(1985) Tapuscrits divers (1980-1985) « D’où venons-nous ? Où sommes-nous ? Où allons-nous ? (à propos du CEC) (10 novembre 1983) » pp. 1-18

D’où venons-nous ? Où sommes-nous ? Où allons-nous ? (à propos du CEC) (10 novembre 1983)r

L’union de l’Europe nécessaire au monde autant qu’à l’Europe

La crise

Foyer millénaire de l’histoire universelle, pour le meilleur et pour le pire, ce complexe de dynamismes contradictoires, d’impérialismes collectifs et de religions de la liberté personnelle qu’on nomme Europe, est aujourd’hui menacé dans ses raisons d’être et ses possibilités de persévérer dans son être.

La situation politique mondiale est en train de faire des Européens, jadis maîtres des trois-quarts des terres habitées de la Planète, les objets ou même les otages de la rivalité des deux Grands. Inventeurs du colonialisme dès le xvi e siècle, mais aussi de la décolonisation au milieu du xx e, ils courent le risque d’être occupés demain non seulement militairement, mais économiquement et moralement, — ou détruits à jamais, en passant, par une Troisième Guerre mondiale qui, cette fois-ci, ne serait pas déclenchée par eux.

La crise mondiale actuelle est née des œuvres de l’Europe, qui a répandu sur toute la Terre ce qu’elle nomme aujourd’hui le progrès : une civilisation technico-industrielle génératrice d’idéaux de liberté, mais aussi de pratiques impérialistes, de capitalisme libéral, mais aussi de communisme étatique, de loisirs virtuels, mais aussi de chômage réel, de richesses inouïes, mais rongées par l’inflation, de justice sociale, mais aussi de révoltes sans fin, de démocratie, mais aussi d’États totalitaires, d’internationales, mais aussi de nationalismes suscitant le terrorisme universel.

Issues possibles de la crise

Laissons de côté les plus « probables », au sens mathématique du terme, qui sont :

a) l’aggravation universelle, plus ou moins rapide, des conflits locaux devenus problèmes internationaux, jusqu’à la guerre nucléaire : fin de l’Histoire ;

b) la survie et la domination de fait d’un des Grands à la faveur d’une dégradation morale et matérielle sans précédent de l’humanité « unifiée » malgré elle au plus bas niveau moral et matériel.

Quelle seraient alors les issues souhaitables ? Il en est une au moins — la seule peut-être — qui dépend de l’Europe et des Européens : l’union fédérale de nos peuples, réalisée par eux seuls, et à temps.

À cette union s’oppose — depuis plus d’un demi-siècle qu’on la préconise5 — le dogme de la souveraineté absolue des États-nations. Il est devenu parfaitement clair qu’on ne peut pas fonder l’union de l’Europe sur la base de ces États-nations qui s’y opposent par nature, en fait comme en principe, toute en affirmant la vouloir.

Toute union suppose l’existence préalable d’une unité de base sur laquelle on puisse la construire. Cette unité existe : c’est la culture commune des Européens.

Tous les Européens ont été formés, en effet, qu’ils le sachent ou non, par une culture dont la caractéristique est la diversité des sources : mythes et philosophie des Grecs, Bible des juifs et des chrétiens prolongée par les Évangiles, institutions d’État de l’Empire de Rome, coutumes communautaires des Germains, mythes et mystique des Celtes… Cette diversité constitutive distingue notre culture de celles des autres continents, dont les principes d’homogénéité sont connus : pour la plupart d’ordre religieux (brahmanisme, bouddhisme, islam, animisme…)

Mais alors, disons-le clairement : une union bâtie sur une unité pluraliste ne peut être que fédérale, c’est-à-dire garantissant les diversités et les autonomies par leur union même, librement conclue et jurée.

L’Europe des nationalismes a été responsable de deux guerres mondialisées. Elle a été également — colonisation puis développement du tiers-monde — l’agent mondialisant d’une forme de culture technico-scientifique souvent incompatible avec les valeurs fondamentales des cultures non européennes. Il appartient donc à l’Europe de proposer le modèle d’une société respectueuse des valeurs culturelles ; et d’abord, et plus spécifiquement des valeurs de la communauté vivante, qui ne dépendent pas de l’État — simple service public — mais des personnes libres et responsables de leurs communautés vivantes.

C’est de l’ensemble de ces analyses et de ces objectifs plus ou moins clairement perçus par les mouvements européens des années 1945 à 1950, qu’est née l’idée du Centre européen de la culture.

II. Création du CEC

Conception initiale

Au début de mai 1948 se tient à La Haye le premier Congrès de l’Europe, dont le Rapport culturel préconise la création d’un Centre européen de la culture. La résolution acceptée par le congrès le 10 mai 1948 au terme des débats décrit ainsi la nature et les tâches de l’organisme à créer :

Le Congrès de l’Europe propose :

La création d’un organisme permanent qui aurait notamment pour tâche d’étudier la constitution et les attributions d’un Centre européen de la culture.

Constitué en toute indépendance des contrôles gouvernementaux, cet organisme aurait pour mission générale de donner une voix à la conscience européenne.

Le Centre européen de la culture aurait pour tâches immédiates :

1. D’entretenir le sentiment de la communauté européenne par le moyen d’informations et d’initiatives, dans le domaine de la presse, du livre, du film et de la radio, mais aussi dans les établissements d’enseignement scolaires, universitaires et populaires ;

2. D’offrir un lieu de rencontre aux représentants de la culture, afin qu’ils puissent exprimer un point de vue proprement européen sur les grandes questions intéressant la vie du continent, par voie d’appels à l’opinion et aux gouvernements ;

3. D’exercer une action de vigilance critique pour assurer ou restaurer la juste valeur des mots sans lesquels aucun pacte n’est possible ;

Et de proclamer :

a) le droit qu’a tout citoyen de connaître les faits bruts de l’actualité, indépendamment des interprétations et des commentaires ;

b) le devoir qui incombe aux gouvernements de laisser chaque communauté donner satisfaction à ce droit, indépendamment de toute pression, de quelque nature qu’elle soit ;

4. De favoriser la libre circulation des idées, des publications et des œuvres d’art d’un pays à l’autre ;

5. De faciliter la coordination des recherches sur la condition de l’homme européen au xx e siècle, en particulier dans les domaines de la pédagogie, de la psychologie, de la philosophie, de la sociologie et du droit ;

6. D’appuyer tous les efforts tendant à la fédération des universités européennes, et à la garantie de leur indépendance par rapport aux États et aux pressions politiques ; et de favoriser la collaboration étroite des corps enseignants, en vue notamment de procéder à une révision des manuels d’histoire.

Période préparatoire

C’est ici le lieu de rappeler que durant les débats de la commission culturelle du congrès de La Haye, la proposition d’établir le Centre à Genève a été formulée de tous côtés, spontanément et sans rencontrer d’opposition notable. Au lendemain de la guerre, en effet, Genève, qui avait été le siège de la SDN, devenait le siège européen des Nations unies et d’une série d’institutions internationales telles que le BIT et l’OMS, mais aussi le Conseil œcuménique des Églises et le CICR, ou encore l’Association européenne de libre-échange et l’Union européenne de radiodiffusion. La décision relative au siège du CEC fut prise par le Mouvement européen, qui ouvrit à Genève fin 1948, un organisme provisoire nommé Bureau d’études pour un Centre européen de la culture. Le directeur en était Denis de Rougemont et le secrétaire général Raymond Silva.

Le Bureau d’étude pour un CEC, dès son entrée en fonction, organisa et convoqua pour le début de décembre 1949 une Conférence européenne de la culture qui se tint à Lausanne. Elle étudia et définit les tâches précises du CEC, et adopta 23 résolutions, dont il vaut la peine de signaler que 21 ont été réalisées à ce jour.

L’inauguration officielle du CEC eut lieu le 7 octobre 1950 à Genève, sous la présidence de Salvador de Madariaga, en présence de délégués du Conseil de l’Europe, des autorités suisses et genevoises, et des responsables du Mouvement européen.

III. Objectifs et méthodes

À l’occasion de cette cérémonie comme dans toutes les déclarations publiées à cette époque, le CEC n’a cessé d’affirmer qu’il était là pour servir dans le domaine culturel la cause d’une union fédérale de l’Europe, et non pour mettre la culture au service d’une politique, fût-elle « européiste » d’étiquette ou d’ambition.

Le CEC a été créé :

— pour aider les Européens à prendre conscience de leur culture commune, de ses conséquences morales, sociales, économiques, et de la politique qui doit l’exprimer et la servir : la fédération des peuples de l’Europe ;

— pour faire comprendre la nécessité vitale inhérente à cette culture, d’entrer en dialogue avec les autres cultures vivantes de la Planète : Afrique noire, Monde arabe, Inde, Chine, Japon, Amérique latine ; et cela, à propos des problèmes cruciaux qui se posent au monde actuel tels que celui de l’adaptation ou non de chacune de ces cultures à la civilisation technico-industrielle née en Europe, et aux conceptions européennes de l’État souverain et de son contraire, la libre fédération des peuples ;

— pour amener les créateurs et les porteurs de la culture (théologiens, philosophes, psychologues, artistes, écrivains, enseignants et animateurs de médias) à participer à la construction d’une Europe unie enfin réalisable, c’est-à-dire fédérée dans ses diversités et au bénéfice de leurs autonomies, non pas pour la puissance, mais pour la liberté.

En résumé : le CEC n’est pas là pour favoriser l’instauration d’un « troisième Grand », mais bien pour aider à former dans les esprits la vision d’un modèle d’union dans la diversité, préparant les voies d’une fédération pour les libertés et dans la paix.

Les méthodes de travail du CEC ont été dictées dès le départ par les finalités qu’on vient de rappeler.

Face à l’ampleur et à l’urgence des problèmes à résoudre, le CEC a adopté une méthode résolument pragmatique :

— parmi tous les problèmes réels possibles et imaginables, que pose au plan de la culture la construction de l’Europe, retenir ceux qui nous sont signalés de plusieurs côtés et dans plusieurs pays comme réellement ressentis, et se posant en fait à l’échelle européenne, ou dans les rapports entre l’Europe et le Monde ;

— évaluer les possibilités de solution déjà proposées par les uns et les autres ; celles qui se dégagent après étude par nos services et au cours des colloques et séminaires réunis à leur sujet, et retenir celles qui répondent le mieux à l’urgence des problèmes posés et aux finalités européennes définies par le CEC.

C’est ainsi qu’ont été entreprises, depuis 1950, les activités dont la liste suit, regroupées selon leurs thèmes directeurs.

IV. Activités

Le CEC a contribué à la création de deux institutions européennes de premier plan, le CERN, à Genève, et la Fondation européenne de la culture, aujourd’hui à Amsterdam.

Dans un premier temps, le Bureau d’études pour un Centre européen de la culture organise la Conférence européenne de la culture (voir plus haut).

1. Le CERN

Suite à une proposition énoncée pour la première fois dans le Rapport général présenté au congrès, une résolution est adoptée, prévoyant la création d’un Laboratoire européen de recherches nucléaires. À cet effet, le CEC forme une commission de coordination scientifique animée par Raoul Dautry6 et qui va se réunir le 12 décembre 1950 à Genève sous la présidence du directeur du CEC. Elle groupe les représentants des instituts de recherche nucléaire de six pays européens et de l’Unesco. Elle définit le plan, la procédure, les modes de réalisation et les critères de choix du lieu de construction d’un organisme européen de recherches nucléaires répondant à la résolution n° III de la conférence de Lausanne.

Objectifs : stopper la « fuite des cerveaux » des physiciens européens vers les USA, doter l’Europe d’un puissant instrument de recherches qu’aucun pays seul ne pourrait construire, et créer une communauté européenne des scientifiques.

Comme prévu dès le départ, ce projet conçu et initié par le CEC sera réalisé via l’Unesco avec la participation de treize États européens et inauguré, en 1954, sous le nom de CERN au lieu prévu — près de Genève — par la commission de coordination scientifique.

2. La FEC

En 1954, le CEC a créé une autre institution européenne destinée par ses dimensions mêmes à devenir autonome : la Fondation européenne de la culture, FEC. Préparée dès 1952, constituée fin 1954, sous la présidence de Robert Schuman, elle a opéré pendant deux ans au siège du CEC, puis a été transférée à Amsterdam sous la présidence de S. A. R. le prince Bernhard des Pays-Bas, où elle fonctionne désormais d’une manière indépendante, tout en gardant des relations suivies avec le CEC, dont elle subventionne plusieurs activités. Elle a créé elle-même une série d’instituts spécialisés dans les sciences de l’éducation (Paris), les études politiques (Londres), l’écologie (Bonn), les problèmes du travail (Maastricht), l’étude des politiques européennes (Bruxelles) et les médias (Manchester).

 

Les autres entreprises du CEC sont restées pendant toute la durée de leurs activités attachées à l’institution mère dont elles sont encore membres.

Elles peuvent être groupées sous les rubriques suivantes :

3. Enseignement

L’Association des instituts d’études européennes, AIEE, a été fondée en 1951 pour regrouper les nombreux instituts dédiés à l’étude des problèmes européens dans les universités du continent.

But : concerter et animer les initiatives, existantes ou à créer, d’enseignement et de recherches sur l’Europe au niveau universitaire, et favoriser les échanges de professeurs.

Sous les auspices de l’AIEE se sont tenus au CEC plusieurs colloques sur l’Europe des régions, et un colloque préparatoire pour l’Université européenne, qui a été créée à Florence avec l’aide des Communautés économiques de Bruxelles. — D’autre part, le CEC a donné naissance en 1963 à un Institut universitaire d’études européennes (lié à l’Université de Genève) qui partage avec le CEC son siège à la Villa Moynier, et plusieurs de ses collaborateurs et chercheurs.

L’AIEE groupe aujourd’hui 35 instituts universitaires dans 9 pays. Le CEC assure son secrétariat et la publication de son Annuaire.

4. Éducation

Un Bureau européen de l’éducation populaire entreprend des actions-pilotes en milieu paysan et scolaire en Sicile et en Suisse, puis élargit son action en France (4), Belgique (2), Italie (2). (Voir « Neuf expériences d’éducation européenne en milieu populaire », Bulletin du CEC, n° 4-5, 1959).

Rédaction d’un Guide européen de l’enseignant publié en 4 langues à 70 000 exemplaires, puis d’un Guide européen de l’enseignement d’éducation civique et d’une brochure-programme sur la Campagne d’éducation civique européenne .

Cette campagne, lancée par le CEC en 1961, a organisé dans 10 pays des stages annuels d’une semaine pour les enseignants du deuxième degré, visant à introduire à l’école la connaissance des réalités et des problèmes de l’Europe actuelle en histoire, géographie, économie, enseignement des langues et des arts, écologie, régions, etc. Patronnée et subventionnée par le Conseil de l’Europe, les Communautés de Bruxelles et la FEC, et regroupant les grandes associations d’enseignants. Le succès de cette Campagne incitera la CEE à la reprendre en 1974 et à la transférer à Bruxelles, où malheureusement elle prendra fin après quelques années. Le CEC va tenter de la relancer (voir p. 16).

Dans d’autres domaines de l’éducation : une Commission de pédagogie sportive a préparé et publié dès 1955 une « charte européenne » et un « Brevet européen du sportif » (projet repris par le Conseil de l’Europe.)

Un Service de conférence a organisé dans nos pays une centaine de conférences par année sur les sujets traités par la Campagne d’éducation civique européenne. Un Pool de matériel audiovisuel et l’élaboration de films fixes de 50 clichés ont également alimenté les activités de la Campagne. Enfin, 25 plans de causeries sur les problèmes européens ont été rédigés par le CEC et distribués à plus d’un million d’exemplaires en cinq langues (par les soins de la Campagne des jeunes, créée à Paris par le Mouvement européen).

5. Édition

Une Communauté européenne des guildes et clubs du livre a été fondée au CEC en 1951, avec pour objectifs principaux : l’introduction de l’angle de vision européen dans le choix des ouvrages retenus par les guildes, et une action vigilante pour obtenir la reconnaissance par les éditeurs et libraires de la formule nouvelle des guildes du livre, alors en plein essor dans tous nos pays.

La Communauté a rapidement groupé des guildes françaises, suisses, allemandes, anglaise, autrichienne, italienne, belges, néerlandaises, scandinave. Elle a créé un Prix littéraire européen qui a été donné entre autres à Czeslav Milosz (prix Nobel 1981) pour son premier livre, aussitôt publié en traductions par toutes les guildes. En 1956, elle a décidé de suspendre ses activités « pour cause de succès », ses objectifs ayant été pleinement atteints.

Dans les années 1960, un groupe de grands éditeurs de six pays, baptisé Editeuropa, a exploré les possibilités de co-production d’ouvrages généraux sur l’Europe à lancer simultanément dans nos pays. Il a été suivi par la création d’un Pool européen de l’édition, repris sous le sigle d’Eurolibri par les Éditions Lutzeyer, à Baden-Baden.

6. Association européenne des festivals de musique

Fondée en 1951, l’AEFM avait pour but de substituer la coopération en vue de la qualité à la concurrence acharnée en vue du profit commercial, entre un nombre trop rapidement croissant de festivals de musique. L’entente réalisée en quelques mois entre 14 grands festivals (aujourd’hui 40) a permis de multiplier les contacts entre directeurs de festivals, d’échanger des programmes, des chefs et des orchestres, des mises en scène, des artistes au bénéfice de chacun. Le secrétariat de l’association, constitué au siège du CEC, publie depuis 1952 une brochure annuelle illustrée, SAISON, gui donne les programmes des festivals membres pour la saison à venir, distribuée dans le monde entier à 150 000 exemplaires par les lignes aériennes. Une assemblée générale annuelle, qui se tient successivement au siège de chacun des membres, favorise la coopération pratique, la connaissance mutuelle et les échanges d’idées sur les problèmes communs des festivals.

Soulignons ici que l’AEFM est la seule association culturelle européenne qui réunisse des membres de l’Europe de l’Est et de l’Europe de l’Ouest. (Actuellement, 29 membres des pays de l’Ouest, 9 des pays de l’Est, plus Israël et Osaka, membres associés.) Elle préfigure peut-être une réconciliation dont il est juste qu’elle commence dans le domaine d’une culture qui nous est commune.

7. Colloques et séminaires

À raison de trois à cinq par an depuis 1952, le CEC convoque à Genève des groupes de discussion sur les grands thèmes de la recherche européenne et les problèmes de l’union, l’accent étant porté sur les solutions fédéralistes et sur les régions.

Au nombre des sujets traités, citons : La révision des manuels d’histoire — La coopération scientifique — La perception de l’Europe de l’Est en Occident — Le dialogue des cultures — Technique et cultures (Automation et Cybernétique — Éducation et Loisirs) — L’enseignement et le civisme européens — L’université européenne — Écologie et politique — L’Europe et les intellectuels — Utopie et Terreur — Persuasion ou Violence — Mitteleuropa — Le mythe dans la société.

Chaque colloque groupe de 15 à 30 participants et donne lieu en règle générale à une publication ( Bulletin , Cadmos , Dossiers , volume, selon les cas.)

Dans l’ensemble, les colloques ont amené au CEC, en une trentaine d’années, près de deux mille intellectuels venus de tous les pays d’Europe, y compris de l’Est, mais aussi des deux Amériques, de l’Afrique et du Proche-Orient.

8. Congrès organisés par le CEC

Lausanne 1949 : Conférence européenne de la culture, tenue au Tribunal fédéral suisse de Lausanne (voir plus haut p. 4). Lors de cette conférence ont été décidées les créations du CEC, celle du Collège d’Europe à Bruges, du futur CERN, et de la plupart des activités gui allaient suivre dans la décennie suivante.

Rome 1954 : Conférence de compositeurs et musicologues, sous la présidence d’Igor Stravinsky, 200 participants, 13 concerts, 6 débats publics.

Genève 1960 : Conférence européenne de l’éducation, d’où résultera la Campagne d’éducation civique européenne (voir plus haut p. 8).

Bâle 1964 : Conférence Europe-Monde, sous les auspices de la Confédération suisse, du Conseil de l’Europe et des Communautés économiques européennes. Présidence : Louis Armand, 60 rapports préparés pour les 225 participants. Objectif : lancer sur une base élargie le « Dialogue des cultures », initié trois ans plus tôt par un colloque à Genève (voir le numéro spécial du Bulletin du CEC, n° 1-2, 1962, et le volume publié par les Éditions de la Baconnière en 1962).

9. Relations avec les institutions européennes

Coopération permanente dès 1949 :

a) avec le Conseil de l’Europe. Préparation et présidence par le directeur du CEC des deux premières tables rondes de l’Europe à Rome 1952 et Strasbourg 1954. Participation du CEC aux travaux de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux ;

b) avec la CEE de Bruxelles, notamment dans le domaine du cinéma européen, puis de l’éducation européenne ;

c) avec l’OECD, Paris, préparation de publications communes sur l’Europe.

Un groupe de concertation composé des directeurs de l’information de ces trois institutions et du directeur du CEC a fonctionné avec une grande efficacité de 1951 à 1958, pendant la phase de création de l’action pour l’Europe.

10. Représentation du CEC à l’extérieur

Liaisons permanentes avec les organisations européennes de Strasbourg, Paris, Luxembourg, Bruxelles, aussi bien qu’avec les fondations et les principales associations d’études européennes — Élaboration de rapports demandés par ces diverses instances — Présidences de jurys européens — Conférences données dans 16 pays d’Europe, au Proche-Orient et dans les Amériques par des collaborateurs du CEC, dans le cadre d’universités, de congrès, de stages d’études, etc. — Participation active aux congrès culturels européens, fédéralistes, régionalistes, et de sciences humaines…

11. Publications

—  Bulletin du CEC , de 1951 à 1977. Trois à dix numéros par an de 32 à 190 pages, rendant compte des activités courantes du CEC, ou consacrés à une action particulière, à un colloque ou à un congrès. Tirage variant entre un minimum de 2000 ex. en français et un maximum de 70 000 ; voire 90 000 dans quelques cas privilégiés, tels que le Guide européen de l’enseignant (en 4 langues) et L’Europe s’inscrit dans les faits (en 5 langues).

 

— À partir de 1978, le Bulletin du CEC se transforme en une revue : Cadmos , paraissant quatre fois par an, sur 144 pages et publiée conjointement par le CEC et par l’Institut universitaire d’études européennes.

 

— Format de Cadmos , mais à intervalles irréguliers, des Dossiers d’environ 200 pages sont publiés sur des sujets tels que la coopération régionale transfrontalière, les partis politiques et les élections européennes, la Suisse et la Communauté européenne élargie.

 

—  Le Courrier fédéral , six numéros consacrés à l’étude du projet de Constitution européenne établi par l’Assemblée ad hoc du Conseil de l’Europes, 1953 à 1954.

 

— Numéros spéciaux de revues consacrés à l’Europe, et confiés au CEC pour la partie rédactionnelle : en France (3), USA (2), Allemagne, Hollande, Espagne, Suisse.

 

—  Bibliographie européenne , 472 pages, Éd. Sijthof, Leyden, 1965.

 

—  Demain l’Europe sans frontières , par Raymond Racine et sept collaborateurs, 232 p. , Plon, Paris, 1958. (Traduit en trois langues.)

 

— Collection du CEC aux Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, Suisse.

Six volumes parus de 1948 à 1970.

L’Europe en jeu par D. de Rougemont, 174 p. , 1948.

Vers une Europe nouvelle par le plan Schuman , par R. Racine, 246 p. , Éd. de la Baconnière, 1954.

Pour une Métropole régionale (Aix-Marseille-Étang de Berre). Colloque tenu à Aix-en-Provence, 136 p. , 1963.

Le Dialogue des cultures , colloque tenu à Genève. Interventions de 14 auteurs, 156 p. , 1962.

Les Chances de l’Europe , quatre conférences par D. de Rougemont. Trad. en allemand, anglais, espagnol, 92 p. , 1962.

Bilan des activités culturelles au service de l’Europe de 1949 à 1964 , 134 p. , 1966.

Le Cheminement des esprits (L’Europe en jeu II) par D. de Rougemont, 192 p. , 1970.

 

—  L’Europe et les ressources de la mer, ou le débat sur la croissance , par H. Schwamm, O. Giarini et A. Loubergé, Éd. Georgi, 1977.

 

—  Rapport au peuple européen sur l’état de l’union de l’Europe , par le groupe Cadmos, 190 p. , Éditions Stock, Paris, 1979. (Trad. en italien, allemand, hollandais, anglais.)

V. Vocation de l’Europe aujourd’hui

L’union fédérale de l’Europe, nécessité plus vitale et plus urgente que jamais, apparaît de moins en moins accessible par la voie des accords entre États. Les militants européistes sont parfois tentés de baisser les bras, après trente à quarante ans d’efforts pour si peu de résultats tangibles, cependant que les périls se précisent dans une société hantée par le chômage et l’inflation, le terrorisme, et la course aux armements (coût global pour la seule année 1982 : 650 milliards de dollars).

D’autre part, l’action culturelle pour l’Europe unie exige du temps pour que se manifestent les effets politiques qu’on peut en espérer : au moins une génération. Mais les menaces sur la paix du monde et la survie de l’Europe sont à court terme — quelques années, selon les plus réalistes.

Plusieurs signes, cependant, sont de nature à entretenir l’espoir. L’influence de notre action de fédéralistes et de régionalistes européens marque chaque année des progrès, parfois inespérés. Déjà, la guerre est devenue impensable entre deux peuples de l’Europe : fait capital, dont nous avons encore trop peu de conscience.

Déjà le problème des régions devient le problème numéro un pour de nombreux pays du continent : la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Espagne, et même la France des jacobins !

Déjà le souci écologique s’inscrit dans les constitutions et dans les ministères de l’Environnement. Or les solutions aux grands problèmes écologiques sont de nature tantôt locales tantôt continentales, jamais nationales7 : elles appellent donc des régions et des fédérations.

Enfin, les débats sur un « nouvel ordre économique mondial », par les difficultés mêmes qu’ils ont fait apparaître, ont rendu les Européens plus conscients de l’importance primordiale des différences culturelles dans l’approche des problèmes désormais communs à toute l’humanité : la nécessité du dialogue des cultures se révèle ici dans toute son ampleur.

Perspectives du CEC pour les années 1980

Telles étant les conditions actuelles, comment se présente la vocation du CEC ?

Les tâches immédiates nous sont dictées par les considérations suivantes :

1. On n’attend pas du CEC qu’il « fasse l’Europe », mais qu’il apporte à l’union de nos peuples une contribution spécifique et irremplaçable d’orientation des esprits, de réveil de l’opinion, de rappel critique, mais aussi de pourvoyeur d’idées pour les défenseurs des droits de l’homme, pour les éducateurs, pour les responsables des médias, pour les parlementaires et les hommes politiques.

2. Les obstacles à la fédération européenne ne sont pas dans les choses, mais dans les esprits. C’est donc là qu’il s’agit de les réduire en premier lieu, et cette tâche n’est pas économique d’abord, ni politique d’abord, mais d’abord culturelle, éducative, initiatrice.

3. On a vu que parmi les initiatives du CEC, de sa fondation à nos jours — certaines ont été confiées à d’autres institutions, comme prévu par le Centre lui-même :

— certaines ont été suspendues « pour cause de succès » :

— certaines ont été interrompues avant terme par suite de circonstances accidentelles, incontrôlables par le CEC, ou sous le coup de pressions extérieures, comme ce fut le cas de la Campagne d’éducation civique européenne et du Dialogue des cultures ;

— mais certaines apparaissent encore plus nécessaires aujourd’hui que naguère et doivent être maintenues et développées.

 

1. Colloques et séminaires. Leurs sujets seront déterminés par les grands thèmes de nos activités : — La méthode fédéraliste — Dialogue des cultures — Éducation européenne — Travail et loisir — Informatisation de la société — États-nations ou fédérations de régions — Rôle des grandes cultures pour la paix…

2. Les publications suivront d’aussi près que possible ( Cadmos , Dossiers, volumes) les résultats des colloques, séminaires, ou autres groupes occasionnels de recherches.

3. Les associations européennes liées au CEC dès l’origine poursuivront et élargiront leurs activités : — Association européenne des festivals de musique (41 membres) — Association des instituts d’études européennes (35 membres) — Association d’éducation européenne…

4. Campagne d’éducation civique européenne. Pour autant que les responsables des institutions européennes et des associations européennes d’enseignants s’y montrent disposés, il y aura lieu d’étudier avec elles sous quelles formes renouvelées et avec quels moyens nouveaux financiers (non seulement, mais surtout humains) la Campagne d’éducation civique européenne peut être reprise au point où elle fut interrompue en 1978.

5. Archives européennes. Ce nouveau département est en train de naître d’une offre faite par la Fondation Coudenhove-Kalergi, de loger et d’administrer à la Villa Moynier les archives du mouvement paneuropéen. Fondée en 1923 par le comte Richard Coudenhove-Kalergi, inspirateur du fameux Mémorandum Briand présenté à la SDN, Paneuropa peut être considérée comme la première manifestation historique de la volonté d’union des Européens au xx e siècle.

Cette offre a été pour le CEC l’occasion de réaliser son projet de constituer des Archives du CEC et de l’IUEE, qui comporteraient également l’importante documentation dont nous disposons sur le Congrès de l’Europe à La Haye, 1948, et sur la Conférence européenne de la culture à Lausanne, 1949. L’ensemble de ces fonds constituera la base des Archives européennes, dont les statuts viennent d’être signés. Il est souhaitable qu’elles se fédèrent par la suite avec d’autres fonds européens, de telle manière que soit créé à Genève un centre ouvert à la recherche sur l’union européenne, sujet de plus en plus fréquent de thèses universitaires dans tous les pays occidentaux.

6. Enfin, le CEC doit se tenir prêt à intervenir dans des domaines nouveaux qui peuvent se révéler décisifs, parmi lesquels celui que définissent ces trois mots :

Travail, chômage, loisirs créateurs

Voici les données du problème :

La technologie destinée à libérer l’homme du travail servile, aboutit en fait à créer dans nos sociétés non pas de la liberté, mais du chômage. Partant de cette constatation paradoxale, qui exprime la nature de la crise économique du monde occidental, le CEC a proposé à plusieurs fondations et associations d’études européennes d’entreprendre conjointement des recherches proprement culturelles, au sens le plus large du terme, sur un phénomène qu’on nous décrit à tort comme conjoncturel et limité à ses conséquences financières et sociales (si sérieuses soient-elles).

Il devient en effet de plus en plus évident que le problème du chômage déborde de toutes parts le domaine de l’économie industrielle où il se manifeste aux yeux de tous comme « le mal impardonnable »8.

Que le succès même de la technologie, destinée à libérer l’homme du travail servile, aboutisse en fait, dans notre société, à créer du chômage plutôt que de la liberté, voilà bien le scandale éthique qui nous oblige à remettre en question les notions mêmes de travail et de loisir et toutes les valeurs religieuses, coutumières et psychologiques que nous leur donnions et qui changent, sans que nous en prenions conscience.

Entreprendre une série d’explorations dans toutes les dimensions morales et non pas seulement techniques du phénomène, telle sera l’ambition du CEC au cours de la prochaine décennie.

De ces recherches, on peut attendre qu’elles dégagent des motifs nouveaux de relancer la Campagne d’éducation civique européenne.

7. Mais on peut y voir surtout une promesse de renouvellement et de fécondité durable d’un autre projet majeur du CEC : celui d’un dialogue des cultures.

Dans ses lignes générales, ce projet consiste à susciter au sein des grandes cultures vivantes : Monde arabe, Inde, Extrême-Orient, Amérique latine, Afrique noire, la formation de centres analogues au nôtre, qui deviendraient les interlocuteurs d’un colloque permanent à l’échelle mondiale.

Ce « dialogue multilatéral » devrait être, dans notre esprit, beaucoup moins comparatiste que prospectif ; beaucoup moins préoccupé de repérer les contrastes et les analogies dans les religions, les coutumes et les systèmes de valeurs, que de chercher les réponses spécifiques que chaque culture, désormais, devrait être en mesure de donner aux mêmes défis de la civilisation technico-industrielle née de l’Europe.

Sujet majeur, pour la culture, en cette fin du xx e siècle.