(1978) La Vie protestante, articles (1938–1978) « Neutralité (3 mai 1940) » p. 1

Neutralité (3 mai 1940)e

M. Denis de Rougemont a eu l’aimable pensée de nous communiquer le « billet » ci-dessous qui paraîtra prochainement dans un volume intitulé : Mission ou démission de la Suisse .

Pendant tout l’hiver, nous avons pu lire dans les journaux cet avertissement sybillin : « Température maximum : 18° ». Il s’agissait sans doute d’inciter le public à des économies de charbon. On nous recommandait la tiédeur…

Mais voici nos voisins belligérants qui viennent nous dire : « Ceux qui ne sont ni froids ni bouillants seront vomis ».

Qu’est-ce que cela signifie, pratiquement ?

Que ceux qui sont froids ou bouillants seront mangés !

Je demande à voir ce qui vaut le mieux.

Il ne faut pas parler de neutralité en général, dans l’absolu et dans l’abstrait. Car tout dépend de ceci : vis-à-vis de quoi, ou de Qui, est-on tiède, est-on neutre ?

Si c’est vis-à-vis du Christ, la parole évangélique nous apprend que cette neutralité est suprêmement désavantageuse : elle entraîne notre expulsion violente hors du Royaume de Dieu. « Je vous vomirai », dit le Christ.

Si c’est vis-à-vis de la guerre des autres que l’on reste tiède, cette neutralité peut être avantageuse dans certains cas, dans la mesure où elle nous exclut, précisément, d’un conflit que nous jugeons mauvais.

Reste à savoir si le conflit actuel est « mauvais ». Puis, si notre tiédeur suffira pour que le monstre de la guerre nous vomisse…

Mais ceci est une autre histoire que je n’ai pas à conter maintenant. Et nous avons d’ailleurs, à mon avis, d’autres raisons de rester neutres que celles qu’on peut tirer de considérations opportunistes.

Je voulais simplement rappeler ceci : c’est qu’on ferait bien de ne pas utiliser comme des proverbes généraux certaines paroles du Christ qui n’ont de sens que par rapport à sa Personne, à son Royaume, à son Éternité. Répéter que les tièdes seront vomis, en détournant ce verset de son sens spirituel, c’est toujours un blasphème, et c’est souvent une grosse sottise.