Des régions à la▶ paix pour ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe (juillet-août 1982)m
1. ◀La▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation intégralement centralisé et ◀de▶ souveraineté absolue pose aujourd’hui ◀l’▶obstacle majeur à toute espèce ◀d’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, c’est-à-dire à ◀la▶ condition préalable ◀de▶ ◀l’▶établissement ◀d’▶une paix solide dans ◀le▶ monde ◀de▶ ◀la▶ fin du xxe siècle.
Il faut donc dépasser cette formule, inventée voici près de deux-cents ans par ◀les▶ fanatiques jacobins, réalisée par Napoléon à ◀la▶ faveur ◀de▶ ◀la▶ guerre et en vue de ◀la▶ guerre. Copiée depuis lors par tous ◀les▶ pays du monde (à ◀la▶ seule exception, peut-être, ◀de▶ ◀la▶ Suisse), elle consiste en fait dans ◀la▶ mainmise ◀d’▶un lourd appareil étatique — fonctionnaires, police et armée — sur toutes ◀les▶ composantes ◀de▶ ◀la▶ vie ◀d’▶une nation : centralisation ◀de▶ ◀l’▶économie et des structures politiques mais aussi ◀de▶ ◀l’▶éducation ; uniformisation forcée des cultures et des ethnies dans ◀le▶ carcan ◀de▶ frontières ◀le▶ plus souvent arbitraires ; et enfin, dominant et unifiant ◀le▶ tout, ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀la▶ sacro-sainte souveraineté nationale absolue et indivisible. C’est en son nom que, ces jours-ci, deux grands États n’hésitent pas à s’affronter par ◀les▶ armes, courant ◀le▶ risque non nul ◀de▶ déclencher ◀les▶ réactions en chaîne ◀d’▶une guerre mondiale et ◀de▶ ◀l’▶extinction du genre humain, plutôt que ◀de▶ renoncer à des droits théoriques sur un petit troupeau ◀d’▶îles désertes.
2. Mais dépasser ◀l’▶État-nation, né ◀de▶ ◀la▶ guerre et fauteur ◀de▶ guerres, signifie ici et maintenant ◀le▶ déclenchement simultané ◀de▶ deux dynamismes contraires quoiqu’en étroite interaction : l’un tendant à ◀la▶ fédération ◀de▶ nos peuples à ◀l’▶échelle continentale, l’autre à ◀la▶ restauration ou à ◀la▶ création ◀de▶ communautés autonomes à ◀l’▶échelle régionale.
3. ◀L’▶État-nation est en crise partout. Il se voit incapable ◀d’▶assurer ◀les▶ fonctions qu’il s’était arrogées : défense du territoire et des libertés populaires, garantie ◀de▶ ◀la▶ monnaie, paix sociale, sécurité ◀de▶ ◀l’▶emploi, préservation ◀de▶ ◀l’▶environnement.
Vouloir fonder ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe sur ◀les▶ États-nations souverains, c’est vouloir un cercle carré. Ce serait tenter ◀de▶ fonder une amicale des misanthropes, projet radicalement contradictoire en soi, pour des raisons bien évidentes.
Dénoncer ◀le▶ dogme meurtrier ◀de▶ ◀la▶ souveraineté nationale absolue et indivisible, est le premier devoir ◀de▶ tous ◀les▶ citoyens qui se veulent libres et responsables — l’un n’allant pas sans l’autre comme je ◀le▶ répète depuis un peu plus ◀d’▶un demi-siècle.
4. Il existe une demi-douzaine ◀de▶ définitions ◀de▶ ◀la▶ région : ethnique (Bretagne, Pays basque), linguistique (Alsace), culturelle (Occitanie), géographique-écologique (lémano-alpine), économique (Regio Basiliensis), historique (Écosse, Catalogne, etc.). Toutes sont valables. Seuls varient ◀les▶ caractères prioritaires, mais tous ◀les▶ autres sont toujours présents, à des degrés inégaux.
◀La▶ définition que je propose est peut-être ◀la▶ plus compréhensive ou englobante : ◀la▶ région doit être avant tout et après tout, un espace ◀de▶ participation civique, favorisant ◀la▶ formation et ◀le▶ développement ◀d’▶une communauté réelle et capable ◀d’▶autonomie.
Elle ne doit pas être un mini-État-nation, ni revendiquer toutes ◀les▶ compétences étatiques, mais seulement celles qui correspondent à ◀la▶ dimension des problèmes qu’elle est ◀le▶ mieux en mesure ◀de▶ gérer. « Ne confiez jamais à une plus grande unité ce qui peut être fait par une plus petite. Ce que ◀la▶ famille peut faire, ◀la▶ municipalité ne doit pas ◀le▶ faire. Ce que ◀la▶ municipalité peut faire, ◀les▶ États ne doivent pas ◀le▶ faire. Et ce que ◀les▶ États peuvent faire, ◀le▶ gouvernement fédéral ne doit pas ◀le▶ faire »n, écrivait dans un raccourci génial, ◀le▶ sénateur américain D. Moynihan.
C’est dire que ◀la▶ région doit être et demeurer « ◀de▶ dimensions médiocres » comme ◀le▶ voulait Rousseau, ou en tout cas variable selon ◀les▶ fonctions qu’elle assure. Elle doit être « à ◀la▶ taille ◀de▶ ◀l’▶homme », ◀de▶ telle manière que chaque citoyen puisse y faire entendre sa voix ; mais aussi, « à ◀la▶ taille ◀de▶ ses problèmes » — qui sont « à géométrie variable » comme on vient de ◀le▶ voir, jamais délimités par une frontière ◀d’▶État qui n’arrête ni ◀les▶ pollutions, ni ◀les▶ microbes, ni ◀les▶ terroristes, ni ◀les▶ capitaux en fuite, mais par ◀les▶ seuls intérêts ◀de▶ sa population. « Une région ne se délimite pas, elle se reconnaît », écrivait au xixe siècle ◀le▶ géographe français Vidal de la Blache.
Reconnaître, animer et promouvoir ◀les▶ régions constitutives ◀de▶ ◀l’▶Europe des réalités, ◀les▶ fédérer progressivement — bien souvent à travers ◀les▶ frontières nationales — ◀les▶ amener à constituer un sénat des régions ◀d’▶Europe, telles sont ◀les▶ étapes obligées ◀de▶ ◀l’▶avènement ◀d’▶une fédération continentale : c’est autant dire, ◀de▶ ◀la▶ paix ◀de▶ ◀l’▶Europe, condition ◀de▶ ◀la▶ paix du monde.
Œuvre ◀de▶ longue haleine, direz-vous ?
— Il n’y a donc pas une seule minute à perdre.