(1961) La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961) « Propos sur la religion, par Alain (avril 1939) » pp. 704-705

Propos sur la religion, par Alain (avril 1939)ao

Ces « propos » s’égrènent de 1908 à 1935, mais la position de l’auteur n’a pas varié durant ce temps. Elle se ramène, me semble-t-il, à ceci : la religion, c’est la pratique moyenne du catholicisme français. Il s’agit moins de la dénigrer que de la « réaliser » en la débarrassant de ses « croyances fantastiques » et de sa « méthode arriérée », qui est celle de l’autorité (p. 72). La « vraie foi », vous la trouverez donc aujourd’hui chez l’instituteur laïque. Cette déclaration ouvre et ferme le recueil (p. 23 et 286). Elle le situe dans les cadres de la République radicale.

Ainsi le catholicisme, interprété par Alain, serait une sagesse éternelle qu’il s’agirait de remettre à jour, c’est-à-dire de laïciser. Point d’anticléricalisme, car « devant le regard positif, toute religion finit par être vraie », et même « l’obligation de croire ne digère pas beaucoup du devoir de penser » (commencez par croire, vous finirez par penser)… Comme toute sagesse qui se respecte, celle d’Alain ne peut pas tenir compte des données concrètes du christianisme : le péché, le salut, le drame de la révolte et de l’amour. Mais elle spécule volontiers sur les avantages et inconvénients des « preuves » ou de l’absence de preuves en matière de « croyance », débat dont je ne trouve pas trace dans les évangiles, s’il est vrai qu’il encombre une bonne part de la théologie, surtout catholique. Tout cela, je le crains, relève d’un malentendu, courant sur le sens du mot « foi ». Je voudrais au moins l’indiquer.

Un chrétien sait que sa foi n’est nullement le contraire du doute intellectuel, mais le contraire du péché, lequel n’est nullement une erreur morale, mais un état de révolte active de la créature (même lorsqu’il se déguise en bonne volonté souriante). La foi, au sens biblique, s’oppose expressément à la religion en général, avec ses rites et ses croyances dont Alain respecte la forme et laïcise le contenu. « La vraie religion est le culte des morts », dit-il après Auguste Comte. Je le pense aussi. (Voyez le racisme.) Mais pour le chrétien, « la foi est la substance des choses espérées ». Ce qu’un esprit comme celui d’Alain retient du catholicisme, c’est donc exactement ce que Kierkegaard, par exemple, rejette au nom de sa foi : tout ce qui n’est que sociologie. (Je ne dis pas que ce soit négligeable.) Pour situer la sagesse d’Alain, qu’on songe à la folie d’un Kierkegaard. Alors éclate le conflit véritable entre l’humanisme et la foi, le scandale au sens paulinien, tout ce que le sage jugera toujours « hors de propos » d’envisager. Le sérieux même du christianisme.51

Alain dit quelque part n’avoir jamais connu de « vrai croyant » qui ne vive « selon la peur ». Serait-ce qu’il n’a jamais rencontré que des hommes « religieux », non des chrétiens vivant selon la foi et capables de lui faire pressentir que ses observations toujours ingénieuses, souvent justes, ne portent guère que sur les résidus ou les empreintes psychologiques et historiques du catholicisme français, en tant que, vidé de la foi, il demeure une « religion » ? Qu’il poursuive donc son enquête, si toutefois il ne tient pas à avoir raison comme Napoléon, qui faisait les demandes et les réponses.