(1932) Le Paysan du Danube et autres textes « Quand je me souviens — C’est l’Europe » pp. 107-131

Quand je me souviens — C’est l’Europe

Ces pages sont nées à des dates différentes d’un même état de sensibilité, dont j’ai remarqué qu’il se révèle en moi par une même allure d’écriture, toutes les fois que se trouve atteint le seuil de ce que j’ai nommé le sentiment européen. Nom de code, mais aussi vrai nom — par cela même précisé — de mon Europe. Et vrai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite d’entrevisions des temps mêlés — « Ce présent que je vis déjà comme un passé dans le futur que j’anticipe » — et qui devait me conduire à une action : celle que je n’ai cessé de mener depuis, pour l’avenir du sens de nos vies.

Le bon vieux temps présent
19 mars 1939

« Le Führer a passé la nuit au Hradschin. »

Après Vienne, avec Prague, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais les vrais paradis seront toujours perdus : ils naissent à l’heure où on les perd.

Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations sous l’uniforme barbarie — je les vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musique, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de nous…

Le bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans le passé, dans la légende, si loin que nul, en vérité, ne l’avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier, peut-être même est-ce — aujourd’hui ?

Mais oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels.

Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et rectifier la tenue, bander tous les ressorts, mobiliser les cœurs… C’est le crime des dictatures : elles ne tuent pas la liberté dans les pays seulement où elles sévissent, mais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance, gardant parfois l’arrière-conscience d’un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme qu’elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut ce climat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance…

C’est tout cela que vient de mettre en question l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question et qu’il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les délices d’un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini.

Brève dispense, le temps d’un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans le grand jour du siècle mécanique, accepter pour un temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais, dominatrice et bafouée.

Demain, la guerre !

Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à gagner le Conservatoire pour y assister à une répétition des chœurs de Nicolas de Flue 18, la radio brusquement interrompit les conversations.

Nous entendîmes la fin d’une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le speaker répéta en français : convocation des Chambres fédérales pour désigner le général en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières.

Au conservatoire, le grand chœur entonna le récitatif du troisième acte :

Ô maintenant, peuple des monts et des vallées — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous !

Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que dis-tu ? — Demain, la guerre !

Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots vous restent dans la gorge… »

Le drame ne put être joué, la plupart des acteurs et des choristes ayant été mobilisés cinq jours plus tard, comme je le fus.

Cœur de l’Europe
Berne, février 1940

Monté hier au Gothard, pour affaire de service.

Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion que j’essaie en vain de qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir 13 ou 15 ans lorsque j’y vins pour la première fois, descendant à pied d’Andermatt et passant par le Pont du diable. Et ce qui me saisit ne fut pas la grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond de la vallée cet express obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpentait d’un flanc à l’autre, disparaissait, reparaissait, contournait la colline de Wassen surmontée d’une église blanche, montait encore par des lacets immenses, passait enfin à notre hauteur, puis courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’une paroi verticale, noircie d’eau. J’avais pu lire sur les longs wagons bruns : Amsterdam-Basel-Milano-Zagreb-Bucuresti. Je me rappelle que j’en fis un poème. Pour la première fois, j’avais senti l’Europe.

Hier, j’étais dans ce train. Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans une aire « sacrée », dans un territoire réservé pour quelque fonction solennelle.

Il est vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal de choses sur ce lieu et son rôle historique. (J’en ai même beaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul coup le Nord et le Midi du Continent à travers les deux chaînes des Alpes ici croisées, n’est pas seulement une position clef de l’Europe, mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que l’impression ne serait pas moins forte. Toutes les sources détiennent une puissance radiante, et c’est ici la source du Rhin, du Rhône, et des deux plus gros affluents du Danube et du Pô. Il se peut que d’autres éléments dits naturels entrent en composition dans le mystère qui pèse sur ce massif, qui en émane…

Je me disais en redescendant : les Suisses sont-ils sensibles à cette qualité ? Savent-ils qu’ils ont au Gothard un haut lieu non pas seulement un tunnel et des forts ?

Le petit nuage
Fin mars 1940

— Au mois d’août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fait deux choses. Primo j’ai bouclé mes dossiers, lettres, et papiers personnels, je les ai mis en lieu sûr et j’ai sorti mes uniformes pour les aérer. Secundo, j’ai envoyé à un certain nombre de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre les chrétiens, quand tout espoir humain semblait perdu, tout horizon bouché, Athanase prononça ces mots : nubicula est, transibit, c’est un petit nuage, il passera. »

Je viens de recevoir une lettre de « quelque part dans le Proche-Orient » et une autre des États-Unis. La première me dit : « Le petit nuage n’est pas passé. Il passera, et nous serons encore une fois assis au café des Deux Magots. La vie reprendra. Cela paraît irréel. » La seconde me dit : « Le petit nuage passera, oui… et nous avec ! »

Selon l’humeur du jour, je donne raison à l’une ou à l’autre de ces lettres. Pas d’importance. Ce qui est important, c’est la certitude « qu’il passera ».

Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’est-ce que cela au regard de la menace énorme qui domine l’Europe d’aujourd’hui ?

Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout petit nuage, au regard du Règlement des comptes universels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes où nous avions donné deux conférences successives devant un vaste rassemblement de jeunes gens : « Comme chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages, ce combat, si « total » qu’il soit, ne saurait figurer pour nous qu’un exercice, une première escarmouche, un entraînement pour le « combat final » où le Christ seul pourra nous sauver, lorsque le Malin en personne nous accusera au Jugement dernier. »

Voilà les dimensions réelles qu’il faut oser envisager. Elles ne sont pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il passera. » Ce mot me fut parole d’Évangile quand je le lus l’année dernière.

À cette heure où Paris…
Berne, 15 juin 1940

« À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’un nuage et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints.

Quelqu’un disait : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière…

L’envahisseur avait prophétisé : le 15 juin j’entrerai dans Paris. Il y entre, en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie.

Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde : il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la force, et qui vaut plus, insondablement plus que tout ce que peuvent rafler dans le monde entier les servants des « Panzerdivisionen ». Quelque chose d’indéfinissable et que nous appelions Paris.

C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse.

N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les traces pacifiées. N’importe quel badaud, mais pas un conquérant.

La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils ne rencontreront partout que le fracas du néant mécanique. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun triomphe ne vaut pour eux la moindre des réalités humaines qu’ils ont tuées. “… car ils ne savent ce qu’ils font.” »

Ce texte parut le 17 juin dans la Gazette de Lausanne , entre l’arrivée au pouvoir de Pétain dans la nuit du 16 juin, et l’appel de Londres lancé par de Gaulle le 18 juin. L’article me valut une condamnation à quinze jours de forteresse, au secret, et « facilita » une mission que je reçus quelques semaines plus tard, de conférences sur la Suisse aux USA. Le 20 août, je quittais Genève pour l’Amérique.

Intermède
New York, fin 1942

… mais sachez-le : nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la dépossession profonde, dans une mise en question générale au pire moment, à l’heure de moindre résistance.

Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ?

Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupation. Un conquérant n’occupe jamais que l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami.

Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous n’êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous lui causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous.

Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, déjà, on trouvait qu’il y avait trop de Juifs réfugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y en a toujours trop.

Cependant notre sort vous paraissait enviable, à juste titre. Les pires tourments de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physique, ou même à sa menace. Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’esprit, — qui était pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous, dans l’exil…

Beekman Place
New York, août 1943

Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il y trouve un charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourne un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn.

Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers, usines plates et réclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes, et signalés par deux petits phares dont clignotent irrégulièrement le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait.

Si je me tourne vers le nord, je vois un monde de terrasses, du deuxième au trentième étage du River Club, où vivent des milliardaires et des acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en maillot de bain. L’une se penche sur ses géraniums, l’autre ajuste des lunettes noires… Quelques jeunes gens viennent boire un verre, le soir. Un violoniste s’escrime à vingt reprises sur le deuxième Concerto brandebourgeois, mais deux radios martèlent ce Tchaïkovski qu’on entend siffler dans la rue…

Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des premiers nuages. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible.

D’heure en heure, je me lève et sors. Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambres blanches posées sur le onzième étage et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas dans les buildings voisins séparés de ma terrasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en peignoir rose ouvre son frigidaire, sort de la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots.

Petits matins déjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premiers remorqueurs se mettent à souffler fort dans la brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américain !

Sur le grand fond sonore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux tours babyloniennes, l’une phallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange. Et sur une terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un sortait en robe de chambre, un vieux monsieur, pour arroser au tuyau ses arbustes.

Soudain, passant la tranche ocrée d’un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’équipage en fête saluant New York d’adieux, filant pavois au vent vers l’Europe et la guerre…

Mémoire de l’Europe
New York, fin 1944

Je ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t’aime. J’aime ! »

J’ai tout dit. L’Europe était patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La force était chanson fredonnée sur le seuil, au matin d’une journée qui se liait aux autres…

(Quand ta force devient visible, c’est comme le sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va.)

La force était mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour…

Quand je me souviens — c’est l’Europe.

Parce que l’Europe est la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans la présence, elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise d’avenir.

Nostalgie anticipée
Princeton, 27 mars 1946

Entre les deux mondes. — L’avion partira dans trois jours.

Déjà par l’imagination, j’habite l’Europe. Je circule quand je veux dans les hauts corridors et dans le vestibule qui sent le fruit de notre ancienne maison de campagne, et mon pied reconnaît cette brique, près de l’escalier, qui basculait un peu du temps de mon enfance. (On ne l’a donc jamais recimentée ?) Pourquoi faire ce voyage vers les lieux et les choses que toujours et partout je porte en moi ? Mais il faut aller vers les êtres, car ce sont eux qui changent et qui s’éloignent.

Un autre sentiment que je connais d’avance et ne pourrai que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie de l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé dans le futur que j’anticipe. Je me promène dans un New York déjà quitté, récapitulant mes regrets… Nostalgie de cette avenue, à telle heure du jour ou de la nuit, j’y vais encore une fois, pour la retrouver déjà… Que signifie tant de puérilité ? Le doute n’est plus permis. J’aime l’Amérique.

Ils me demanderont pourquoi, je ne saurai pas répondre. Sait-on jamais pourquoi l’on aime un être ? Voici longtemps qu’on a cessé de penser qu’il est meilleur ou plus beau que tout autre, mais avec lui l’on se sent bien. Ses défauts crèvent les yeux, il vous a fait souffrir, on vous démontrera qu’il n’est pas fait pour vous, mais près de lui vous éprouvez une liberté. Et cette constatation, bien entendu, ne signifie rien sur sa valeur « en soi » ni sur la vôtre que personne ne peut mesurer. Mais dans cette relation, vous existez.

J’aurai beau faire, ils me diront encore : « Vous estimez vraiment que l’Amérique est si bien ? Vous préférez y vivre ? Vous reniez l’Europe ? » Mais je ne sais pas du tout si l’Amérique est bien ou mal, si elle vaut mieux que l’Europe, si j’y reviendrai jamais ! Et l’homme est né pour circuler, non pour s’enraciner comme une victime des dieux subitement transformée en lierre ou en légume. On peut aimer un pays comme sa mère, un autre comme sa femme, un autre comme les femmes, un autre enfin comme une passion. L’amour n’est pas encore rationné, que je sache ? Et s’il est vrai, s’il n’est pas le masque d’une haine, s’il m’ouvre à l’Être au lieu de me refermer sur quelque obsession de l’Avoir, chaque amour enrichit tout l’amour. Entre deux mondes aimés différemment, que l’amour ne soit pas déchiré ! Mais qu’il s’anime et vole et se réjouisse, et qu’il exige enfin sa pleine mesure, toute la Terre promise à tout l’homme !

Premier retour
Paris, début avril 1946

LaGuardia Field dans une matinée bleue, c’était déjà presque l’été. Cinq heures plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan de neige horizontale sur le désert des forêts canadiennes aux lacs gelés. Nous dûmes passer toute la nuit dans les lugubres baraquements de la base de Gander, à Terre-Neuve.

Une aurore boréale nous avait arrêtés, non point que sa beauté nous eût cloués sur place, mais parce qu’elle provoquait des tempêtes magnétiques qui ont pour effet d’aveugler les avions aux appareils plus délicats que les sens de l’homme. Cette belle crise radio-poétique s’étant heureusement dénouée dans les hauteurs du ciel arctique, nous montâmes en spirale à 5000 mètres, au-dessus d’une mer morte de glace.

J’allais écrire : « L’avion s’élance pour franchir l’Océan d’un seul bond. Nous volons à tire-d’aile vers l’Irlande ». Mais ce cliché et ces jolies syllabes décrivent mal un voyage aérien. Car voyager, aujourd’hui, c’est attendre. Non seulement attendre son tour dans la queue devant des guichets, mais encore, une fois installé dans le fauteuil profond de l’avion, attendre que la boule au-dessous de nous ait tourné jusqu’au point désiré, pour y descendre et s’y poser. Rien ne donne une idée de l’immobilité comme ce vol sans repères en plein ciel, à 150 mètres à la seconde, sans vibration ni courant d’air, et sans nul signe apparent de mouvement.

Les uns écrivent, d’autres déjeunent. Je regarde par mon hublot. La mer est blanche, un peu houleuse et cotonneuse. Mais tout d’un coup elle se déchire : ce n’était qu’une couche de nuages. Trois-mille mètres plus bas paraît une surface bleue, comme un papier grenu ponctué de défauts blancs. Un petit fuseau clair y traîne sa fumée, c’est un paquebot qui en est à la troisième journée du trajet que nous ferons à rebours en trois heures.

Nous sommes partis tout au début de la matinée. Voici déjà l’après-midi, voici le soir, nous volons contre le soleil et le temps coule deux fois plus vite. La stratosphère se dore. Des cumulus élèvent des tours et des créneaux d’un rose feu sur l’horizon follement lointain, tandis que nous survolons des profondeurs multipliées, cavernes d’ombre et gonflements majestueux où la lumière fait ses grands jeux, de tous les rouges au bleu de plomb.

Aux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout est flamme et or. Mais un toit d’ombre épaisse descend obliquement, rejoint la mer, ferme le monde devant nous. En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout près sur nos têtes, que les lampes en veilleuses, et le ronron des moteurs. Une petite secousse, une longue promenade sur des pistes en ciment. Et l’arrêt doux. Shannon, Irlande.

Le restaurant ne manque pas d’élégance. Une dame qui vient de passer le temps de la guerre en Amérique frémit de toutes ses fourrures et se récrie : « Quel goût ! Voilà l’Europe enfin ! Et des fleurs vraies ! Ah mon cher, ici tout est beau !… — Mais tout ici a été fait par les Américains pendant la guerre… — Taisez-vous, me crie-t-elle, je retrouve l’Europe ! Ce n’est pas le moment d’être objectif ! »

Elle adore ces rideaux rouges, ces meubles blancs, et ce grape-fruit. Ils la vengent, croit-elle, d’une Amérique « où tout est laid », mais d’où ils viennent.

2 avril 1946

Les oiseaux de Paris. — Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’Orly vers Paris. Sept ans bientôt, depuis que je l’ai quitté… Par quelle porte allons-nous entrer ? Je ne puis pas distinguer les noms des rues sur ces maisons jaunes ou grises et si basses. Je cherche à voir, le nez contre la vitre, et tout d’un coup : rue Claude-Bernard, — en plein cinquième arrondissement : — quand je me croyais encore dans la banlieue… Déjà nous descendons une rue déserte et provinciale. C’était cela, le boulevard Saint-Michel ? Mais sur les quais, où le car nous dépose, j’ai retrouvé les grandes mesures de Paris. Dans quel silence, à quatre heures du matin.

Trouverons-nous quelques chambres pour le reste de la nuit ? Deux jeunes Américains du convoi m’interrogent.

Cet hôtel ne leur plaît qu’à moitié. Je les décourage d’aller chercher ailleurs. Crise des logements.

— Est-ce que Paris a été bombardé ? me demandent-ils non sans inquiétude. — Et New York donc ? Si vous y connaissez des chambres libres, faites-moi signe. (Comme les Américains paraissent bizarres, ici. Comme ils se mettent immédiatement à ressembler à ce que l’on pense d’eux en Europe.)

Il y a des chambres et même des salles de bains. Mais comment dormirais-je cette nuit ? J’arrive au rendez-vous après sept ans, furtivement, à la faveur d’une nuit déserte. Un rendez-vous dont j’avais bien souvent désespéré, après cet au revoir en juin 1940, qui sonnait malgré moi comme un adieu… Le jour point derrière les rideaux. Je vais sortir sur mon balcon, je vais la voir…

Tout d’abord je n’ai distingué qu’un paysage de toits bleus, médiéval. Et voici qu’une cloche très fine a sonné cinq coups délicats. Puis une autre plus loin, et plusieurs en écho. Je ne savais plus, après ces années de New York, qu’il y a des cloches qui sonnent les heures aux villes, et qui s’accordent à la suavité aiguë du petit jour. Et cette rumeur soudain de cris menus et de sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes d’une averse, ce sont bien des oiseaux ! Dans une ville ! Point d’autres sons… Si ! Je ne rêve pas : un coq qui crie, tout là-bas vers les Invalides. L’or pâle du dôme s’avive au-dessus des toits bleus, des toits roux et des murs couleur du temps, où quelques taches de rose clair ou de noir achèvent de composer une harmonie qui fait venir les larmes aux yeux.

Premier bruit de pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à côté du portail d’un ministère. Un vieux monsieur très grand, vêtu de noir, aux pantalons étroits, aux longs souliers pointus, sort d’un xixe siècle d’illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de grosses valises, se hâtent vers la gare d’Orsay.

Paris a reculé d’un siècle, en direction d’une beauté oubliée.

Plus Suisse que nature
7 avril 1946

— Que la Suisse soit restée aussi suisse m’a paru proprement incroyable. Je ne trouve d’autre sujet de m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est pareil à mes souvenirs, à peine un peu plus ressemblant. Tout est intact. La brusquerie des employés intacte, quand on demande un petit renseignement et qu’on les voit s’identifier en un clin d’œil avec les règlements « pareils pour tous », non point avec votre situation d’usager perplexe ou anxieux. La bonhomie des mêmes employés intacte, une fois qu’on leur a laissé le temps de revenir à leur naturel. (Et ce n’est pas toujours au galop.) Les quartiers extérieurs des villes intacts, et si parfaits dans le propret-coquet-scolaire-1910 que l’imagination se rend sans condition après la plus rapide reconnaissance des lieux. J’ai revu des amis intacts, et dont l’amitié seule avait mûri comme un bon vin. Et j’ai feuilleté des éditions si belles qu’on se demande quels talents les méritent.

Ce qu’il y a de plus intact en Suisse, peut-être, c’est le mythe helvétique par excellence d’une décence fondamentale. Il se peut que la Suisse ait seule gagné la guerre, et seule n’ait pas été contaminée par le gangstérisme à la mode. C’est clair : le mal y est mal vu, tout simplement. On le tient encore pour anormal. J’ai l’impression qu’on exagère un peu, à cet égard. Mais le reste du monde se charge bien de rétablir un équilibre « humain », sur les modèles récemment présentés par MM. Hitler et Staline.

Je m’en tiens là dans mes jugements. J’arrive à peine.

Le mauvais temps qui vient
Neuchâtel-Paris, décembre 1946

Souffrir, en soi, n’est pas toujours l’honneur qu’on pense, mais souvent un simple accident. Je vois des Suisses qui se disent honteux de n’avoir pas souffert comme les autres, comme les Français, les Hollandais, les Grecs, les Russes. Mais les Allemands aussi, finalement, ont souffert, se sont fait tuer, ont été envahis. Qu’est-ce que cela prouve ? Quand l’avalanche balaye tout un village sauf deux maisons, les rescapés sont-ils honteux ? Il me semble que ces scrupules ne sont pas dignes de la tragédie moderne. Et tout d’abord, ils sont prématurés. Ils révèlent chez ceux qui les ont l’illusion que le drame est terminé et que le temps de faire des comptes est arrivé. Or le drame continue, c’est trop clair. Le tour des Suisses viendra, qu’ils se rassurent ! Et s’ils ont constitué la réserve au cours du dernier épisode, on ne leur demande ni de s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite, pour l’heure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées.

Intacts nous le sommes, relativement. Alertés, je n’en suis pas sûr.

L’ennui, avec ce beau pays, ce n’est pas qu’il soit si propre et bien tenu, trait dont s’égayent les étrangers de passage, un peu comme ces paysans qui se poussent du coude quand on les laisse entrer dans le hall du château. L’ennui n’est pas non plus que le matériel soit bon, l’or abondant, les enfants bien nourris. Ni même qu’on dise merci tout le temps, à tout propos, cinq ou six fois pendant l’achat d’un timbre, par exemple, avec une gratitude émue qui dépasse curieusement l’occasion, mais dont on sent que le surplus peut entretenir ce fond de bienveillance universelle dont l’existence rassure les Suisses… L’ennui c’est qu’il n’y a pas du tout de bienveillance universelle. Et que la Suisse est mal préparée, par sa probité même, à faire face aux gangsters.

Rien de moins suisse que le cynisme, honoré dans le reste du monde. Rien de plus suisse que le réflexe de critiquer sèchement tout ce qui dépasse, alors que l’on tolère très bien ce qui n’atteint même pas le niveau moyen, et cela dans la vie quotidienne autant que dans la politique. Ces vertus, cette prudence avare, s’explique sans doute par les dimensions du pays, mais ne suffisent plus à le protéger. Il est temps que les Suisses découvrent que pécher par défaut, dans ce temps dur, est plus grave que pécher par excès. On ne saurait exagérer la profondeur d’une telle révolution dans la patrie du moralisme à la fois puritain et bourgeois. Et certes je suis loin de proposer qu’on déchaîne les fous et les aventuriers, mais je voudrais pouvoir compter sur des hommes prêts à maîtriser l’aventure désormais probable, face à la démesure universelle. Le regard intrépide et désillusionné du grand Burckhardt considérant l’histoire du monde, et le rythme vital d’un Nicolas Manuel : c’est vers quoi je reviens, après six ans, prendre une leçon de style de l’âme pour affronter les mauvais temps qui viennent.

Ils le savaient, ils acceptaient ce fait, et posaient l’ordre en face de lui comme un défi manifestant la vocation de l’homme : le fond de la réalité n’est pas l’ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore trop de braves gens, nés dans un monde où presque tout allait de soi. Voilà qui éclate aux yeux dès qu’on sort de l’île Suisse et qu’on navigue en pleine débâcle printanière des valeurs civiques et morales. L’esprit d’Hitler encore, peut-être pour longtemps, tyrannise les Européens, la police traque les hommes libres sans que personne ose dire pour quoi ni protester, et ce n’est plus qu’au marché noir qu’on trouve encore des nourritures authentiques pour les corps et pour les esprits. Ne comptez plus sur vos épargnes, ni sur la seule valeur de l’inertie pour sauver ce qui tient encore debout. Certes, les apparences, les subsistances de l’ordre masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastrophe. Il y a des trains qui marchent et qui arrivent à l’heure, il y a des dettes payées et des paroles tenues, la poste fonctionne, on nous promet un peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions de femmes ont été violées dans toute l’Europe centrale et orientale, des millions séparées de leur mari pendant cinq ans, mais le tabou de l’inceste, par exemple, résiste encore ; les traités ne sont guère respectés, mais on discute solennellement leurs clauses comme s’ils gardaient quelque importance, et cela compte ; la plupart des acheteurs payent leurs achats, les clients appellent le garçon pour régler leurs consommations. C’est beaucoup d’ordre encore, si l’on y pense : mais le fait est que déjà l’on y pense, et je veux dire qu’on s’en étonne parfois… La couche est mince et partout déchirée qui nous sépare du désordre profond. Mais ce n’est pas en Suisse qu’on voit ces déchirures. J’ai donc pris le parti de circuler, malgré les résistances multipliées par une époque qui semble avoir peur qu’on la voie.

Il est un grand espoir, très vague encore, qui m’a paru se libérer dans beaucoup de consciences et beaucoup de pays, parfois à la faveur de la détresse des masses déracinées et déportées, parfois aussi à la faveur d’un acte de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comme contrainte à se fédérer par la menace de la guerre atomique.

On m’assure que le monde n’est pas prêt pour cela. Les chefs disent que les peuples n’en veulent pas, les peuples disent que les chefs s’y opposent. Faut-il croire qu’ils sont prêts à se faire tuer, c’est-à-dire dans ce cas précis désintégrer, peler et ronger jusqu’aux moelles ? Car telle est bien l’alternative. Et personne ne peut deviner si c’est le matin ou la nuit qui approche. Mais chacun peut à chaque instant choisir, et s’efforcer de mieux comprendre quelles sont les suites nécessaires de son choix, quel est l’enjeu, ce qu’il implique…

Contre les risques qui se lèvent, l’esprit de risque est la seule assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a, seront maintenues ou reposées par les hommes qui auront su, pour leur compte, s’équilibrer dans le chaos, aussi loin d’ignorer son étendue que de céder à ses vertiges.