d’▶énergie (en particulier à ◀l’▶énergie solaire), pourrait redonner à ◀l’▶Europe une fonction ◀de▶ pionnier dans un domaine aujourd’hui décisif pour ◀la▶ survie à terme ◀de▶ ◀l’▶humanité.
Un projet européen dans ◀le▶ domaine des transports pourrait reposer sur ◀le▶ besoin ◀de▶ liaisons ferroviaires rapides entre ◀les▶ grands centres décisionnels urbains, et ◀de▶ substitution généralisée des services publics aux autos privées partout où cela serait à la fois économique (temps, énergie, coûts, efficacité) et favorable au moral des usagers.
Un projet alimentaire devrait s’appuyer sur ◀l’▶existence ◀d’▶une industrie décentralisée dans ce secteur, appuyée sur une politique planétaire.
Un projet commercial pourrait éviter que ◀la▶ vente aux pays du tiers-monde ◀d’▶usines clés en main n’aboutisse à la fois au chômage et à ◀l’▶accroissement ◀de▶ nos importations.
◀D’▶où ◀l’▶on tire deux conséquences immédiates :
1° Pas ◀d’▶économie européenne sans politique européenne. Alors que nous assistons à une globalisation des problèmes à ◀l’▶échelle mondiale, que ◀les▶ interdépendances augmentent et que des menaces sérieuses mettent en danger ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶humanité, ◀le▶ monde a besoin ◀d’▶une Europe forte et unie, capable ◀d’▶accomplir une tâche importante au niveau de ◀la▶ solidarité des peuples ◀de▶ ◀la▶ Terre.
2° Pas ◀de▶ vraie « Communauté européenne » sans participation à tous ◀les▶ niveaux ◀de▶ décision.
Dans ◀la▶ société industrielle ordonnée à ◀la▶ production et à ◀la▶ consommation quantitatives, selon ◀les▶ calculs inexplicables ◀de▶ centres lointains et anonymes, ◀l’▶individu ne se sent plus sécurisé par des structures sociales accoutumées et stables. Sans aucune assurance pour son emploi demain, sans nul pouvoir sur ◀les▶ politiques économiques et monétaires qui décident ◀de▶ son destin concret, il est livré sans défense aux pressions extérieures massives ◀de▶ ◀l’▶État, du marché, des employeurs, ou ◀d’▶un climat publicitaire qui ◀l’▶entretient dans ◀l’▶obsédante poursuite ◀de▶ « satisfactions » matérielles presque jamais atteintes, ou rarement suffisantes une fois atteintes par chance.
◀D’▶où ◀les▶ sentiments ◀d’▶insécurité et ◀de▶ frustration qui caractérisent notre climat social, et qui révèlent ◀la▶ désastreuse décadence des réalités communautaires en Occident.
L’une des raisons en est dans ◀la▶ distance croissante entre ◀l’▶individu et ◀les▶ processus décisionnels qui affectent son présent et son avenir : il n’a plus ◀de▶ pouvoir sur eux.
En termes politiques, ◀le▶ remède consistera donc dans ◀le▶ regain ◀d’▶intérêt pour ◀les▶ communautés locales et régionales : là seulement ◀l’▶homme et ◀la▶ femme peuvent faire entendre leur voix, peuvent être libres, parce qu’ils sont responsables.
◀Les▶ remèdes à ◀la▶ crise économique consistent dans une nouvelle méthode ◀d’▶analyse des besoins humains, partant des besoins organiquement et moralement vitaux, non ◀de▶ ◀la▶ seule volonté ◀de▶ profit des grandes entreprises. ◀D’▶où ◀la▶ création ◀de▶ petites unités ◀de▶ production, ménageant une plus réelle participation aux décisions ; et sans doute, une évaluation nouvelle du rôle des gouvernements : instruments au service des citoyens.
Activités, emploi, chômage
On a calculé que ◀l’▶ensemble des tâches ◀d’▶un État industriel, inclus ◀les▶ agences pour ◀le▶ chômage et ◀les▶ autres secours sociaux, pourraient être accomplies par 15 % des forces ◀de▶ travail aujourd’hui disponibles. Cette transformation difficile n’est pas impossible. Elle exigerait des politiques à longue vue et probablement impopulaires aux débuts, dans certains pays, mais elle pourrait conduire à un type ◀de▶ société qui maintiendrait un haut niveau matériel et créerait en même temps des possibilités ◀d’▶éducation et ◀de▶ culture encore inconcevables aujourd’hui.
◀Le▶ nombre des chômeurs dans ◀le▶ monde s’accroît ◀de▶ 100 par minute 8. Dans cette situation, il ne saurait plus être question, sérieusement, ◀de▶ « stimuler ◀la▶ demande » (artificiellement), ni ◀de▶ rechercher ◀la▶ dilution des forces ◀de▶ travail par ◀l’▶introduction ◀de▶ postes non nécessaires et ◀de▶ productivité inférieure.
Un consensus est en train de se former et commence à se manifester parmi ◀les▶ économistes ◀les▶ plus sérieux (c’est-à-dire ◀les▶ moins routiniers) du tiers-monde comme des États-Unis et ◀de▶ ◀l’▶Europe, ainsi que dans ◀les▶ milieux syndicaux non communistes. ◀Les▶ solutions au problème crucial du chômage comme produit structurel ◀de▶ ◀la▶ société industrielle doivent être cherchées sans délai dans ◀les▶ directions suivantes :
— raccourcir ◀le▶ temps ◀de▶ travail ;
— allonger (réellement, c’est-à-dire déduction faite du temps ◀de▶ déplacement) ◀le▶ temps des loisirs, ou ◀le▶ temps libre pour d’autres activités ;
— développer une agriculture plus autonome, mieux adaptée aux conditions spécifiques — écologiques et sociales — des régions ◀de▶ ◀l’▶Europe ; plus diversifiée ; moins importatrice ◀d’▶énergie ; plus soucieuse ◀de▶ résultats qualitatifs que ◀de▶ profits rapides obtenus aux dépens des systèmes et des régimes ◀de▶ relations sociales, psychologiques et culturelles ◀d’▶une population donnée, en Europe comme dans ◀le▶ tiers-monde ;
— développer un artisanat communautaire, familial, individuel, et toutes ◀les▶ formes ◀d’▶arts manuels ; multiplier les seconds métiers (non concernés par ◀la▶ limite ◀d’▶âge) ;
— réduire ◀la▶ bureaucratie par une décentralisation effective, poussée jusqu’à ◀la▶ région, et permettant à celle-ci ◀de▶ reprendre ◀l’▶initiative (dans ◀le▶ cadre général et moyennant ◀les▶ arbitrages éventuels ◀d’▶agences ◀de▶ concertations nationales ou fédérales) ;
— régionaliser ◀les▶ ajustements ◀de▶ ◀l’▶offre et ◀de▶ ◀la▶ demande ◀d’▶emplois, moduler ◀l’▶orientation vers des emplois diversifiés, selon ◀les▶ coutumes et ◀les▶ relations ◀de▶ voisinage, en prenant avantage des chances, localement mieux visibles et multipliées, ◀de▶ combiner des activités ◀de▶ secteurs différents ;
— obtenir une concertation internationale sur ◀les▶ transferts ◀de▶ technologies, afin d’éviter qu’ils ne détruisent ◀les▶ écosystèmes dans ◀les▶ pays récepteurs, puis qu’ils n’augmentent ◀le▶ chômage dans ◀le▶ pays ◀d’▶origine — celui-ci devenant importateur des produits ◀de▶ ses propres techniques, au détriment de ses propres entreprises qui tombent en faillite et licencient…
Toutes ces flèches indicatrices traduisent un même souci ◀d’▶ordonner ◀l’▶économie — ◀le▶ travail des hommes et ◀les▶ moyens ◀de▶ subsistance qu’ils en tirent — au bien-être réel du plus grand nombre possible ◀de▶ personnes réelles, plutôt qu’au profit en monnaie ◀d’▶un -nombre toujours plus restreint ◀de▶ sociétés toujours plus anonymes et toujours plus irresponsables.
◀D’▶urgence
Il est temps ◀de▶ mettre ◀l’▶économie au service des finalités reconnues ◀de▶ notre société, et non plus ◀de▶ prétendus « impératifs » qui nous empêcheraient ◀de▶ ◀le▶ faire « pour ◀le▶ moment ».
Il est temps ◀de▶ chercher ◀les▶ moyens immédiats ◀d’▶obéir au seul impératif indiscutable : celui du désarmement nucléaire, condition ◀de▶ ◀la▶ survie ◀de▶ ◀l’▶espèce humaine en tant que civilisation.
Il est temps ◀de▶ libérer ◀l’▶économie mondiale ◀de▶ sa servitude ◀la▶ plus angoissante : ◀la▶ production, pour 350 milliards ◀de▶ dollars par an, ◀d’▶armements qui ne servent qu’à se neutraliser potentiellement, et sont, au mieux, ◀d’▶utilisation nulle.
Et cette économie libérée ◀de▶ ◀l’▶obsession ◀de▶ ◀la▶ guerre, c’est-à-dire du suicide ◀de▶ ◀l’▶espèce, il est temps ◀de▶ ◀l’▶ordonner aux buts humains, mais aussi aux limites que lui posent ◀les▶ réalités sociales et naturelles qu’elle avait cru pouvoir éliminer ◀de▶ ses comptes.
Il est grand temps que « R & D » (◀la▶ Recherche et ◀le▶ Développement, sigle et termes sacralisés par ◀l’▶industrie et ◀la▶ technocratie contemporaines) se portent vers des domaines nouveaux, non encore colonisés par ◀les▶ États-nations, non encore structurés et dimensionnés par ◀les▶ « impératifs » ◀de▶ ◀la▶ préparation à ◀la▶ guerre, donc ◀de▶ ◀la▶ centralisation.
Parlant ◀de▶ ◀la▶ mise en place ◀de▶ structures fédérales en Europe, Louis Armand avait formulé une règle ◀d’▶or qui trouve ici ses applications : « Développons en commun ce qui est neuf. Laissons ◀de▶ côté ◀les▶ héritages du passé dont ◀l’▶unification prendrait trop ◀de▶ temps, demanderait trop ◀d’▶énergie et soulèverait trop ◀d’▶opposition. »
Si ◀l’▶on veut vraiment unir ◀l’▶Europe, il faut partir ◀d’▶autre chose que ◀de▶ ses facteurs ◀de▶ division, il faut bâtir sur autre chose que sur ◀les▶ obstacles à ◀l’▶union, espérer sur un autre plan que celui où ◀l’▶union s’est révélée impossible. Ces réalités neuves, ou en pleine transformation, nous ◀les▶ trouverons aujourd’hui dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶Énergie, dans ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀l’▶Écologie, et dans ◀la▶ montée des régions.