(1930) Articles divers (1924–1930) « Conférence d’Edmond Esmonin sur « La révocation de l’édit de Nantes » (16 février 1927) » p. 8

Conférence d’Edmond Esmonin sur « La révocation de l’édit de Nantes » (16 février 1927)i

Le sujet que M. Esmonin, professeur à la Faculté des lettres de Grenoble, traita mardi soir à la Grande salle des Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controversés de l’histoire. L’un de ceux, aussi, où il est le plus difficile de rester impartial. M. Lombard, recteur de l’Université, en introduisant le conférencier, a fait allusion aux divers points de vue auxquels on a pu se placer pour juger la révocation. M. Esmonin, lui, se place au point de vue de l’historien scrupuleux, qui juge d’après les textes, les causes et les effets vérifiables, et non d’après un système préconçu. (Cette attitude est plus rare qu’on ne le croit, de nos jours.)

M. Esmonin montra avec beaucoup de clarté comment, entre 1578, date de la proclamation de l’édit, et 1685, date de la révocation, la France passa de la plus grande liberté à la plus grande tyrannie. En proclamant la liberté religieuse, Henry IV mettait le royaume à la tête de la civilisation ; en interdisant aux réformés d’exercer leur religion, mais en même temps de quitter le pays, Louis XIV commit un des actes les plus vexatoires que l’histoire ait enregistrés. Après avoir fait un tableau de la France de l’édit, victorieuse dans la guerre de Trente Ans, l’orateur expose comment on en vint à la révocation. C’est d’abord l’influence du clergé, jaloux de ses droits considérables encore ; puis ce sont les conseillers intimes du roi, un jésuite, le père Lachaise, un archevêque libertin, Harlay de Champvallon, et surtout Madame de Maintenon. Tous ces gens conciliant fort bien leurs intérêts immédiats à leur désir de gagner le ciel, persuadent Louis XIV que la révocation serait une œuvre digne du Roi-Soleil et capable de lui faire pardonner les erreurs de sa jeunesse. Le roi, « un niais en matière religieuse » au dire de sa belle-sœur, la princesse palatine, se laisse facilement convaincre. D’ailleurs, les jésuites ont déjà réussi à « tourner » l’édit par mille arguties juridiques.

Et les statistiques faussées peuvent faire croire à une très forte diminution du nombre des protestants. Aussi ne s’effraye-t-on pas trop, au début, de l’émigration des fidèles qui suivent leurs pasteurs proscrits. On espère bien convertir de gré ou de force tous ceux qui resteront « Les enfants seront du moins catholiques, si les pères sont hypocrites », écrit Madame de Maintenon. Mais bientôt l’on voit la France se dépeupler ; des industries sont presque anéanties ; les conséquences funestes de l’acte de révocation commencent à se révéler politiques (guerre de la confession d’Augsbourg) et surtout morales : car malgré des félicitations arrachées par Louis XIV au pape, les catholiques sont loin d’être unanimes à louer la révocation. L’un d’eux s’indigne, dans une lettre à Louvois, de ce que « les dragons ont été les meilleurs prédicateurs de notre Évangile ». Et les persécutions contre ceux qui n’ont commis d’autre crime que de « déplaire au roi » vont reprendre de plus belle : la guerre civile succède aux dragonnades. M. Esmonin s’abstient d’en faire un tableau qu’il suppose présent à l’esprit de ses auditeurs. Il termine en citant le jugement d’Albert Sorel, selon qui la date du 16 octobre 1685 marque une déviation dans l’histoire de la France. Déviation telle, en effet, que nous en sentons les conséquences de nos jours encore, ajoute M. Esmonin. Et nous ne pouvons que nous réjouir de retrouver bientôt dans l’ouvrage qu’il va consacrer à Louis XIV l’exposé si dénué de parti pris, si libre et d’une si élégante science du sympathique professeur de Grenoble.