(1962) Esprit, articles (1932–1962) « Revue des revues (septembre 1938) » pp. 747-747

Revue des revues (septembre 1938)ao

Combat (juin). — Un souffle révolutionnaire, ce serait trop dire, mais un bon courant d’air passe dans les derniers numéros de ces cahiers. L’extrême droite qui ose dire son nom paraît souvent bien proche de la véritable extrême gauche française (communistes exclus) quand il s’agit de thèses objectives et de programmes d’avenir. C’est le ton et les sentimentalismes qui s’opposent encore. Mais enfin l’on s’apercevra bientôt que le capitalisme est une doctrine centriste, modérée-radicale, et non pas une doctrine de droite. D. Bertin attaque violemment M. Claude Farrère, apologiste du brigandage japonais, Th. Maulnier dénonce les équivoques de l’antisémitisme et ose écrire : « Je doute que le prolétariat français éprouve une joie particulière à savoir qu’il ne travaille plus pour enrichir M. Citroën ou M. Louis-Louis Dreyfus, mais pour enrichir M. Renault ou M. Michelin, Je doute qu’il soit assez sot pour se contenter de cette révolution. Je doute que ce qu’il demande ce soit l’honneur d’être exploité par ses propres compatriotes. » Robert Francis, après Bernanos, met en garde ses camarades contre « une aventure d’intolérance et d’inquisition où nous avons à peu près tout à perdre ». Enfin M. Haedens demande que l’on remplace dans les manuels d’histoire littéraire Mme de Sévigné par Louise Labé, La Rochefoucauld par Retz, Bernardin de Saint-Pierre par Laclos, et Lamartine par Rimbaud. Un tel « signe » n’est pas négligeable : la vieille droite s’est toujours définie en termes de littérature, et l’Action française a été surtout un mouvement de conservatisme littéraire (comme l’a fait voir la toute récente substitution du fauteuil académique au trône, dans la hiérarchie de ses vénérations). Une droite qui abandonne Boileau pour Rimbaud, c’est un parti nouveau. Pourquoi faut-il qu’elle conclue une enquête sur le capitalisme sur les positions grotesques (économiquement parlant) de M. Coquelle-Viance ?

 

Le Fédéraliste (n° 2, 1938). — Manifeste des Bretons fédéralistes. On s’y réclame très curieusement de la « nation » bretonne, du manifeste de Mounier, des droits de l’homme, de Jaurès, de la Commune, et l’on prend parti contre le racisme et l’étatisme. Il est intéressant de souligner l’opposition très vive des auteurs de ce Manifeste à l’égard du Parti national Breton et de ses doctrines corporatistes et paternalistes. Au total, ce Manifeste de huit pages, clairement écrit, sans équivoques, intégralement fédéraliste (et non régionaliste) doit être considéré comme l’un des premiers actes du réveil « pluraliste » que nous appelons ici depuis nos débuts.

 

NRF (mai). — Notes et quatrains de Jean Wahl. À retenir cette petite charade : mon premier est ce qu’il y a de plus bas ; mon second ce qu’il y a de plus haut ; mon tout est peut-être un attrape-nigaud. Réponse : matérialisme dialectique.

(Juin). — La Duchesse de Friedland, nouvelle de Drieu la Rochelle. « Qui n’a pas connu les années d’après-guerre n’a pas connu la douceur de vivre ». Illustration : « Il y avait de charmantes fêtes à Versailles, où le Faubourg Saint-Germain (comme on disait naguère) et Montparnasse se mêlaient à merveille. Le déhanchement des inversions et l’odeur sournoise de l’opium se faisaient à peine remarquer dans le brouhaha parfaitement mesuré ». Drieu la Rochelle, rescapé de ce xviiie siècle artificiel, et de cette « douceur de vivre », en a gardé — tout au moins dans son style — la sécheresse aiguë, mais non l’exaltation, le cynisme impuissant et lucide, mais non l’air de défi. Cela fait un curieux ricanement, en manière d’oraison funèbre. Et après ? « Vous n’allez pas me dire que vous êtes fasciste ? — Heu… » C’est la dernière réplique. — Francis Jammes continue à célébrer son autoculte mensuel, cite tous les éloges qu’il reçoit par l’argus ou le courrier, renchérit encore, et prétend qu’on a tenu au cacho[t], durant près d’un demi-siècle, la poésie de la France », mais qu’il nous la ramène (sans calembour), aussi fraîche que lorsqu’il lui donna la main pour la première fois en 1888. C’est donc lui qui l’avait cloîtrée ? — Pour un collège de sociologie : Nous y reviendrons.