(1934) Politique de la personne (1946) « Introduction — Pour une politique à hauteur d’homme » pp. 24-26

4.
Pour une politique à hauteur d’homme

Toute la question est de savoir à quel niveau l’on situe le concret ; à quelles fins les pouvoirs entendent mener les hommes. Toute la question est de savoir quelle définition de l’homme est impliquée dans telle politique qu’on défend. C’est cette question qu’on a cessé de poser dans le monde des politiciens.

Si la Politique est l’art de gouverner les hommes, il ne saurait être indifférent à ceux qui l’exercent de connaître d’abord ce qu’est l’homme, quelles sont les conditions de son humanité, à quelles règles il faut se plier pour respecter en lui sa raison d’être. Les partis politiques ne possèdent, il est vrai, ni à gauche ni à droite, aucune définition de l’homme5. C’est peut-être une raison suffisante pour estimer que ces partis sont tous également malfaisants. Beaucoup de gens commencent à sentir cela. Beaucoup commencent à douter de la valeur de ces méthodes qui se disent réaliste, opportuniste ou empirique, mais qui ne sont en fait qu’une énorme combine montée sur un fond d’ignorance par quelques centaines d’arrivistes appuyés par les intérêts de quelques milliers d’arrivés.

Déjà certaine jeunesse française cesse de confondre réalisme et combine ; cesse de croire, par exemple, qu’un bon agent électoral est un homme qui connaît les hommes ; cesse de s’en laisser imposer par les fameuses « nécessités de l’action » que de petits ambitieux débutants croyaient naguère découvrir dans les couloirs de la Chambre. Cette jeunesse ne veut pas de ce genre d’action là. Elle n’a plus le moindre respect pour l’habileté politicienne, pour les ruses classiques des « milieux » dirigeants, pour toute cette vie politique sans rapports organiques avec la vie réelle du pays.

Elle affirme la plus totale incompétence en ces matières. Et je la vois trop ignorante dans cet art pour être en rien touchée par ces artistes. Ils cesseront d’ailleurs de jouer dès qu’on ne prendra plus la peine de croire à ce qu’ils font. Victimes de l’obscurantisme laïque, ils ont cru pouvoir vivre sur des mots d’ordre « progressistes » que nos enfants mettront au nombre des superstitions les plus étranges du siècle athée. Ils font ce qu’ils ont toujours vu faire, ils ne se posent pas beaucoup de questions, ils ont peu d’imagination. Leur médiocrité même, leur petite taille morale, empêcheront qu’on les juge trop durement responsables. Mais prenons garde de borner notre vision aux proportions du spectacle qu’ils offrent, à ce ballet si mal réglé que dansent les droites et les gauches. Changeons de plan ! Reposons la question politique dans une perspective humaine, et non plus dans « l’optique parlementaire ».

Une politique à hauteur d’homme, c’est une politique dont le principe de cohérence s’appelle la responsabilité de la personne humaine. En d’autres termes, c’est une politique dont chaque temps et chaque but se trouvent subordonnés à la défense et à l’affirmation de la personne, module universel de toutes les institutions. Cette politique s’oppose au gigantisme totalitaire ; elle s’oppose à l’émiettement social de la démocratie individualiste ; elle s’oppose à l’exploitation de l’homme par ses créations, par l’État et par les bavards. Elle refuse la dictature, parce que le centre vivant d’un pays n’est pas dans un organisme de contrainte, mais doit être en chacun des citoyens conscients, fussent-ils, et c’est le cas, une minorité. Il y a peu d’hommes réellement humains : mais c’est à eux que le pouvoir doit revenir, c’est par eux qu’il peut être humanisé. Le but de la société, c’est la personne. On n’y atteindra jamais que par une politique établie dès le départ à ce niveau.