(1968) Revue de Belles-Lettres, articles (1926–1968) « Conte métaphysique : L’individu atteint de strabisme (janvier 1927) » pp. 54-55

Conte métaphysique : L’individu atteint de strabisme (janvier 1927)d

Comme le démiurge venait de peser sur le commutateur des étoiles… l’une, se décrochant sans plus d’hésitation, se mit à pérégriner dans les régions de chasse gardée du ci-devant soleil. C’est là qu’Urbain, premier du nom dans sa famille, laquelle n’avait compté jusqu’alors que d’authentiques avocats et un chapelier dont tous s’accordaient à dire qu’il ne péchait que par excès de bonne humeur printanière, Urbain donc, premier mauvais garçon d’une race entre toutes bénie — par qui ? elle était anticléricale, on ne saurait le taire, — Urbain dormait.

L’étoile, jeune fille, roulait gentiment sur ses pointes, tout scintillement pudiquement dissimulé. Vers 1 heure, elle éclaira d’une rose caresse lumineuse la chevelure rouge d’Urbain, et son nez, lequel, par ses dimensions remarquablement exagérées, lui valait le surnom de Bin-Bin. Urbain ouvrit les yeux et ne vit rien. On rappelle que les étoiles s’étaient décrochées de leur poste dans l’éternité. « Éternité désaffectée, c’est bien dommage, dit-il en s’étirant ; le printemps désormais rendra le ciel plus pâle, et nous irons chercher dans le souvenir les vent-coulis de la mort. Garçon, un café, un ! »

Mais l’étoile chantait dans l’axe de sa vie normale et s’approchait en faisant la roue — celle à qui sourit la Fortune. Urbain, fort d’une hérédité judiciaire et française, dédaigna des avances que la perte de son sens de l’éternel rendait pourtant considérables, au sens étymologique du terme. Il loucha vers le néant, retourna ses poches, ôta ses gants qu’il jeta, puis, après un grand coup de pied dans le vide symbolique des systèmes, sortit, c’est-à-dire qu’il fit un pas dans une direction quelconque.

L’étoile pleurait, sentimentale.