(1935) Articles divers (1932-1935) « « La jeunesse française devant l’Allemagne » [Réponse à une enquête] (mai 1933) » pp. 7-9

« La jeunesse française devant l’Allemagne » [Réponse à une enquête] (mai 1933)e

En face de deux pays gouvernés par des hommes de 40 ans, c’est-à-dire par les chefs de la jeunesse révolutionnaire, en face d’une Russie dont le dynamisme juvénile est assez puissant pour animer la plus sclérosée des doctrines étatistes, la France offre le spectacle de sa gérontocratie bavarde, de ses petites niaiseries parlementaires, de son ballet désuet : droite-gauche, gauche-droite… En face de jeunesses bottées, nu-tête, chemise ouverte, dont notre presse aime à railler les uniformes, qu’avons-nous à aligner ? Un attirail de faux cols durs, de rosettes, de gros ventres et de chapeaux melons.

La France n’est plus contemporaine des nations qui l’entourent et qui la menacent. Tel est le fait. Elle souffre d’une carence aiguë de la jeunesse. C’est pourquoi le problème de son destin se confond avec le problème de notre génération. La sécurité ne sera jamais garantie par la signature des vieillards ; elle repose sur la puissance révolutionnaire, c’est-à-dire sur la jeunesse de la nation.

Mais la jeunesse française existe-t-elle ? On put le croire vers 1925. C’était, l’on s’en souvient, le temps de l’inquiétude. Le désordre des choses s’imposait aux esprits, ils s’appliquaient à le refléter dans leurs œuvres ; un peu plus de violence réelle les eût fait accéder à la conscience active et concrète de l’époque ; et c’eût été le premier pas vers le salut. Mais les uns se perdirent en eux-mêmes, les autres dans on ne sait quelles brigues innommables. De l’inquiétude à la Légion d’honneur, la route n’est pas si pénible qu’on peut le croire : elle comporte moins de sacrifices que de prix littéraires et de coups de pied au derrière.

Cette jeunesse a terriblement vieilli : elle est déjà jeune-radicale.

On dit aussi, je le sais bien, que l’idéologie révolutionnaire fait des ravages, depuis peu, dans les primes cervelles bourgeoises. Une revue jésuite parlait l’autre jour, non sans effroi, du « bolchévisme intellectuel » qu’auraient manifesté certains écrits récents, publiés par des revues littéraires. Peut-être voulait-on faire allusion aux exercices de rhétorique prolétarienne publiés ici où là par quelques chiens de garde du conformisme stalinien. Nous nous étonnerons alors des craintes du bon père : personne en France ne peut croire sérieusement aux vertus « révolutionnaires » d’une doctrine destinée à périr avec le système régnant, qu’elle croit combattre, et dont elle figure le dernier stade de décomposition spirituelle.

Non, le problème de la jeunesse française, le problème de notre révolution est ailleurs. Il est précis. Il se pose en termes historiques bien définis : c’est le problème de la destruction des tyrannies étatistes, au nom des droits de la personne. La France possède une tradition révolutionnaire personnaliste. C’est cette tradition qui a fondé l’autorité de la France dans le monde moderne. Mais la démocratie l’a sabotée, ruinée et trahie. De la personne elle a fait l’individu, ouvrant ainsi les voies aux collectivismes qui triomphent actuellement dans toute l’Europe de l’Est. De la patrie, centre de rayonnement, elle a fait la nation-carcan. Et de l’universalité de la personne, elle a permis qu’on tire l’internationalisme, c’est-à-dire la négation de toutes les raisons d’être personnelles. (Je m’excuse du pléonasme.) Telle est la cause profonde du déclin d’un prestige universel.

Et voici notre tâche : en face de mouvements qui tirent toute leur puissance de nos trahisons, nous avons à restaurer le principe permanent de notre grandeur, la revendication personnaliste.

Nous avons à relever le défi que fascistes et hitlériens sont justifiés à nous jeter. Nous ne le ferons pas en défendant des institutions démocratiques qui sont le témoignage de notre démission ; nous ne le ferons pas en nous mettant à la remorque du marxisme, fils d’une démocratie exsangue ; nous le ferons bien moins encore par l’affirmation tardive d’un nationalisme traître à la patrie. Notre réponse ne prendra pas la forme d’une justification, mais d’une accusation. Au nom de la personne, seul fondement de l’universel, nous dénoncerons les tyrannies racistes et collectivistes. Au nom de la patrie, lieu d’enracinement de la personne, nous dénoncerons les mystiques nationalistes et leurs guerres. Ainsi notre accusation ne sera pas l’égoïste résistance du bien « particulier » au bien public, l’égoïste et meurtrière opposition du plus fort, du plus ancien, du plus nombreux, du plus allemand ou du plus riche à l’ordre spirituel, c’est-à-dire au bien du prochain. Elle sera au contraire la revendication universelle de l’humain contre tout ce que l’homme invente pour se mettre à l’abri du risque normal et nécessaire de l’existence, contre toutes les tyrannies qu’il s’impose en vertu du sadisme de la lâcheté.

Telles sont les bases de l’Ordre nouveau pour lequel nous sommes prêts à combattre. Et c’est à lui que désormais s’adresseront ceux qui veulent s’adresser à la jeunesse d’un pays. Ils trouveront enfin à qui parler.

Le problème de notre attitude devant la guerre est subordonné à celui de notre révolution. La guerre des capitalistes est une pièce de leur système. Ces massacres pour des gros sous ne méritent pas le nom de guerre. Nous réservons ce nom pour désigner les luttes réelles, peut-être inévitables, qui marqueront demain l’opposition des conservateurs fascistes, hitlériens on marxistes à l’Ordre nouveau. Sabotons la guerre capitaliste. Par tous les moyens. Elle ne peut que retarder l’accession aux conflits nécessaires.