(1977) Bulletin du Centre européen de la culture, articles (1951–1977) « À pied d’œuvre (avril-mai 1956) » pp. 1-2

À pied d’œuvre (avril-mai 1956)ai

Dès 1948, le rapport culturel du Congrès de l’Europe, réuni à La Haye sous la présidence de Winston Churchill, déclarait :

Les organes juridiques, économiques et politiques que devra se donner l’Union ne sauraient fonctionner au bénéfice des personnes, groupes et nations, que s’ils sont approuvés et soutenus par l’opinion européenne. Celle-ci doit être désormais dotée de moyens d’expression réguliers. Elle doit être informée. Elle doit être éduquée dans les nouvelles générations. Elle doit être rendue de plus en plus consciente de l’unité profonde de l’Europe et de la richesse de ses diversités.

Et la résolution culturelle, adoptée par le congrès, précisait que l’une des tâches immédiates du Centre européen de la culture — dont elle demandait la création — serait « d’entretenir le sentiment de communauté européenne… dans les établissements d’enseignement scolaires, universitaires et populaires ».

Obéissant à ces directives initiales, le CEC s’est intéressé dès ses débuts au domaine de l’Éducation populaire. Une série de rencontres et d’études préalables a permis la convocation d’une conférence d’éducateurs, qui s’est tenue à Genève du 18 au 20 mai 1953, et dont est né le Bureau européen de l’éducation populaire, rattaché au CEC, bien qu’ayant son secrétariat à Bergen, en Hollande. En outre, on trouvera dans la plupart de nos bulletins des informations sur les Foyers de culture et des articles consacrés à leurs problèmes, témoignant de notre souci constant d’animer, dans le champ si vaste et presque vierge de l’éducation postscolaire, un courant d’informations et une volonté de formation européenne.

Aujourd’hui, pour la première fois, nous abordons le sujet d’une manière systématique. C’est que nous avons en vue les projets très concrets que prépare activement la Fondation européenne de la culture.

Le numéro présent est destiné à servir d’introduction générale à ces projets. Il se propose de situer le problème d’une éducation pour l’Europe. Historiquement d’abord, afin de montrer comment la situation présente résulte d’une longue évolution, très caractéristique du génie dynamique et aventureux de l’Europe. Ensuite, dans la conjoncture présente, dominée par les nouvelles théories pédagogiques et par le développement d’innombrables entreprises d’éducation populaire, répondant aux besoins nouveaux de la société technologique du xxe siècle. Enfin, par rapport au problème brûlant de l’union fédérale de nos peuples. De là les trois articles synthétiques qui forment le corps de ce numéro, et qui n’ont d’autre ambition que de présenter sous un juste éclairage l’esquisse du Projet d’Éducation européenne de la Fondation.

Le texte d’Henri Brugmans, qui leur fait suite, aborde de face, et d’un point de vue plus militant, quelques-uns des problèmes concrets que rencontrera toute tentative « d’éducation pour l’Europe ».

L’essentiel était pour nous de situer le problème et d’orienter le lecteur.

Nous avons constaté, en effet, que le grand public, même cultivé, ignore trop souvent le développement si particulier de l’éducation occidentale au cours des âges : il n’existe pas, à notre connaissance, une seule Histoire de l’éducation en Europe faisant le point des connaissances actuelles, d’un point de vue supranational. Il en résulte que le grand public voit très mal le problème éducatif dans son ensemble et dans ses contextes sociaux et politiques. Il en vient à s’imaginer que l’École actuelle aurait existé « de tout temps » et qu’elle suffit à l’éducation des jeunes, alors qu’elle n’a guère que cent à cent-cinquante ans d’âge (comme le nationalisme !) et que son insuffisance éducative est attestée, entre autres, par l’apparition spontanée, dans tous nos pays, d’entreprises privées d’éducation populaire (ou adult education) qui essaient de subvenir à ses carences.

Il était nécessaire de rappeler succinctement ces données générales du problème, afin de définir l’esprit dans lequel viennent d’être élaborés les projets de la Fondation, les raisons de leurs limitations volontaires, ainsi que la nature de leurs objectifs immédiats et à long terme.

Puisse ce bref essai de synthèse représenter déjà, et en lui-même, un premier acte d’éducation européenne ! Et veuille le lecteur averti excuser les imperfections manifestes de notre tentative, en tenant compte du fait qu’elle est la première de son espèce.