Les Nations unies des animaux (13 décembre 1980)t u
Les▶ animaux ne parlent pas, et c’est pourquoi nous sommes ici.
◀Les▶ animaux ne parlent pas comme nous parlons — avec des mots. Mais ils vivent comme nous ◀la▶ douleur et ◀la▶ joie, ◀la▶ peur et ◀l’▶amour, ◀la▶ curiosité, avec cette espèce de béance anxieuse du regard devant ◀l’▶impénétrable et ◀l’▶indicible… Il nous faut donc parler pour eux.
Parler pour eux, et de leur part, aux hommes qui ◀les▶ méprisent, ◀les▶ torturent, ◀les▶ massacrent, qu’il s’agisse des bébés phoques, du Labrador ou, dans ◀les▶ campagnes toutes proches d’ici, des petits veaux engraissés dans leur cuve en ciment, nourris au tube de caoutchouc et à ◀la▶ seringue, qui mourront sans avoir jamais ouvert ◀les▶ yeux sur une prairie ensoleillée.
Parler pour eux, dire ◀la▶ plainte muette des créatures que ◀l’▶homme a trop souvent nommées des « bêtes brutes », quand elles étaient rendues telles, à vrai dire, par ◀la▶ bêtise et ◀la▶ brutalité des hommes.
On fait grand cas, dans ◀les▶ magazines scientifiques, des animaux qui apprennent à parler et surtout à comprendre un peu nos langages d’hommes. ◀Les▶ merveilleux dauphins sont ◀les▶ vedettes de cette campagne d’alphabétisation, — mais attention !
Je salue les Nations unies des animaux mais je recule avec horreur devant ◀l’▶idée d’une Unesco des animaux ! Car ◀les▶ mots que nous pouvons leur apprendre n’expriment rien de leur être et de leurs émotions : ce sont des ordres que nous leur donnons, et leurs réponses disent « À vos ordres ! » et rien de plus. Nous ◀les▶ conditionnons, nous ne communiquons pas !
Communiquer avec ◀le▶ monde des animaux relève du sentiment, de ◀l’▶intuition, de ◀l’▶accueil aux mystères du vivant. ◀Le▶ fait bien établi que ◀les▶ animaux plus que nous soient susceptibles de mourir d’émotion tend à prouver qu’ils sont plus capables que nous d’une certaine civilisation : celle du cœur, non du seul intellect, celle de ◀l’▶amitié, de ◀la▶ confiance, non pas celle des missiles nucléaires, du chômage et de ◀la▶ destruction irréversible des forêts, du plancton des océans et de ◀l’▶air respirable.
◀La▶ seule compréhension, mais alors très profonde, qui unisse ◀l’▶homme et ◀l’▶animal, elle est d’ordre émotif, affectif. Elle se passe dans ◀le▶ regard, qui attend tout de nous !
Car c’est de ◀l’▶homme, par ◀l’▶homme, à travers ◀l’▶homme que ◀les▶ grands peuples d’animaux attendent ◀le▶ salut, sans ◀le▶ savoir peut-être — mais que savons-nous de ce qu’ils savent ?
Que ◀l’▶homme soit responsable de ◀la▶ Nature vivante, et de sa corruption ou de sa survie, ◀l’▶écologie nous ◀l’▶a rappelé au cours des deux dernières décennies avec une efficacité peut-être imperceptible, mais d’autant plus pénétrante : on répétait qu’il s’agissait seulement d’une mode. Cette erreur a distrait ◀la▶ méfiance des saccageurs de ◀la▶ Nature, et elle nous a permis d’agir en profondeur.
Mais ◀la▶ responsabilité de ◀l’▶homme devant ◀la▶ Nature et ◀les▶ bêtes n’est pas seulement métaphorique et poétique : elle est tout à la fois matérielle et morale, tout à la fois scientifique et religieuse. Et son expression ◀la▶ plus haute dans ◀la▶ tradition biblique très largement commune aux trois grandes religions du Livre, ◀la▶ juive, ◀la▶ chrétienne et ◀l’▶islamique, a été donnée par saint Paul, au chapitre VIII de ◀l’▶Épître aux Romains (que je vais lire dans ◀la▶ traduction de Calvin, pour le premier verset) :
◀La▶ création tout entière, dans une attente ardente, attend ◀la▶ révélation des fils de Dieu.
Car ◀la▶ création a été soumise à ◀la▶ corruption non de son gré, mais à cause de celui qui ◀l’▶y a soumise — avec ◀l’▶espérance qu’elle aussi sera affranchie de ◀la▶ servitude de ◀la▶ corruption, pour avoir part à ◀la▶ liberté et à ◀la▶ gloire des enfants de Dieu.
Or nous savons que jusqu’à ce jour ◀la▶ création tout entière soupire et souffre dans ◀les▶ douleurs de ◀l’▶enfantement.
Et ce n’est pas elle seulement, mais nous aussi, qui avons ◀les▶ prémices de ◀l’▶Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes en attendant ◀la▶ rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés.
Mais « notre corps » : c’est ◀l’▶animal en nous !
Ainsi ◀la▶ tradition biblique-évangélique confirme ◀la▶ continuité de ◀la▶ Création tout entière, dans ◀la▶ relation de ◀l’▶animal à ◀l’▶homme, j’entends de ◀l’▶homme à ◀la▶ Nature vivante et au Cosmos, où ◀le▶ règne animal est ◀le▶ plus proche de ◀l’▶homme.
◀Les▶ religions de ◀l’▶Asie approchent ce même mystère par leur croyance aux réincarnations et leur respect absolu de ◀la▶ vie sous toutes ses formes.
Ici encore, nous ◀le▶ voyons bien : nous ne serons sauvés que tous ensemble, solidaires dans ◀la▶ même espérance, dont il nous faut témoigner désormais par des actes à la fois symboliques et concrets, poétiques et politiques, tels que celui que propose aujourd’hui Franz Weber.