(1961) La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961) « Hommage à C. F. Ramuz (mai 1940) » pp. 697-698

Hommage à C. F. Ramuz (mai 1940)as

Le plus intéressant dans un recueil de mélanges ou d’hommages, c’est en général le sommaire : cette fois encore.

Voici le noyau des premiers ramuziens (à peu près le groupe des Cahiers vaudois), les deux Cingria, le peintre Auberjonois, Ansermet, Stravinsky. Claudel y touche de près. Cocteau y a des souvenirs, Maritain des amitiés. Pour la fête, on a invité quelques étrangers de marque : Thomas Mann, Zweig, Valéry. Et les quatre langues suisses — n’oubliez pas le ladin des Grisons — viennent dire au dessert leur couplet.

Ce complexe de mystique paysanne, de goût de « l’authentique », de musique russe, d’avant-garde ascétique, d’humour vaudois et de cosmopolitisme non pas à la manière de Genève mais à celle des troubadours, voilà bien la constellation ramuzienne. Rien de plus « Suisse » que ces créations spontanées, comme accidentelles, de centres européens dans un canton : Zurich au xviiie siècle, Coppet, Bâle au temps de Burckhardt et de Nietzsche… Mais le centre vaudois s’est distingué par sa méfiance à l’égard des « idées ». Son particularisme approfondi rejoint l’universel par les racines. C’est, comme ils disent, de la vraie « culture ».

Il faut mettre hors de pair, dans ce recueil, le Petit Ramusianum harmonique de Ch.-A. Cingria et Stravinsky : l’humour de l’authentique, si caractéristique du cercle ramuzien, s’y traduit en mirlitons acidulés et en mélodies savamment bêtifiantes de compliment d’anniversaire. Quant au « message » du poète, il s’exprime surtout dans deux portraits photographiques de Germaine Martin et de H. L. Mermod. Ce visage puissamment travaillé et simplifié, cet œil halluciné par le réel, c’est tout l’art de Ramuz exposé. Ici, tout le mystère se mue en forme et en physionomie lisible. Enfin, l’on est au-delà de la psychologie. « N’allez pas chercher derrière la forme, disait Goethe, elle est elle-même enseignement. »