(1974) Journal d’un Européen (fragments 1974) « II. Strasbourg : la deuxième table ronde du Conseil de l’Europe (« Promesses du xxe siècle ») » pp. 18-38

II. Strasbourg : la deuxième table ronde du Conseil de l’Europe (« Promesses du xxe siècle »)

Du 18 au 22 septembre 1974

À l’automne de 1953, j’avais été appelé à présider la première table ronde du Conseil de l’Europe. Elle réunissait à la villa Aldobrandini puis au Capitole de Rome, des publicistes, écrivains et professeurs de tous les pays membres du Conseil de l’Europe, autour d’un groupe de six « Sages » : Alcide de Gasperi, Robert Schuman, Arnold Toynbee, l’ambassadeur E. van Kleffens, le prof. Eugen Kogon, et le Dr Einar Löfstedt, recteur de l’Université de Lund.

Une seconde session devait se tenir à Strasbourg deux ans plus tard, pour approfondir les résultats de la première, avec la collaboration de philosophes tels que Gabriel Marcel, de linguistes tels que Alf Sommerfeldt, d’historiens — Franco Valsecchi, Max Beloff —, d’économistes — Peter Wiles, A. Doucy, Sir Oliver Franks — et de physiciens tels que Lew Kowarski et W. Groth. Le prof. Max Beloff, d’Oxford, fut chargé de condenser en un volume la substance des débats et les conclusions des deux sessions3.

Au début de 1974, pour marquer son vingt-cinquième anniversaire, le Conseil de l’Europe eut l’heureuse idée de réunir une deuxième table ronde, et d’en confier l’organisation à M. Y. Rodrigues, conseiller diplomatique du Secrétaire général.

Une masse impressionnante de rapports, notes et documents préparatoires, fut élaborée et distribuée aux participants de mai à septembre. La session — unique cette fois-ci — s’ouvrit dans l’amphithéâtre du palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 septembre.

Dans l’hémicycle réservé d’ordinaire aux juges siégeaient les douze membres de la table ronde4. Devant eux, une vingtaine de rapporteurs, experts, et représentants d’organismes européens et internationaux.

Le public était limité aux diplomates accrédités auprès du Conseil de l’Europe et à une trentaine de correspondants des principaux journaux européens.

Dès l’ouverture, le secrétaire général devait situer en quelques mots les objectifs de la table ronde et en expliquer le titre :

En élaborant le programme des manifestations commémoratives du XXVe anniversaire du Conseil de l’Europe nous avons pensé qu’il fallait non seulement évoquer les souvenirs du passé mais aussi susciter des espoirs pour l’avenir ; non seulement nous donner — comme nous l’avons fait le 5 mai — un air de fête, assombri il est vrai par le grand deuil de la France, mais aussi un moment de méditation comme en ont les montagnards à chaque palier de leur ascension.

Nous l’avions fait il y a vingt ans en réunissant six Européens parmi les plus prestigieux pour évoquer la culture européenne à la fois une et diverse. Nous le faisons à nouveau pour réfléchir aux problèmes de civilisation qui assaillent les Européens dans leur désir presque contradictoire de changement et de sécurité, de justice sociale et de liberté individuelle ; de solidarité et de pluralisme des choix.

Jamais peut-être la vocation du Conseil de l’Europe de défendre les droits et libertés individuelles, et d’œuvrer pour un humanisme de développement, n’a été plus évidente et plus nécessaire qu’aujourd’hui où, dans le grand ébranlement de nos valeurs et de nos traditions, nous pressentons l’apparition d’un monde nouveau. Parce que nous croyons qu’il faut faire confiance à l’homme et que le bonheur ne vient pas à ceux qui ne l’appellent pas de toutes leurs forces. Parce que nous croyons qu’une civilisation comme la nôtre ne se renie pas mais qu’elle se dépasse, parce que nous voulons que l’homme fasse usage des machines et des inventions que nul ne peut et ne doit empêcher de suivre leur cours, nous avons proposé d’appeler cette rencontre La Promesse du xxe siècle.

Ainsi que le secrétaire général le rappela, aucun discours n’était prévu, à l’exception de celui qu’il m’avait prié de prononcer pour inaugurer les travaux de cette deuxième table ronde et la relier à la première.

Voici mon texte, légèrement abrégé.

La personne comme fondement des valeurs européennes

La première table ronde, tenue à Rome en 1953, s’était demandé : d’où vient l’Europe, et sur quelles bases d’unité culturelle édifier son union politique ? La deuxième table ronde, que nous inaugurons, se demande plutôt : où va l’Europe ? et plus exactement : où voulons-nous qu’elle aille ?

Si les deux Tables rondes diffèrent visiblement, c’est moins encore par le sujet — héritage dans un cas, promesse dans l’autre — que par le climat qui les baigne. La première souhaitait approfondir en réflexion morale et culturelle les efforts pour l’union que nos gouvernements se disposaient à faire porter principalement sur une construction économique, dont on croyait qu’elle devait entraîner des effets politiques, mais c’est l’inverse qui s’est produit. Celle d’aujourd’hui veut affronter les premières manifestations d’une crise mondiale que tous les augures nous annoncent, et voici le paradoxe de notre situation : si nous refusons de les croire, donc d’agir à l’encontre des destins qu’ils ont calculés, alors le pire deviendra sûr. (Situation moins nouvelle dans l’Histoire qu’on ne le pense : c’est celle du peuple juif devant ses grands prophètes !)

Pour tout dire d’un mot : entre la première table ronde et celle d’aujourd’hui, expliquant tout ce qui les rend différentes, il y a eu le fameux Rapport au club de Rome.

Mais ceci dit pour désigner par un symbole la nature des changements survenus dans notre approche du phénomène européen, reconnaissons qu’il y a eu, aussi, la carence totale de réalisations de notre union politique. Or, la cause de cette carence est en interaction précise avec les causes de la crise mondiale, dont le Rapport au club de Rome décrivait les symptômes matériels et le syndrome fondamental : celui de la croissance illimitée. La crise mondiale, et la carence politique des Européens s’originent l’une et l’autre dans nos attitudes devant la Nature et l’État, dans l’échelle des valeurs réglant nos choix concrets, dans les finalités dont ces valeurs sont en définitive les moyens.

De la première table ronde sont nés, nous dit un document récent émanant du Conseil de l’Europe, « la Convention de coopération culturelle et le programme du Conseil en matière d’éducation et de culture ». Je crois qu’il serait juste d’ajouter à ces dispositions techniques la diffusion discrète, mais efficace en profondeur, de quelques « lieux communs » européens qui ont sans doute orienté l’action d’hommes politiques tels que De Gasperi, Robert Schuman, Paul-Henri Spaak, pour ne citer que les plus évidents et ceux que j’ai le mieux connus. Ce n’est pas rien, mais il faut bien admettre que cela n’a pas suffi pour « faire l’Europe ».

De cette deuxième rencontre, que devons-nous attendre ? Face à la crise mondiale née de nos œuvres, à nous Européens inventeurs des machines, du DDT et de la bombe atomique, nous avons à trouver comment réorienter toute l’aventure occidentale de l’homme, afin d’éviter les désastres écologiques, civiques et génétiques auxquels conduit nécessairement une société de Production massive, de Publicité manipulatrice, de Pouvoir militaire et de Profit monétaire, un cinquième P, le Plutonium mortel des centrales à fission, venant fermer avec une logique infernale (le nom l’indique et ce n’est pas un hasard) ce « Pentagone de la Puissance » ou mieux : de l’obsession de Puissance que nous décrit Lewis Mumford et que je n’ai cessé de dénoncer depuis que je m’occupe de l’Europe.

Nous voici, nous les Douze invités à la Table — et vous tous qui entrerez, je l’espère, dans le débat — aux prises avec une question simple tout au moins dans son énoncé : Quelle société rénovée voulons-nous, nous autres « bons Européens » — comme disait Nietzsche — au nom de quelles valeurs, et en vue de quelles finalités ?

En nous posant cette énorme question, en nous demandant d’y réfléchir en quelque sorte publiquement, et puis de déposer nos conclusions sur son bureau, le Conseil de l’Europe a fait un acte qui mérite d’être qualifié de politique, au sens du terme le plus éminent, le plus large et aussi le plus précis puisqu’il désigne, comme au temps d’Aristote, la gestion des rapports humains dans la cité. Que le Conseil en soit remercié par les Douze en tant qu’invités, et qu’il en soit félicité par nous tous en tant que citoyens. Car le Conseil ne tente rien de moins, dans cette affaire, que de fonder la politique européenne, et de la fonder, comme il se doit, beaucoup moins sur les expériences du passé, toujours ambiguës comme on le sait, que sur une espérance active, sur cette « substance des choses espérées » que la foi seule, par instants, peut saisir et peut seule activer dans notre histoire.

Où irons-nous ? Au nom de quoi ? Et en vue de quelles fins faut-il créer l’union des gens de l’Europe tels qu’ils sont, ou tels qu’ils peuvent devenir dans une société rénovée ? Selon quelle hiérarchie de valeurs ? Gagée sur quoi ? Valeurs évaluées elles-mêmes par rapport à quelles références, et à quel absolu réellement respecté et généralement obéi par la communauté dans laquelle nous sommes nés ?

Devant ces problèmes de destin, notre approche ne sera pas théorique. Nous ne partons pas à la recherche de définitions satisfaisantes ou simplement provocantes. Nous sommes confrontés à une crise, à des scandales, que tous ressentent, à des désastres calculables. Nous pensons à partir de là. Et l’on ne peut pas faire autrement. Car la pensée, en général, n’est peut-être que le feed-back d’une surprise ou d’une blessure, d’une agression subie ou d’un défi. « On pense comme on se heurte », disait Paul Valéry. C’est le scandale, le choc, qui déclenche les circuits. Adam ne pensait pas avant la Chute.

Tous ici, nous pensons à partir de la Crise, c’est-à-dire à partir de ce qui nous apparaît menaçant pour nos libertés, pour notre économie, pour la Nature, et finalement pour la survie de l’espèce humaine. Qu’il s’agisse de la pollution résultant de la production industrielle au service du profit privé et du prestige national, qu’il s’agisse de l’épuisement des ressources terrestres non renouvelables, ou de la surpopulation du tiers-monde, ou de la pénurie d’énergie, de tous côtés se multiplient ces grands points d’exclamation qui, dans la signalisation routière, annoncent un passage dangereux, quand ce ne sont pas déjà les disques rouge et blanc de la voie barrée, de l’impasse. Je n’en dirai pas plus sur ce chapitre ; tout le monde a lu Forrester ou Meadows. L’équivalent moral, social et politique du célèbre Rapport sur « Les Limites à la croissance » (matérielle) reste à écrire : je l’intitulerais pour ma part Rapport sur la dégradation des relations humaines et la dissolution des liens communautaires. On y décrirait le désert surpeuplé de nos villes hantées par l’immense foule des solitaires ; l’alignement des esprits, des jugements, des curiosités même par l’école, la presse et la radio, qui a conduit à la guerre de 1914. On décrirait l’abaissement du niveau intellectuel des masses et de la qualité artisanale ; la jeunesse qui ne lit plus que des onomatopées en bulles ; la manipulation des désirs, des besoins et des fantasmes par la Publicité et la Télévision ; les ravages de la division du travail qui est en réalité une division de l’homme, comme l’avait annoncé Kropotkine ; la montée universelle de la délinquance, la démocratisation du terrorisme, des prises d’otages, du chantage à la bombe, naguère privilèges des seuls États ; la montée parallèle d’une sorte d’anorexie civique, d’un fatalisme qui devrait inquiéter bien plus encore que les prévisions des Meadows, car c’est lui qui les rendra vraies, quand elles n’étaient que monitoires et n’ambitionnaient rien que d’être démenties ! On y décrirait enfin quelque chose qui me paraît beaucoup plus inquiétant que les vues apocalyptiques des écologistes, quelque chose qui est là déjà, bel et bien là, et qui est la Question du siècle : Quel est le sens de ma vie dans cette société qui n’en est pas une, puisqu’elle n’est plus une communauté ? […]

Cette crise morale affecte l’Occident tout entier, et par lui tous les peuples de la Terre qui copient notre civilisation industrielle, scientifico-technique, quantitative. Elle est née de l’Europe, de ses valeurs et de leurs conflits ; et des guerres aussi, dans lesquelles nous avons entraîné toute la planète. Or à leur tour, ces guerres sont nées de nos nationalismes.

Et voici qu’apparaît clairement le sujet de notre table ronde : pour sortir de la Crise mondiale, de ses contradictions et de ses impasses, il faut des choix. Il faut savoir ce que l’on est prêt à sacrifier et quelles sont les priorités. Veut-on d’abord et à tout prix la Puissance, ou la Liberté ? Tout changera selon la réponse. Et avec cela entrent en jeu, dans le concret, les valeurs, dont une mode de naguère avait tenté de décréter l’inexistence.

Qu’est-ce qu’une valeur, dans le contexte de notre crise ? Ce n’est pas une entité philosophique. C’est ce qui nous permet de choisir, ordonne nos choix, et définit leur sens.

Face à la crise mondiale, nous avons l’impression que quelque chose a été faussé dans l’échelle des priorités, que la justice, la santé, la liberté, la qualité de la vie, l’utilité sociale, se voient sacrifiées sans merci sur l’autel du Profit, de la Rentabilité, du Prestige ou de l’Indépendance nationale.

Mais s’il y a conflit de valeurs, c’est qu’il y a donc des valeurs ! Et qui décident ou plutôt nous permettent de décider. Nous ne prenons conscience des valeurs que lésées. Mais alors nous n’en doutons plus.

Voulons-nous vraiment consommer deux fois plus d’électricité tous les sept ans, comme nous le répètent les producteurs (ce qui suppose une production multipliée par 16 384 en un peu moins d’un siècle, utopie pure) et cela grâce aux 24 000 centrales nucléaires « nécessaires » à la fin du siècle, et produisant assez de plutonium pour nous tuer tous plusieurs millions de fois ? Ou bien préférons-nous la survie de l’espèce ? Voulons-nous en priorité le profit, ou l’équilibre moral ? Le progrès matériel, quantitatif, détruisant forêts et collines, ou cette sensation de bonheur animique et physiologique, que rien ne mesure et qui vaut plus que tout ? Bien sûr, les choix sont rarement aussi simples. Mais ils se ramènent dans l’ensemble à un dilemme fondamental entre l’impératif catégorique, qui est moral, et les impératifs technocratiques, qui sont des questions de gros sous, quand ce n’est pas de puissance militaire.

Or, ces choix de finalités, et les sacrifices qu’ils commandent, sur quel absolu les régler ? Et comment évaluer les valeurs qui les guident ?

Ici se pose la question décisive du référentiel, c’est-à-dire de ce qui gage les valeurs, de l’évaluant fondamental.

Il n’est pas toujours bien conscient, même chez celui dont il gouverne le jugement et la conduite. Ainsi chez Marx : on a relevé que cet auteur semble bannir de son vocabulaire le terme de justice, décidé qu’il est à ne décrire que des enchaînements nécessaires et qui échappent à toute considération morale. Cependant, la passion qui anime Le Capital est celle de la justice, ou je n’y ai rien compris. C’est la justice, non la nécessité, qui est le vrai référentiel de l’œuvre.

Pour l’homme d’Europe, qu’il le sache ou non, le référentiel absolu, c’est la personne.

Or la personne a une histoire, comme bien d’autres structures que l’on croirait intemporelles et universelles, mais qui ont leur date et leurs coordonnées spatiales. Notre notion de la personne s’est constituée au cours des grands conciles œcuméniques, de Nicée en 325 à Chalcédoine en 451, époque où l’Église s’installe dans les cadres de l’Empire romain et tente de formuler à l’aide des catégories de la pensée grecque une révélation venue de la Judée. Le problème majeur des conciles est celui de la Trinité : comment définir et distinguer en un seul Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, c’est-à-dire les trois relations de la paternité, de la filialité et de la procession, sans sacrifier ni l’unité divine ni la diversité des fonctions ? Les Grecs avaient constitué la notion d’identité individuelle qu’ils exprimaient par le terme de face, ou de visage, mais cela ne rendait pas compte de l’idée de relation et de rôle distinctif, qu’évoquait en revanche le mot latin de persona, terme juridique définissant l’homme par son rôle dans la cité, après avoir désigné le masque porté par un acteur et caractérisant son rôle dans l’action.

Pour définir les trois fonctions ou relations divines, c’est-à-dire pour exprimer à la fois l’Un et le Divers, ou l’unité dans la diversité, les Pères adoptèrent donc le terme de personne. Mais c’est surtout la définition de la Deuxième Personne de la Trinité, celle du Fils, qui allait fonder la conception chrétienne de l’homme. En déclarant qu’ils confessaient Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fois, les Pères du concile de Chalcédoine ont posé le premier modèle permettant de penser ensemble des réalités antinomiques, qui s’excluent en logique mais coexistent en fait, ou comme diront les scolastiques, qui sont « distinguées par la raison mais unies par la réalité ». En formulant la thèse centrale de l’orthodoxie chrétienne, c’est-à-dire la coexistence en une Personne de deux natures antinomiques, sans confusion, sans séparation, sans réduction de l’un des termes ni subordination de l’un à l’autre, le dogme de l’Incarnation n’a pas seulement fondé l’anthropologie chrétienne, mais il a posé le modèle de la pensée spécifiquement européenne, la grande idée de l’antagonisme créateur, déjà conçue par Héraclite, de la coïncidentia oppositorum de Nicolas de Cues, qui anime les œuvres de Goethe, de William Blake, des philosophes du romantisme allemand, de Kierkegaard ou de Proudhon, et les dialectiques d’aujourd’hui, qu’elles soient marxistes, existentialistes ou physico-mathématiques. Et c’est aussi, au plan de la théorie politique, le modèle du fédéralisme, c’est-à-dire de la coexistence en perpétuelle interaction de l’union et des petites communautés, de l’unité globale et des autonomies locales — cette pensée en tension qui est vraiment l’idée formatrice de l’Europe parce qu’elle engendre l’homme européen, à partir de l’extraordinaire création qu’a été le concept de personne, cette notion théomorphe de l’homme et anthropomorphe de Dieu.

Voilà pour l’origine, « technique » en quelque sorte, de la notion, qui ne tarda pas à être transposée du plan théologique à celui de l’humain, par Augustin d’abord, lequel estime que l’homme, étant fait à l’image de Dieu, est lui aussi une personne ; puis par Boèce, philosophe non chrétien, qui traduit en termes laïques les définitions conciliaires, et sera commenté par tout le Moyen Âge. Homologue du « vrai Dieu et vrai homme », de la Deuxième Personne divine, la personne humaine est devenue la coexistence en tension de l’individu naturel et de ce qui dans l’homme « passe infiniment l’homme » comme dit Pascal : le transcendant. Une nature investie par une vocation, une notion de l’homme qui implique la transcendance de l’homme par rapport à lui-même.

Certes, les siècles ont ajouté à cette formule. Elle est devenue autre chose qu’un modèle, qu’une structure. Aux notions grecques d’individu, d’autonomie, et d’homme mesure de toutes choses ; aux notions romaines d’organisation et d’institutions stables (ou État) ; aux notions évangéliques et judaïques, d’amour actif, de liberté, de justice et de vocation, sont venues s’ajouter les valeurs germaniques de fidélité, de communauté, de biens communs, les valeurs celtes d’aventure initiatique courue par le chevalier errant, et de Quête spirituelle. Mais aujourd’hui, qu’est-ce donc que la personne ? Il semble qu’à une telle question je ne pourrais répondre que pour moi, et pourtant j’oserai dire que la personne c’est l’œuvre essentielle de chacun, qui consiste à trouver sa voie et à courir son aventure sans précédent.

Car chacun naît de quelque chose qui n’a jamais été auparavant, qui n’est exactement pareil à rien, croisement de chromosomes eux-mêmes sans précédent, de sorte que la chance est quasi nulle qu’il naisse jamais deux individus pareils. Chacun de nous est donc le point de départ d’un chemin particulier vers le But qui l’appelle, qu’il le nomme Dieu ou l’Absolu, la Vérité ou le Bonheur. Le But suprême est le même pour tous, mais chacun pour le joindre doit créer sa propre voie, et frayer son propre sentier. Partant de moi, individu sans précédent historique ni physiologique, pour rejoindre les fins dernières qui m’appellent, je ne puis pas aller par la route nationale : elle conduirait au mieux à quelque capitale, non à moi-même.

Mais la question lancinante se pose, et se repose à tout instant, à savoir si je découvre mon chemin tel qu’il était prévu pour moi depuis toujours, ou si je l’invente en osant y avancer sans l’avoir vu. Ce que je sais, c’est qu’il n’existera qu’autant que j’aurai le courage d’y marcher dans la nuit. Voilà qui implique la foi, cette forme de confiance dont saint Paul dit qu’elle est « ferme assurance des choses qu’on ne voit pas ». Le chemin qui se crée sous les pas qui le foulent, conduit au But qui se révèle lorsqu’on marche vers lui, pas autrement. Il s’agit d’une activité jamais achevée et qui sans fin cherche sa fin, et qui la reconnaît lorsqu’elle éprouve un sentiment de convenance entre ses démarches et cette fin.

Je conçois que l’on puisse n’y pas croire. Que l’on puisse nier l’existence de ce que j’appelle la personne, la traiter de fantôme métaphysique, d’illusion verbale, de concept superflu. Mais j’observe que ceux qui la nient ont commencé par répéter, après Nietzsche, que Dieu est mort, et que cela signifiait la « mort de l’homme », et donc de toute identité, de toute personne. Or, ce n’est là qu’une métaphore. Ce qui peut provoquer la mort de l’homme, c’est la mort d’une Nature tuée par l’homme, et qui nécessairement entraînerait dans sa perte l’espèce humaine. Car l’homme ne peut rien contre Dieu, tout contre l’homme.

Quand on nie Dieu, comme la plupart des écoles de pensée modernes, existentialistes, freudo-marxistes, ou structuralistes ; quand on répète que la mort de l’homme s’ensuit « logiquement » ; quand on nie le sujet, et qu’on répond comme Ulysse au Cyclope : « Je me nomme personne, je n’y suis pas », c’est qu’on prépare un mauvais coup, ou qu’on tente d’échapper à certaines responsabilités en se dissimulant derrière de prétendues « fatalités », de prétendus « impératifs », — comme Adam court se cacher dans les buissons quand Dieu l’interpelle en Eden.

On peut très bien ne pas croire à la personne. Et je ne cherche pas, ici, à vous convaincre qu’elle existe, mais simplement à vous faire voir qu’en fait, et pratiquement, vous y croyez, tous tant que vous êtes.

Car si vous protestez comme vous le faites tous, chaque jour, contre les formes les plus diaboliquement variées de l’aliénation, j’ose vous demander ce qui, selon vous, est aliéné ? Si ce n’est pas la personne, alors quoi ? Quelle abstraction politicienne ? Ceux qui prétendent que l’homme n’est qu’une illusion, que le sujet n’existe pas, même dans le discours, que le langage ne fait qu’utiliser notre gosier, notre langue et nos lèvres et que « ça » parle à travers nous, — comment peuvent-ils signer des manifestes contre l’aliénation… de quoi ? Contre l’exploitation de l’homme par l’homme, disent-ils. Mais ce serait l’exploitation d’une illusion par une inexistence, à les en croire ? Marx, en revanche, dénonçant en termes hégéliens l’aliénation des travailleurs, témoignait en faveur de la personne, et en son nom.

L’aliénation de l’homme ne saurait désigner que ce qui compromet sa possibilité de se mouvoir librement, à la fois selon le naturel et selon le divin qui est en lui. L’aliéner, c’est le mécaniser — au sens argotique qu’a pris le mot — c’est-à-dire le manipuler, lui imposer un comportement qui même très bénéfique, très bien payé, ne lui serait pas propre, ne pourrait que l’altérer, le détourner de sa vocation — et c’est cela que j’appelle le péché.

Le problème de l’aliénation, essentiellement lié à celui de la personne, me paraît se ramener au problème du pouvoir : pouvoir sur soi ou pouvoir sur autrui ?

J’ai fait allusion tout à l’heure au dilemme Puissance ou Liberté. Or, ces deux termes désignent deux formes de pouvoir qu’il m’importe de préciser.

Le pouvoir sur autrui, c’est la Puissance, et le pouvoir sur soi-même, la Liberté.

Le pouvoir sur autrui, il est fatal que l’État s’en empare un jour ou l’autre. Car l’État réclame en effet la totalité des allégeances, et ne peut tolérer que des pouvoirs collectifs soient détenus par des particuliers : qu’on se rappelle la lutte des rois contre les féodaux, des États modernes contre les pouvoirs locaux, et de l’école primaire contre toute forme d’originalité chez les élèves. Tout pouvoir qui s’exerce sur autrui, non sur soi (comme celui que procure la richesse), relève du domaine réservé ou revendiqué par l’État, et sera tôt ou tard monopolisé par l’État. Tout pouvoir qui s’exerce sur autrui conduit donc à l’État totalitaire, dans le système actuel de l’État-nation centralisé, déstructuré ; donc à la perte de nos libertés.

En revanche, le pouvoir sur soi-même, la maîtrise de soi, au sens complet du terme, c’est-à-dire non seulement de ses émotions ou de ses mouvements d’humeur, de colère ou de peur, mais de ses pensées, de ses désirs, de sa vision, comme de la connaissance spirituelle, c’est cela la Liberté, condition générale de l’accueil et de l’exercice de toute vocation personnelle.

Mais cette vocation personnelle, je le répète, nous est le plus souvent inconnue. La découvrir comme si on l’inventait est la tâche singulière de chacune de nos vies. La tyrannie se définit alors par rapport à la seule personne, comme le type même de l’aliénation : c’est la dictée de mon aventure individuelle par l’autre, l’étranger, l’alien comme dit l’anglais, par l’État, par la mode ou la publicité, par un laboratoire manipulant les gènes et capable de provoquer des changements de personnalité « à la demande », c’est-à-dire selon les normes du pouvoir régnant. Aliénation majeure, non pas seulement de l’ouvrier d’usine, dont les conditions de vie, de dignité, de santé et de loisirs sont à peu près les mêmes à l’Est dit socialiste et à l’Ouest capitaliste, mais de nous tous, habitants d’une cité en ruines morales.

La richesse, à ce banc d’essai, se révèle une fausse valeur : elle procure le pouvoir sur autrui, non sur soi-même (bien au contraire), le pouvoir qui aliène, non celui qui libère. Au surplus, elle crée tant de liens avec ce qui n’est pas ma vocation, que toutes les religions de la Terre l’ont condamnée : « Heureux les pauvres », disent nos Béatitudes, et les sermons le répètent tous les dimanches aux banquiers soucieux, comme à leurs clients insatisfaits.

Le prestige national se révèle fausse valeur, évalué à ce test de la personne. Une petite phrase de Simone Weil, géniale dans sa simplicité, dit là-dessus tout l’essentiel : « L’orgueil national est loin de la vie quotidienne. »

Les notions d’impératif technique et d’impératif de l’économie se révèlent à leur tour valeurs fausses et même d’un ridicule moliéresque. Elles ne sont, trop évidemment, que les alibis, soit de la volonté de puissance des États et de leurs grandes Agences techniques, soit du profit privé des sociétés, soit encore, en dernière analyse, de notre propre choix matérialiste. Lequel trahit peut-être, en fin de compte, un désir inavoué, tout inconscient, de substituer dans le cadre de notre vie le minéral, pratiquement immortel (métal, verre, plastique et béton) au végétal et à l’animal, dont la loi de développement inclut la mort. Ainsi, par peur de mourir, choisissons-nous l’inertie minérale, l’inanimé contre la vie toujours mortelle.

Le Progrès vénéré par le xixe siècle et réputé irrésistible, est le type même de l’antivaleur s’il n’est que l’accroissement des pouvoirs matériels, qui conduisent à la guerre, aux crises économiques, au gaspillage des ressources terrestres ; s’il n’est pas un progrès spirituel, une aventure de la liberté, un accroissement du pouvoir sur soi-même, mais seulement la croissance illimitée de besoins et de produits matériels, croissance dont on a remarqué que le rythme est celui de la prolifération des cellules cancéreuses.

En revanche, l’amour est une valeur fondamentale, qui ne saurait être niée ou contestée que par des infirmes de l’âme ou des débiles du spirituel, tous gens de pouvoir faible ou nul sur eux-mêmes ; ceux qui ne s’aiment pas et qui par suite ne valent rien pour aimer leur prochain. Car toute la tradition hébraïque et chrétienne, qui a formé vingt siècles d’Europe, nous dit qu’il faut aimer son prochain comme soi-même, et cela fonde la communauté non sur un sentiment, mais sur un acte ! Sur l’amour qui agit, l’amour qui aide, et non pas sur cette chose qui se lamente douze heures par jour à la radio. Car aimer son prochain comme soi-même est un commandement de la Bible. Puisque les sentiments ne se commandent pas, aimer le prochain comme soi-même, dès lors que cela nous est commandé, ne saurait donc être qu’un acte : le prochain est celui que je puis aider en fait.

Mais la notion même de prochain suppose quelque proximité géographique. Si le principe de toute communauté est de nature spirituelle et touche l’élément transcendant dans la personne, si bien qu’il peut relier des hommes de toute la terre, la vie communautaire concrète est proximiste, c’est-à-dire communale, locale et régionale. L’universel et le local ne sont pas en contradiction pas plus que l’Église et la paroisse puisqu’ils expriment la dialectique constitutive de la personne entre le transcendant et l’incarné, entre ce qui libère, dégage, universalise d’une part, et ce qui lie, engage, enracine d’autre part.

J’ai dit que la liberté de la personne implique sa responsabilité, et que la réciproque n’est pas moins vraie. La vocation dont l’appel me libère, c’est elle aussi qui me relie à mes prochains dans la cité, parce que c’est parmi eux, avec eux et pour eux, autant que pour moi, qu’elle va peut-être se réaliser. Pas de liberté réelle pour un irresponsable : or il faut bien reconnaître que la cité moderne tend à faire de nous tous des irresponsables, et que les dimensions mêmes de nos États-nations et de nos villes les font échapper à nos prises, et rendent vaine notre idée de participation à leur gestion, donc de civisme.

Participation et civisme ne reprendront un sens concret que dans les petites unités, municipales et régionales, qu’il s’agit désormais de recréer si l’on veut que la personne s’épanouisse : j’y vois la tâche principale de la génération qui monte. J’y vois aussi la condition de toute union possible de l’Europe. J’ai dit souvent mon scepticisme à l’égard de l’Europe des États, que j’ai nommée une « amicale des misanthropes » — quelque chose qu’on peut dire mais non pas faire. L’Europe que tout appelle ne pourra s’édifier que sur ce qui déborde, non seulement par en haut mais par en bas, le cadre inadapté de l’État-nation imposé par Napoléon : par en bas, ce sont les régions, par en haut, la fédération continentale. Et nous venons de voir que ces deux pôles de la société à construire correspondent aux exigences constitutives de la personne.

Les hommes ne sauraient être unis par l’imposition uniforme d’un même corpus de lois et de règlements de police, mais au contraire, c’est dans la liberté de chaque personne que vient s’enraciner la solidarité du genre humain.

Ainsi, de la notion de personne considérée comme le référentiel de nos valeurs, comme ce qui nous permet de les éprouver et au besoin de les transvaluer, nous avons vu se dégager une morale de la vocation, et nous voyons maintenant se constituer les éléments d’une politique communautaire. Morale et politique, soulignons-le, qui se déduisent immédiatement de la structure bipolaire de la personne et de ses exigences antinomiques, mais en réalité inséparables, de liberté et de responsabilité.

Or, il se trouve que toute vraie politique de la personne appelle la création de petites communautés qui, pour défendre leur autonomie, seront amenées à se fédérer et donc à pratiquer la seule méthode capable, selon moi, d’unir nos peuples et de sauver nos libertés.

C’est à cause de cela, finalement, que je suis venu une fois de plus, ici, parler de l’Europe, de son union, et de la création des régions qui rendra seule possible cette union. […]

Au terme de la quatrième et dernière séance de débats, je cherche à dégager les lignes générales d’évolution de l’idée européenne depuis la table ronde de Rome, quand la plupart d’entre nous voulaient croire que la naissance prochaine du Marché commun ne manquerait pas de déclencher une série de processus politiques nécessairement « irréversibles »…

La table ronde qui se termine aujourd’hui est née de la crise qui vient, pour tenter d’y répondre. La crise qui vient porte à prévoir l’avenir qu’il s’agit d’empêcher, plutôt que l’avenir à fomenter. Mais je crois bien que notre groupe a résisté à la tentation du refus. Sans se laisser intimider par la rituelle invocation des « impératifs » techniques, économiques, militaires, ou de « l’indépendance nationale », il a tranquillement affirmé ce qu’il tenait pour juste et bon — que cela passe pour « réaliste » ou non.

Il y a dix ans, pendant un comité préparatoire de la conférence de Bâle sur l’Europe et le Monde, comme quelqu’un proposait qu’une séance fût consacrée au fédéralisme, le représentant du Conseil de l’Europe avait déclaré qu’il se verrait, dans ce cas, contraint de s’en aller, « le mot fédéralisme étant tabou à Strasbourg ». Aujourd’hui non seulement le mot, mais la chose est admise, voire applaudie par le secrétaire général en personne, et sous ses formes les plus radicales : dénonciation de l’État-nation comme principal fauteur de notre crise, appel à la formation de régions en tant qu’unités de base de la communauté à recréer. Progrès remarquable du fédéralisme : dans les esprits seulement, disent les sceptiques. Mais s’il ne se produit pas là d’abord, il n’y a pas de chance qu’il se produise jamais dans les faits, les institutions et nos comportements sociaux : solidarité, tolérance, sens des diversités, goût de l’autonomie, et non pas individualisme égoïste, fanatisme politique, passion égalitaire et besoin « sécurisant » d’être mené.

Pour amorcer cette mutation, il a fallu l’éveil de la conscience écologique — ici représentée avec autant de bonne grâce que de rigueur par Robert Allen (et il est juste de souligner le rôle peut-être décisif joué sur ce plan par le Conseil de l’Europe, lorsqu’il a lancé son « Année de la protection de la nature » en 1970) ; il a fallu le rapport sur « Les Limites à la croissance » ; il a fallu la crise du pétrole et ses suites ; mais surtout, il a fallu la montée de l’idée régionaliste dans toute l’Europe, dépassant enfin le niveau des seules revendications ethniques, s’appuyant sur les nécessités écologiques et s’illustrant — négativement — par la carence de nos États devant le problème de l’énergie et de sa nécessaire diversification : obsédés par les grandes centrales, ils ne voient pas que les petits ruisseaux et les moindres rayons de soleil détiennent les solutions de notre avenir autonome.

Georg Picht n’a pas hésité à qualifier de « crime abominable » les concentrations de centrales nucléaires exigées par les agences énergétiques de nos États ; à déclarer que « tant que les obscurs complexes de préjugés murés dans les fondations de l’État-nation souverain ne sont pas dénoués, aucune planification rationnelle à l’échelle du globe n’a la moindre chance de succès politique » ; et à constater qu’une science libre, non asservie aux buts de puissance des États, peut seule nous aider à sauver la biosphère ; dès lors, « la liberté de pensée et d’expression est une condition biologique de notre survie ».

James Fawcett s’interroge : la société occidentale est-elle encore gouvernable ? A-t-elle encore une volonté politique générale, face à l’émiettement en groupes d’intérêts égoïstes ? Il ne voit d’autre espoir, lui aussi, que dans la création de pouvoirs locaux et régionaux, problème numéro un de notre temps.

Giuseppe Petrilli estime qu’il est grand temps de priver l’État de son aura, et de lui rappeler qu’il est service public.

Enfin, l’un des deux fondateurs du club de Rome, Alexander King, ancien directeur général des affaires scientifiques de l’OCDE, confesse qu’il n’accorde plus aucune confiance aux structures politiques actuelles, et ne voit d’autre espoir que dans la décentralisation des institutions et des organes de décision.

(Sur quoi je fais remarquer, une fois de plus, que décentraliser n’est encore que le fait du Centre, et qu’il nous faut repartir d’en bas, des racines, c’est-à-dire des communes, si l’on veut restaurer de vivantes régions.)

Cette évolution générale des esprits les mieux informés et les plus imaginatifs n’aboutira pas forcément à des réformes assez profondes, faites à temps. Mais s’il reste aujourd’hui un espoir, c’est bien là qu’on doit le placer.

Du 22 septembre au 5 octobre

De retour dans ma maison-chantier de Saint-Genis-Pouilly, je trouve plusieurs lettres de dirigeants du club de Rome me pressant de rédiger le rapport que m’a demandé Aurelio Peccei. Sur quel thème ? lui ai-je écrit. Et l’on me répond de Rio : « Sur vos derniers travaux, sur ce que vous tenez pour le plus important aujourd’hui. » Puis me parvient une photocopie du Second Report to the Club of Rome : Mankind at the turning point, par Mihajlo Mesarovic et Eduard Pestel. Je lis, p. 145 : « La futilité d’un nationalisme étroit doit être reconnue et prise pour axiome dans tout processus de décision. Toute nation qui essaierait de résoudre le problème envahissant de l’inflation à l’aide de mesures limitées à son seul territoire serait condamnée à l’échec. » Je reçois également copie du rapport présenté par Georg Picht, qui réitère sa condamnation de l’État-nation incompatible avec l’ordre global.

Je n’hésite plus : j’annonce le titre, dépourvu de toute équivoque, du rapport que je me mets à écrire sans plus de délai, et qui prendra dans mon esprit la suite logique des deux déclarations que je viens de citer.

Peu de progrès dans les travaux de transformation de ma maison. On dirait qu’il suffit que je me mette au travail pour que les coups de marteau et les perceuses se déclenchent aussitôt autour de moi. J’écris 16 pages, je ne sais comment, et les envoie aux organisateurs berlinois de la prochaine assemblée du club de Rome.

La galopade devient course d’obstacles.