(1946) Journal d’une époque — 1926-1946 (1968) « Journal des deux mondes — Intermède » p. 395

Intermède

Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à gagner le Conservatoire pour y assister à une répétition des chœurs de Nicolas de Flue , la radio brusquement interrompit les conversations.

Nous entendîmes la fin d’une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le speaker répéta en français : convocation des Chambres fédérales pour désigner le général en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières.

Au Conservatoire, le grand chœur entonna le récitatif du troisième acte :

Ô maintenant, peuple des monts et des vallées — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous !
Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que dis-tu ? — Demain, la guerre !

Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots nous restent dans la gorge… »

Le drame ne put être joué, la plupart des acteurs et des choristes ayant été mobilisés cinq jours plus tard, comme je le fus.