Actualité de▶ Benjamin Constant (1980)bn
I. Le personnage, pour ses contemporains
Comment le voyait-on ? Si on l’admirait, il était « un grand homme, droit, bien fait, blond, un peu pâle, avec ◀de▶ longs cheveux tombant à boucles soyeuses sur ses oreilles et sur son cou. Il avait une expression ◀de▶ malice et ◀de▶ moquerie dans le sourire et dans les yeux… » Si on ne l’aimait pas, on décrivait « ses jambes grêles et son dos voûté », ou « ce mélange ◀de▶ vénérable et ◀de▶ bouffon, ◀de▶ touchant et ◀d’▶ironique, que ses cheveux longs, son sourire faux et ses yeux ◀de▶ chat produisaient ».
« Rien de plus piquant que sa conversation, toujours en état ◀d’▶épigramme », notait l’un ; mais l’autre : « Sa prononciation n’est pas pure, mais elle a du charme et une excessive élégance… » Un troisième, un ami celui-là, Charles Nodier, fait la synthèse :
Ses cheveux blonds restaient légèrement bouclés et flottants, comme le dernier attribut ◀de▶ la jeunesse évanouie ; son teint sans couleur, ses cils pâles, ses yeux ◀d’▶un bleu presque éteint, sa prononciation molle et quelquefois un peu embarrassée, traduisaient au premier regard la tristesse et l’abattement ; mais si une sympathie profonde venait à l’émouvoir, si une voix animée par la poésie retentissait à ses oreilles, si une idée morale ou politique surtout… vibrait dans son âme, sa belle physionomie revivait tout à coup sous l’influence ◀d’▶une inspiration soudaine, des torrents ◀d’▶éloquence coulaient ◀de▶ sa bouche, et on prévoyait sans peine qu’il était appelé à remplir l’avenir qu’il a rempli.
II. Le personnage tel qu’il s’est vu
Quatre passions maîtresses ont animé ce grand corps mince ◀de▶ leur contrepoint discordant : les femmes, le jeu, la politique, et par-dessus tout « le travail », entendons la préparation et l’écriture ◀de▶ ses ouvrages ◀de▶ philosophie politique, ◀d’▶histoire des religions, et ◀de▶ fiction autobiographique.
Les femmes et le jeu furent pour lui tyranniques. Dans l’action politique et l’écriture, il rechercha en revanche l’exercice ◀de▶ son libre choix. Mais il fut joueur en politique aussi, et dans l’amour, quêta la liberté, celle ◀de▶ l’aimée non moins que la sienne — en vain d’ailleurs.
En fin de compte, le travail prime. Note ◀de▶ 1805, sans date : « Je travaille peu depuis deux ans. Sur 714 jours, j’en ai passé 259 sans rien faire. » (Mais le simple fait ◀de▶ les compter !) Voyons, dans le journal des années qui encadrent la conception, la rédaction et les retombées politiques ◀de▶ l’ouvrage qui nous occupe, comment ces passions se succèdent, se combinent ou se refoulent mutuellement. (Le beau sujet pour un disciple ◀de▶ C. G. Jung !)
En 1811, le journal va du 15 mai au 31 décembre. (Benjamin vient de rompre pour la dernière fois avec Mme de Staël à Lausanne, le 10 mai.) Sur ces 231 jours, le mot « travaillé » revient 149 fois (il s’agit ◀d’▶un grand ouvrage « sur la religion ») ; les allusions à l’humeur ◀de▶ sa femme, Charlotte de Hardenberg, aux mauvaises nouvelles ◀de▶ Mme de Staël, au souvenir ou aux rencontres d’autres amies, 50 fois ; les allusions au jeu 30 fois (une flambée, du 25 juin au 10 avril, puis plus rien). La politique paraît absente.
1812 et 1813 (vie en Allemagne). Les notes quotidiennes commencent toutes par « travaillé » (« bien », « peu » ou « mal ») sauf pour une trentaine ◀de▶ jours ◀de▶ voyage ou ◀de▶ fréquents déménagements. Sur les femmes, notes quasi quotidiennes, elles aussi, mais dans le registre sombre : « souvenirs déchirants » et attente anxieuse des lettres ◀de▶ « la voyageuse » (Mme de Staël est en Russie, puis en Suède), et querelles incessantes avec Charlotte. Le jeu n’intervient que deux fois, une troisième « en pensée » seulement. Quant à la politique, elle revient en force, solidement alliée au travail, dès la fin ◀de▶ 1813, avec l’idée ◀d’▶écrire L’Esprit ◀de▶ conquête.
1814. Intrigues politiques avec Bernadotte, en Allemagne puis en Belgique, jusqu’au retour à Paris en avril. Travail intermittent sur des écrits politiques. Mais, à partir de l’été, les femmes dominent tout : on assiste aux progrès du détachement ◀de▶ Mme de Staël et à la passion subite pour Mme Récamier, en contrepoint avec l’aventure des Cent-Jours.
Le reste ◀de▶ la vie ◀de▶ Benjamin Constant est dominé par l’action politique. L’apothéose posthume ◀de▶ 1830 sera celle ◀d’▶un chef ◀de▶ l’opposition libérale, non du grand écrivain ◀d’▶idées, encore moins ◀de▶ l’auteur ◀d’▶Adolphe, qui ne sera mis à sa place qu’au xxe siècle.
III. Les circonstances ◀de▶ l’ouvrage
Depuis deux ans, Benjamin et Charlotte vivent en Allemagne, entre Cassel, Göttingen, Hanovre et le château du Hardenberg. Le travail (« ◀De▶ la Religion ») domine difficilement l’ennui ◀de▶ cet exil. En octobre 1813, parviennent des nouvelles ◀de▶ la défaite ◀de▶ Leipzig. On annonce la venue de Bernadotte à Göttingen. Benjamin a plusieurs entrevues avec le nouveau prince royal ◀de▶ Suède, qu’il appelle dans son journal « le Béarnais ». L’ambition ◀d’▶une carrière politique revient en force occuper le terrain laissé en friche par la passion des femmes et celle du jeu.
Feuilletons le journal ◀de▶ cette fin ◀d’▶année 1813 :
13 octobre. Quelques vers. Je voudrais écrire quelque autre chose, mais l’idée n’en est pas encore claire dans ma tête.
11 novembre. Le Béarnais veut ◀de▶ moi. Je m’attache à lui… Mais son propre terrain est mouvant.
15 novembre. Je vais à tâtons. Je ne suis content ni ◀de▶ moi, ni des autres.
Et soudain :
22 novembre. Repris un ouvrage ◀de▶ politique. Tâtonnement. Misère.
24 novembre. Plan ◀d’▶ouvrage politique meilleur que les autres. Je m’y tiens.
Il est rare que l’on puisse surprendre l’éclosion ◀de▶ l’idée première ◀d’▶un ouvrage ; plus rare encore que l’on soit informé quotidiennement ◀de▶ sa croissance et ◀de▶ son achèvement. Sur les 69 jours que va durer la gestation ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête, le progrès du travail — plan, doutes et rédaction, ajouts, retouches et impression — sont notés 63 fois, le reste étant occupé par les habituelles récriminations sur Germaine et Charlotte — et un nouveau déménagement.
Citons quelques-unes ◀de▶ ces notes sur « l’œuvre en train », cependant que la tension monte rapidement, que « Buonaparte », rentré à Paris, semble reprendre en main la situation, et que grandissent les risques encourus par l’auteur :
25 novembre. Rechangé et amélioré le plan du petit ouvrage.
28 novembre. Mon ouvrage politique prend figure. Soirée chez le Duc.
29 novembre. Pas bien travaillé. J’espère pourtant que cela ira.
2 décembre. Je risquerai ma brochure politique telle quelle.
6 décembre. Travaillons à ma brochure pour laisser au moins cette trace.
10 décembre. Bien travaillé. Je commence demain la rédaction.
13 décembre. Bien travaillé, mais encore un retard. Remis le commencement à l’imprimeur. L. v. d. D. s. f. [La volonté ◀de▶ Dieu soit faite !]
23 décembre. Travaillé. L’imprimeur va plus vite que moi. Dépêchons-nous.
28 décembre. Travaillé. Peu avancé. Le temps presse pourtant.
30 décembre. Travaillé. Décidément, la première partie42 paraît seule. Le sort sera donc bientôt jeté.
31 décembre. Corrigé les dernières feuilles. La chose me paraît superbe. Voyons le succès… Grande délibération, si je mettrai mon nom ou non à la brochure. À décider demain.
1814. 1er janvier. L’impression ◀de▶ la première partie va être achevée. Vogue la galère.
6 janvier. Travaillé. Je crois que je devancerai mon imprimeur, pourvu que les événements ne me devancent pas. L. v. d. D. s. f.
7 janvier. Travaillé. Décidément je ne joue plus.
14 janvier. Travaillé. Je me décide à envoyer la première partie à Alexandre [le tsar] et au Béarnais.
18 janvier. Travaillé. Les événements vont si vite que mon livre n’aura plus le mérite ◀de▶ l’audace.
25 janvier. J’y mets mon nom. Vogue la galère. L’ouvrage est beau.
28 janvier. Il n’y a plus qu’une feuille à corriger. Quel sera l’effet ? La volonté ◀de▶ Dieu soit faite.
30 janvier. La bombe est lâchée. L. v. d. D. s. f.
L’ouvrage en deux parties43 paraît ce jour-là à Hanovre. C’est une déclaration ◀de▶ guerre idéologique, non seulement à Napoléon, mais à tout ce qui prétend justifier la guerre au nom des vertus viriles et la dictature au nom de la « liberté » ◀d’▶une nation, selon les doctrines ◀de▶ la révolution.
En publiant cette « brochure », Benjamin sait qu’il joue sa vie : Napoléon n’est pas encore vaincu, et le ferait fusiller pour beaucoup moins. « L. v. d. D. s. f. », murmure-t-il, non toutefois comme on prie, mais plutôt comme on pose sur sa tempe le pistolet ◀de▶ la roulette russe. Joueur encore !
IV. Tragédie ◀de▶ la liberté et tragi-comédie du libéralisme
Pendant tout le mois ◀de▶ février, Benjamin cherche à se libérer ◀de▶ Charlotte pour suivre le Béarnais et tenter avec lui sa chance politique : Mme de Staël l’y pousse, elle imagine une régence que Paris confierait à Bernadotte…
Courant après le prince et le succès ◀de▶ son livre, réédité à Londres en février, comme il va l’être à Paris en avril, Constant est à Liège, puis à Bruxelles, où il apprend l’abdication ◀de▶ l’empereur le 9 avril. Et tout ◀d’▶un coup, le soir du 15 avril, il note, rapide et sec à sa coutume :
Arrivée à Paris… Il y a ◀de▶ la ressource pour la liberté. Il n’y en a plus pour notre homme [le Béarnais]. Mon ouvrage fera bon effet, j’espère. Mais l’horizon n’est pas bien clair.
Des jours suivants, je ne retiendrai que le typique du personnage :
16 avril. Comme notre pauvre ami [le Béarnais] est tombé !… Revu beaucoup de gens… Servons la bonne cause et servons-nous.
23 avril. Ce pays-ci n’ira pas. Ils sont tous fous et méchants.
25 avril. Éloges inouïs ◀de▶ mon livre. Cela ne mènera-t-il donc à rien ?
30 avril. Toutes mes relations à Paris sont brisées. Je ne crois pas qu’il y ait rien à faire.
5 mai. Visites sans fin chez moi.
(Les 9 et 24 mai, le Journal des débats publie deux articles extrêmement élogieux sur L’Esprit ◀de▶ conquête !)
31 mai. Folies ◀d’▶imagination. Je me crois dédaigné ◀de▶ tout le monde et personne n’y pense. C’est moi qui ne prends pas ma place, et je crois qu’on me la refuse.
12 août. Dispute avec Guizot. Le plus petit pouvoir est un grand corrupteur.
31 août. Dîné au Cercle. Mme Récamier. Ah ça ! deviens-je fou ?
Dès cette soirée où naît son « amour fou » pour une personne qu’il connaissait depuis près de vingt ans, et jusqu’à la fin des Cent-Jours, un prénom reviendra dans toutes les notes quotidiennes : Juliette.
Cette passion qui nous semble bien n’avoir été nourrie que des obstacles que Mme Récamier y mettait en jouant, n’a nullement empêché le retour en force ◀de▶ la politique dans la vie ◀de▶ Constant : elle aura plutôt contribué à en dramatiser les péripéties.
Il paraît probable, en effet, que l’influence ◀de▶ Juliette ait été décisive lorsqu’au lendemain ◀de▶ l’annonce du retour ◀de▶ l’île d’Elbe, puis la veille même ◀de▶ l’entrée ◀de▶ Napoléon à Paris, Benjamin publie dans les Débats deux articles violents en faveur des Bourbons et contre le Tyran.
Journal du 10 mars 1815. La débâcle est affreuse. Mon article ◀de▶ demain met ma vie en danger. Vogue la galère. S’il faut périr, périssons bien.
11 mars. Tout est perdu par cela même que tout le monde dit que tout est perdu.
18 mars. Fait un article pour les Débats. S’il triomphe et qu’il me prenne, je péris. N’importe. Tâchons ◀de▶ nous souvenir que la vie est ennuyeuse.
Le lendemain 19 mars, Napoléon est aux Tuileries. Benjamin fuit vers Nantes, mais cette ville vient de passer à l’empereur. Retour à Paris le 28 mars, à la faveur ◀d’▶une amnistie. Journées ◀de▶ trouble profond, Benjamin rencontre Joseph Bonaparte le 31 mars et note :
Et le 14 avril, au matin, l’impossible se réalise : au lieu d’être arrêté, Constant reçoit une invitation ◀de▶ l’empereur — et s’y rend sur l’heure.
Dès lors, tout va très vite. Citons le journal : on ne saurait être plus sobre à propos d’un coup ◀de▶ théâtre dont je ne vois pas ◀d’▶autre exemple dans l’histoire ◀de▶ la vie politique en Europe.
14 avril. Entrevue avec l’empereur. Longue conversation. C’est un homme étonnant. Demain je lui porte un projet ◀de▶ constitution… L. v. d. D. s. f. Dîné chez la duchesse de Raguse avec Juliette.
15 avril. Mon projet ◀de▶ constitution a eu peu de succès. Ce n’est pas précisément ◀de▶ la liberté qu’on veut.
18 avril. Entrevue ◀de▶ 2 heures. Ma constitution corrigée a mieux réussi… L’opinion me blâme assez, mais je fais du bien…
19 avril. Longue entrevue. Beaucoup de mes idées constitutionnelles adoptées. Conversation sur d’autres sujets. Il est clair que ma conversation lui plaît. Annonce ◀de▶ ma nomination au Conseil ◀d’▶État. Lu mon roman, fou rire. Dîné chez Juliette. Soirée chez Fouché. Si ma nomination a lieu, je me lance tout à fait, sans abjurer aucun principe.
Ces sept lignes, au lieu des deux ou trois habituelles, rappellent sans la décrire une journée décisive ◀de▶ l’aventure ◀de▶ Benjamin. Prenons une des indications télégraphiques :
Lu mon roman, fou rire.
Agrandissons la petite phrase et cela donne — dans les Souvenirs ◀de▶ Victor de Broglie, futur gendre ◀de▶ Benjamin — ceci :
L’auteur était fatigué, à mesure qu’il s’approchait du dénouement, son émotion augmentait et sa fatigue augmentait son émotion. À la fin, il ne put la contenir et il éclata en sanglots ; la contagion gagna la réunion tout entière, elle-même fort émue ; ce ne fut que pleurs et gémissements, puis, tout à coup, par une péripétie physiologique qui n’est pas rare, au dire des médecins, les sanglots devenus convulsifs tournèrent en éclats de rire nerveux et insurmontables…
Il s’agissait, on l’a compris, ◀d’▶Adolphe, par quoi seul le public ◀d’▶aujourd’hui connaît le nom ◀de▶ Constant ; mais cela n’est qu’anecdote à ses yeux, comparé aux « idées constitutionnelles adoptées » le matin, à la nomination au Conseil ◀d’▶État, au dîner chez Juliette, et à la décision ◀de▶ « se lancer » aux côtés ◀de▶ celui dont il avait écrit un mois plus tôt :
C’est Attila, c’est Gengiskhan, plus terrible et plus odieux parce que les ressources ◀de▶ la civilisation sont à son usage.
V. Variations dans la constance
Mais revenons au sérieux du drame dans lequel Benjamin tout ◀d’▶un coup, malgré lui, tient un rôle décisif.
L’empereur, notera-t-il plus tard dans son Mémoire sur les Cent-Jours,
n’essaya pas ◀de▶ me tromper. Il ne voulut point se donner le mérite ◀de▶ revenir à la liberté par inclination. Il examina froidement, dans son intérêt, avec une impartialité trop voisine ◀de▶ l’indifférence, ce qui était possible et ce qui était préférable.
En bref :
Je prévois, dit-il, une lutte difficile et une guerre longue. Pour la soutenir, il faut que la nation m’appuie, mais en récompense, je le crois, elle exigera la liberté. Elle en aura.
Ni l’empereur ni Constant n’ont changé. Nul n’est dupe, nul ne cherche à duper l’autre. L’un veut régner et s’il y faut absolument ◀de▶ la liberté, accordons-en. L’autre veut être libre, et si cela n’est possible, pour un temps, que sous certaines conditions, acceptons-les.
Le cynisme et l’opportunisme, bien évidents ◀de▶ part et ◀d’▶autre, dialoguent en toute complicité, chacun des interlocuteurs restant fidèle à sa passion maîtresse, la puissance ou la liberté.
« La nation exigera la liberté ? Elle en aura. » Voilà qui est cynique à souhait. Mais Constant l’est-il beaucoup moins quand il accepte ◀de▶ rédiger ce qu’on appellera les Actes additionnels aux Constitutions ◀de▶ l’Empire ? Il y propose en fait à la signature du despote quelques-unes des propositions les plus subversives ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête, et il y ajoute un projet précis ◀de▶ fédération ◀de▶ l’Europe. A-t-il pu croire un seul instant que la France napoléonienne, « réparant ses longues erreurs », pourrait enfin se replacer au premier rang des puissances ◀de▶ paix, comme l’avait suggéré deux ans plus tôt la dernière phrase ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête ! Rien ◀de▶ moins probable. C’est dans l’espoir ◀de▶ sauver un peu de liberté réelle qu’il s’expose aux vertueuses indignations des politiciens ◀de▶ son bord, ceux dont il parle à la fin des Cent-Jours :
21 juin 1815. L’empereur m’a fait demander. Il est toujours calme et spirituel. Il abdiquera demain, je pense. Les misérables, ils l’ont servi avec enthousiasme quand il écrasait la liberté, ils l’abandonnent quand il l’établit.
Dès le lendemain du départ ◀de▶ l’empereur pour Rochefort puis pour Sainte-Hélène, Constant entre en opposition avec la Réaction royaliste qui va régner pendant quinze ans. Lorsque le roi ordonne le 8 juillet que l’on ferme les portes des Chambres : « C’est une catastrophe ennuyeuse », note Benjamin, et il se dispose à écrire un mémoire apologétique sur son action durant les Cent-Jours. « Je le publierai sous forme de lettres. Il faut qu’il soit européen. »
Que celui qui vient de défier le Tyran au nom de ses principes républicains, se rallie aux Bourbons dès son retour à Paris ; qu’il soit le dernier à les défendre quand Louis XVIII et les siens ont déjà fui devant Napoléon ; qu’il accepte deux semaines plus tard ◀de▶ rédiger pour l’empereur une constitution libérale, voilà ce que ses contemporains ont décidé ◀de▶ ne pas comprendre, et ils répètent en ricanant sa devise ironique : Inconstancia constans, « Constant dans l’inconstance ».
Rien de plus injuste, on va le voir.
1°. Constant ne se rallie pas à la royauté mais à la Charte, quelque peu libérale, publiée tôt après le retour en France de Louis XVIII. À ceux qui l’accusent ◀de▶ palinodie, il répond tranquillement qu’il ne sert pas un régime mais la liberté44. Certes, il déteste que la Charte prétende « octroyer » au peuple des droits qui lui appartiennent, mais c’est assez pour lui qu’elle apparaisse compatible avec la liberté.
2°. Aurait-il dû se faire harakiri, lui seul, quand le roi a quitté Paris ? « On m’a reproché ◀de▶ ne pas m’être fait tuer auprès du trône que, le 19 mars, j’avais défendu : c’est que le 20 j’ai levé les yeux, j’ai vu que le trône avait disparu et que la France restait encore. »
3°. À ceux qui l’accusent ◀d’▶une troisième palinodie lorsqu’il accepte l’invitation ◀de▶ Napoléon, il faut rappeler que l’opportuniste en l’occurrence, ce n’est pas Constant, c’est l’empereur.
◀De▶ Golfe-Juan à Lyon, jusqu’à Paris, Napoléon a été accueilli aux cris ◀de▶ « Vive l’empereur ! » mais aussi ◀de▶ « Vive la liberté ! ». Il sait qu’il doit compter avec les libéraux. Lorsqu’il apprend par Sébastiani la présence ◀de▶ Benjamin Constant à Paris :
Il faut le faire arrêter ! s’écrie-t-il. — Y pensez-vous ? réplique le Maréchal. À quoi bon ? Laissez-le partir, ou plutôt… voyez-le ! — Vous avez raison, faites-le venir.45
◀De▶ là, l’invitation du 14 avril.
Je ne croyais point — écrit Constant dans son Mémoire sur les Cent-Jours — à la conversion subite ◀d’▶un homme qui si longtemps avait exercé l’autorité la plus absolue… Je voulais savoir par moi-même ce que nous pouvions espérer encore. Quelque incertaine que soit une chance pour la liberté ◀d’▶un peuple, il n’est pas permis ◀de▶ la repousser.
4°. Et enfin, et surtout, la preuve irréfutable ◀de▶ la constance ◀d’▶une pensée qui a toujours motivé son action, nous l’avons dans les textes mêmes que Benjamin Constant n’a cessé ◀de▶ publier presque toujours contre ses intérêts et plus ◀d’▶une fois au péril ◀de▶ sa vie, sous les régimes successifs qu’elle contestait. L’Esprit ◀de▶ conquête (troisième édition) ainsi que les Réflexions sur les constitutions publiées en mai 1815 pendant les Cent-Jours, comportent ◀de▶ nombreuses pages identiques à quelques mots près, aussi hostiles à la réaction royaliste qu’au despotisme et à l’« usurpation » napoléoniennes : or, il se trouve que ces trois ouvrages ont été tirés ◀de▶ manuscrits restés inédits qui remontent à 1806, et que leurs dates ◀de▶ publication semblent avoir été choisies ◀de▶ la manière la moins opportune pour l’auteur, mais la plus efficace pour l’opposition. Parler encore au sujet de leur auteur ◀d’▶opportunisme, ◀d’▶inconstance, voire ◀de▶ palinodie, ne relève plus dès lors que ◀de▶ l’étourderie, si ce n’est ◀de▶ la pure et simple mauvaise foi des ennemis ◀de▶ la liberté.
Benjamin n’a servi que la liberté. La sienne très mal, esclave qu’il fut ◀de▶ ses amours ; mais la liberté politique mieux que personne ◀de▶ son temps. ◀D’▶où le malentendu profond entre lui et la classe politique.
Il a servi la liberté, dans un pays et un siècle où l’on servait ◀de▶ préférence une faction, au mieux un parti.
Et comme il est un cas bien rare ◀d’▶individu distancié ◀de▶ lui-même, on ne peut plus indépendant, tout concourt à le rendre ambigu, et pas seulement dans le temps ◀de▶ son action. Il est remarquable que les palinodies ostentatoires ◀d’▶un Talleyrand aient contribué à sa réputation ◀de▶ grand homme d’État, alors que le jeu subtil des variations ◀de▶ Benjamin au service ◀de▶ la Liberté, son thème constant, ne lui aient valu que le blâme très moral des partisans du pouvoir, quel qu’il soit, s’il réussit à s’imposer.
VI. Un manifeste ◀de▶ la liberté
Mais revenons au petit livre sur lequel Benjamin a joué sa tête et accessoirement sa carrière.
Ce manifeste ◀de▶ la liberté, déposé sur le seuil ◀de▶ notre ère, est resté sans effets sur les destins du siècle, sort qu’il partage avec la plupart des écrits politiques ; mais, cas plus rare, il n’a pas affecté la vie ◀de▶ son auteur, qui croyait tout risquer sur cette centaine ◀de▶ pages, et pourtant note en 1814 :
Éloges inouïs ◀de▶ mon livre. Cela ne mènera-t-il donc à rien ?
Réponse ◀de▶ l’événement : à rien, ni pour lui-même ni pour la société. Car il ne sera pas fusillé, ne sera pas non plus ministre, et l’Acte additionnel — dont Thiers a pu écrire que « jamais la liberté, toute celle qui est raisonnablement désirable, n’avait été plus complètement donnée à la France » — n’a jamais été appliqué.
On lit dans la préface à la 3e édition ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête :
L’auteur ◀de▶ cet ouvrage a cru que les circonstances n’étaient pas favorables à l’examen ◀d’▶une foule ◀de▶ questions abstraites. Il a extrait46 seulement ce qui lui a paru ◀d’▶un intérêt immédiat… Mais il a voulu conserver avec scrupule ce qu’un profond sentiment lui avait dicté.
Or, c’est cela qui assure la durée ◀d’▶un ouvrage : qu’il ait été au cœur, au plus chaud ◀de▶ l’actuel éprouvé par le sentiment, il ira du même trait ◀de▶ l’intime vécu à l’universel objectif.
La théorie ◀de▶ l’état ◀de▶ guerre
L’actualité ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête me paraît plus vive aujourd’hui qu’elle ne put l’être en 1814. C’est bel et bien la théorie ◀de▶ l’État-nation comme état ◀de▶ guerre en permanence qui est donnée pour la première fois dans cet écrit. Voyons cela sur les thèmes majeurs ◀de▶ l’ouvrage.
La critique ◀de▶ la classe militaire et des vertus « viriles » que la guerre développerait occupe les premiers chapitres. Elle peut paraître démodée, à première vue. Elle traduit en fait l’intuition ◀d’▶une réalité neuve dont Benjamin Constant, qui n’en a pas encore une conscience claire, ressent déjà l’aberration : l’État-nation, né ◀de▶ la guerre, trouve dans la guerre la justification ◀de▶ sa tyrannie géométrique. « Un gouvernement qui parlerait ◀de▶ la gloire militaire comme but… se tromperait ◀d’▶un millier ◀d’▶années. » En effet : « le but unique des nations modernes, c’est le repos, avec le repos l’aisance, et comme source ◀d’▶aisance, l’industrie… La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace ◀d’▶atteindre ce but… L’homme n’est plus entraîné à s’y livrer, ni par intérêt, ni par passion. » Tout cela nous paraît un peu fade parce que c’est devenu tellement plus évident au temps de la bombe nucléaire, arme qui a l’avantage ◀de▶ faire voir au plus sot l’essentielle inutilité ◀d’▶une guerre « nationale » aujourd’hui, et l’abyssale aberration ◀d’▶une guerre « idéologique » ◀de▶ dévastation mutuelle et matérielle pour des siècles. (C’est pourtant vers quoi nous allons, vers quoi nous continuons ◀d’▶aller.)
Dans la critique constantienne ◀de▶ la guerre nationale, née ◀de▶ la Convention plus que ◀de▶ Napoléon (qui n’a guère inventé que les moyens ◀de▶ la gagner pour un temps), nous découvrons en réalité une critique prospective ◀de▶ l’État totalitaire lié à la guerre totale, à l’idée que celle-ci peut être payante, et au développement ◀de▶ l’industrie qui en résulte à la fois et la prépare. « La discipline militaire implique la discipline politique », dira plus tard Mussolini. C’est pourquoi Bonaparte instaure la lecture obligatoire et quotidienne du Moniteur (en russe Pravda), toute autre gazette interdite. Il instaure le règne ◀de▶ l’uniformité des curiosités mêmes ◀de▶ l’esprit, condition ◀de▶ la mise en uniforme ◀d’▶une nation tout entière par son État, c’est-à-dire par la dictature du Parti qui s’est emparé ◀de▶ l’État et qui s’arroge le droit ◀de▶ représenter la nation — qu’il soit d’ailleurs jacobin ou fasciste, national-socialiste ou communiste.
« Dans tous les temps, la guerre sera, pour les gouvernements, un moyen ◀d’▶accroître leur autorité », écrira Constant un peu plus tard47, et tout le confirme depuis près de deux siècles. (La création ◀de▶ l’État-nation comme machine ◀de▶ guerre date ◀de▶ la déclaration ◀de▶ guerre « à tous les rois ◀d’▶Europe » faite par la Convention le 20 avril 1792.) Pour le meilleur et pour le pire, dans sa genèse comme dans ses fins, l’État-nation est lié à la guerre, mieux : il est l’état ◀de▶ guerre en permanence.
◀D’▶où la nécessité ◀de▶ la discipline étendue à tous les domaines ◀de▶ l’existence — ◀de▶ la « mise au pas » des hitlériens à l’autocritique sous Staline. « Le même code, les mêmes mesures, les mêmes règlements et, si l’on peut y parvenir graduellement, la même langue, voilà ce qu’on proclame la perfection ◀de▶ toute organisation sociale. […] Sur tout le reste, le grand mot aujourd’hui c’est l’uniformité. »
Cet impérialisme stato-national, identifié par Constant à l’esprit ◀de▶ conquête, poursuivra désormais les vaincus « dans l’intérieur ◀de▶ leur existence… Jadis, les conquérants exigeaient que les députés des nations conquises parussent à genoux en leur présence. Aujourd’hui, c’est le moral ◀de▶ l’homme qu’on veut prosterner ».
Ici se révèle la vraie nature du régime ◀de▶ « l’Usurpateur ». Ce n’est pas la dictature classique, bien connue ◀de▶ l’Antiquité, c’est infiniment plus pervers. Car :
Le despotisme règne par le silence, et laisse à l’homme le droit ◀de▶ se taire ; l’usurpation le condamne à parler, elle le poursuit dans le sanctuaire intime ◀de▶ sa pensée, et, le forçant à mentir à sa conscience, elle lui ravit la dernière consolation qui reste encore à l’opprimé.48
Le despotisme laissait une chance au peuple qui se révolterait, mais l’usurpation l’avilit en même temps qu’elle l’opprime. Elle rend, même après sa chute, toute liberté, toute amélioration impossible… Et l’on comprend soudain le sens actuel ◀de▶ l’« usurpation » dénoncée par ces phrases sans doute moins frappantes pour l’homme ◀de▶ 1815 que pour le contemporain des totalitaires rouges, bruns ou noirs. Sans le savoir, c’est à notre siècle que parlait Benjamin Constant.
Du mensonge comme méthode ◀de▶ gouvernement
Le chapitre VIII ◀de▶ L’Esprit ◀de▶ conquête est l’un des deux sommets ◀de▶ l’ouvrage, le second étant le chapitre XIII sur l’Uniformité. Constant part ◀d’▶une constatation que notre génération, hélas, ne saurait mettre en doute une seconde :
Tout en s’abandonnant à ses projets gigantesques, le gouvernement n’oserait dire à la nation : Marchons à la conquête du monde. Elle lui répondrait ◀d’▶une voix unanime : Nous ne voulons pas ◀de▶ la conquête du Monde. Mais il parlerait ◀de▶ l’indépendance nationale, ◀de▶ l’arrondissement des frontières, des intérêts commerciaux. […] Sous le prétexte de précautions dictées par la prévoyance, ce gouvernement attaquerait ses voisins les plus paisibles, ses plus humbles alliés, en leur supposant des projets hostiles, et comme devançant des agressions méditées. Si les malheureux objets ◀de▶ ses calomnies étaient facilement subjugués, il se vanterait ◀de▶ les avoir prévenus : s’ils avaient le temps et la force ◀de▶ lui résister, vous le voyez, s’écrierait-il, ils voulaient la guerre puisqu’ils se défendent.
Et le ton monte et se soutient dans la dénonciation précise et implacable des arguments ◀de▶ l’esprit ◀de▶ conquête :
Certains gouvernements quand ils envoient leurs légions ◀d’▶un pôle à l’autre, parlent encore ◀de▶ la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu.
Endroits qui ont été dans ce siècle Dantzig et le pays des Sudètes, puis Budapest et Prague, enfin le Cambodge et Kaboul.
Essayez ◀d’▶illustrer chaque proposition : vous aurez tous les arguments invoqués récemment par les maîtres de l’URSS pour justifier l’occupation ◀de▶ l’Afghanistan par une armée ◀de▶ 100 000 hommes, destinée à « prévenir toute ingérence militaire » dans ce pays, à « devancer des agressions méditées » non seulement en Amérique mais « ailleurs » (en Chine ?), et qui se trouvent confirmés par le fait que les Afghans se défendent…
◀D’▶un nouveau genre ◀de▶ fédéralisme
Contre tout cela, qui ne fait encore que germer sous ses yeux, et dont l’épanouissement attendra notre siècle, Constant propose un arrangement ◀de▶ la société qui correspond au sens exact ◀de▶ ce que nous appelons aujourd’hui fédéralisme, et qu’il est le premier à nommer dans ses Principes ◀de▶ politique publiés à Paris pendant les Cent-Jours :
Je n’hésite pas à le dire : il faut introduire dans notre administration intérieure beaucoup de fédéralisme.49
Ce qu’il a fort bien vu ◀d’▶entrée ◀de▶ jeu, c’est qu’un fédéralisme lié à la paix comme l’État-nation l’est à la guerre, doit partir ◀d’▶en bas, des racines, des groupes ◀de▶ base que sont familles, communes, petite patrie, où la voix ◀d’▶un homme puisse porter et le dialogue se nouer sur l’agora.
Des peuples placés dans des situations, élevés dans des coutumes, habitant des lieux dissemblables, ne peuvent être ramenés à des formes, à des usages, à des pratiques, à des lois absolument pareilles, sans une contrainte qui leur coûte beaucoup plus qu’elle ne leur vaut. […] On voit le patriotisme qui naît des variétés locales, seul genre ◀de▶ patriotisme véritable, renaître comme ◀de▶ ses cendres, dès que la main du pouvoir allège un instant son action… Les habitants ◀d’▶une commune trouvent du plaisir à tout ce qui leur donne l’apparence ◀d’▶être constitués en corps ◀de▶ nation… Mais la jalousie ◀de▶ l’autorité les surveille, s’alarme, et brise le germe prêt à éclore… Quelle politique déplorable que celle qui en fait ◀de▶ la rébellion.
On pense aux Gallois, aux Bretons, aux Corses, aux Tyroliens du Sud, aux Catalans naguère, à cent autres régions en Europe, dont la plupart d’ailleurs ne sont pas des ethnies, mais des communautés culturelles et civiques, liées par un passé ou un avenir commun. Et voici la critique décisive du centralisme jacobin (on la retrouve en termes analogues dans trois écrits ◀de▶ Constant à cette époque) :
Dans tous les États où l’on détruit ainsi toute vie partielle, un petit État se forme au centre : dans la capitale s’agglomèrent tous les intérêts ; là vont s’agiter toutes les ambitions ; le reste est immobile50. Les individus, perdus dans leur isolement contre nature… sans contact avec le passé… jetés comme des atomes sur une plaine immense et nivelée, se détachent ◀d’▶une patrie qu’ils n’aperçoivent nulle part, et dont l’ensemble leur devient indifférent, parce que leur affection ne peut se reposer sur aucune ◀de▶ ses parties. La variété, c’est ◀de▶ l’organisation ; l’uniformité, c’est du mécanisme. La variété, c’est la vie ; l’uniformité, c’est la mort.
Le système fondé sur les patries locales — nous dirons les régions — que Constant préconise en ce point, c’est l’antithèse parfaite du centralisme jacobin poussé à l’extrême par les nécessités ◀de▶ la guerre napoléonienne et ◀de▶ la mise en uniforme — morale autant que physique — ◀de▶ la nation. C’est le système fédéraliste par excellence, qui consiste à confier telle tâche donnée à la communauté — municipale, régionale, fédérale, voire mondiale dans quelques cas — ◀de▶ dimensions correspondantes. Tout le secret du fédéralisme est dans cette clé ◀de▶ répartition des compétences.
VII. Fédéralisme européen
En demandant que l’on introduise dans l’administration des États « beaucoup de fédéralisme », Benjamin Constant ajoutait :
Mais un fédéralisme différent ◀de▶ celui qu’on a connu jusqu’ici.51
Nous venons de voir comment il l’entendait pour l’intérieur. Or, il est très certain que « la constitution intérieure ◀d’▶un État et ses relations extérieures sont intimement liées ». Il serait absurde ◀de▶ les séparer et ◀de▶ vouloir à tout prix conserver dans la fédération, à chaque nation, une indépendance absolue tout en refusant à chaque région une autonomie relative. Constant dénonce ici, par avance, l’utopie que l’on opposera, au xxe siècle, sous le nom ◀de▶ « confédération », à toute fédération sincère :
L’on a nommé fédéralisme une association ◀de▶ gouvernements qui avaient conservé leur indépendance mutuelle, et ne tenaient ensemble que par des liens politiques extérieurs. Cette institution est singulièrement vicieuse. Les États fédérés réclament d’une part sur les individus ou les portions ◀de▶ leur territoire une juridiction qu’ils ne devraient point avoir, et ◀de▶ l’autre, ils prétendent conserver à l’égard du pouvoir central une indépendance qui ne doit pas exister. Ainsi le fédéralisme est compatible, tantôt avec le despotisme dans l’intérieur, et tantôt à l’extérieur avec l’anarchie.
C’est ce pseudo-fédéralisme très « vicieux » que récuse Constant. Il veut le contraire : la fédération bien liée ◀d’▶États formés eux-mêmes ◀de▶ régions autonomes. Et il conclut :
Tel est le fédéralisme qu’il me semble utile et possible ◀d’▶établir parmi nous. Si nous n’y réussissons pas, nous n’aurons jamais un patriotisme paisible et durable.
Quoi de plus actuel qu’un message qui nous rappelle, avec une urgence croissante, les conditions vitales ◀de▶ tout avenir ?