Information n’est pas savoir (octobre 1981)cp
Avant-propos
Une des raisons principales du désarroi dans lequel nous jettent les récents développements de▶ la technologie et, en général, des sciences physiques, chimiques et biologiques, consiste dans notre inaptitude à relier nos moyens et nos buts, à subordonner les premiers aux seconds et à les évaluer globalement par rapport aux fins dernières ◀de▶ l’homme.
C’est pourquoi je suggère ◀d’▶envisager le problème ◀de▶ l’informatique dans des perspectives très différentes ◀de▶ celles des auteurs des articles qui précèdent. Je ne ferai pas référence à leur problématique immédiate — utilité certaine, nuisances possibles, aspects économiques et sociaux à court ou à moyen terme — mais à leurs relations avec les processus ◀de▶ pensée, les valeurs éthiques et spirituelles, la formation culturelle et l’éducation des générations à venir.
1. L’informatique, une révolution ?
Une rumeur s’élève dans le siècle : l’informatique serait une révolution ! Prenons garde à la métaphore ; il en est peu qui égarent davantage l’esprit ◀de▶ nos contemporains. Dans le domaine proprement scientifique, l’Europe n’a connu qu’une seule révolution au sens propre du terme : c’est la théorie ◀de▶ Copernic démontrant que la Terre tourne autour du Soleil.
Tout le reste est littérature. Toutes les autres découvertes ◀de▶ la Science ou les inventions ◀de▶ la Technologie n’ont été que par métaphore des « révolutions ». Par révolution, l’on voulait désigner des changements profonds et ◀de▶ portée générale, des mutations ou des chambardements soudains ◀de▶ la société, mais non pas du tout un retour à la position ◀de▶ départ, comme le disait le terme primitif. Or, toute « révolution » au sens métaphysique, devenu surtout politique depuis la fin du xviiie siècle français, peut être vue ◀de▶ deux manières contradictoires par ceux qui l’ont fomentée et par ceux qui l’ont subie. Aux yeux des premiers, elle apparaît comme un élan ◀de▶ libération ◀de▶ l’homme ou ◀d’▶une classe opprimée ; aux yeux des seconds, elle se ramène au renforcement des contraintes publiques et du contrôle des personnes. Et il est vrai, comme l’écrivait Lénine en 1917, que les révolutions bourgeoises n’ont abouti qu’à renforcer l’État central et les pouvoirs ◀de▶ la police. Mais Lénine se trompait sur l’adjectif, en attribuant ces maux aux formes « bourgeoises » ◀de▶ la révolution, comme il allait le prouver dès octobre 1917, par sa propre révolution dite « prolétarienne ».
Voilà qui ne manquera pas ◀d’▶évoquer les deux dangers majeurs qui semblent avoir frappé le grand public subitement confronté à la « révolution informatique » : les pouvoirs accrus ◀de▶ l’État central et ◀de▶ sa police, et par ce que le Conseil de l’Europe nomme « le traitement automatisé des données ◀de▶ caractère personnel », c’est-à-dire la mise en fiche ◀de▶ tous les citoyens.
On me dira que le grand public n’y entend rien, qu’il est mal informé, précisément. Sans doute, mais chacun ◀de▶ nous sait bien que toute innovation technique, qu’on la qualifie ou non ◀de▶ « révolutionnaire » pour les besoins ◀de▶ la « pub » ou ◀de▶ l’« intox », présente les mêmes caractères ◀d’▶ambivalence, les mêmes potentialités antinomiques ◀de▶ libération ou ◀de▶ contraintes accrues, à doses variables selon l’ampleur ◀de▶ ses effets et leur correspondance ou non avec telle pente générale ◀de▶ l’esprit humain.
Si l’informatique mérite vraiment ◀d’▶être présentée comme une révolution, nous avons le devoir absolu, et donc le droit, ◀de▶ poser à son sujet les grandes questions, et notamment la question des finalités réelles que l’on poursuit en développant l’informatique.
Le célèbre psychologue et pédiatre Bruno Bettelheim, auquel on avait demandé une conférence sur le cinéma pour l’American Film Institute, hésita beaucoup, finit par accepter, et lut ou parcourut — dit-il — environ 500 volumes sur le sujet, puis commença par cette phrase : « My starting point in preparing for the lecture is why should anybody go to the movies ? What do they do for the soul ? » Plus modeste, je dirai que ma question sur l’informatique n’est que celle-ci : « En quoi favorise-t-elle la liberté et la responsabilité — inséparables — ◀de▶ la personne ? »
2. Et d’abord, ◀d’▶où vient l’informatique ?
Le premier ordinateur, l’ENIAC, a été construit et terminé en 1945 à l’Université ◀de▶ Pennsylvanie. Il avait été commandé par le laboratoire ◀de▶ recherches balistiques ◀de▶ l’armée américaine. Cette technique n’est pas née en vue de la sagesse, ni pour satisfaire un besoin humain. Elle est née, comme tant d’autres, ◀de▶ la guerre, et pour répondre à des besoins particuliers ◀de▶ l’armement.
Et ensuite ? Selon Simon Nora et Alain Minc76 : « l’histoire ◀de▶ l’informatique s’identifie à un enchaînement ◀d’▶innovations techniques ». Il semble bien, à lire cette phrase, qu’à aucun des stades ◀de▶ son développement, l’informatique n’ait répondu à l’appel ◀d’▶une finalité, fût-elle ◀de▶ paix, ◀de▶ bonheur, ◀d’▶équilibre, ◀de▶ liberté et ◀de▶ responsabilité accrues ◀de▶ la personne. ◀De▶ là notre problème et le sujet que je souhaite aborder.
3. Ambivalence ◀de▶ la technologie
Il m’importe ◀d’▶insister tout d’abord sur ce point : je ne suis pas et n’ai jamais été pour des raisons ou préjugés quelconques contre ce qu’on nomme aujourd’hui les techniques ◀de▶ pointe, telles que l’informatique, la télématique, et tous les iques qu’on en tire à la mode américaine. Je suis bien décidé à les utiliser au maximum pour mes recherches personnelles ; j’entends partout où cela me paraît « possible ». Un exemple à l’appui de mes dires : un jour, qu’avec Louis Armand nous discutions des complexités effarantes auxquelles une politique fédéraliste aurait à faire face — au niveau national ou paneuropéen, je lui dis (paraphrasant le mot célèbre ◀de▶ Lénine sur « les soviets plus l’électricité ») : « J’ai la solution : le fédéralisme, c’est l’autonomie des régions, plus les ordinateurs. » Et il me répondit, j’en suis très fier : « Celle-là, vous me rendez jaloux ◀de▶ ne pas l’avoir trouvée ! »
En premier lieu, n’oublions jamais l’ambivalence inévitable ◀de▶ toutes nos technologies :
— la « révolution » technique ◀de▶ l’automation devait amener l’ère des loisirs et nous sommes dans l’ère du chômage ;
— la productivité sans cesse accrue ◀de▶ l’industrie annonçait l’abondance, et nous avons des pénuries multipliées en Occident, et des famines dans le tiers-monde ;
— l’informatique nous propose aujourd’hui ◀de▶ « penser pour nous », plus vite que nous, mais elle crée le risque ◀d’▶atrophier nos facultés ◀de▶ mémoire, ◀de▶ jugement et ◀de▶ création, tout en multipliant une espèce prospère ◀de▶ débiles mentaux efficaces.
4. Refondement du problème des finalités
Disons tout de suite que ce n’est pas la technique que nous devons rendre responsable ◀de▶ ces progrès à contre-fins, mais bien une société qui refuse ◀d’▶envisager les transformations radicales, dans la répartition des profits notamment, qui seraient sans nul doute nécessaires pour que l’innovation développe ses effets bénéfiques pour l’ensemble du genre humain.
À l’origine ◀de▶ nos problèmes présents ◀de▶ civilisation scientifico-technique, il y a, en Occident, quelque chose comme un refus ◀d’▶envisager, avant toute application industrielle et commerciale ◀d’▶une invention, ses conséquences trop facilement qualifiées ◀de▶ « révolutionnaires », alors qu’elles ne seront peut-être que bouleversantes, au hasard et aux dépens de l’homme. Je constate, par exemple, quelque chose comme un refus ◀d’▶imaginer, ◀de▶ supputer, ◀d’▶étudier sérieusement les régimes sociaux qui permettraient ◀de▶ transformer le chômage en loisirs, ou la productivité en moyens ◀de▶ faire vivre, et non ◀de▶ tuer, c’est-à-dire en aliments pour le corps et l’esprit plutôt qu’en armements. Mais il faut que je le précise ici très soigneusement : quand je parle ◀d’▶un refus, je ne suppose pas le moins du monde qu’après concertation entre philosophes, scientifiques, industriels, éducateurs et technocrates, une décision négative, du type « la question ne sera pas posée », ait été prise en toute conscience. Bien plus que ◀d’▶un refus délibéré, il s’agit ◀d’▶un réflexe ◀de▶ fuite devant le problème, ◀d’▶un refoulement au sens freudien du terme, ◀d’▶une espèce ◀de▶ blocage des esprits devant ce qu’ils pressentent ◀de▶ l’effarante complexité du problème et ◀de▶ ses aspects possiblement sinistres.
Les Occidentaux ◀de▶ l’ère industrielle, scientifico-technique et censément rationaliste, me paraissent s’en tenir dans leur ensemble à une conduite typiquement infantile : devant les nouveaux jouets technologiques ◀de▶ pointe qu’on leur propose et dont on les persuade qu’ils doivent s’enorgueillir — « grâce à vous, nous nous sentons de nouveau des géants », disait le président Reagan aux cosmonautes ◀de▶ la fusée Columbia —, ils ne voient d’abord que les facilités et les pouvoirs que cela peut leur apporter, non les dangers et encore moins les responsabilités accrues que cela institue. Ils ne voient que l’innovation — éphémère par définition — mais refusent ◀de▶ prévoir les dommages, souvent irréversibles, qui pourraient en être le prix.
Il faut avouer que cela ne se comprend que trop, si l’on pense aux démentis en rafales que subissent les plus grands spécialistes ◀de▶ la futurologie dite scientifique dans leurs prévisions économiques et politiques. Qu’il s’agisse ◀de▶ l’auto, du pétrole ou ◀de▶ l’énergie, ◀de▶ la percée japonaise, ◀de▶ l’Iran, ◀de▶ l’Afghanistan ou ◀de▶ Lech Walesa, rien n’avait été correctement prévu, tout nous a pris au dépourvu dans les événements marquants ◀de▶ la dernière décennie.
Alors, devant cet avenir vertigineux ◀d’▶imprévisibles en système, faut-il baisser les bras et continuer comme ◀de▶ coutume, c’est-à-dire : faire d’abord, quand il est trop tôt pour rien prévoir, et réfléchir ensuite, quand il est trop tard pour rien changer ?
C’est ce qui est arrivé avec l’énergie nucléaire : on a bâti des centrales, puis on s’est demandé comment réduire leurs déchets radioactifs. On ne le sait toujours pas, et même ◀de▶ moins en moins, s’il faut en croire le rapport américain Globe 200077. Les déchets s’accumulent inexorablement. Arrêter les centrales créerait, dit-on, une pénurie sans précédent ◀d’▶énergie électrique, cependant que les méthodes ◀de▶ retraitement envisagées posent des problèmes de plus en plus inextricables, tant politiques que techniques.
La situation ne paraît pas encore aussi sérieuse dans le cas ◀de▶ l’informatique. Mais la prévisibilité des conséquences à long terme, directes, indirectes ou induites, et ◀de▶ leurs combinaisons, convergences ou conflits, nous inviterait à renoncer nous aussi à tout effort ◀de▶ prospective et même ◀de▶ réflexion sur l’avenir informatisé. Je refuse cette invitation.
J’ai toujours pensé que nous ne sommes pas sur la Terre pour essayer ◀de▶ deviner l’avenir, mais pour le faire. Voici le moment ◀d’▶appliquer ma formule.
Faute ◀de▶ pouvoir connaître les conséquences lointaines sur l’homme, la société et la nature, ◀de▶ nos innovations technologiques, je propose donc le plan suivant :
1. comprendre la vraie nature ◀de▶ l’innovation et ses visées, en vérifiant la définition ◀de▶ ses termes ◀de▶ base ;
2. soumettre à un certain nombre ◀de▶ critères ◀d’▶usage toute innovation technique qui réclame droit ◀de▶ cité, c’est-à-dire ◀de▶ production et ◀de▶ vente ;
3. évaluer, avec l’aide des critères ◀d’▶usage, les avantages et les dangers qu’une exploitation « sauvage » ◀de▶ l’informatique laisserait prévoir dès maintenant, et que l’on peut encore prévenir.
Ce plan sera celui ◀de▶ la seconde partie ◀de▶ ma communication.
5. Un peu de sémantique
Pour une définition des termes relatifs à l’information en général et à l’informatique en particulier, il me semble que l’anglais se prête mieux que le français à un premier tri lexical. Il établit à première vue une distinction très nette entre
data — news — knowledge
les deux premiers termes désignant deux sortes ◀d’▶informations, le troisième désignant les résultats ou résultantes dans un individu ◀de▶ ces informations. Cela correspond plus ou moins, en français, à
données (permanentes) — nouvelles (du jour) — savoir (intégré ou connaissance)
Pour le mot information, Littré donne cette définition : « Terme ◀de▶ philosophie. Action ◀d’▶informer, ◀de▶ donner une forme. » Exemple : « L’homme est l’information suprême et comme la vivante synthèse des forces créatrices du globe. »78
Information signifiait traditionnellement, dès Aristote, formation par les données ◀de▶ fait observées et les expériences vécues, intégrées dans la mémoire ◀de▶ l’individu. Le sens ◀de▶ « nouvelles du jour » qu’a pris le mot, à l’époque des mass médias, est des plus contestables, mais s’est imposé.
Ce qui ressort ◀de▶ ce premier tri sémantique appelle les commentaires suivants :
a) l’information (data + news) n’est pas du tout synonyme ◀de▶ savoir ou ◀de▶ connaissance, que seule une personne peut intégrer. L’information ne nous dit pas ce qui est conforme ou non aux grands buts que les religions assignent à l’humanité : la paix, la liberté, l’amour. Informer au sens ◀d’▶aujourd’hui (des médias) n’est pas former l’esprit, mais peut-être même le déformer. Information n’est pas savoir ; savoir n’est pas encore sagesse ; de même que sagesse n’est pas encore Amour (cet « amour qui nous rendra la liberté », comme le dit une chanson populaire et sublime) ;
b) quand quelqu’un dit : « Je sais maintenant ce que c’est que la peur ! » ou « Je sais maintenant ce que c’est que l’amour » il ne parle pas ◀d’▶une information qu’il viendrait de recevoir, mais ◀d’▶une expérience qu’il vient de vivre ;
c) Littré définit Savoir comme « connaissance acquise par l’étude, par l’expérience ». Il est remarquable que connaissance soit au singulier, c’est-à-dire représente une globalisation des connaissances ponctuelles des informations stockées dans les ordinateurs ou dans les cerveaux ;
d) je ferais volontiers entrer dans cette définition des mots tels que jugement, des expressions telles que : avoir du jugement, juger avec finesse, dont il est évident que l’ordinateur ne saurait que faire ;
e) mais si l’information (data + news) augmente nos pouvoirs physiques, il devient impératif et vital ◀d’▶augmenter simultanément et à proportion notre sagesse morale et spirituelle, qui est le sens des fins dernières auxquelles doivent s’ordonner nos moyens. Principe ◀de▶ base : il est mortellement dangereux ◀d’▶augmenter les pouvoirs matériels ◀de▶ l’homme, qu’il va mettre bien sûr au service ◀de▶ ses passions ◀de▶ puissance sur autrui et ◀de▶ destruction, si l’on n’augmente pas en même temps les pouvoirs ◀de▶ l’esprit au service des fins dernières ◀de▶ la personne, donc ◀de▶ sa liberté ◀d’▶obéir à sa vocation particulière :
f) il faut se garder ◀de▶ céder à la tentation journalistique ou carrément publicitaire ◀d’▶appliquer à l’ordinateur, par métaphore, des facultés spécifiquement humaines comme mémoire, pensée, intelligence. Je me bornerai ici au mot mémoire.
La prétendue mémoire ◀d’▶un ordinateur se distingue radicalement ◀de▶ celle ◀de▶ l’homme en ceci qu’elle n’est pas l’histoire ◀d’▶un individu enregistrée dans son cerveau, et encore moins celle ◀de▶ toute l’espèce, enregistrée dans ses gènes, mais un simple stockage ◀d’▶informations ponctuelles et ◀d’▶archives classées. S’il est un processus ◀de▶ la mémoire personnelle qu’un ordinateur ne pourra jamais reproduire, c’est bien celui décrit par Proust à propos de la petite madeleine trempée dans du thé79, dont la saveur lui restitue dans une lente montée ◀d’▶émotion presque angoissée toute la magie sensuelle, sensible et sentimentale, ◀de▶ son enfance dans le bourg ◀de▶ Combray. Proclamer que la « mémoire » ◀d’▶un ordinateur a « une capacité dix fois supérieure à la mémoire ◀d’▶un homme » ne veut absolument rien dire, pour peu que l’on pense à Proust ou à sa propre enfance.
6. Quelques critères ◀d’▶usage ◀de▶ toute innovation technique
Lorsque Henry Ford inaugura, en 1899, la première fabrique ◀d’▶automobiles, personne n’eut l’idée ◀de▶ prévoir ce que serait l’avenir dans l’hypothèse — alors très peu probable — ◀d’▶un succès total ◀de▶ cette machine. Personne n’imagina nos villes éclatées, embouteillées, irrespirables, nos campagnes bétonnées, les chars et l’aviation, les compagnies pétrolières et l’industrie automobile occupant régulièrement les premières places du palmarès mondial ◀de▶ Fortune, et le sort ◀de▶ toute l’industrie occidentale suspendu aux décisions ◀de▶ quelques émirs du golfe Persique. La première question à poser devant une invention technique est donc : en cas ◀de▶ succès total, quels pourront être ses effets ?
Le recours à des critères moraux respectés dans tout l’Occident eût induit à rejeter le travail à la chaîne, qui réduit la personne à l’état ◀d’▶instrument, contrairement au précepte fondamental ◀de▶ Kant, et qui justifie la phrase ◀de▶ Marx sur l’ouvrier que le travail industriel réduit à n’être plus que « le complément vivant ◀d’▶un mécanisme mort ». ◀D’▶où un deuxième critère : écarter délibérément toute innovation dont l’une des conditions ◀de▶ succès s’annoncerait comme incompatible avec la liberté ◀de▶ la personne. Or, l’idée ◀de▶ créer ◀de▶ très grandes unités ◀de▶ production est née du seul souci ◀de▶ rationaliser pour augmenter le profit aux dépens de la main-d’œuvre.
Notre troisième critère sera le complément du second, comme la responsabilité l’est ◀de▶ la liberté : refuser toute innovation qui entraînerait nécessairement ou favoriserait par sa nature des entreprises ◀de▶ taille monstrueuse et des concentrations toujours croissantes ◀de▶ pouvoir, aux dépens de l’autonomie des communautés locales et régionales et ◀de▶ la participation des citoyens à leur gestion.
Le quatrième critère nous est devenu familier depuis quelques années seulement. Il nous commande ◀d’▶éviter tout ce qui peut polluer notre milieu social ou naturel, et de même tout ce qui menace ◀d’▶épuiser à court terme les ressources naturelles non renouvelables, en vertu d’une croissance exponentielle des besoins, artificiellement provoquée.
Plusieurs auteurs80 ont remarqué qu’il serait sage que l’industrie parte non pas des possibilités ◀de▶ la technologie, mais des besoins existants (contrairement à la phrase citée plus haut ◀de▶ Nora et Minc sur l’histoire ◀de▶ l’informatique qui « s’identifie à un enchaînement ◀d’▶innovations techniques »). Ceci est notre cinquième critère.
Quand une technique nouvelle s’avère capable ◀de▶ changer ou ◀de▶ supprimer un rythme, une durée, une structure temporelle ◀de▶ la vie et ◀de▶ la création humaines, il ne s’agit pas nécessairement ◀d’▶un progrès, mais peut-être ◀d’▶une agression contre l’espèce ou contre ses élites créatrices. Ainsi, sixième critère, on doit s’abstenir ◀d’▶appliquer cette technique tant que le doute n’est pas levé par une expérimentation très poussée.
Enfin, septième critère, il faut éviter tout ce qui risque ◀d’▶entraîner une vulnérabilité excessive ◀de▶ l’industrie par une dépendance trop étroite soit ◀de▶ puissances politiques nationales, soit ◀de▶ ressources naturelles épuisables que l’on ne contrôle pas (pétrole et uranium dès aujourd’hui, mais demain eaux, forêts, aliments).
7. Avantages ◀de▶ l’informatique
Ils crèvent les yeux. Qui pourrait nier l’utilité ◀de▶ l’informatique dans les domaines sans cesse plus nombreux que peuvent traiter les ordinateurs : temps ◀de▶ calcul réduit ◀de▶ 12 mois à une semaine pour la construction ◀d’▶un barrage ; services hospitaliers ; statistiques et recensements opérés presque sans papier, ◀d’▶où le sauvetage ◀de▶ grandes forêts ; calcul des impôts ; lancement des fusées spatiales… Pour ne rien dire (bien que ce soit peut-être décisif) des « avantages » que les ordinateurs ont présentés dès leur apparition pour toutes les défenses nationales du monde. Je n’allonge pas. La cause est entendue et d’autres sont mieux placés que moi pour l’illustrer et la défendre.
Je serai un peu plus long sur les dangers, ou plutôt sur les risques probables que j’imagine et sur lesquels il me paraît encore possible ◀d’▶alerter l’attention des responsables.
8. Les dangers ou plutôt les risques
La vitesse. L’argument le plus souvent invoqué en faveur de l’informatique est celui qui me paraît le plus inquiétant dès que l’on sort du numéral et du quantitatif pur : c’est l’argument ◀de▶ la rapidité fabuleuse des opérations ◀de▶ logique ou ◀de▶ calcul dont les ordinateurs sont capables. Dans tous les domaines que je viens de citer, où l’informatique est sans conteste avantageuse, la durée ◀d’▶une opération est tenue pour une perte, soit ◀de▶ temps, soit ◀d’▶argent, soit ◀d’▶efficacité, à juste titre dans la plupart des cas.
Mais dans tous les autres domaines : biologique, affectif, artistique, pédagogique, éthique, spirituel, la durée joue un rôle positif, réel, existentiel, souvent constitutif du phénomène considéré, comme c’est évidemment le cas pour la musique.
On nous apprend que l’homme peut absorber normalement 80 000 informations par jour, alors qu’on l’en gave déjà ◀de▶ 200 00081. Cet « information overload » est négatif, inutile et devient même toxique. C’est un embouteillage ◀de▶ communication.
On nous dit que l’ordinateur, interrogé sur un problème psychologique, « pense » beaucoup plus vite que le cerveau humain. Mais cela n’est pas utile pour la personne qui interroge, car il lui faudra le même temps pour comprendre réellement la réponse, qu’elle n’en eût mis à trouver cette réponse, c’est-à-dire à vivre le processus ◀de▶ changement qui permet ◀de▶ la réaliser (au sens anglais). (Je suppose que la réponse est connue, comme dans la plupart des problèmes psychologiques ou éthiques, la difficulté n’étant pas ◀de▶ la connaître, mais ◀de▶ la vivre, jusqu’à la solution réelle.)
La solution quasi instantanée — calculée en « nanos » ou milliardièmes ◀de▶ seconde — ◀d’▶un problème, n’est utile que dans les domaines où la durée n’est pas vécue, ne fait pas partie ◀de▶ la nature du problème et du processus même ◀de▶ sa solution. Mais dans tous les domaines où la personne humaine est impliquée, par sa biologie, sa psychologie ou son affectivité, la vitesse indéfiniment multipliée devient un facteur destructif ◀de▶ tout ce qui requiert un travail ◀d’▶assimilation, ◀de▶ digestion, ◀d’▶intégration ou ◀d’▶appropriation. Il serait stupide ◀de▶ se nourrir le corps et l’esprit plus vite et plus souvent qu’ils ne peuvent digérer et assimiler. « Cuire le dîner ◀de▶ famille en une minute dans un four à ondes courtes »82 peut dépanner une ménagère, mais mitonner ou laisser mijoter est la condition ◀de▶ réussite des meilleurs plats. Réduire une méditation au temps ◀d’▶un clin d’œil n’a aucun sens, et faire l’amour en deux nanosecondes paraît absolument dépourvu ◀d’▶intérêt.
Dans la société entièrement informatisée qu’on nous prépare, c’est la saveur même ◀de▶ la vie que l’homme n’aura plus le temps ◀de▶ goûter et qu’on ne pourra lui rendre, même au prix de milliards ◀de▶ bits à la seconde. « Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces ◀d’▶un grand spirituel, découvrira ce luxe inouï : la lenteur au sein du silence. »83
La réduction au rationnel technique, entrée dans la vie quotidienne des Occidentaux aux débuts ◀de▶ ce siècle par l’électricité, l’auto, l’avion, le téléphone et la télévision, nous prépare certes à penser ou à imaginer selon des schémas déduits ◀de▶ la seule réalité physique et ◀de▶ ses mécanismes, mais elle ne me paraît pas encore avoir modifié substantiellement nos modes ◀de▶ penser, ◀de▶ sentir, ni ◀de▶ croire. L’informatique peut aller beaucoup plus loin d’ici à l’an 2000. En permettant ◀de▶ calculer et combiner en lieu et place de nos cerveaux tout ce qui peut être exprimé en termes logiques et chiffrables, elle nous fait entrer dans un monde où les ordinateurs, ayant « traité » nos problèmes, nous restitueront une réalité toujours mieux réduite au rationnel, purifiée ◀de▶ tout mystère, de plus en plus dépersonnalisée et comme prédigérée pour établir plus facilement les connexions entre ordinateurs et cerveaux humains, ces derniers se trouvant progressivement intégrés au réseau des premiers. Ceci facilitera, sans aucun doute, les communications — mais ◀de▶ quoi ? ◀De▶ ce qui est rigoureusement pareil pour tous et en tous, et non pas ◀de▶ ce qui révélerait l’unicité ◀d’▶une personne, ◀de▶ ce qui serait donc le plus intéressant à connaître.
En bref, la technique tend par sa nature même à favoriser et propager une forme ◀de▶ communication ◀de▶ ce qui est déjà commun à tous les hommes, ◀de▶ tout ce qui peut donc s’exprimer dans ses « langages » ◀d’▶informatique, mais ◀de▶ rien ◀de▶ ce qui serait nouveauté radicale, créée, unique, à révéler… Elle tend donc à favoriser et propager une forme ◀de▶ pensée aseptisée, rationalisée, mise à l’abri des « troubles mentaux » et des « utopies délirantes » (c’est-à-dire du non-conformisme politique ou social dans certains régimes), mais aussi du lyrisme et ◀de▶ la poésie en général, le tout dans un langage que l’on aura rendu systématiquement incapable ◀de▶ communiquer l’inexprimable.
Dans ce sens, une certaine « robotisation » des esprits est à redouter ; on peut craindre un conformisme rationalo-matérialiste et la perte ◀de▶ tout esprit ◀de▶ résistance aux états-majors des puissances stato-nationales ou industrielles, commerciales ou bancaires qui auraient su monopoliser l’informatique et la télématique.
9. L’École sans maître : « Plato » ou le gourou ?
L’exemple ◀de▶ l’école à venir va me permettre ◀d’▶illustrer en quelques mots l’essentiel ◀de▶ ce que je viens ◀d’▶avancer.
On nous propose aujourd’hui, avec une insistance croissante, l’école sans maîtres. C’est une idée qui a germé dans le cerveau du PDG de Control Data, qui l’a baptisée Plato. Il s’agirait ◀d’▶un apprentissage ◀de▶ données et ◀de▶ structures sur tous les sujets, au moyen ◀d’▶ordinateurs remplaçant les manuels et le maître. Cela pourrait se passer au domicile ◀de▶ l’élève, s’il bénéficiait ◀d’▶un terminal. Et dans ce cas, l’école sans maîtres ne serait même plus une école, et rappellerait le fameux couteau ◀de▶ Lichtenberg ; couteau sans lame dont on avait perdu le manche84.
Relevons tout de suite une erreur dans la définition du projet Plato : ce n’est pas une école sans maîtres, puisque ce sont en fait des maîtres qui ont programmé les ordinateurs. Simplement, ils ne sont pas là, c’est-à-dire qu’ils trahissent leur fonction principale.
Tout professeur — et je l’ai été dans différents pays et universités, pendant vingt ans — découvre un jour à sa plus grande surprise que ce qui reste ◀de▶ son enseignement, c’est ce qui n’était pas au « programme » ; c’est ce qu’il a communiqué à son insu à ses meilleurs étudiants. Jaurès l’a très bien dit (je viens de le lire après l’avoir vécu) : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, mais ce que l’on est. » L’ordinateur sait beaucoup de choses, il peut même tout savoir, mais il n’est pas. Il est incapable ◀de▶ former les esprits, n’ayant pas ◀de▶ finalités à leur proposer. Par contre, il est très capable ◀de▶ les réduire au conformisme officiel. Voici ce que publiait Le Figaro en décembre 1980, à propos de l’école sans maîtres : « Les élèves s’adaptent ◀de▶ façon presque inconsciente à l’ordinateur… Ils acquièrent automatiquement l’esprit ordinateur. » « Déjà, ajoute-t-on, les résultats sont spectaculaires… Les élèves ◀de▶ troisième réalisent des programmes ◀de▶ recherche et ◀d’▶enseignement dont la valeur et l’originalité ont permis leur utilisation (sic) à des fins pratiques. »
Les partisans ◀de▶ l’école sans maîtres nous assurent qu’elle pourra multiplier par 60 les possibilités du cerveau. Mais si l’on donne des facilités aux jeunes ◀de▶ moins ◀de▶ 18 ans (les synapses se développent jusqu’à cet âge) on les rend paresseux du cerveau, qui peut s’atrophier comme les jambes ◀de▶ ceux qui ne font plus 500 mètres à pied, mais prennent leur voiture ou leur moto.
Les élèves des ordinateurs seront devant l’appareil en état ◀de▶ passivité croissante, et disposeront ◀de▶ moins en moins des possibilités ◀de▶ doute, ◀de▶ questions au maître, ◀de▶ critique et des discussions avec les copains, qui constituaient, hier encore, l’essentiel ◀de▶ la formation par l’école.
Enfin, la prétention ◀de▶ Plato à remplacer la mémoire des élèves par des gadgets est en contradiction flagrante avec toutes les observations des psychologues, qui tendent à démontrer que la mémoire est une faculté qui se cultive, se développe et s’atrophie à la manière d’un muscle. « La mémoire se cultive par l’usage », nous rappelle opportunément le Petit Larousse. Ivan Illich, à l’Université ◀de▶ Kassel, oblige ses étudiants à apprendre par cœur des tranches ◀d’▶écrits historiques. C’est lui qui est à la pointe du vrai progrès, non pas l’ordinateur avec sa prétendue mémoire indépendante des personnes — et du passé !
Au projet Plato, j’opposerai la formule ◀de▶ l’ashram hindouiste, où tout dépend ◀de▶ l’enseignement du gourou, imprévisible, personnel, directeur ◀de▶ méditation et médiateur ◀de▶ la transcendance. Je donnerai pour titre au problème ◀de▶ l’éducation ◀de▶ demain : Plato ou le Gourou ?
Et je conclus sur ce point ◀de▶ l’école par une déclaration ◀de▶ Georges Elgozy : « Il est certes utile ◀d’▶apprendre à se servir ◀d’▶un ordinateur ; il l’est davantage ◀d’▶apprendre à ne plus s’en servir. »
10. Vulnérabilité
Ceci m’amène à ma dernière remarque — ces remarques dont je dois avouer qu’elles ne sont guère qu’introductives à des débats futurs et qui se bornent à poser, mais avec une urgence accrue, la question suivante : qu’en sera-t-il ◀de▶ la vulnérabilité ◀d’▶une société informatisée ?
Nous sommes au seuil ◀d’▶une civilisation rendue fragile par quantité ◀de▶ facteurs virtuellement anéantissant : explosions nucléaires, pollutions irréversibles des lacs, rivières et océans, et destruction des forêts ◀de▶ la planète (déjà à 40 %) pouvant entraîner une diminution catastrophique ◀de▶ la production ◀d’▶oxygène dans l’atmosphère.
Les hommes adaptés depuis une ou deux décennies aux réseaux ◀d’▶informations qui leur dictent leur conduite, sauront-ils encore se débrouiller s’il y a défaillances des réseaux ? De même qu’ils ne savent plus calculer sans calculette, ils ne se rappelleront rien sans les ordinateurs. Ils seront démunis devant tout imprévu.
Grâce à l’informatisation, la société court le risque ◀d’▶être de plus en plus centralisée par les monopoles ◀d’▶État ou ◀de▶ grandes sociétés. Je citerai là-dessus Joël de Rosnay : « Il est un fait que la complexité de plus en plus grande ◀de▶ la société, l’utilisation ◀de▶ la télématique, des télécommunications et ◀de▶ l’informatique, rendent le système de plus en plus vulnérable et facile à perturber. »85
Même prévision dans la Revue polytechnique 86 ◀de▶ Lausanne :
— en cas ◀de▶ panne, les solutions manuelles ◀de▶ secours sont impraticables ;
— la disponibilité et la validité ◀de▶ l’informatique sont incertaines ;
— on est à la merci ◀de▶ catastrophes potentielles : incendie, inondation, sabotage, indisponibilité des transmissions ;
— la complexité croissante des systèmes augmente la dépendance à l’égard des rares spécialistes.
De même que les calculettes permettent déjà à des millions ◀de▶ gens ◀de▶ faire des calculs sans faire eux-mêmes les opérations, sans les avoir assimilées, l’informatique remplacera de plus en plus l’apprentissage et l’exercice du savoir, en sorte que si une défaillance centrale ou générale réduisait au silence les réseaux ◀d’▶information, l’homme se trouverait incapable ◀de▶ refaire l’industrie et serait désarmé devant la Nature.
Ce qu’on nomme déjà la criminalité électronique constitue un danger plus immédiat. Aux USA, quatre élèves âgés ◀de▶ 13 ans ont réussi à détruire 10 millions ◀de▶ bits, un cinquième ◀de▶ ce que l’ordinateur devait enregistrer. D’autres jeunes gens mettent des ordinateurs hors ◀d’▶usage en déversant sur eux du miel, ou en leur tirant dessus à la mitrailleuse. Ce dernier exemple illustre opportunément le point que je voulais relever en conclusion.
La technique en soi est neutre, outillage au service ◀de▶ l’homme, ◀de▶ tout l’homme, du bon et du mauvais en lui. Mais en fait le mauvais a des chances ◀de▶ profiter un peu plus que le bon ◀de▶ cette neutralité. Car la technique a pour fonction ◀de▶ faciliter nos efforts et ◀d’▶en multiplier les effets. Or le mal est en général plus facile à faire que le bien. Passé un certain seuil quantitatif, certains effets du mal peuvent devenir irréversibles, donc mortels (ce qui ne serait pas le cas ◀de▶ l’irréversibilité du bien, si elle existait). Faudra-t-il donc détruire ou freiner la technique, l’informatique dans notre cas ? Il est trop tard. On ne peut rien désinventer.
Si nous nous reportons à nos critères, nous constatons que l’informatique satisfait très bien aux numéros 1 et 4 (elle n’est pas polluante, elle ne contribue pas au gaspillage des ressources terrestres et ◀de▶ l’énergie) ; elle peut satisfaire assez bien, moyennant une vigilance déjà bien alertée, aux critères 2 et 3, c’est-à-dire : éviter ce qui est incompatible avec la liberté (juridique) des personnes et éviter ce qui conduit au gigantisme (quoique là encore, les illusions ◀de▶ vitesse folle et ◀de▶ chiffres fabuleux puissent être un équivalent des dangers du gigantisme). Mais nous constatons qu’en revanche, l’informatique fait mauvaise figure face aux critères 5, 6 et 7, parce qu’elle n’est pas partie ◀de▶ besoins existants mais ◀de▶ possibilités techniques et commerciales, parce qu’elle peut favoriser ◀de▶ véritables agressions psychologiques et culturelles contre la personne, et surtout parce qu’elle rend notre société terriblement vulnérable.
Si nous pouvons encore agir sur l’évolution ◀de▶ l’informatique (laquelle, livrée à son mouvement ◀d’▶accélération paraît déjà hors de toute prise humaine), c’est sur ces derniers points que nous avons à le faire. Il faut refuser et réfuter activement l’approche impérialiste ◀de▶ l’informatisation générale ◀de▶ la société, et assigner à l’informatique les limites que lui posent en vérité sa définition scientifique et son utilité. Nous pouvons le faire encore, et nous le devons. C’est bien peu de choses, me dira-t-on : un effort non mesurable, une décision tout invisible ◀de▶ l’esprit. Mais il est bien probable que ◀de▶ ce peu, ◀de▶ ce très peu, dépende le sort ◀de▶ notre civilisation occidentale.