Réponse à M. Grisoni (12 mai 1982)j
Avant toute réponse à l’▶article publié par ◀Le▶ Matin du 19 avril, il est indispensable ◀de▶ préciser ◀les▶ deux points suivants :
1. ◀Le▶ procès que j’ai fait à D. Grisoni, et qui a été plaidé ◀le▶ 20 avril, visait exclusivement ◀la▶ recension par D. Grisoni du dernier livre ◀de▶ B.-H. Lévy, parue dans ◀la▶ revue Lu en forme de fiche bibliographique ; et dans cette recension, ◀le▶ passage suivant, au sujet de ◀l’▶accueil fait à Pétain lors de son arrivée au pouvoir en juin 1940.
Je cite :
Pêle-mêle ◀les▶ discours s’entrecroisent, se chevauchent, se répondent. Là, ceux ◀de▶ droite, tenus par leurs sombres thuriféraires, bien connus, ◀les▶ Drieu, de Rougemont et autres Doriot et Darquier de Pellepoix : recours à ◀la▶ Terre, rappel ◀de▶ ◀la▶ Race, éloge du Corps, haine ◀de▶ ◀l’▶Argent, amour ◀de▶ ◀la▶ Nation.
C’est là-dessus que j’attaque, sur cela seul : sur cette assimilation qui est faite expressément ◀de▶ moi et ◀de▶ mes idées à ◀la▶ personne et à ◀l’▶action ◀de▶ deux des plus grands criminels ◀de▶ guerre qu’ait produit ◀la▶ France au xx e siècle : ◀l’▶ancien chef communiste fondateur ◀de▶ ◀la▶ LVF et ◀le▶ responsable du massacre ◀de▶ dizaines ◀de▶ milliers ◀de▶ Juifs dans ◀les▶ camps ◀de▶ ◀la▶ mort nazis.
2. Sommé ◀de▶ donner ses preuves quant aux faits invoqués, Grisoni n’a rien pu répondre, n’a pas même essayé ◀de▶ répondre, et n’a même pas pu dire au tribunal si ses accusations précises et infamantes rendaient compte ◀de▶ faits rapportés dans ◀le▶ livre analysé, ou étaient simplement inventées par lui.
Il ne lui restait plus qu’à parler ◀d’▶autre chose, à tenter ◀d’▶égarer ◀l’▶attention dans un dédale ◀de▶ citations tripatouillées, ◀d’▶où résulterait, par exemple, que j’ai fait preuve ◀d’▶un « antisémitisme vulgaire » et ◀d’▶une admiration « extatique » pour Hitler. (Je parlais du « regard extatique » ◀de▶ Hitler ! Il a mal lu.) Je ne perdrai pas mon temps à démontrer ◀le▶ mécanisme du procédé et sa perfidie (« savamment mesurée », avoue-t-il) ; cela m’obligerait à recopier ici une dizaine ◀de▶ pages ◀de▶ mes livres et ◀de▶ mes articles ◀de▶ 1932 à 1942, rétablissant ◀le▶ sens des fragments ◀de▶ phrases et groupes ◀de▶ mots qu’on y a découpés pour en recomposer une mosaïque ◀de▶ diffamation. ◀L’▶art ◀de▶ faire dire aux « textes » ainsi produits tout ◀le▶ contraire ◀de▶ ce qu’ils signifient dans leur contexte, ce Grisoni ◀l’▶a bien appris ◀de▶ son petit maître Lévy. C’est tout ce qu’il peut, et cela n’apporte pas ◀l’▶ombre ◀d’▶une preuve aux affirmations que je dénonce : à savoir qu’après ◀le▶ 17 juin 1940, pour saluer Pétain, j’aurais rejoint Doriot et Darquier « mes frères ◀d’▶armes… à ◀la▶ pointe du combat, [pour un fascisme national français] présent sur chacun des fronts essentiels », comme il ◀le▶ précise dans ◀Le▶ Matin du 19 avril.
Dans leur délire ◀d’▶interprétation des textes et leur mépris affichés des faits, MM. Lévy et Grisoni ont oublié qu’à toute leur thèse s’opposent deux impossibilités totales, l’une matérielle et l’autre spirituelle.
◀L’▶avènement ◀de▶ Pétain date ◀de▶ la seconde quinzaine ◀de▶ juin 1940. Comment pouvais-je saluer ◀le▶ Maréchal au nom de ◀la▶ droite française et du « fascisme national » alors que je me trouvais depuis des mois à Berne, mobilisé en tant qu’officier suisse dans un service ◀de▶ ◀l’▶État-major général ? Comment aurais-je pu rejoindre mes « frères ◀d’▶armes » sans déserter en temps ◀de▶ guerre ? Eussé-je même voulu ◀le▶ tenter, deux faits « incontournables » (comme ils disent) me ◀l’▶eussent interdit :
— Pour un article sur ◀l’▶entrée ◀d’▶Hitler à Paris, paru ◀le▶ 17 juin dans ◀la▶ Gazette ◀de▶ Lausanne , (entre ◀l’▶élection ◀de▶ Pétain et ◀l’▶Appel ◀de▶ Londres) j’avais été accusé par ◀la▶ Légation du IIIe Reich « ◀d’▶insulte à chef d’État », et j’allais être condamné à quinze jours ◀de▶ forteresse, au secret, pour avoir « mis en danger ◀la▶ sécurité ◀de▶ ◀la▶ Suisse ».
— Au même moment, je préparais ◀la▶ création ◀d’▶un mouvement civil et militaire (ce dernier clandestin) ◀de▶ résistance à tout prix aux nazis : ◀la▶ Ligue du Gothard. J’en avais rédigé ◀le▶ manifeste, qui parut sur une page entière, ◀le▶ même jour, dans 73 journaux suisses. Cette action ◀de▶ résistance organisée, la première en Europe sauf erreur, était dans ◀le▶ droit fil ◀de▶ tout ce que j’avais écrit depuis 1932 contre ◀le▶ fascisme sous toutes ses formes, noire, rouge ou brune, et contre tout ce qui allait se déchaîner sous ◀le▶ nom ◀de▶ « collaboration » et que j’avais dénoncé dès 1936 comme ◀le▶ danger ◀d’▶un « fascisme à ◀la▶ française ».
Peu après, ◀le▶ gouvernement jugea prudent ◀de▶ m’envoyer aux États-Unis, en mission ◀de▶ conférences sur ◀la▶ Suisse. Empêché ◀de▶ regagner ◀l’▶Europe par Pearl Harbour, je devais passer cinq ans de plus à New York. À ◀l’▶Office of War Information, rédacteur principal ◀de▶ ◀l’▶émission « ◀La▶ Voix ◀de▶ ◀l’▶Amérique parle aux Français », j’eus ◀l’▶occasion ◀de▶ m’exprimer plus librement sur mes « frères ◀d’▶armes » putatifs, au moment où ils entraient en action (1942-1943) et ◀l’▶on m’a dit que des journaux ◀de▶ ◀la▶ Résistance reproduisirent parfois mes textes, lus au micro quotidiennement par deux équipes ◀d’▶announcers, parmi lesquels André Breton et Lévi-Strauss.
Grisoni, comme son maître sans doute, ignore ces « faits ». Il se plaint ◀de▶ ma plainte : elle constitue selon lui « un terrible diktat » contre leur « droit à ◀la▶ mémoire » et leur « patiente, mais obstinée quête ◀de▶ ◀la▶ vérité ». Il faut, s’écrie-t-il, « sceller dans ◀l’▶oubli ◀le▶ nom et ◀l’▶ouvrage » ◀de▶ gens comme moi.
Je ne puis pas rafraîchir, encore moins interdire, des « mémoires » qui seraient, dans leur cas, ◀de▶ plusieurs années prénatales. Je ne puis opposer à leur vœu ◀d’▶oblitérer « mon nom et mon ouvrage » que ◀le▶ souhait qu’ils apprennent à lire, et par exemple à comprendre mes livres.
Mais il me plairait davantage ◀de▶ ◀les▶ convaincre que toute quête ◀de▶ ◀la▶ vérité commence par celle ◀de▶ ◀la▶ véracité.