(1935) Articles divers (1932-1935) « « Pour qui écrivez-vous ? » [Réponse à une enquête] (janvier-février 1934) » pp. 571-572

« Pour qui écrivez-vous ? » [Réponse à une enquête] (janvier-février 1934)h

J’écris à ceux qui ont des oreilles pour entendre, amis que ma parole n’atteindrait pas, mais ce message. J’écris pour ceux qui attendent courageusement une réponse. Ce n’est pas que je puisse donner cette réponse, loin de là. Je voudrais seulement les aider à prendre au sérieux leur question. J’écris pour ceux qui sont en marche, pauvres hommes, pauvres impuissants, restant de la Colère de Dieu, aussi de sa miséricorde. Il n’y a pas de communion humaine hors l’unanime attente trébuchante, hors la Promesse accordée à notre acte, humble et violent.

Voilà ce que je veux. Mais je ne sais pas ce que je puis. Je ne sais pas pour combien d’hommes, ni pour quels hommes j’aurai pu être « le prochain » (Luc 10. 36/37), — le prochain de ces misérables qui vivent au milieu des brigands, victimes et complices.

On reconnaît ici le cri : À bas les Voleurs !, mot d’ordre des troupes fascistes ces dernières semaines dans les rues de Paris. À part cela, M. de Rougemont, malgré ses appels à Luc, n’a pas répondu à notre question, il fait métier d’être incapable de répondre aux questions. Aussi quittant le ton des prophètes ajoute-t-il à l’usage des importuns qui posent des questions un petit post-scriptum d’une atroce perfidie :

P.-S. On voudrait bien savoir pour quelle espèce d’hommes on écrit, en fait, mais il faudrait des statistiques difficiles à établir. Par exemple : combien de petits-bourgeois, combien de bourgeois, combien de paysans, combien d’intellectuels parmi les lecteurs de Commune ?