(1961) La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961) « Une idée de Law (janvier 1937) » pp. 149-150

Une idée de Law (janvier 1937)ab

C’est dans les Œuvres de Law qu’on trouve cette remarque hardie :

La victoire appartient toujours à celui qui a le dernier écu. On entretient en France une armée qui coûte 100 millions par an ; c’est 2 milliards pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre, en outre, nous met en arrière de 1 milliard au moins. Voilà donc 3 milliards qu’il nous en coûte pour guerroyer cinq ans. Quel en est le résultat ? car le succès définitif est incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer de détruire 150 000 ennemis par le feu, le fer, l’eau, la faim, les fatigues, les maladies. Ainsi, la destruction directe ou indirecte d’un soldat allemand nous coûte 20 000 livres, sans compter la perte sur notre population, qui n’est réparée qu’au bout de vingt-cinq ans. Au lieu de cet attirail dispendieux, incommode et dangereux, d’une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais et acheter l’armée ennemie, lorsque l’occasion s’en présenterait. Un Anglais estimait un homme 480 livres sterling. C’est la plus forte évaluation, et ils ne sont pas tous aussi chers, comme on sait mais enfin, il y aurait encore moitié à gagner en finance et tout en population, car, pour son argent, on aurait un homme nouveau, au lieu que, dans le système actuel, on perd celui qu’on avait, sans profiter de celui qu’on a détruit si dispendieusement.

Compatriote de Law, M. Rickett songeait sans doute à une opération fort analogue lorsqu’il tenta d’acheter le sol que le Duce se préparait à conquérir : c’était là proprement « couper l’herbe sous les pieds » à la guerre. Mais le geste du capitaliste, qui eût été la plus belle farce de l’Histoire, a soulevé d’universelles protestations.

L’échec de Law et l’échec de Rickett ne comportent pas de morale : je veux le croire pour la morale. Mais ils permettent d’entrevoir l’une des raisons de notre anarchie économique.

Le capitalisme ne serait peut-être pas un trop mauvais système si ses entreprises n’étaient constamment traversées par celles d’une passion contraire, qui est l’honneur. Car il est clair que l’honneur seul — ou du moins ce qu’il nous en reste, et ce n’est qu’une caricature — retient les gouvernants de suivre jusqu’au bout, et sans scrupules, la logique du capitalisme. Or, ce système étant de ceux qui ne se peuvent soutenir que si rien d’arbitraire ou d’humain ne vient déranger les calculs, l’on voit qu’en vérité, ce qui nous ruine, c’est bien l’honneur — le budget de l’honneur — et non pas je ne sais quels scandales…