(1962) Esprit, articles (1932–1962) « Albert Soulillou, Nitro (février 1935) » pp. 846-847

Albert Soulillou, Nitro (février 1935)l

Ce livre aussi est vrai. À peine moins autobiographique, semble-t-il, que celui du jeune homme de tout à l’heure. Mais ici c’est un ouvrier qui parle. D’avoir travaillé chez Ford ne donne pas forcément plus de valeur que d’avoir traîné son vague à l’âme par les rues d’une ville de province ; mais cela donne au moins une matière. Les pages de Soulillou qui décrivent les conditions de travail dans l’industrie de la nitrocellulose sont précises, acharnées, saisissantes. Vous fermez le livre : vous avez vécu quelque chose, tout au moins par la sympathie, dans une communion de révolte. Par malheur, l’auteur a voulu romancer ce documentaire authentique, et il en a saboté le rythme. Dès qu’il part dans l’idéologie, la critique d’art ou l’érotisme (effréné comme du mauvais Zola), l’intérêt humain faiblit, la critique littéraire reprend ses droits et proteste une fois de plus contre les poncifs populistes. Ce qui manque peut-être à M. Soulillou, c’est la patience de laisser mûrir ses livres ; d’attendre qu’un sujet impose sa forme propre, ses proportions et ses « valeurs », dirait un peintre.

Il est remarquable que presque tous les écrivains de ces années éprouvent simultanément le besoin de s’exprimer par des romans du format standard : 224 ou 600 pages exactement. Il me semble que ce conformisme, dont on sait les raisons commerciales, couvre pas mal d’infidélités profondes. Certains sujets mériteraient à peine 50 pages, d’autres demandent trois volumes… Mais Adolphe ou l’Idiot seraient aujourd’hui des « compte d’auteur ».