(1962) Esprit, articles (1932–1962) « Préface à une littérature (octobre 1934) » pp. 24-33

Préface à une littérature (octobre 1934)f

D’un présent confus et mauvais, qu’allons-nous tirer, mes amis, sinon la négation d’un mal, et ce n’est pas encore le bien sauveur ! Voici notre erreur perpétuelle : nous peignons notre état un peu plus noir qu’il n’est, afin d’éclairer par contraste un avenir qui devra son éclat moins à lui-même qu’à nos ombres, et moins à sa jeunesse incomparable qu’au souvenir récent de nos décrépitudes. Si la préface à l’avenir n’était qu’anathème au présent, où serait notre création ? Et si l’ordre que nous voulons n’était rien d’autre que la subversion du désordre où nous sommes nés, d’où viendrait donc l’ordre vivant ? On ne crée pas la vie en insultant la mort. Il faudra se tourner ailleurs. Il faudra remonter à ce qui juge nos faiblesses, non point pour les confondre éloquemment et périr ensuite avec elles, mais pour restaurer le pouvoir qui nous désigne en même temps les méfaits du désordre établi et le principe vivant du nouvel ordre.

Ce pouvoir, nous le connaissons, dans la mesure où nous sommes humains. Mais cette mesure est peut-être assez faible. Et c’est pourquoi nous avons tant de peine à définir et nommer clairement les maux dont nous souffrons, et le bien qui nous les révèle. En vérité, nous connaissons bien mieux ce qui nous blesse que la nature des réalités que nous sentons, en nous, obscurément blessées. Notre conscience à moitié endormie ne se réveille plus que sous les coups. Il nous faut apprendre le bien par la considération du désordre. Mais cet examen misérable ne mènera-t-il qu’à des révoltes trop prévues ? Peut-on sortir de ce cercle vicieux à force de le parcourir toujours plus rageusement ? Nous avons vu plusieurs générations mener cette course épuisante, et s’abattre à la fin dans les colonnes des magazines de gauche, pâture des bourgeois snobs. Nous avons vu ce spectacle indécent : le cadavre a mangé ses mouches.

Certes, il faut commencer par dénoncer le mal. Mais que l’on sache d’abord au nom de quoi l’on parle ! Et qu’on le dise ! Toute la bassesse de la « littérature » moderne se résume, à mon sens, en une phrase un peu grossière : c’est une littérature qui aime parler pour ne rien dire. Elle n’est occupée qu’à « bien » dire, — et c’est pourquoi elle parle mal. Or ceux qui l’ont attaquée jusqu’ici n’ont rien fait d’autre, ou n’ont rien fait de mieux. Ils ont eu parfois de beaux cris, mais à qui les adressaient-ils ? À la galerie plus qu’à eux-mêmes, je le crains. Ils criaient, mais restaient dans la salle, où l’on pouvait les applaudir. On les trouvait plus amusants que les acteurs du jeu classique… Ils n’étaient que le non d’un non.

Dirons-nous non à notre tour ? Que ce soit le non décisif de ceux qui savent ce qu’ils affirment ! Que ce soit un non sans pathos, car l’affirmation seule est grave. C’est à l’homme qu’il faut dire oui, à l’homme total, à l’homme renouvelé. Nous ne clamons pas la fin de la littérature des autres au nom d’une littérature à nous. Nous constatons la fin d’un art au nom de ce qui juge l’art, — et le recrée. Nos griefs ne sont pas littéraires ; ils sont, ils veulent être humains.

Fin d’une littérature

Je me propose de simplifier. Dans la littérature bourgeoise, celle qui est née avec le romantisme, il me semble qu’on peut distinguer trois espèces de littérateurs.

Première espèce : les romanciers de la vie des classes possédantes. Le bourgeois aime leurs œuvres, parce qu’il s’y retrouve ; et le peuple les aime, parce qu’elles décrivent ses désirs réalisés. Cet amour à peu près unanime figure la bonne conscience conservatrice du régime.

Deuxième espèce : les poètes romantiques, chantres de l’Idéal qu’on n’atteint pas, pour l’avoir mis trop haut. Soit que l’on gruge légalement son prochain, soit que l’on se découvre légalement grugé, il est bon de sentir qu’au-dessus de cette vie plane une loi meilleure, un esprit pur, une revanche, dût-on n’y parvenir jamais. On lit cette littérature pour « échapper aux soucis quotidiens »12, pour éviter, en fait, de résoudre le drame. Et c’est la bonne conscience idéaliste du régime. « Littérature », opium des peuples incroyants.

Notre troisième espèce est plus rare, et vaut un peu mieux, si l’on estime ses seuls moyens. Elle comprend la plupart des auteurs qui se gaussent des deux premières, ceux qui méprisent la vie bourgeoise, l’amour et le mariage bourgeois, l’idéalisme romantique, la croyance vulgaire au bonheur, la religion mise au service de l’ordre, la permanence, les vertus trop massives. C’est l’espèce des immoralistes. Sans les valeurs anarchiques qu’ils défendent, le jeune bourgeois émancipé ne pourrait pas « vivre sa vie ». Il se sentirait prisonnier. Il en viendrait peut-être à des actes irréparables. Mais il y a les immoralistes : ils expriment bien mieux qu’il ne saurait le faire ses propres révoltes et ses rêves. Ils lui en font une espèce de gloire. Le voilà justifié dans sa mauvaise conscience. Jeunesse se passe, anarchie se passe, rougeole se passe, — mais rien de grave ne se passe. C’est comme au jeu de pigeon vole.

Il reste quelques écrivains qui échappent à toutes les « espèces » parce qu’ils en créeront de nouvelles. Quelques-uns, deux ou trois, qui ne sont pas littérateurs, qui seront la littérature quand tous les autres auront passé. Mais la conscience bourgeoise les ignore avec une rigueur obstinée.

Nous pourrions simplifier encore et dire : il y a d’une part les moralistes bourgeois — mais personne ne croit plus à la morale bourgeoise — d’autre part les immoralistes, mais ils ne vont pas jusqu’au bout de leurs audaces. Ils sont sans foi dans leur révolte même. Ils influencent au hasard, entraînent les jeunes à hue et à dia, lancent des modes, les renient, se persuadent de l’importance de leurs caprices, nous persuadent bien davantage de la gratuité de leurs drames.

Personne ne croyant plus à rien — j’entends personne ne prouvant plus qu’il croit à l’essentiel de ce qu’il dit —, la critique littéraire de cette littérature n’a plus de sens réel, ni plus d’autorité. Critiquer, c’est d’abord posséder un critère, ensuite le faire valoir avec intransigeance. Or le critère moral de l’ancienne bourgeoisie a perdu tout prestige à nos yeux. Et les critères « nouveaux » de l’immoralisme bourgeois trahissent la décadence du régime plus qu’ils n’annoncent la venue d’un nouvel ordre.

Une critique dépourvue de critère indépendant de la littérature est condamnée à ne plus critiquer que les moyens de cette littérature. Elle les juge pour eux-mêmes, sans rapport à leurs fins. Elle dit : c’est bien écrit, mal composé, intéressant ; elle dose des influences, elle prévoit des succès ; elle s’applique à parler du livre dont on parle plutôt que de celui dont il faudrait parler, et qu’on ignore. Elle ne juge plus : elle traduit la rumeur des salons, des cafés, des antichambres d’éditeurs. À sa façon, non moins que les littérateurs dont j’ai parlé, elle tend à dévaloriser, à disqualifier humainement les créations intellectuelles.

Si l’on voulait trouver un critère général qui nous permît d’évaluer les œuvres et leur influence sur les hommes, je crois bien qu’il faudrait le chercher aujourd’hui dans une science que je n’aime guère, et qui s’appelle la sociologie. La grande faiblesse de la littérature actuelle, c’est qu’elle s’est rendue justiciable de la critique des marxistes. « L’art pour l’art » reste sa méthode, et lui tient lieu de justification ; or cette doctrine est proprement bourgeoise ; conservatrice, en fait, des valeurs établies ; liée, en fait et par ses conséquences pratiques, à l’établissement des bourgeois.

Mais cette critique « de classe » reste encore négative. Elle se condamne aussi à rendre compte des seules œuvres mineures, toute création réelle étant la position d’un acte indépendant des mécanismes de la société. Il nous faut faire un pas de plus. Il nous faut dire enfin que c’est l’homme en tant qu’homme — et pas seulement le non-bourgeois — qui pâtit du désordre établi. Notre littérature déshumanise l’homme, soit qu’elle refuse de l’enseigner, soit qu’elle enseigne des valeurs hasardeuses, ou périmées, ou anarchiques. Le moralisme était populaire, il est mort. L’immoralisme qui lui a succédé reste sans prise sur les masses, qu’il abandonne à d’autres influences.

Nous voici parvenus au grand tournant. Les œuvres de l’esprit, dès que l’esprit cesse d’être autorité, tombent sous le coup des lois publicitaires. Et la publicité traduit les exigences d’une classe bourgeoise très capricieuse dans ses goûts, parce qu’elle est incertaine de sa mission. Cette anarchie ne se développera pas impunément : elle va se résoudre en violences. Il n’y a pas d’exemples, dans l’histoire, qu’une littérature sans nécessité intérieure, — c’est-à-dire sans message positif et populaire — n’ait été finalement utilisée par des puissances qu’elle avait négligées ou dont elle s’était faite complice. Nous avons vu déjà que le roman bourgeois servait à toutes fins capitalistes. Nous risquons de voir, avant peu, cette même littérature « mise au pas » par l’État fasciste13. Que pourrait-elle lui opposer ? Où donc est la mesure de l’homme irréductible, au nom de quoi elle dirait non ? Elle n’a pas de visée humaine, elle n’est plus que littérature, et les fameuses « valeurs » littéraires, on sait qu’elles sont de peu de poids dans la balance politique. Tout ce qui n’est pas déjà au service des hommes, est déjà au service de ce qui les opprime. Notre individualisme travaille pour l’État. Notre littérature travaille contre l’esprit.

Préface à l’imprévisible

Une littérature n’est valable — et son influence efficace — que si elle ordonne ses œuvres à une commune mesure humaine. Mais notre siècle est justement le siècle de la décadence des lieux communs. L’Ordre, le Bien Public, la Richesse, la Puissance nationale, l’Honneur, l’Esprit, l’Amour, la Civilisation, — les lieux communs de l’ère finissante ne sont plus que malentendus, et la seule convention qui subsiste, c’est de les accepter pour tels. « Philosophe et guerrier, écrit Rudolf Kassner, n’ont presque plus en commun que des banalités. » Mais quelle est la nature de ces banalités ? L’aventure du romantisme et l’équivoque libérale ayant rapidement achevé de disqualifier l’esprit pur, il ne reste à nos « hommes d’action » d’autres normes et d’autre mesure que l’argent, ce symbole unique de la puissance sans visage. Dire que le monde est devenu impensable, c’est avouer qu’il n’y a plus de mesure commune à la pensée et à l’action, — hors la monnaie.

Un monde sans mesure, comme le nôtre, est aussi un monde sans grandeur. Telle est notre médiocrité. La seule mesure extérieure qui subsiste est à nos yeux la plus dégradante qui soit. Il faut donc renoncer à chercher dans les choses, dans les partis, dans l’État ou dans la nation un principe de grandeur qui n’est plus que dans l’homme. Mais si nous trouvons ce principe, nous aurons trouvé du même coup la mesure du monde nouveau.

Cette mesure concrète, cette référence universelle, ce principe de grandeur que nous proposons tous ici, c’est l’homme considéré dans sa vocation créatrice, — c’est la personne. Que la mesure de tout soit désormais dans la personne, et non plus dans les intérêts d’un pouvoir ou d’une classe, voilà bien l’aboutissement de toute l’évolution démocratique, si l’on entend ce terme au sens originel, et non point au sens dévié de l’individualisme politique. « Dernière heure de l’État, première heure des hommes. » Nous dirons première heure de la personne.

Ceux qui n’ont pas en eux cette mesure de l’homme, que pourraient-ils voir d’autre, dans le monde où nous sommes, qu’un désordre impensable, appel aux dictateurs ? Mais ceux qui connaissent la mesure connaîtront bientôt l’ordre et la culture que nous voulons. Nous rejoignons ici le propos de ces pages. La littérature nouvelle sera le fait de l’homme renouvelé, je ne dis pas de l’homme nouveau — je n’y crois pas — je dis : de l’homme rendu à la conscience de sa liberté.

Toute création suppose une liberté, ou plus exactement, créer, c’est être libre. Un art nouveau, c’est une liberté nouvelle. Mais c’est aussi une obéissance nouvelle. Je ne conçois de liberté concrète que dans l’exercice fidèle de ma vocation personnelle. Liberté devient synonyme d’obéissance inconditionnée à mon unique raison d’être14. Nous sommes ici très loin de la notion bourgeoise de liberté, qui est absence d’obligations, de repères, de coordonnées. Très loin aussi de l’anarchie. Car l’exercice de la liberté personnelle entraîne des engagements humains ; rapidement il se concrétise en relations de responsabilité. Et voilà bien le seul fondement d’une communauté vivante. L’écrivain sera créateur dans la mesure où il obéira à sa seule vocation personnelle : mais dans cette mesure-là, il assumera son risque ! D’autant plus personnel, d’autant plus responsable, — et d’autant plus profondément enraciné dans la commune condition humaine. Rendez à l’écrivain la responsabilité de ses écrits, vous le rendrez aussi à la communauté, vous recréerez le lien vivant de l’auteur avec son public.

Une fois posés ces fondements spirituels d’une littérature rénovée, qu’aurions-nous la témérité et la naïveté de prévoir ? On ne prévoit pas un chef-d’œuvre, et la littérature, c’est d’abord les chefs-d’œuvre. Mais avant l’œuvre, il y a l’appel de l’homme, sa volonté déterminée, son attitude créatrice. Je dirai donc ce que notre désir invoque.

Je vois un grand dessin véhément et humble de Rembrandt, des amas d’ombres grouillants d’êtres révélés et saisis par le droit flot de la lumière, les replis de la vie quotidienne fouillés comme un cauchemar par le brusque soleil, et l’homme au centre, campé dans sa stature réelle, ouvrant les yeux sur sa misère, portant sur elle un jugement sobre, — l’homme, vu dans l’élan peut-être chancelant qui le jette à sa vocation. Situation initiale de l’humain ! Initiation au réalisme enfin total, qui est celui du combat personnel ; initiation à la vision constituante de notre vie, celle qui unit dans un même regard les apparences actuelles et l’ordonnance finale qui les informe et qui les juge. J’imagine d’abord ce réalisme comme une énorme satire à la Swift, quand je vois le comique jaillir à la moindre comparaison de nos coutumes et de nos idéaux. Il nous faut une équipe d’écrivains qui entreprennent de confronter la vie privée des hommes d’aujourd’hui avec les buts qu’ils croient viser, d’une part, et d’autre part avec les buts qui leur sont réellement assignés par leur raison d’être profonde. C’est un amer divertissement que nous offre la vie quotidienne des citadins : ils ont en tête trente-six morales contradictoires et autant de modèles qu’ils voudraient égaler, et cependant ils suivent la coutume bourgeoise, qui est la négation de tous leurs idéaux.

Certains verront peut-être dans l’Ulysse de Joyce une satire de ce genre, minutieuse confrontation de l’idéal rêvé et du sordide quotidien. Mais Joyce est justement le plus parfait exemple d’un vice fondamental de la pensée bourgeoise, vice qui le lie au monde ancien et le condamne à passer avec lui : il décrit l’anarchie intime de l’homme moderne avec le parti pris de ne jamais juger, avec le parti pris de n’en jamais avoir, qui est sans doute le pire des partis pris. La littérature romanesque décrit depuis cent ans nos mœurs et nos malheurs avec une croissante application à la stupidité, j’entends à l’absence de jugement. S’il est un genre que nos critiques sont unanimes à condamner sans nul recours, c’est celui du roman à thèse. Méfiance significative ! Les thèses de Bourget ne valaient pas grand-chose : pauvre prétexte à n’en point chercher de meilleures. Ce n’est pas l’échec de Bourget qui peut expliquer à lui seul un refus aussi opportun de la part de nos romanciers. La vérité, c’est que la bourgeoisie n’ose plus défendre ses vrais buts, et préfère parler d’autre chose. Tous nos romans ne sont que diversions, idéalistes ou immoralistes, s’ils ne sont pas les descriptions désenchantées d’une société en voie de dissolution atomique.

Les civilisations conscientes de leur mission n’ont jamais craint d’affirmer leur morale. Elles n’ont jamais pensé qu’une œuvre d’art perdrait de sa valeur à illustrer des « thèses », à développer des lieux communs puissants. Nous voyons la Russie contemporaine restaurer le pouvoir de la littérature sur les masses, parce qu’elle restaure une conscience commune. Nous voyons aussi le bourgeois s’émerveiller de ce rajeunissement. Craignons que le fascisme ne tire bénéfice, avant nous, d’une faim trop facile à tromper. Il est bon, il est nécessaire que la littérature enseigne le public. Encore faut-il qu’elle enseigne assez haut. Pas trop haut — erreur romantique — ni trop bas — erreur soviétique. Mais bien à hauteur d’homme, et c’est la vérité personnaliste.

Enseigner, c’est rappeler aux hommes les fins de leurs activités. C’est, pour un écrivain, ordonner les moyens de son art à ces fins. Il y faut bien autant de talent qu’en exige notre littérature, et quelques vertus d’homme et de « penseur » en plus. J’indiquerai trois de ces vertus qui me paraissent fort peu de mode parmi nos scribes assis ou accroupis.

Le respect de la culture, tout d’abord. Nos romanciers sont très mal cultivés. Ils influencent leurs lecteurs au hasard, aux hasards des passions du jour, sans soupçonner les conséquences, économiques ou religieuses, par exemple, des « idées » qu’ils mettent en action. La littérature nouvelle, couronnant un ordre nouveau, sera forcément plus soucieuse des échos qu’elle ébranle, mieux informée des problèmes qu’elle incarne, parce qu’elle tiendra la mesure de l’humain et qu’elle créera dans la perspective commune.

Restaurer le prestige de la culture, cela ne va pas à la spéculation gratuite, dans un monde personnaliste. Les « idées pures » sont des cadavres d’idées ; les idées vivantes sont des actes. Apprenons à penser en actes, c’est-à-dire à penser avec les mains, ou encore à ne rien penser qui n’engage en puissance notre être tout entier, corps et âme sans distinction. Apprenons à penser comme des hommes responsables, non plus comme des amuseurs de salon. Il y aurait quelque chose de nouveau dans les lettres si tous les essayistes étaient tenus à rendre un compte public des fins extrêmes qu’ils escomptent pour leurs spéculations les plus gratuites en apparence.

Enfin pour liquider l’une des dernières « valeurs » du romantisme, je proposerais d’ériger en vertu le mépris d’une certaine originalité de forme. Le raffinement des moyens artistiques est toujours un assez mauvais signe dans une société décadente. Il est poussé à la manie par les suiveurs des maîtres d’après-guerre. Les mauvais écrivains d’aujourd’hui ne valent rien humainement. Ils ne font que copier les vices des meilleurs. Les plus primaires sont les moins spontanés. Partout, les artifices formels obscurcissent ou trahissent les buts de l’écrivain et le séparent de l’humanité. Une littérature personnaliste rétablira la hiérarchie, rendra aux moyens d’expression leur importance de moyens. La personne est toujours originale quand elle est. Son seul souci est d’être, le plus fidèlement. C’est à partir d’elle seule qu’un art original se développera naturellement en un art communautaire, et que les moindres œuvres, traduisant même sans talent la vocation authentique d’un homme, prendront cette valeur humaine qu’ont les mémoires et « livres de raison » rédigés sans littérature.

Voilà qui est banal ? Je n’en suis pas fâché. Aucune révolution n’a jamais inventé de vertu réellement nouvelle. Mais toute révolution est d’abord un rappel à certaines vertus négligées. Une nouvelle insistance sur la définition de l’homme. Une nouvelle discipline. Et une nouvelle aisance.