Communautés, communesa
1. Les▶ sources ◀de▶ ◀l’▶idée ◀de▶ commune
20 février 1970
◀La▶ commune urbaine ou cité-État qui se manifeste au Moyen Âge a plusieurs sources. D’abord, dans ◀l’▶Antiquité, ◀la▶ polis grecque, dont ◀l’▶image était restée dans ◀les▶ esprits des hommes malgré tous ◀les▶ bouleversements ◀de▶ ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶Empire ◀d’▶Alexandre, ◀de▶ ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶Empire romain et des invasions barbares ; ◀les▶ mouvements ◀de▶ balancier qui font passer du sacralisme ◀de▶ ◀la▶ tribu à ◀l’▶individualisme, ◀les▶ individus se retrouvant ensuite dans une cité, où ils subissent bientôt ◀la▶ tyrannie ◀d’▶une collectivité, ce qui amène un nouvel éclatement ◀de▶ ◀l’▶individualisme, et ainsi ◀de▶ suite ; ◀le▶ point ◀d’▶équilibre, ou moment civique, ou personnalisme, étant réalisé au moment où ◀les▶ libertés et ◀les▶ devoirs s’appuient l’un l’autre, où ◀l’▶homme est libre parce qu’il est responsable, et responsable parce qu’il est libre : ce sont des moments très brefs, qui sont un idéal, mais qui apparaissent à certaines périodes ◀d’▶équilibre politique. À ces sources antiques, il faut ajouter ◀la▶ source chrétienne. ◀La▶ cité du Moyen Âge résulte ◀d’▶une combinaison ◀de▶ ◀la▶ civitas antique et ◀de▶ ◀la▶ paroisse chrétienne. La troisième catégorie ◀de▶ sources est germanique. Elle se manifeste dans ◀la▶ cité du Moyen Âge par ◀la▶ diversité des droits (droit personnel), ◀les▶ particularismes locaux, ◀le▶ grand nombre ◀d’▶autorités différentes qui se recouvrent et se complètent, et ◀le▶ besoin ◀de▶ souveraineté.
14 janvier 1977
Une des racines des communautés ◀de▶ forme spécifiquement européenne qui se sont formées au Moyen Âge est ◀la▶ Sippe germanique. Une autre origine est ◀la▶ cité, ◀la▶ cité antique, civitas romaine, qui est une réalité non pas ◀de▶ sang, ◀de▶ consanguinité ni ◀de▶ race, mais ◀de▶ droit. Une troisième source ◀de▶ communauté, qui est introduite, elle, par ◀le▶ christianisme, par ◀l’▶Église, est ◀la▶ paroisse, communauté dont ◀le▶ principe est spirituel. Il y a donc trois origines des communautés médiévales : ◀l’▶origine tribale (◀l’▶origine germanique), ◀l’▶origine romaine, raisonnable, utilitaire et juridique, et ◀l’▶origine spirituelle, ◀la▶ communauté spirituelle ◀de▶ ◀la▶ paroisse, ◀de▶ ◀l’▶Église. Donc on peut dire que convergent pour former ces communautés ◀la▶ nature, ◀la▶ société et ◀l’▶esprit. Dans ◀la▶ version germanique ◀de▶ ◀la▶ communauté, ◀l’▶homme est défini par sa force et par son rang. Dans ◀la▶ version latine antique, il est défini par sa fonction dans ◀la▶ cité.
14 janvier 1977
◀L’▶esprit des communes germaniques, c’est d’une part ◀la▶ volonté ◀de▶ se gouverner soi-même, ce qu’on appelle aujourd’hui ◀l’▶autogestion, ◀le▶ gouvernement local indépendant, ◀la▶ volonté ◀de▶ se gouverner par un collège ◀de▶ prud’hommes, non par un seul chef qui serait tout de suite un tyran, un dictateur, mais par un collège ou un conseil. ◀L’▶esprit des communes, c’est d’autre part un certain esprit frondeur contre toute espèce ◀de▶ pouvoir personnel, que ce soit donc celui ◀d’▶un dictateur ou celui ◀d’▶un seigneur voisin, qui serait tenté ◀de▶ faire main basse sur ◀la▶ cité, sur ◀la▶ commune. C’est aussi un esprit hiérarchisé, en somme très peu égalitaire. On ne peut pas dire que c’est déjà démocratique, ça ◀l’▶est seulement dans ◀la▶ mesure où, étant une petite communauté, beaucoup de citoyens peuvent se manifester comme tels et manifester leur participation.
27 février 1970
Dans toute ◀l’▶Europe, ◀l’▶esprit des communes, c’est d’abord une volonté ◀de▶ se gouverner soi-même. C’est donc un esprit frondeur contre toute espèce ◀de▶ pouvoir personnel, mais néanmoins pas un esprit démocratique : des hiérarchies se forment très tôt dans ◀les▶ villes. Elles ont leur origine, d’une part, dans ◀les▶ coutumes germaniques, et d’autre part, dans ◀l’▶état économique ◀de▶ ◀l’▶époque : ◀les▶ commerçants tiennent ◀le▶ haut du pavé.
27 janvier 1967
« Moyen Âge » ne veut rien dire, c’est simplement une période intermédiaire qu’on ne sait pas comment appeler autrement. ◀L’▶Empire romain représentait une certaine administration. On sait également ce que sont ◀la▶ Renaissance individualiste, ◀l’▶absolutisme, mais ◀le▶ Moyen Âge ne dit rien. Si on voulait trouver un terme qui caractérise cette époque par son contenu, je crois qu’il faudrait ◀l’▶appeler ◀l’▶époque des communes, des communautés ◀de▶ manière plus générale. Toute ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶homme du Moyen Âge est faite dans et par des communautés, dont ◀la▶ municipalité n’est qu’une des formes, ◀les▶ autres formes étant :
— ◀les▶ ordres religieux qui ont existé au départ avec ◀les▶ grands couvents, ◀les▶ grandes abbayes autour desquelles se sont recréés toutes ◀les▶ branches ◀de▶ ◀la▶ culture en Europe et même, à en croire certains historiens et sociologues, ◀les▶ linéaments du parlementarisme, des conseils, ◀de▶ ◀la▶ manière ◀de▶ débattre des affaires publiques en collèges ;
— ◀les▶ corporations et, sur un plan déjà plus profane, quoiqu’étant coloré ◀de▶ sacré, ◀les▶ ordres ◀de▶ chevalerie ;
— ◀la▶ Table ronde, connue par ◀les▶ romans bretons, qui est une commune, une communauté autour du roi Arthur ;
— puis, naturellement, viennent ◀les▶ communes proprement dites, ◀les▶ municipalités.
25 octobre 1968
Puisqu’elle est sacrée, et qu’elle est ◀le▶ centre du monde, ma patrie est supérieure à toutes ◀les▶ autres. ◀Les▶ ethnographes ont partout remarqué que chaque tribu se targue ◀de▶ supériorité sur toutes ◀les▶ autres, quand elle ne va pas jusqu’à dénier aux étrangers ◀la▶ qualité ◀d’▶hommes véritables.
2. communes, communautés, universités
20 février 1970
Deux types ◀de▶ communautés sont très typiques du Moyen Âge : ◀les▶ universités et ◀les▶ communes urbaines. ◀Les▶ universités sont des communautés qui sont plus proches par ◀l’▶esprit et par leurs structures des communautés monastiques et urbaines que des États-nations dérivés des communautés militaires chevaleresques. Car ◀les▶ universités sont des communautés dans ◀l’▶ordre ◀de▶ ◀la▶ liberté plus que dans ◀l’▶ordre ◀de▶ ◀la▶ discipline ou ◀de▶ ◀l’▶efficacité.
◀Les▶ universités apparaissent en Europe au xiie siècle. ◀Le▶ terme universitas signifie commune, communauté.
Les premières universités sont des unités autonomes, constituées comme des communes politiques, qui ont leur propre administration, assurent leur propre police, et qui ne relèvent pas du prince ou ◀de▶ ◀l’▶évêque voisin, mais uniquement, dans ◀les▶ pays ◀d’▶empire, ◀de▶ ◀l’▶empereur, et dans ◀les▶ pays hors de ◀l’▶empire, du pape. Elles sont donc, dans ◀les▶ deux cas, immédiates à ◀l’▶instance supérieure. ◀L’▶université du xiie , du xiiie et parfois encore du xive siècle, est caractérisée par ◀la▶ souveraineté, ◀l’▶exterritorialité et ◀le▶ droit ◀de▶ s’administrer.
◀La▶ forme ◀de▶ ces unités autonomes correspond aux abbayes d’une part, et aux communes d’autre part. Il faut noter surtout que ◀le▶ terme universitas désigne toujours, à ◀l’▶époque, un corps. On ◀le▶ traduisait à ◀l’▶époque en français par commune, en allemand par Gemeinde. Ces trois termes étaient complètement synonymes. Ainsi, ◀le▶ pacte qui a créé ◀la▶ Suisse, en 1291, n’a pas été fait entre trois cantons, mais entre trois communes qui y sont désignées dans ce texte latin comme des universitates, désignant ◀les▶ communes qui s’étaient établies dans ◀les▶ trois vallées autour du Gothard. C’est seulement plus tard que ◀le▶ terme universitas ne désignera plus n’importe quelle espèce ◀de▶ communauté, mais surtout, et finalement exclusivement, ◀les▶ communautés ◀d’▶études supérieures.
2 décembre 1966
◀La▶ naissance des universités se place aux xiie et xiiie siècles, pour ce qui concerne ◀l’▶Europe. Cette naissance est absolument contemporaine ◀de▶ ◀la▶ naissance des communes et des corporations au Moyen Âge ; ce n’est pas par hasard, puisque les premières universités ont été des communes et des corporations : ◀les▶ communes, au début, cherchaient à garantir leur autonomie en se faisant donner des « lettres ◀d’▶immédiateté impériale ».
C’est exactement ◀le▶ même mouvement qui a amené ◀les▶ communes politiques à chercher ◀l’▶immédiateté impériale, qui a conduit ◀les▶ toutes premières universités à relever exclusivement et directement du Saint-Siège, non pas des autorités ecclésiastiques, même locales.
20 janvier 1967
◀Les▶ universités sont un modèle communal ◀de▶ deux manières : d’abord historiquement puisqu’elles ont été ◀de▶ vraies communes ; ensuite, il se trouve qu’elles pourraient être ◀le▶ lieu où ◀la▶ question des communes serait non seulement étudiée théoriquement et scientifiquement, mais presque expérimentalement. ◀Les▶ problèmes qui se posent aux communes aujourd’hui, problèmes ◀de▶ dimensions, problèmes ◀de▶ participation, problèmes ◀de▶ multiplication des compétences, sont ◀les▶ problèmes qui se posent spécialement aux communes et aux universités. Ils sont des problèmes par nature interdisciplinaires et il semble que, si ◀les▶ universités étaient ce qu’elles doivent être, ce que leur nom indique, ce serait une ◀de▶ leurs tâches privilégiées que ◀de▶ ◀les▶ étudier et ◀d’▶essayer ◀d’▶y trouver des solutions à leur étage.
9 décembre 1966
On parle beaucoup et dans tous ◀les▶ pays, des effectifs universitaires dans des termes à peu près semblables : on cherche un optimum ◀de▶ dimension, du nombre des étudiants et des professeurs dans ◀les▶ universités. Dans ce cas-là, je n’ai qu’un remède ◀de▶ bonne femme, mais j’y crois dur comme fer ; je crois à ◀la▶ vertu des choses petites, des petites universités, des petites dimensions universitaires. Cela me paraît être une des règles ◀d’▶or ◀de▶ ◀la▶ culture européenne qui a toujours été — depuis ◀la▶ Grèce — ◀de▶ chercher une certaine mesure, ◀de▶ ne pas dépasser certaines dimensions, au-delà desquelles ◀les▶ problèmes changent ◀de▶ nature, même qualitative. Donc, ◀la▶ solution pour répondre à cet accroissement gigantesque des effectifs universitaires ne serait pas ◀de▶ gonfler à ◀l’▶infini ◀les▶ universités existantes, ce qu’on est en train de faire, mais au contraire de multiplier ◀les▶ petites universités.
20 janvier 1967
À ◀l’▶explosion des effectifs estudiantins et à ◀l’▶explosion du savoir, correspond, dans ◀les▶ cités modernes, ◀l’▶explosion démographique et ◀la▶ complexité rapidement croissante des spécialisations techniques dans ◀les▶ services publics. ◀Le▶ problème casse-tête du maire, du syndic, du président ◀de▶ conseil municipal ◀d’▶une commune ◀d’▶aujourd’hui, est aussi difficile que celui ◀d’▶un homme cultivé qui voudrait se rendre compte ◀de▶ toutes ◀les▶ spécialités à la fois. Il est obligé ◀de▶ prendre des décisions, l’un dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ culture ou ◀de▶ ◀la▶ création, l’autre dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶administration, qu’il ne peut pas prendre à cause de cette explosion du savoir et des spécialisations.
Aux difficultés pour ◀l’▶homme qui pense ◀de▶ comprendre ◀le▶ monde dans lequel nous vivons aujourd’hui — ◀le▶ cosmos, ◀la▶ matière au sein de laquelle nous vivons — correspondent ◀les▶ difficultés pour ◀le▶ citoyen ◀de▶ participer aux décisions civiques qui vont influencer, à travers ◀la▶ vie ◀de▶ ◀la▶ cité et ◀de▶ ◀la▶ nation, sa vie personnelle.
On peut voir donc des correspondances extrêmement précises entre ◀le▶ problème des dimensions et ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ participation.
3. Démocratie et petites communautés
17 juin 1966
◀La▶ Révolution française a créé ◀la▶ nation au sens moderne. Comment ◀l’▶a-t-elle créée ? Par ◀les▶ théories tirées ◀de▶ Rousseau, moyennant ◀le▶ malentendu fondamental que je vais indiquer.
◀La▶ volonté générale, chez Rousseau, ne devait s’appliquer qu’à ◀de▶ petites communautés, ◀de▶ petites cités — petites communautés rurales, comme au centre ◀de▶ ◀la▶ Suisse, ou petites cités, comme Genève — puis ensuite, tout ◀d’▶un coup, par ◀les▶ jacobins et ◀les▶ théoriciens ◀de▶ ◀la▶ Révolution française, elle a été appliquée à un grand pays ◀de▶ vingt-trois-millions ◀d’▶habitants.
27 juin 1969
Rousseau vient ajouter quelque chose ◀de▶ très important, en introduisant ◀le▶ concept ◀de▶ volonté générale. Il prépare ◀la▶ Révolution française, qui s’empare des concepts ◀de▶ Rousseau sans se douter qu’elle ◀les▶ dénature complètement. En effet, pour Rousseau, il ne pouvait s’agir que ◀d’▶une cité très petite, telle celle ◀de▶ Genève. ◀Les▶ inspirateurs ◀de▶ ◀la▶ Convention n’ont pas fait attention à toutes ◀les▶ mises en garde prodiguées par Rousseau contre ◀le▶ fait que, si sa doctrine était transposée dans un grand pays comme ◀la▶ France, elle serait absolument dénaturée, et cela donnerait lieu à ◀la▶ tyrannie. C’est pourquoi on a pu parfois, par erreur, faire ◀de▶ Rousseau ◀l’▶ancêtre des totalitaires du xxe siècle.
15 novembre 1968
Rousseau parle ◀de▶ ◀la▶ volonté générale du peuple en ayant toujours à ◀l’▶esprit quelque chose ◀de▶ très concret et qu’il connaît bien, c’est ◀la▶ Landsgemeinde de la Suisse allemande — tous ◀les▶ citoyens assemblés sur ◀la▶ place du village — ou tous ◀les▶ citoyens ◀de▶ Genève — assemblés dans ◀la▶ cathédrale. C’est cela, ◀le▶ « souverain » dont il parle : un souverain visible, concret, qui se manifeste sur ◀la▶ place. Dès qu’on dépasse ces dimensions ◀de▶ ◀la▶ réunion ◀de▶ tous ◀les▶ citoyens dans une enceinte, on ne peut plus voir ◀le▶ peuple, on ne peut donc plus parler ◀de▶ ◀l’▶expression ◀d’▶une volonté générale et on tombe dans tous ◀les▶ sophismes qui conduisent à ◀la▶ dictature, quand cette dictature se prétend ◀l’▶expression seule admissible ◀de▶ ◀la▶ volonté générale.
17 février 1967
Il s’agit ◀de▶ recréer des possibilités ◀de▶ communauté humaine définie maintenant, non plus comme ◀la▶ nation ancienne, par ◀les▶ frontières, par ◀le▶ contour physique, ou par ◀l’▶état civil, mais des communautés définies par leurs buts sociaux, culturels, ou spirituels, donc des communautés que j’appelle électives, ◀les▶ anciennes communautés étant des communautés natives.
17 février 1967
◀L’▶homme est à la fois libre et responsable ; donc, il n’est pas seulement responsable, il n’est pas seulement un citoyen engagé dans ◀la▶ vie civique, il doit aussi être libre, et pouvoir manifester cette liberté. Il ◀le▶ fera dans ◀les▶ groupes sociaux électifs, c’est-à-dire dans ◀les▶ groupes ◀de▶ communautés auxquels il pourra librement adhérer, communautés qui, dans leur principe, débordent très largement ◀la▶ petite cellule sociale qu’est ◀l’▶unité ◀d’▶habitation ou ◀la▶ cité-satellite. Ces groupes sociaux électifs sont donc définis par des idées, des préoccupations et des besoins moraux, psychologiques, religieux, culturels, et non plus par ◀la▶ localité où ◀l’▶on est né, par ◀les▶ traditions familiales ou villageoises, par ◀le▶ territoire, ou simplement par ◀la▶ juxtaposition physique des gens.
17 décembre 1976
Dans toutes ◀les▶ associations locales, il y a une chose qui est très sensible, c’est que chacun a besoin ◀de▶ tous, et que tous ont besoin ◀de▶ chacun, tous ont besoin ◀de▶ responsables individuels, il s’agit vraiment ◀d’▶une équipe et non ◀d’▶un troupeau. ◀La▶ définition ◀de▶ cet état de choses est devenue ◀la▶ devise des Suisses dès ◀le▶ Moyen Âge, « Un pour tous et tous pour un », qui traduit exactement cela.
4. Civisme et dimension ◀de▶ ◀la▶ cité
3 décembre 1976
Si ◀la▶ cité est mesurée, ◀l’▶homme peut s’y manifester en tant que citoyen ; citoyen, c’est-à-dire libre et responsable, l’un étant ◀le▶ complément et ◀la▶ condition ◀de▶ l’autre. Si ◀la▶ cité devient trop grande, il n’y a plus que des individus qui perdent leur responsabilité.
27 janvier 1967
1. Dans ◀la▶ petite cité grecque, ◀le▶ type ◀d’▶homme qui correspond aux dimensions « petite cité » est ◀le▶ citoyen actif, libre et responsable.
2. Puis vient ◀l’▶étape ◀de▶ ◀la▶ cité hellénistique, ◀la▶ cité ◀de▶ ◀l’▶époque ◀d’▶Alexandre, puis ◀de▶ ses successeurs, ◀la▶ multiplication des grandes villes, là où il n’y avait rien. C’était une période ◀de▶ création artificielle ◀de▶ cités qui n’avaient pas ◀les▶ mesures traditionnelles des petites cités grecques, qui étaient bâties en damier — selon ◀le▶ plan ◀de▶ Milet — avec ◀de▶ grandes avenues en ◀croix▶, puis de plus petites avenues qui achevaient ◀le▶ quadrillage, et des dimensions telles qu’il n’était plus question ◀de▶ réunir toute ◀la▶ population sur ◀l’▶agora, de sorte que ◀la▶ population se scindait en quartiers, qui se spécialisaient chacun dans une profession. On arrivait ainsi à avoir ◀le▶ quartier des savetiers, ◀le▶ quartier des ouvriers sur métaux, ◀le▶ quartier des commerçants, etc. Spécialisation et manque ◀d’▶intérêt pour ◀les▶ choses civiques, par éloignement. ◀Le▶ type ◀d’▶individu qui correspond à cette cité est donc ◀l’▶individu civiquement passif.
Cette décadence civique ◀de▶ ◀la▶ cité, suivant immédiatement ◀l’▶agrandissement ◀de▶ ses dimensions, se produit très vite : entre ◀le▶ ive et ◀le▶ iiie siècle. On arrive à un tel degré ◀de▶ passivité des citoyens, qu’on peut dire que ◀la▶ devise ◀de▶ ces villes est « un tyran pour tous et chacun pour soi ».
26 novembre 1976
◀Les▶ hommes des grandes cités s’habituent, tout naturellement, à être gouvernés au lieu de se gouverner. ◀L’▶homme ◀de▶ ◀la▶ polis se gouvernait. ◀L’▶homme ◀de▶ ◀la▶ grande ville est gouverné ◀de▶ ◀l’▶extérieur, ◀d’▶une manière passive, il assiste aux luttes entre ◀les▶ chefs ◀de▶ partis, beaucoup plus qu’il n’y prend sa part ; il est là vraiment en spectateur, pour marquer ◀les▶ points, pour applaudir ou siffler, pour jouer le rôle de public devant ◀les▶ grands ténors ◀de▶ ◀la▶ politique. Il est passionné parfois, mais lui-même ne joue pas, c’est-à-dire qu’il est citoyen comme on dit aujourd’hui qu’est sportif celui qui va voir ◀les▶ matchs ◀le▶ dimanche ou ◀les▶ regarde à ◀la▶ TV.
20 janvier1967
Il est évident que personne ne peut participer à ◀la▶ vie ◀d’▶une commune comme celle ◀de▶ New York, qui groupe huit à neuf millions ◀d’▶habitants, c’est ◀de▶ ◀la▶ folie pure. On a dépassé complètement toute possibilité ◀de▶ concevoir ◀l’▶ensemble civique dans lequel on pourrait agir.
À partir de cet extrême ◀de▶ ◀la▶ mégalopole — on ne peut pas aller beaucoup plus loin —, il faudra voir comment retrouver ◀l’▶unité ◀de▶ base, ◀la▶ cellule, ◀l’▶unité ◀d’▶usage et ◀de▶ participation civique.
5. Dimension politique et fédéralisme
10 février 1967
Megalopolis est une sorte ◀de▶ limite, qu’on est en train d’atteindre, au-delà ◀de▶ laquelle on ne pourra plus aller. C’est ◀la▶ fin ◀d’▶une évolution, dont ◀le▶ début était ◀la▶ Grèce. C’est ◀la▶ destruction ◀de▶ ◀la▶ possibilité humaine ◀de▶ participer à ◀l’▶administration des choses publiques, c’est ◀la▶ destruction des communes, et c’est ◀la▶ dépolitisation, au pire sens du mot, au sens étymologique, puisque polis était ◀la▶ ville en grec — s’occuper ◀de▶ politique signifiait s’occuper des affaires ◀de▶ ◀la▶ commune. Étymologiquement, dépolitisation veut dire : désintérêt des affaires ◀de▶ ◀la▶ cité et ◀de▶ ◀la▶ commune.
15 novembre 1968
Dans la première cité grecque, dans ◀les▶ petits cantons suisses et à Genève, ◀la▶ démocratie pouvait jouer. Quand un pays est très petit, il y a pratiquement autant ◀de▶ magistrats que ◀de▶ citoyens. Quand ◀le▶ pays s’agrandit, ◀la▶ proportion des magistrats par rapport au nombre des citoyens diminue. À ◀la▶ limite, on peut imaginer que, dans un très grand pays, il faut un dictateur. C’est une conclusion logique. Plus un pays est petit, plus il sera libre.
26 novembre 1976
De même qu’on peut définir ◀le▶ prolétaire comme quelqu’un qui ne jouit pas des produits ◀de▶ son travail, n’en voit que ◀les▶ morceaux, on peut dire que ◀l’▶homme des grandes cités est un prolétaire politique : il est soumis à des mécanismes qui échappent complètement à ses prises ◀de▶ décision. Cette ruine des bases ◀de▶ tout fédéralisme, ◀de▶ ◀l’▶autonomie et ◀de▶ ◀la▶ participation, ce triomphe ◀de▶ ◀l’▶impérialisme, ce fut en même temps ◀la▶ ruine ◀de▶ ◀la▶ civilisation, ◀de▶ ◀la▶ culture grecque. Et de même que ◀l’▶hégémonie était à la fois cause et résultat ◀de▶ ◀la▶ faiblesse politique des ligues, de même cet état ◀de▶ prolétarisation politique, ◀d’▶individualisme atomisé, cette faiblesse intime du citoyen, ce vide social, comme je ◀l’▶appelle, sera à la fois ◀la▶ cause et ◀le▶ résultat des grands empires militaires qui se multiplieront après ◀la▶ mort ◀d’▶Alexandre. Car là où ◀l’▶homme n’est plus total, ne veut plus être total, ◀l’▶État peut devenir totalitaire ; et là seulement.
26 novembre 1976
Il y a près de cent ans que nous nous figurons, en Occident, qu’on peut multiplier n’importe quoi par n’importe quel chiffre, pourvu qu’on trouve assez ◀d’▶argent, assez ◀de▶ matières premières, et ◀l’▶on ne se rend pas compte, ce faisant, qu’on déforme complètement ◀l’▶utilité ◀de▶ ◀la▶ chose, sa nature même. Voilà donc ◀le▶ problème principal, posé par ◀les▶ Grecs, celui ◀de▶ ◀la▶ dimension optimale entre deux maxima contradictoires : celui ◀de▶ ◀la▶ force qu’on voudrait obtenir par ◀la▶ fédération ou par ◀l’▶accumulation quantitative d’une part, et celui ◀de▶ ◀la▶ vitalité qu’on ne peut obtenir qu’en favorisant ◀la▶ participation et ◀l’▶exercice effectif des libertés civiques. Or, cette participation et cet exercice effectif deviennent matériellement impossibles quand ◀la▶ cité est trop grande.
29 octobre 1965
◀La▶ santé du fédéralisme dépend des dimensions ◀de▶ ◀la▶ cité, par quoi je ne veux pas dire nécessairement ◀la▶ petitesse en soi, mais ◀l’▶adaptation des dimensions démographiques et physiques d’une part, et des systèmes ◀de▶ distribution des pouvoirs ◀de▶ décision, d’autre part.
27 janvier 1967
On ne peut pas empêcher ◀l’▶extension indéfinie du nombre des étudiants dans ◀les▶ universités, mais on peut recréer dans chaque université des petites unités ◀de▶ recherche ou ◀d’▶enseignement qui soient vivables et vivantes.
C’est donc ◀le▶ problème, posé par ◀les▶ Grecs, ◀de▶ ◀la▶ dimension optimale entre ◀les▶ deux maxima contradictoires ◀de▶ ◀la▶ puissance qu’on obtient par ◀l’▶accumulation quantitative, et du bien-être ; ou ◀de▶ ◀la▶ grandeur, et ◀de▶ ◀la▶ participation et des libertés civiques.
Sur ◀la▶ participation, j’ai dit souvent à quel point ◀les▶ petites dimensions des cités grecques primitives permettaient à chaque citoyen ◀d’▶exercer pleinement ses droits et ses devoirs civiques.
26 novembre 1976
Dans ◀le▶ passage ◀de▶ ◀la▶ cité-État à ◀l’▶empire trop vaste, à travers ◀la▶ fédération manquée des cités-États grecques, il y a ◀le▶ passage ◀de▶ ◀la▶ cité à mesure ◀d’▶homme, tel que Platon et Aristote (son maîtreb) ◀l’▶avaient définie, à une cité agrandie uniquement pour des motifs économiques, ◀les▶ grandes cités dites hellénistiques qui se multiplient dans ◀l’▶Empire ◀d’▶Alexandre et dans ◀les▶ royaumes successeurs. Des cités qui, loin de s’autoréguler, s’abandonnent à une croissance exponentielle, comme ◀l’▶économie ◀de▶ ◀l’▶époque. Ce problème des dimensions est absolument fondamental pour toute ◀la▶ définition du fédéralisme.
6. Croissance des villes et participation civique
27 janvier 1967
◀La▶ banlieue n’est ni ◀la▶ cité, ni ◀la▶ campagne : c’est ◀l’▶endroit où ◀la▶ campagne et ◀la▶ cité se rejoignent, mais se détruisent l’une l’autre, parce qu’il est évident que ◀la▶ banlieue n’a plus aucun des avantages ◀de▶ ◀la▶ campagne — on y détruit ◀les▶ arbres, ◀le▶ sol, ◀les▶ champs, et ◀la▶ fumée détruit tout ce que ◀le▶ ciment a épargné, ou ◀la▶ pierre — et n’a pas non plus ◀les▶ avantages ◀de▶ ◀la▶ ville, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ rencontre, ◀de▶ ◀la▶ vie commune. Dans ◀les▶ banlieues, chacun vit pour soi, dans son coin, dans ◀de▶ grandes habitations, il n’y a pas ◀de▶ centre des quartiers ◀de▶ banlieue, bien entendu. C’est donc une espèce ◀de▶ lèpre ◀de▶ pierre et ◀de▶ fer, qui se répand autour des grandes villes, et à laquelle on n’a su opposer, dans toute la première partie du xxe siècle, que ce qu’on a appelé ◀les▶ grands ensembles, ces grands bâtiments rectangulaires, ces grands parallélépipèdes, ou ces énormes alignements ◀de▶ maisons toutes pareilles qui ne sont rien ◀d’▶autre que ◀la▶ rationalisation du chaos social, du taudis, et qui ne sont pas vraiment ◀de▶ nouvelles communes ajoutées aux anciennes villes, mais ◀de▶ simples entassements ◀de▶ solitudes, où vous ne trouvez ni ◀la▶ vie communautaire des petites cités, ni ◀le▶ grand air, ◀l’▶espace, sauf, quelquefois, un jardinet.
23 janvier 1970
Autour de ◀la▶ place et dans ◀la▶ rue ◀de▶ ◀la▶ polis primitive sont nées toutes ◀les▶ catégories ◀de▶ ◀la▶ vie politique qui sont encore les nôtres. Autour de ◀l’▶agora se dressent tous ◀les▶ bâtiments importants qui symbolisent ◀les▶ composantes ◀de▶ ◀la▶ vie publique. ◀L’▶agora est généralement un espace rectangulaire, autour duquel se dressent ◀l’▶hôtel de ville, ◀le▶ temple, ◀le▶ gymnase ; autour de ◀la▶ place, un portique, où ◀les▶ gens discutent ; sur ◀la▶ place, ◀le▶ marché. ◀L’▶agora sera transposée par ◀les▶ Romains sans aucun changement : ce sera ◀le▶ forum. Quand ◀le▶ forum sera trop petit pour réunir tous ◀les▶ citoyens, ceux-ci nommeront ◀les▶ délégués qui siégeront dans ◀le▶ Sénat. ◀La▶ place est donc ◀le▶ centre ◀de▶ ◀la▶ vie politique, c’est là que se forme ◀l’▶opinion et que se font ◀les▶ décisions ◀de▶ ◀l’▶assemblée.
◀La▶ question est ◀de▶ savoir si dans ◀les▶ villes ◀d’▶aujourd’hui, qui sont devenues trop grandes, on peut parler ◀de▶ démocratie réelle, ◀de▶ participation du citoyen à ◀la▶ vie des institutions, alors que ◀la▶ place a disparu et que même ◀la▶ rue ne peut plus jouer son rôle. ◀La▶ réponse est évidemment non.
26 novembre 1965
Toutes ◀les▶ tensions dans ◀la▶ vie sociale et civique européenne se manifestaient autour de ◀la▶ place et des bâtiments qui ◀l’▶entourent. Entre ces bâtiments pris par paires, deux par deux, on pouvait trouver ◀les▶ tensions qui permettent ◀de▶ reconstruire au fond toute notre civilisation.
Prenez, par exemple, ◀l’▶église et ◀la▶ mairie, qui sont traditionnellement en opposition, dans ◀les▶ pays où il y a ◀de▶ ◀l’▶anticléricalisme ; entre ◀l’▶église et ◀la▶ mairie, qui sont toutes ◀les▶ deux sur ◀la▶ place du bourg, du village ou ◀de▶ ◀la▶ petite ville, vous avez cette tension qui reproduit à ◀l’▶échelle communale, municipale, ◀la▶ vieille opposition entre ◀la▶ papauté et ◀l’▶empire.
Entre ◀la▶ mairie ou ◀l’▶hôtel de ville et ◀le▶ café, vous avez ◀le▶ contraste entre ◀le▶ pouvoir établi et ◀l’▶opposition, qui se réunit toujours dans ◀les▶ cafés ; en tout cas, dans toute ◀la▶ partie méridionale ◀de▶ ◀l’▶Europe, c’est dans ◀les▶ cafés que toutes ◀les▶ oppositions se forment ; en France, c’est encore très frappant, mais aussi en Grande-Bretagne et en Hollande. C’est dans ◀les▶ cafés qu’a pris naissance ◀la▶ presse moderne, au xviie siècle, surtout au xviiie siècle ; c’est dans ◀les▶ cafés qu’elle se discutait, que ◀les▶ articles étaient rédigés, et ensuite que ◀l’▶on commençait à vendre, à diffuser ◀les▶ journaux. C’est encore devant ◀les▶ cafés et ◀les▶ terrasses ◀de▶ cafés que vous avez, aujourd’hui, ◀les▶ kiosques à journaux.
C’est aussi sur ◀la▶ place que se rencontrent aujourd’hui, comme du temps des Grecs, ◀les▶ campagnards et ◀les▶ citadins, ◀les▶ gens du lieu et ◀les▶ voyageurs, et enfin, c’est là que se manifeste ◀l’▶économie, à laquelle ◀le▶ marché a donné son nom depuis deux et demi à trois millénaires.
Lieu ◀de▶ rencontre donc, lieu ◀de▶ discussion, lieu ◀de▶ vente et ◀d’▶achat, lieu ◀de▶ flirt (indiquent tous ◀les▶ auteurs anciens), rôle important dans ◀la▶ vie des cités grecques et romaines, lieu ◀de▶ conversations politiques, ◀de▶ création ◀de▶ partis, lieu ◀de▶ procès et aussi ◀de▶ théâtre, aux origines, surtout en Grèce, ◀l’▶agora a en plus donné naissance à nos parlements modernes. Elle est vraiment ◀la▶ cellule mère ◀de▶ notre civilisation occidentale, et nous pouvons y repérer tous ◀les▶ éléments ◀de▶ ◀la▶ chaîne chromosomique qui déterminera ◀les▶ formes ◀de▶ notre existence politique.
19 février 1976
Quand une ville devient trop grande, il n’est plus question qu’elle ait pour centre une grande place avec tous ◀les▶ monuments significatifs. Dès ◀le▶ xviie , xviiie siècle surtout, ◀la▶ place des communes, qui était ◀la▶ manifestation même ◀de▶ ◀la▶ démocratie, devient tout à fait autre chose : un espace géométrique, qui sert surtout pour ◀les▶ défilés militaires, qui n’appartient donc plus au peuple, mais au souverain (il y a souvent ◀la▶ statue du souverain au milieu). On n’y trouve plus ◀les▶ monuments publics représentant ◀les▶ différentes fonctions ◀de▶ ◀la▶ société et ◀les▶ tensions qui ◀l’▶animent. Dans ◀la▶ grande ville moderne, ◀la▶ place (◀l’▶agora) est devenue un parking très souvent, tandis que ◀les▶ rues sont envahies par ◀les▶ autos, c’est-à-dire qu’elle n’est plus livrée aux citoyens, à leurs rencontres, à leurs manifestations éventuelles ou à leurs réunions au conseil ◀de▶ ◀la▶ ville.
10 février 1967
Ce qui est frappant dans la plupart des ouvrages sur ◀l’▶urbanisme, sur ◀la▶ cité ◀de▶ demain, voire sur ◀l’▶aménagement du territoire en général, c’est à quel point ◀le▶ problème civique, c’est-à-dire ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ participation ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀de▶ ◀la▶ femme, en état ◀de▶ s’en occuper, aux affaires publiques, n’est pas pris en compte par ◀les▶ auteurs.
7. Cités, régions, fédération
14 novembre 1969
À partir du viie siècle, ◀l’▶homme grec invoque Zeus, pour qu’il garantisse ◀les▶ droits ◀de▶ ◀la▶ cité. ◀Les▶ lois ◀de▶ ◀la▶ cité sont une sorte ◀de▶ conquête sur ces petits génies têtus et myopes qu’étaient ◀les▶ petits dieux du clan sacré, qui étaient toujours des dieux méchants. Désormais, avec ◀les▶ lois ◀de▶ ◀la▶ cité, ◀les▶ hommes pourront casser ◀les▶ décrets arbitraires ◀de▶ ces dieux qui représentaient ◀le▶ destin implacable. Ainsi, ◀l’▶invocation à Zeus devient une sorte ◀d’▶appel au transcendant, c’est-à-dire à tout ce qui dépasse tous ◀les▶ petits intérêts privés, à ce qui garantit ◀la▶ justice égale pour tous.
17 février 1967
Je ne préconise absolument pas ◀le▶ retour aux communes anciennes. Je ne préconise pas une restauration des libertés communales, telle qu’elle est, trop souvent à mon gré, revendiquée par ◀de▶ grandes associations comme ◀le▶ Conseil des communes ◀d’▶Europe, ou ◀l’▶Union des villes et des pouvoirs locaux, qui me semblent vouloir trop s’en tenir à ce modèle du village ou ◀de▶ ◀la▶ petite cité que nous avons hérité du Moyen Âge, où cela remplissait parfaitement sa fonction.
Pour une quantité ◀de▶ services, ◀les▶ tâches des communes sont déjà régionales, dépassent ◀les▶ limites ◀de▶ ◀la▶ commune. Pensez à ◀l’▶eau : il est très rare qu’une commune puisse avoir son eau ; en général, elle vient d’ailleurs, car des questions ◀de▶ canalisation, ◀de▶ distribution ◀d’▶eau, ◀d’▶épuration ◀d’▶eau obligent ◀les▶ communes à coopérer. ◀Les▶ questions ◀d’▶électricité, ◀la▶ vie culturelle, ◀la▶ vie des écoles supérieures, ◀la▶ formation professionnelle, ◀les▶ théâtres, demandent quelque chose de plus grand que ◀les▶ communes anciennes. ◀Le▶ système des hôpitaux également est trop cher pour une commune, et il demande ◀la▶ mise en coopérative ◀de▶ plusieurs communes. Une des choses principales qui manquent aujourd’hui à ◀la▶ commune, c’est ◀la▶ possibilité ◀de▶ prévision : toutes ◀les▶ études ◀de▶ prospective, qui ne peuvent pas être faites à ◀l’▶échelle ◀d’▶un maire ◀de▶ village paysan, fût-il un très bon agronome. Tous ces services débordent ◀la▶ dimension ◀de▶ ◀la▶ commune, et on ne peut rien y faire. ◀Le▶ cadre communal est dépassé en fait, et ◀d’▶une manière irréversible.
On en vient à ◀la▶ notion ◀de▶ groupement ◀de▶ communes : quelque chose ◀d’▶assez grand pour ◀la▶ liberté culturelle et quelque chose ◀d’▶assez petit pour ◀l’▶engagement civique ne peut être obtenu qu’en groupant des petites communes.
3 février 1967
◀Les▶ variations ◀de▶ dimensions et ◀de▶ formes des cités correspondent exactement à des variations dans ◀la▶ participation civique des personnes, dans ◀le▶ degré ◀de▶ liberté des communautés locales, ◀les▶ cellules ◀de▶ base qui sont indispensables si on veut faire une société fédéraliste, par rapport à ◀l’▶État central.
Ainsi, à ◀la▶ croissance gigantesque, incontrôlée des villes, correspond exactement ◀la▶ décadence ◀de▶ ◀la▶ vie communale et ◀l’▶extension ◀d’▶un étatisme toujours plus rigide, toujours plus onéreux et ◀de▶ moins en moins efficace.
24 avril 1970
◀La▶ réponse à ◀la▶ contestation ◀de▶ ◀la▶ jeunesse, dans ◀le▶ monde entier, ne relève pas ◀de▶ ◀l’▶économie, et encore moins ◀de▶ ◀la▶ politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige ◀la▶ recréation ◀de▶ communautés véritables. Et ◀la▶ Cité européenne — Res publica europea — fondée sur ◀les▶ communes et ◀les▶ régions librement fédérées du continent, peut en offrir ◀le▶ modèle.
Si ◀l’▶on me dit maintenant que c’est une utopie que ◀de▶ vouloir dépasser ◀l’▶État-nation, je réponds que c’est au contraire ◀la▶ grande tâche politique ◀de▶ notre temps.