Un cap de▶ nouvelle espérance pour ◀le▶ navire désemparé ◀de▶ notre société occidentale (18 septembre 1980)d
I. Nous sommes ici, une fois de plus ensemble, pour essayer ◀de▶ formuler ◀les▶ principes ◀de▶ cohérence ◀de▶ chacun des deux systèmes antagonistes qui s’affrontent dans ◀le▶ monde ◀d’▶aujourd’hui : l’un qui gouverne en fait, qui veut ◀la▶ puissance et qui ◀l’▶a, et qui peut donc en abuser ; l’autre qui voit à quels désastres non seulement humains, mais cosmiques nous mène nécessairement cette volonté ◀de▶ puissance, mais qui ne peut que discourir, presque rien faire, parce qu’il ne dispose pas des moyens ◀d’▶imposer sa vision, son savoir, sa sagesse, parce qu’il ne dispose pas des mass médias, des finances et ◀de▶ ◀la▶ police.
Nous sommes ici pour formuler une fois de plus ◀les▶ relations inévitables entre valeurs morales, procédures politiques et finalités ◀de▶ ◀l’▶économie ; entre ◀l’▶homme créateur et ◀la▶ nature productrice ; entre ◀les▶ formes ◀de▶ ◀l’▶État et ◀la▶ satisfaction des désirs humains ; entre ◀les▶ régions et ◀les▶ rendements énergétiques, etc. ; c’est-à-dire que nous sommes ici pour affirmer une fois de plus ◀l’▶irréductible opposition entre ◀le▶ système régnant des nations souveraines, ◀de▶ ◀la▶ centralisation étatique et ◀de▶ ◀l’▶épuisante énergie nucléaire, système qui comporte et implique ◀la▶ guerre, et ◀le▶ système seul désirable et seul viable : celui des régions fédérées, et des énergies solaires inépuisables, celui qui conduit à ◀la▶ paix, ou qui, du moins, ◀la▶ rend possible.
Je dis bien qu’il n’y a dans notre société que deux systèmes ◀de▶ valeurs radicalement antagonistes : celui qui vise d’abord et peut-être même en fin finale à ◀la▶ Puissance ; et celui qui vise d’abord et surtout en fin finale, à ◀la▶ Liberté.
Dans tous mes livres, j’ai poursuivi une impatiente méditation sur ces deux thèmes, et ce n’est qu’avec mon dernier livre, sur ◀l’▶Avenir , que je suis arrivé à une formule assez simple pour me convaincre, et que voici :
— ◀la▶ Puissance, c’est ◀le▶ pouvoir que ◀l’▶on prend sur autrui.
— ◀la▶ Liberté, c’est ◀le▶ pouvoir que ◀l’▶on prend sur soi-même.
II. Il me paraît très important ◀de▶ porter maintenant notre réflexion écologique sur ◀l’▶économie, et ◀de▶ vérifier que, dans ce domaine aussi, ◀les▶ écologistes ne peuvent manquer ◀de▶ trouver un langage spécifique, pour des analyses analogues et surtout, pour des projets communs.
◀Les▶ conférences que vous allez entendre en seront témoins, j’en suis sûr : qu’il s’agisse ◀de▶ celle ◀de▶ mon collaborateur et ami Orio Giarini, ◀de▶ celle ◀de▶ René Passet dont ◀Le▶ Monde publiait il y a quelques jours une interview ◀d’▶une extrême densité et à mon sens entièrement convaincante, ◀de▶ celles enfin ◀de▶ Georgescu-Roegen et ◀d’▶Ivan Illich, toutes convergent : ◀l’▶économie doit être faite pour ◀l’▶homme et non ◀l’▶homme pour ◀l’▶économie.
Or ◀l’▶homme vient de changer au xx e siècle plus vite qu’il n’a changé depuis vingt siècles.
◀Les▶ membres ◀d’▶Ecoropa ne sont pas ◀les▶ seuls à en tirer des conséquences à bien des égards révolutionnaires, telle que celle des rendements décroissants ◀de▶ ◀la▶ technologie, des déséconomies ◀d’▶échelle, ◀de▶ ◀la▶ correspondance organique entre complexité et stabilité, entre diversité et possibilités ◀d’▶union…
III. Mais après ? Ce consensus devrait se traduire au plus vite en mesures concrètes dans nos sociétés actuelles, où sont en train de s’organiser des désastres très exactement calculables…
Mais rien n’annonce une telle évolution. Bien au contraire ! ◀La▶ toute récente conférence internationale sur ◀l’▶énergie, à Munich, a fait voir à quel point ◀les▶ dirigeants politiques et économiques ◀de▶ nos États-nations sont encore extrêmement et comme naïvement prisonniers des valeurs du xix e siècle : rentabilité — profit — quantité — centralisation à tout prix — en vue de ◀la▶ guerre.
◀Les▶ valeurs du xix e siècle se prolongent parmi nous malgré tout ce qui ◀les▶ nie, ◀d’▶Hiroshima à Téhéran. Il est tard en Europe. Il est très tard !
Je propose que notre prochaine rencontre, aussi prochaine que possible, soit consacrée à ◀l’▶examen des mesures tactiques et stratégiques, susceptibles ◀de▶ tirer un parti constructif des catastrophes d’ores et déjà inévitables.
Nos recherches et nos discours ne peuvent à peu près rien changer dans ◀l’▶immédiat. Seules, ◀les▶ catastrophes prochaines — à condition qu’elles ne soient pas totales, évidemment — pourront secouer ◀l’▶inertie générale, changer ◀l’▶état d’esprit des responsables (ou des irresponsables) qui nous gouvernent et des masses qui ◀les▶ suivent aveuglément.
Et c’est à ce moment-là qu’un mouvement comme le nôtre pourra trouver sa chance ◀d’▶agir, c’est-à-dire ◀d’▶orienter ou ◀de▶ réorienter ◀le▶ cours réel des évènements. Je vois ◀le▶ rôle futur ◀d’▶Ecoropa comme celui ◀d’▶une équipe ◀de▶ premiers secours, intellectuel et imaginatif, first aid team, capable ◀de▶ faire voir immédiatement ◀les▶ raisons et ◀les▶ conséquences ◀de▶ ces avertissements par ◀le▶ désastre, capable surtout ◀de▶ faire voir ◀de▶ nouveaux buts pour ◀le▶ progrès humain, et ◀de▶ fixer un nouveau cap, un cap ◀de▶ nouvelle espérance pour ◀le▶ navire désemparé ◀de▶ notre société occidentale.